ANNEXE 2 - AUDITION DE MME MICHÈLE ALLIOT-MARIE, MINISTRE D'ETAT, GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE ET DES LIBERTÉS
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MARDI 4 MAI 2010
La commission procède à l'audition de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'Etat, garde des Sceaux, ministre de la justice et des libertés, sur le projet de loi organique n° 610 (2008-2009) et le projet de loi n° 611 (2008-2009) relatifs au Défenseur des droits.
M. Jean-Jacques Hyest, président. - Ce projet de loi organique découle de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008. Le Sénat, qui s'intéresse de près à ce sujet, avait fortement complété le texte initial, s'inspirant du rapport relatif aux autorités administratives indépendantes établi par le doyen Gélard pour feu l'Office d'évaluation de la législation. Le texte tel que voté par le Congrès offrait des possibilités d'extension pour les compétences du Défenseur des droits. Celui-ci n'est pas un super Médiateur : son champ d'intervention et l'organisation de la nouvelle institution doivent donc être différents.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'Etat, Garde des sceaux, ministre de la justice. - Nos échanges, au Sénat, sont toujours intellectuellement satisfaisants et politiquement utiles. La réforme constitutionnelle de juillet 2008 visait à renforcer et moderniser la défense des droits et libertés. La question prioritaire de constitutionnalité, par exemple, était une nouveauté. Le Défenseur des droits aussi. Il n'a pas été conçu comme un Médiateur « en plus grand ». Notre préoccupation est que les citoyens n'aient plus lieu de se sentir écrasés par des décisions juridiquement correctes mais humainement préjudiciables. Nous voulons renforcer les voies de recours non juridictionnelles.
Le Défenseur des droits cependant n'a pas été créé ex nihilo, car le besoin d'une telle institution se fait sentir depuis quarante ans et le Médiateur de la République a démontré l'efficacité d'une autorité indépendante proche des citoyens. Chaque nouvelle autorité créée a rempli un vide ; mais on n'a pas épuisé tous les problèmes. Faute de vision d'ensemble, l'approche a été éclatée, sectorisée, compartimentée. Or, si nous considérons comme essentielle pour la démocratie la défense des droits et libertés, un minimum de cohérence s'impose. Des instances différentes ont forcément des analyses et des décisions divergentes...
Le Défenseur des droits devrait donc être une instance unique, aux compétences larges et aux pouvoirs importants, aux moyens renouvelés par rapport aux instances existantes - mais nous n'ignorons pas ce qui a été accompli dans le passé. Le Défenseur des droits tiendra son autorité de la Constitution et ses moyens seront à la hauteur de sa mission. Ses pouvoirs seront accrus : au titre des pouvoirs de contrôle et d'investigation, il aura un droit d'accès aux locaux privés ou publics, sous le contrôle du juge, et si la personne visée y fait obstacle, elle s'exposera à des sanctions pénales. Ses recommandations, si elles ne sont pas suivies d'effet, donneront lieu à des injonctions et à un rapport spécial qui pourra être rendu public. Si une autorité administrative refuse d'user de son pouvoir disciplinaire comme le lui demande le Défenseur des droits, un rapport spécial sera publié. Le Défenseur possèdera aussi des pouvoirs directs de règlement des litiges : il pourra proposer une transaction, intervenir devant toute juridiction, saisir le Conseil d'Etat pour recueillir son avis et couper ainsi court aux divergences d'interprétation sur les textes applicables. Tout cela forme un ensemble cohérent.
Une saisine aisée était la condition pour que les citoyens se sentent soutenus. Celui qui s'estime lésé dans ses droits et libertés pourra saisir directement le Défenseur des droits - les parlementaires conservant la possibilité de le faire. La saisine sera gratuite. Et le Défenseur pourra s'autosaisir dans tous les domaines de sa compétence - avec une restriction : la personne lésée devra être avertie et son éventuel refus, respecté. Cette restriction comporte à son tour une exception, les enfants, puisque leurs représentants légaux peuvent être les personnes mises en cause...
Nous créons donc une autorité forte, avec des moyens à la hauteur de son statut constitutionnel. Nous avons pris en considération ce que chaque institution a apporté - surtout celles qui sont intégrées dans le champ du Défenseur des droits, Médiateur de la République, Défenseur des enfants, Commission nationale de la déontologie de la sécurité (CNDS). Les compétences de chacune ne sont pas diluées dans l'institution nouvelle. Le Défenseur des droits sera assisté de collèges - formés de trois personnalités spécialisées, obligatoirement consultées en ce qui concerne la défense des enfants ou la déontologie de la sécurité. Il y aura aussi, bien sûr, une mise en commun des bonnes pratiques et des expériences acquises. Le personnel de chaque institution - j'y veille - et les dossiers existants seront transférés au Défenseur. Nous envisageons du reste une individualisation de certaines missions.
La Défenseure des enfants a exprimé des inquiétudes, je l'ai reçue plusieurs fois car je la connais bien et j'ai créé un groupe de travail au sein de mon cabinet pour réfléchir sur le sujet. La Défenseure des enfants bénéficie en effet d'une visibilité réelle, qu'il convient de conserver : les enfants connaissent une personne, une seule ! Il est bon que la mission continue dans l'avenir à s'incarner ainsi et le Défenseur des droits pourra déléguer une partie de ses pouvoirs. Cela sera à préciser dans le texte.
Cette approche concrète et pragmatique, alors que les administrations suivent souvent une logique propre, étrangère au sort des personnes, conforte nos valeurs, nos principes, nos ambitions. Le Défenseur des droits contribuera à préserver l'unité nationale, une de mes préoccupations principales.
M. Patrice Gélard, rapporteur. - Je suis parfaitement d'accord avec vous, même si des modifications sont peut-être à apporter au texte.
Le statut constitutionnel change tout, par rapport aux autorités administratives indépendantes. Et la compétence du Défenseur sera générale, selon l'article 4. Mais peut-on maintenir des institutions comme la HALDE, sans instaurer une concurrence entre les institutions ? La définition du champ de compétence du Défenseur paraît englober la lutte contre les discriminations et l'intégration de cette autorité a été envisagée dans l'étude d'impact... Il est important de préserver l'identification claire qui existe aujourd'hui, je songe en particulier aux missions de la Défenseure des enfants. La dimension internationale, soit dit en passant, était incluse dans la loi relative au Défenseur des enfants, mais ne l'est pas dans le présent texte. Nous sommes également attachés à la pluridisciplinarité : n'abandonnons pas le collège pluridisciplinaire de la CNDS ou de la HALDE. Pourquoi ne pas retenir la solution de pôles, chacun animé par un adjoint au Défenseur et doté d'un collège présidé par le Défenseur lui-même ?
Dans votre texte, à l'article 20, le Défenseur des droits n'est pas tenu de motiver ses rejets : une motivation, même sommaire - demande irrecevable ou infondée... - serait utile. Certaines autorités administratives suivent déjà cette pratique. Le pouvoir de transaction de l'article 22 n'est pas suffisamment défini. Ne faudrait-il pas retenir le modèle de la HALDE ? En outre, puisque le Défenseur des droits intégrera des institutions qui fonctionnent aujourd'hui en réseau, on peut s'interroger sur l'opportunité de fusionner les délégués territoriaux, comme il est prévu à l'article 26. N'est-il pas préférable de maintenir des délégués spécialisés ? Sinon, pourra-t-on encore faire appel à des bénévoles ? Car la tâche sera lourde !
Le texte ne prévoit pas, à l'article 3, le rattachement budgétaire des crédits du Défenseur. Or il semble indispensable qu'une autorité consacrée par la Constitution et chargée de la protection des droits jouisse de cette autonomie budgétaire, tout en étant soumise au contrôle de la Cour des comptes.
Le délit d'entrave créé par le projet de loi ordinaire est puni de 7 500 euros d'amende. Ne faudrait-il pas alourdir la peine à 15 000 euros et un an d'emprisonnement, comme pour le délit d'entrave à l'action de la CNIL ? Enfin, le gouvernement a-t-il réfléchi à la localisation de la nouvelle institution : Paris ? La banlieue parisienne ?
M. Jean-Claude Peyronnet. - Lorsque la Constitution a été révisée, nous n'étions pas hostiles à la création du Défenseur, mais nous avons finalement voté contre car il fut impossible d'obtenir le moindre détail de Mme Rachida Dati, alors garde des sceaux, sur le périmètre de cette nouvelle autorité : hormis l'intégration du Médiateur de la République et de la CNDS, rien ! On a pu se demander si l'intégration du Défenseur des enfants n'avait pas pour but de justifier celle de la CNDS, dont les avis impertinents...
M. Bernard Frimat. - Mais très pertinents !
M. Jean-Claude Peyronnet. - ... dérangent aussi bien les ministères que les directeurs et les syndicats. Les institutions comme la HALDE et la CNDS sont franchement hostiles à l'intégration. Par corporatisme ? Peut-être, mais ces autorités ont des procédures originales. S'agissant de la CNDS, par exemple, comment remplacer un conseil pluridisciplinaire par un collège de trois personnes, qui donnera un avis ? La solution du rapporteur est intéressante : qu'en pense Madame la ministre ?
L'article 20 me préoccupe aussi ; le rejet monarchique, sans motivation, me paraît excessif. La rédaction des articles 15, 17 ou 18 laisse la faculté à l'autorité judiciaire de s'opposer longtemps à une mesure d'enquête demandée par le Défenseur des droits ! Elle peut aussi opposer le secret de l'enquête au Défenseur - c'est l'article 17. L'article 18 interdit enfin l'intervention des ayants droit. Je ne comprends pas ces dispositions.
Les délégués sont inquiets de ce nouveau métier qui se profile. Leur originalité, c'est leur formation initiale. Ils sont pour la plupart retraités, ils ne souhaitent pas devenir des professionnels à temps plein !
M. Jean-Pierre Sueur. - Je m'interroge sur les contradictions de votre discours, Madame la ministre. Vous commencez par un éloge du centralisme. Vous décrivez un Défenseur des droits de rang constitutionnel ayant vocation à traiter tous les sujets. Et ensuite, parmi toutes les institutions susceptibles d'être intégrées, vous opérez un découpage aléatoire ! Nous avons reçu la nouvelle présidente de la HALDE, pleine d'enthousiasme et qui ne semble pas en poste pour un intérim de quelques semaines ! Or, quel est votre argument pour exclure la HALDE ? Que le Contrôleur général des lieux de privation de liberté conserve son autonomie, fort bien, mais, si nous suivons votre logique, il n'y a pas de raison non plus pour l'exclure ! Quant à la CNDS, nous savons le déplaisir que nous causons dans la police ou la gendarmerie lorsque nous lui transmettons un dossier. Nous connaissons sa parfaite indépendance, garantie démocratique fondamentale. « Ne vous inquiétez pas », répondez-vous, « il y aura un grand tout avec des sous-défenseurs, des sous-collèges, toute une magnifique organisation ». Mais des entités dotées de l'autonomie et de la liberté ont leur avantage. Madame la ministre, quelle est la logique entre vos diverses assertions ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Je partage ces interrogations. Pourquoi supprimer immédiatement deux autorités indépendantes - l'une plus indépendante que l'autre, du reste ? L'absorption des autres interviendra-t-elle ensuite ? Si ce n'est pas le cas, où est la logique ? Le mode de nomination du Défenseur des droits ne garantit pas l'indépendance de l'institution. Dans d'autres pays, le Défenseur est désigné par le Parlement, à la majorité qualifiée. La France compte 66 millions d'habitants : un défenseur unique, centralisé, aux compétences très larges, donnera forcément naissance à une énorme machine ; ou alors il ne sera pas à même de répondre aux nombreuses sollicitations, désormais directes. L'ombudsman suédois a affaire à une population bien plus réduite. Et le défenseur espagnol, le Defensor del pueblo, qui est de niveau fédéral, s'occupe d'un nombre limité de questions, car chaque province a ses propres défenseurs sur de nombreux sujets. Nous risquons pour notre part l'inefficacité ! Le Médiateur de la République a fort à faire ; le Défenseur des droits sera submergé.
Pour avoir saisi souvent la CNDS, je sais déjà que le travail qu'elle accomplit ne pourra être assumé par la nouvelle organisation, sauf à modifier complètement le nouveau collège. La CNDS est punie, alors qu'elle fonctionne de façon pluraliste, ce qui n'est pas le cas de toutes les autorités. Le Défenseur des enfants verra aussi son champ d'action limité. C'est une erreur de le supprimer alors que d'autres institutions demeurent.
M. François Zocchetto. - Je m'interroge moi aussi sur les pouvoirs de la HALDE, qui ne sont pas repris par le Défenseur des droits. Je me demande quelle sera la qualification juridique des décisions de la nouvelle institution. L'article 24 du projet de loi organique prévoit qu'elle peut consulter le Conseil d'Etat pour obtenir un avis relatif à l'interprétation d'une loi ou d'un règlement. Mais cet avis vaudra-t-il jurisprudence ? Sera-t-il un apport à la doctrine ? S'imposera-t-il aux parties en présence ou aura-t-il une portée générale ?
Quelle sera la qualification des décisions de l'article 6, sachant que la saisine ne suspend pas l'action juridictionnelle ? Le citoyen déposera sans doute une réclamation auprès du Défenseur et se portera en justice, souvent auprès du tribunal administratif. La décision du premier s'imposera-t-elle au second ? Sera-t-elle une pièce versée au dossier et présentée au juge ? Pourra-t-on contester les avis du Défenseur devant une juridiction ?
M. Jean-René Lecerf. - La multiplicité des autorités administratives indépendantes pose à mes yeux problème car elle revient à un démembrement de l'Etat. Certaines d'entre elles, créées pour traiter un problème précis, pourraient être intégrées dans la nouvelle organisation lorsque le problème en question sera en voie de résolution : je pense au Contrôleur général des lieux de privation de liberté, quand la situation dans les prisons se sera améliorée. Et je partage l'opinion de mes collègues sur la pertinence des avis de la CNDS. Je suis moins admiratif quant aux effets qu'ils produisent. Comme rapporteur pour avis du budget de l'administration pénitentiaire, je connais ce domaine et j'ai constaté bien souvent que des avis clairs visant tels membres du personnel ne changeaient rien dans l'établissement ! L'autorité du Défenseur des droits sera bienvenue pour remédier à cette lacune.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'Etat. - Le Défenseur des droits aura une autorité forte, des compétences très vastes, il sera le gardien des libertés du citoyen face aux administrations et aux institutions publiques. Certaines questions demeurent à trancher par le Parlement, celle de l'intégration ou non de la HALDE par exemple, mais cette autorité traite aussi des dossiers impliquant des citoyens dans leurs rapports avec d'autres citoyens, alors que le présent texte vise les relations du citoyen avec les administrations. Cela ne signifie pas que le texte soit fermé...
M. Jean-Jacques Hyest, président. - Il est ouvert, volontairement, grâce à notre amendement lors de la révision de la Constitution !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'Etat. - Je le connais ! Mais si le texte est restrictif, c'est que tout englober provoquerait au début de grosses difficultés de gestion. Nous avons opté pour une démarche plus pragmatique, dans laquelle nous nous limitons aux rapports entre les citoyens et les administrations. Nous verrons avec le Parlement, maintenant ou dans l'avenir...
M. Jean-Jacques Hyest, président. - L'article 71-1 de la Constitution indique que « Le Défenseur des droits veille au respect des droits et libertés par les administrations de l'État, les collectivités territoriales, les établissements publics, ainsi que par tout organisme investi d'une mission de service public, ou j'attire votre attention à l'égard duquel la loi organique lui attribue des compétences. »
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'Etat. - Rassurez-vous : je l'ai lu !
M. Jean-Jacques Hyest, président. - J'étais, pour ce qui me concerne, le rapporteur du projet de révision constitutionnelle. Nous ne voulions pas trop limiter le champ, des compétences car nous avions la HALDE à l'esprit...
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'Etat. - Les travaux préparatoires et l'amendement ont introduit l'idée d'intégrations immédiates plus nombreuses. Mais je crois qu'il faut prendre son temps. Maintenir la pluridisciplinarité et fonctionner par pôles, fort bien, mais il faut une unification, une cohérence de la jurisprudence. Il faut donner force au rôle du Défenseur des droits et non reproduire ce qui existe aujourd'hui, en ajoutant seulement un chapeau.
Les décisions du Défenseur des droits ne feront pas grief et ne seront donc pas susceptibles de recours. Il n'y a donc pas à les motiver, même s'il est préférable, sur le plan humain, d'expliquer le refus. Le Médiateur de la République n'a jamais motivé ses réponses : cela n'a pas posé de problème. Quant au pouvoir de transaction, le but est que le Défenseur des droits parvienne à éviter des contentieux. Faut-il le préciser dans la loi organique ? Je ne le crois pas. Ailleurs ? Je n'en suis pas persuadée non plus, car il ne faut pas être limitatif s'agissant de procédures civiles. Il en va différemment des transactions pénales. Et si la HALDE doit dans l'avenir être intégrée dans la nouvelle institution, nous envisagerons alors une déclinaison plus fine des pouvoirs du Défenseur.
Sur les délégués territoriaux, je précise que nous recherchons une unification des décisions au plan national, pour en finir avec les contradictions. Des adaptations devront être opérées au fur et à mesure. Nous verrons ce que le Défenseur jugera nécessaire. Le scénario ne sera pas : « on prend les mêmes et on continue ». Il y aura une réorganisation - mais elle ne relève pas de la loi. Certes, les délégués ne sont pas des professionnels, mais j'en connais plus d'un prêt à faire un peu plus qu'aujourd'hui ! Une redéfinition du périmètre, y compris géographique, est à envisager.
Rien n'est arrêté dans le texte concernant le rattachement budgétaire. L'autonomie budgétaire des autorités administratives indépendantes ne pose pas de problème. Après quatre années de Lolf, on ne trouve pas grand-chose à modifier.
Sur le délit d'entrave et l'augmentation de la pénalité, j'ai bien entendu vos remarques mais des amendes élevées, considérées comme dissuasives, ne sont en fait jamais appliquées parce que disproportionnées par rapport aux ressources des personnes ou des institutions visées. La loi perd alors de son autorité. Je préfère une sanction plus faible mais réellement utilisée !
Un mot de la localisation, alors que fusent les propositions : la décision n'est pas prise, mais je ne suis pas contre une solution hors de Paris, qui serait moins coûteuse !
Jean-Claude Peyronnet suggère de maintenir les collèges pluridisciplinaires qui existaient au sein des anciennes autorités. C'est envisageable à titre transitoire. Mais notre but n'est pas de laisser subsister les diverses autorités en les coiffant d'un chapeau dénommé « Défenseur des droits ». Le Défenseur des droits doit pouvoir s'appuyer sur des collèges compétents, mais de taille réduite.
Jean-Pierre Sueur croit déceler dans mon argumentation une contradiction entre une tendance jacobine et une tendance girondine, bien naturelle chez une Aquitaine... Nous voulons créer une grande institution, telle qu'il en existe, non seulement dans les pays nordiques avec l'ombudsman, mais aussi dans de nombreuses autres démocraties. Trois autorités existantes y seront intégrées d'emblée, mais la liste n'est pas close : je crois savoir que votre rapporteur souhaite en ajouter une autre, et je n'y vois pas d'inconvénient si cela préserve l'esprit de la nouvelle institution. Il faut seulement laisser le temps à cette dernière de se mettre en place, en évitant de lui confier dès le début de trop larges compétences.
Le Défenseur des droits jouira d'une indépendance encore plus grande que la CNDS, puisque ce sera une institution dont l'existence est garantie par la Constitution, et que la nomination du Défenseur sera soumise à l'approbation des assemblées : que voulez-vous de plus ?
M. Jean-Pierre Sueur. - Les commissions parlementaires compétentes ne pourront refuser cette nomination qu'à la majorité des deux tiers...
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. - Ce Gouvernement a montré qu'il était attaché à nommer aux postes de responsabilité des personnalités indépendantes, même lorsqu'elles appartiennent à l'opposition.
Nicole Borvo Cohen-Seat craint que le Défenseur ne puisse répondre à l'afflux des demandes. Il est possible qu'il en reçoive un peu plus que les anciennes autorités, car son existence sera mieux connue, mais l'accroissement ne devrait pas être considérable. D'ailleurs le personnel de chacune des autorités sera affecté au nouvel organe.
Je confirme à François Zocchetto que les décisions du Défenseur, qui ne font pas grief, ne seront pas de nature juridictionnelle. Il pourra demander au Conseil d'Etat des avis, mais, pas plus que ceux que rendent déjà les sections administratives du Conseil, ces avis ne constitueront une jurisprudence. Les décisions du Défenseur ne s'imposeront pas aux juridictions.
Vous vous interrogez sur ce qui adviendra en cas de double saisine. Mais le rôle du Défenseur est précisément de parvenir à une solution non contentieuse des conflits, ce qui fera gagner du temps et de l'argent aux parties et allègera la charge des tribunaux. Dans ce cas, naturellement, il sera mis fin aux procédures judiciaires.
Jean-René Lecerf s'interroge sur l'avenir de diverses autorités administratives indépendantes, et notamment du Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Tout le monde s'accorde à dire que M. Jean-Marie Delarue fait un travail remarquable. Mais peut-être, à terme, faudra-t-il confier au Défenseur des droits les missions du Contrôleur.
M. Jean-Jacques Hyest, président. - Je rappelle cependant qu'en créant le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, nous avons cherché à imiter le modèle du contrôleur des prisons anglais plutôt que de l'ombudsman ou du Defensor del pueblo espagnol. Le rôle du Contrôleur n'est pas seulement de veiller au respect des droits, mais plus généralement d'oeuvrer à l'amélioration des conditions de détention. Pour l'heure, il serait dommage de fondre cette institution avec le nouveau Défenseur des droits.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. - Il est vrai que la mission actuelle du Contrôleur est de dresser un état des lieux des prisons en France, c'est-à-dire à la fois des lieux et des conditions de détention, afin que nous puissions mettre à niveau notre système carcéral. Mais lorsque cette mission sera achevée, je ne verrai pas d'inconvénient à réunir le Contrôleur au Défenseur des droits.
M. Jean-Jacques Hyest, président. - Encore une fois, leur rôle n'est pas tout à fait le même. Des institutions telles que la HALDE, le Défenseur des enfants ou la CNDS sont chargées de faire respecter des droits. Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, de son côté, doit pouvoir intervenir, même si personne ne lui adresse de réclamation.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. - Mais le Défenseur des droits pourra s'autosaisir.
M. Jean-Pierre Michel. - Je ne comprends pas bien quels seront les liens entre le Défenseur des droits et l'institution judiciaire. Le projet de loi organique me paraît émaillé de contradictions. L'article 4 semble exclure la justice du champ du Défenseur. S'agit-il d'une administration ? Je ne sais. L'article 26 dispose que « le Défenseur des droits ne peut remettre en cause une décision juridictionnelle ». Quant à l'article 5, il autorise « les ayants droit de la personne dont les droits et libertés sont en cause » à saisir le Défenseur. Une personne mise en détention provisoire qui s'estime lésée le pourra-t-elle ?
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. - Non : il existe dans ce cas d'autres voies de recours.
M. Jean-Jacques Hyest, président. - Voyez le rôle du Médiateur de la République.
M. Jean-Pierre Michel. - La dénomination du « Défenseur des droits » laisse supposer qu'il aura des compétences bien plus vastes ! Le Médiateur est chargé de régler des litiges entre des administrations qui fonctionnement mal, comme l'assurance-vieillesse, et des citoyens ; il répond souvent favorablement aux demandes qui lui sont adressées. Mais si des droits sont violés, cela constitue une infraction, qui relève des compétences du juge !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. - La décision du juge prime, mais le rôle du Défenseur est d'intervenir pour faire prévaloir l'équité. De la même manière, un justiciable qui s'estime lésé par une décision de justice peut faire appel ou se pourvoir en cassation, mais il pourra aussi, lorsque la réforme du Conseil supérieur de la magistrature sera entrée en vigueur, saisir ce dernier au cas où il estimerait le comportement d'un magistrat contraire aux principes de déontologie.
M. Jean-Jacques Hyest, président. - Le Défenseur des droits pourra ainsi être saisi, comme aujourd'hui le Médiateur de la République, au sujet des aspects non juridictionnels du fonctionnement de la justice, par exemple dans le cas où une décision n'aurait pas été transmise par le greffe dans le délai imparti.
Madame le ministre d'État, je vous remercie.