N° 711
SÉNAT
SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2010-2011
Enregistré à la Présidence du Sénat le 5 juillet 2011 |
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des finances (1), comportant le texte de la commission, sur la proposition de résolution européenne de M. Pierre BERNARD-REYMOND, présentée au nom de la commission des affaires européennes en application de l'article 73 quater du Règlement, sur la directive du Conseil concernant une assiette commune consolidée pour l' impôt sur les sociétés (ACCIS) (E 6136),
Par M. Philippe MARINI,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : M. Jean Arthuis , président ; M. Yann Gaillard, Mme Nicole Bricq, MM. Jean-Jacques Jégou, Thierry Foucaud, Aymeri de Montesquiou, Joël Bourdin, François Marc, Serge Dassault , vice-présidents ; MM. Philippe Adnot, Jean-Claude Frécon, Mme Fabienne Keller, MM. Michel Sergent, François Trucy , secrétaires ; M. Jean-Paul Alduy, Mme Michèle André, MM. Bernard Angels, Bertrand Auban, Denis Badré, Mme Marie-France Beaufils, MM. Claude Belot, Pierre Bernard-Reymond, Auguste Cazalet, Yvon Collin, Philippe Dallier, Jean-Pierre Demerliat, Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, MM. Éric Doligé, Philippe Dominati, Hubert Falco, André Ferrand, François Fortassin, Jean-Pierre Fourcade, Adrien Gouteyron, Charles Guené, Claude Haut, Edmond Hervé, Pierre Jarlier, Yves Krattinger, Roland du Luart, Philippe Marini, Jean-Pierre Masseret, Marc Massion, Gérard Miquel, Albéric de Montgolfier, François Rebsamen, Jean-Marc Todeschini, Bernard Vera. |
Voir le(s) numéro(s) :
Sénat : |
580 rect. (2010-2011) |
Mesdames, Messieurs,
Les conclusions du Conseil européen des 24 et 25 mars 2011 invitent les Etats membres à « une coordination pragmatique des politiques fiscales » en tant qu'élément nécessaire d'une « coordination renforcée des politiques économiques dans la zone euro » (Pacte pour l'euro plus).
Le Conseil européen estime en outre qu'« établir une assiette commune pour l'impôt sur les sociétés pourrait constituer un moyen de garantir, sans incidence sur les recettes, la cohérence entre les régimes fiscaux nationaux tout en respectant les stratégies fiscales nationales et de contribuer à la viabilité budgétaire et à la compétitivité des entreprises européennes ».
Dans un contexte de crise de la dette, les Etats européens sont de plus en plus préoccupés par la concurrence fiscale déloyale qui pèse sur les ressources budgétaires et cherchent des voies de coopération afin de garantir une plus grande cohérence entre les vingt-sept régimes fiscaux existants.
Parmi les pistes évoquées, une assiette commune d'impôt sur les sociétés constitue une des idées les plus anciennes. Toutefois, si le Conseil européen relève que la Commission européenne a présenté, le 16 mars 2011, une proposition de directive du Conseil concernant une assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés (ACCIS) 1 ( * ) , il convient de souligner que les buts poursuivis par les deux institutions ne sont pas strictement identiques.
La Commission entend conforter l'efficacité du marché intérieur en supprimant l'essentiel des obstacles de nature fiscale que peuvent rencontrer les entreprises en son sein.
En effet, en matière d'imposition des bénéfices et compte tenu des règles de territorialité de l'impôt, le marché intérieur est fragmenté en autant d'Etats membres. Les entreprises qui souhaitent bénéficier de la libre circulation et de la libre installation dans le marché intérieur se voient donc contraintes d'appliquer des régimes fiscaux différents et supportent des coûts qui n'existeraient pas dans une zone fiscalement intégrée.
L'étude d'impact jointe à la proposition de directive souligne qu'« avec vingt-sept régimes fiscaux qui coexistent et sont incompatibles à bien des égards, le marché de l'Union européenne reste très fragmenté. De ce fait, l'Union européenne souffre d'un handicap concurrentiel très important par rapport à ses principaux partenaires commerciaux, les Etats-Unis et le Japon, qui sont chacun perçus comme un seul et même marché par les entreprises ».
L'ACCIS a donc pour objet d'accentuer la mobilité du capital et d'encourager les investissements transfrontaliers au sein de l'Union européenne.
Pour ce faire, la proposition de directive fixe un ensemble unique de règles que les entreprises exerçant des activités dans l'Union européenne pourraient utiliser pour calculer leur bénéfice imposable. Outre la définition d'une assiette commune d'imposition , la proposition prévoit également la consolidation transfrontalière des bénéfices et des pertes de l'ensemble des membres d'un groupe au sein de l'Union européenne , à l'instar des règles d'intégration fiscale applicables dans un Etat.
Elle vise uniquement à harmoniser la définition de l'assiette de l'impôt sur les sociétés. Les taux demeurent du ressort de la pleine et entière souveraineté des Etats membres . Néanmoins, ce projet emporte des conséquences notables sur la répartition de l'assiette imposable entre les Etats membres de l'Union européenne et donc sur le montant de leurs ressources fiscales . De ce fait, il a suscité de vives inquiétudes chez certains de nos partenaires .
Plus de la moitié des Parlements nationaux se sont exprimés, soit pour la soutenir, soit pour la critiquer, sur la proposition de la Commission européenne .
A l'initiative de notre collègue Pierre Bernard-Reymond , le Sénat français est, à son tour, invité à prendre position . La commission des affaires européennes du Sénat a ainsi adopté, le 7 juin 2011, une proposition de résolution européenne . En application du 3 de l'article 73 quinquies du Règlement du Sénat, votre commission des finances est saisie au fond sur cette proposition.
Son texte deviendra, au terme d'un délai de trois jours francs suivant la publication du présent rapport, la résolution du Sénat , sauf si le Président du Sénat, le président d'un groupe, le président d'une commission permanente, le président de la commission des affaires européennes ou le Gouvernement demande, dans ce délai, qu'elle soit examinée par le Sénat 2 ( * ) .
I. UNE IDÉE ANCIENNE CONCRÉTISÉE PAR LA PROPOSITION DE DIRECTIVE DU 16 MARS 2011
A. UNE LONGUE MATURATION
La fiscalité directe des personnes ou des entreprises n'a jamais figuré, au fil des traités successifs, parmi les compétences relevant de la Communauté puis de l'Union européenne. Pourtant, dès 1962, une première étude, le rapport Neumark, aborde la question de l'harmonisation de l'imposition des sociétés tant en ce qui concerne l'assiette que les taux. En 1970, le rapport Tempel estime à nouveau que ce sujet doit, à l'instar de la TVA, recevoir une attention particulière en tant qu'élément crucial de l'établissement puis de l'achèvement du marché intérieur .
En effet, les entreprises doivent être en mesure de s'établir librement partout en Europe sans être entravées par des obstacles de nature fiscale. Comme l'indique la Commission européenne dans une communication du 23 octobre 2001 ( cf. infra ), « la disparité des régimes fiscaux entraîne des pertes d'efficacité et empêche les opérateurs de recueillir tous les bénéfices du marché unique . Cela risque de se traduire par une perte de bien-être pour l'Union européenne et une dégradation de la compétitivité des entreprises ».
La Commission a très tôt focalisé son attention sur l'impossibilité, pour une entreprise, de consolider les bénéfices et les pertes de l'ensemble de ses établissements et filiales installés en Europe , ce qui conduit à un surcroît d'imposition qui n'existerait pas dans un contexte purement national .
De fait, compte tenu des règles de territorialité de l'impôt sur les sociétés , les Etats sont très réticents à prendre en compte les pertes exposées dans un autre Etat pour établir l'impôt qui leur est dû puisque, dans tous les cas, ils ne pourront ensuite imposer les bénéfices réalisés. C'est ainsi que, en France, un dispositif tel que le bénéfice mondial consolidé n'est octroyé que sous couvert d'un agrément ministériel et fait l'objet d'un encadrement strict.
A l'inverse, l'intégration fiscale à l'intérieur d'un Etat apparaît comme une pratique fiscale normale. La Commission européenne, sur les bases des études précitées, vise donc à ce que l'Union européenne devienne le territoire d'application d'une intégration fiscale européenne . Ainsi, entre 1975 et 1985, elle présenta plusieurs propositions de directives relatives à la prise en compte par les entreprises des pertes subies par leurs établissements et filiales dans d'autres Etats membres (compensation transfrontalière des bénéfices et des pertes).
Ces initiatives n'ont pas prospéré en raison de nombreuses réserves émises par les Etats membres. La Commission européenne a donc fait le choix de retirer l'ensemble de ses propositions pour se concentrer sur la résolution de problèmes spécifiques : la directive « fusions » 3 ( * ) et la directive « mères-filles » 4 ( * ) ont ainsi été publiées en 1990.
Au tournant des années 2000, dans le contexte de la Stratégie de Lisbonne 5 ( * ) , le Conseil a mandaté la Commission sur la question de « l'incidence de la fiscalité sur la localisation des activités économiques et des investissements ». En conclusion de ses travaux, la Commission a publié une communication le 23 octobre 2001 intitulée « Vers un marché intérieur sans entraves fiscales . Une stratégie pour permettre aux entreprises d'être imposées sur la base d'une assiette consolidée de l'impôt sur les sociétés couvrant l'ensemble de leurs activités dans l'Union européenne ».
Ce document rappelle que la « fiscalité des entreprises peut jouer un rôle important [...] pour assurer aux entreprises l'égalité des conditions de concurrence dans l'Union européenne ». Il a servi de point de départ aux travaux qui ont abouti à la proposition de directive du 16 mars 2011 concernant une assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés (ACCIS) 6 ( * ) .
* 1 Proposition de directive du Conseil concernant une assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés (ACCIS), COM (2011) 121, 16 mars 2011.
* 2 Si, dans les sept jours francs qui suivent cette demande, la Conférence des présidents ne propose pas ou le Sénat ne décide pas son inscription à l'ordre du jour, la proposition de résolution de la commission devient la résolution du Sénat.
* 3 Directive 90/435/CEE du Conseil, du 23 juillet 1990, concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d'États membres différents.
* 4 Directive 90/434/CEE du Conseil du 23 juillet 1990 concernant le régime fiscal commun applicable aux fusions, scissions, scissions partielles, apports d'actifs et échanges d'actions intéressant des sociétés d'États membres différents, ainsi qu'au transfert du siège statutaire d'une SE ou d'une SCE d'un État membre à un autre.
* 5 Aujourd'hui renouvelée sous le titre « Europe 2020, une stratégie pour une croissance intelligente, durable et inclusive ».
* 6 Common consolidated corporate tax base (CCCTB), en anglais.