B. L'OBJECTIF : LIMITER LES COÛTS SUPPORTÉS PAR LES ENTREPRISES DU FAIT DE LA DIVERSITÉ DES SYSTÈMES FISCAUX DANS L'UNION EUROPÉENNE
1. Une harmonisation dictée par l'évolution du marché intérieur
La communication de la Commission européenne d'octobre 2001 précitée relève tout d'abord que l'environnement économique a fortement évolué : développement des fusions et acquisitions transfrontalières ; émergence du commerce électronique ; intégration accrue au sein du marché intérieur.
Elle identifie cependant plusieurs obstacles fiscaux préjudiciables pour les entreprises du fait de l'existence de vingt-sept assiettes d'impôt sur les sociétés et susceptibles de pénaliser l'investissement transfrontalier ou de freiner l'activité économique au sein du marché intérieur .
Les entreprises ayant une activité transfrontalière sont en effet tenues de supporter des coûts de gestion supplémentaires, résultant de la nécessité de se conformer à différentes législations fiscales. Ces coûts administratifs, aussi appelés coûts de mise en conformité , représentent, d'après l'étude d'impact réalisée par la Commission européenne, en moyenne 2,2 % du montant des impositions acquittées par les sociétés les plus importantes ; par ailleurs, ces coûts peuvent atteindre 31 % de l'imposition payée par les petites et moyennes entreprises (PME), soit environ 10 milliards d'euros (chiffres de 2008). En ce qui concerne les firmes multinationales, la majeure partie des coûts de mise en conformité découle des prix de transfert , qui réclament un important effort de gestion et l'établissement d'une documentation complexe.
Les situations de double imposition doivent également être réglées soit par des règles internes ad hoc 7 ( * ) , soit par la signature d'un réseau de conventions fiscales entre les différents Etats membres, auquel cas « 351 traités seraient nécessaires pour couvrir toute l'Union » 8 ( * ) .
La surimposition résulte de l'impossibilité, pour une entreprise ou un groupe établi dans au moins deux Etats membres, de consolider les bénéfices et les pertes de l'ensemble de ses établissements pour le calcul de son impôt sur les sociétés (IS). D'après la Commission, l'absence d'une telle possibilité entraînerait un surcoût global d'imposition de l'ordre de 1,3 milliard d'euros dans l'Union européenne 9 ( * ) .
Elle relève aussi que la fragmentation du paysage fiscal est source d'une complexité de gestion pour les administrations et offre d'importantes opportunités pour la fraude et l'évasion fiscales .
La Commission n'entend pas cependant exclure la possibilité d'une concurrence fiscale. Elle note ainsi que les Etats membres « se font concurrence en utilisant tous les éléments de leurs systèmes fiscaux pour attirer les investissements et l'activité sur leur territoire ». Elle souhaite seulement s'attaquer « à toute forme de concurrence fiscale qui serait dommageable ou économiquement non souhaitable ».
L'harmonisation de l'impôt sur les sociétés doit par conséquent conduire à une mobilité accrue du capital et à l'augmentation de la fréquence des transactions transfrontalières . Elle doit se traduire par un accroissement du bien-être au sein de l'Union européenne , notamment par des gains de compétitivité .
Par ailleurs, ces travaux doivent également permettre de trouver une solution fiscale applicable à la forme juridique de la « société européenne » (SE) 10 ( * ) .
2. L'ACCIS, une option parmi d'autres
Une étude du cabinet Baker & McKenzie réalisée pour la Commission en 2001 montre que le taux national d'imposition est le facteur le plus important dans la détermination du taux d'imposition effectif : « en général, la composition de la base imposable a peu d'impact sur la pression fiscale effective et le taux d'imposition est le vrai facteur de la différence de charge fiscale ». Les écarts de taux d'imposition feraient plus que compenser les écarts dans la base d'imposition.
La Commission européenne en déduit que la concurrence fiscale loyale doit se concentrer sur les taux, l'assiette devant rester la plus neutre possible . Dès lors, conformément au principe de subsidiarité, les Etats doivent rester libres de fixer les taux d'imposition, l'harmonisation européenne étant limitée à la seule assiette.
Le diagnostic ainsi posé, la Commission disposait de plusieurs options dont certaines furent rapidement écartées . Par exemple, la possibilité d'utiliser les règles d'imposition de l'Etat membre du siège social de la société mère n'a pas été retenue car elle aurait pu être la source d'une concurrence particulièrement indésirable entre Etats membres.
L'étude d'impact annexée à la proposition de directive du 16 mars 2011 évoque quatre options, en fait deux selon que chacune d'entre elle est obligatoire ou facultative.
La première consiste à élaborer une assiette commune mais non consolidée d'impôt sur les sociétés ( ACIS ) ; la seconde à mettre en oeuvre une assiette commune et consolidée ( ACCIS ).
L'ACIS , tant obligatoire que facultative, a été écartée par la Commission car elle ne permet pas de répondre à sa principale préoccupation, à savoir éviter la « double imposition économique » en permettant la compensation transfrontalière des bénéfices et des pertes et éliminer, au sein de l'Union européenne, les problèmes liés à la fixation des prix de transfert .
L'ACCIS facultative est préférée à l'ACCIS obligatoire car, d'après l'exposé des motifs de la proposition de directive, « cette option évite d'imposer à chaque société de l'Union de passer à une nouvelle méthode de calcul de l'assiette imposable qu'elle opère ou non dans plusieurs Etats membres ».
Dans un document explicatif annexé à la proposition de directive, la Commission européenne estime en outre qu'une « ACCIS obligatoire outrepasserait le principe de subsidiarité, car elle impliquerait l'introduction de mesures de l'Union européenne pour couvrir , outre des activités au niveau de l'Union, des activités purement nationales ».
* 7 Par exemple, par l'imputation sur l'impôt français de l'imposition déjà acquittée à l'étranger.
* 8 Michel Aujean, « Vers une assiette commune consolidée d'imposition sur les sociétés », www.taj-strategie.fr , 15 avril 2009.
* 9 La Commission utilise également l'expression de « double imposition économique » qui apparaît « lorsque les pertes ne peuvent pas être absorbées au niveau économique ».
* 10 Règlement (CE) n° 2157/2001 du Conseil du 8 octobre 2001 relatif au statut de la Société européenne. La loi n°2005-842 du 26 juillet 2005 pour la confiance et la modernisation de l'économie a introduit le statut de la « société européenne » en droit français.