III. DES TEXTES TENDANT À OBLIGER LES ETATS À SE DOTER D'UNE « RÈGLE D'OR » CONTRAIGNANTE

Dans leur déclaration du 26 octobre 2011, les chefs d'Etat et de gouvernement de la zone euro ont rappelé l'attachement des Etats à des règles inscrites au plus haut niveau de la hiérarchie des normes, mais pas nécessairement dans la Constitution. Ainsi, il s'engagent à l'« adoption, par chaque État membre de la zone euro, de règles relatives à l'équilibre structurel des finances publiques traduisant dans la législation nationale, de préférence au niveau constitutionnel ou à un niveau équivalent, les règles du pacte de stabilité et de croissance, et ce avant la fin de 2012 ».

Ces règles sont désignées dans le débat politique européen par l'appellation de « règle d'or ». Bien qu'il ne s'agisse pas d'une « règle d'or » au sens que l'on donne généralement à ce terme dans le domaine des finances publiques 61 ( * ) , on se conformera ci-après à ce qui est devenu depuis peu l'usage courant.

Ces orientations seraient mises en oeuvre par deux textes, toujours en cours de discussion :

- l'une des deux propositions de règlement du « Two-Pack » proposé par la Commission européenne le 30 novembre 2011, actuellement en cours de discussion ;

- le traité intergouvernemental sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (dit « traité SCG »), arrêté le 30 janvier 2012, et qui pour entrer en vigueur doit encore être signé par les chefs d'Etat et de Gouvernement - à l'exception de ceux du Royaume-Uni et de la République tchèque - en marge du Conseil européen des 1 er et 2 mars 2012, puis ratifié.

A. LE « TWO-PACK » PROPOSÉ PAR LA COMMISSION EUROPÉENNE EN DÉCEMBRE 2011 POUR LES ETATS DE LA ZONE EURO

La Commission européenne a présenté, lors du Conseil Ecofin du 30 novembre 2011, deux propositions de règlement, tendant à renforcer la surveillance budgétaire des Etats de la zone euro :

- une proposition de règlement du Parlement et du Conseil établissant des dispositions communes pour le suivi et l'évaluation des projets de plans budgétaires et pour la correction des déficits excessifs dans les États membres de la zone euro (COM(2011) 821 final) ;

- une proposition de règlement du Parlement et du Conseil relatif au renforcement de la surveillance économique et budgétaire des États membres connaissant ou risquant de connaître de sérieuses difficultés du point de vue de leur stabilité financière au sein de la zone euro (COM(2011) 819 final).

1. La proposition de règlement « de droit commun » pour les Etats de la zone euro

La première de ces propositions de règlement comprend deux types de dispositions :

- des dispositions tendant à modifier les règles budgétaires des Etats membres ;

- des dispositions tendant à modifier la procédure de déficit excessif , afin notamment de renforcer leurs obligations d'information sur leur politique budgétaire.

Le tableau ci-après indique l'objet des différents articles.

La proposition de règlement établissant des dispositions communes pour le suivi et l'évaluation des projets de plans budgétaires et pour la correction des déficits excessifs dans les États membres de la zone euro (COM(2011) 821 final) : présentation synthétique

Article

Intitulé

Présentation sommaire

1

Objet et champ d'application

Seuls sont concernés les Etats membres de la zone euro.

2

Définitions

-

3

Calendrier budgétaire commun

Publication au plus tard le 15 avril, en même temps que le programme de stabilité, d'un « plan budgétaire à moyen terme » 62 ( * ) .

Projets de lois budgétaires (en pratique PLF et PLFSS) rendus publics au plus tard le 15 octobre.

Ces deux types de documents doivent s'appuyer sur « des prévisions macroéconomiques indépendantes ».

4

Règles relatives au solde budgétaire et institution d'un conseil budgétaire national indépendant

Règles budgétaires chiffrées pour l'ensemble des administrations publiques.

« caractère contraignant, de préférence constitutionnel ».

Mise en place d'un « conseil budgétaire indépendant », chargé d'évaluer la mise en oeuvre de ces règles.

5

Obligations liées au suivi

Présentation au plus tard le 15 octobre d'un « projet de plan budgétaire pour l'année suivante » qui doit notamment comprendre des projections de dépenses et de recettes à politiques inchangées.

6

Évaluation du projet de plan budgétaire

Avis de la Commission sur le projet de plan budgétaire le 30 novembre au plus tard. L'eurogroupe examine les avis de la Commission.

7

Surveillance plus étroite des États membres faisant l'objet d'une procédure de déficit excessif

Les Etats en déficit excessif sont soumis à des obligations d'information détaillées. En particulier, « l'État membre présente régulièrement à la Commission et au comité économique et financier, ou à tout sous-comité désigné par celui-ci à cette fin, un rapport sur l'exécution budgétaire infra-annuelle, l'incidence budgétaire des mesures discrétionnaires prises du côté des dépenses comme des recettes ».

8

Risque qu'un État membre ne se conforme pas à ses obligations dans le cadre de la procédure de déficit excessif

La Commission adresse une recommandation, l'Etat membre répond par un rapport, auquel répond la Commission.

9

Incidence sur la procédure de déficit excessif

« Le degré de mise en conformité de l'État membre concerné avec l'avis visé à l'article 6, paragraphe 1, est pris en considération » par la Commission quand elle recommande l'imposition d'un dépôt ne portant pas intérêt, et par le conseil, lorsqu'il décide s'il y a ou non un déficit excessif.

10

Cohérence avec le règlement relatif au renforcement de la surveillance économique et budgétaire des États membres connaissant ou risquant de connaître de sérieuses difficultés du point de vue de leur stabilité financière au sein de la zone euro

Les articles 5 et 7 du présent règlement ne s'appliquent pas aux États membres soumis à un programme d'ajustement macroéconomique.

11

Réexamen

Rapport de la Commission tous les 5 ans sur le présent règlement.

12

Dispositions transitoires

Le règlement s'applique aux États qui font déjà l'objet d'une procédure de déficit excessif (sauf ceux pour lesquels le Conseil a déjà décidé qu'ils avaient entrepris une « action suivie d'effets »). Les États membres se conforment à l'article 4 au plus tard six mois après l'adoption du règlement.

13

Entrée en vigueur

Le vingtième jour suivant celui de sa publication au Journal officiel de l'Union européenne.

a) L'obligation pour les Etats de la zone euro de se doter d'une « règle d'or » contraignante
(1) La règle proposée

La disposition la plus importante de la proposition de règlement est le premier alinéa de l'article 4 , qui prévoit : « les États membres adoptent des règles budgétaires chiffrées concernant le solde budgétaire, qui inscrivent dans le processus budgétaire national l'objectif budgétaire à moyen terme au sens de l'article 2 bis du règlement (CE) n° 1466/97. Ces règles s'appliquent aux administrations publiques dans leur ensemble et revêtent un caractère contraignant, de préférence constitutionnel ».

Cette rédaction va considérablement plus loin que la récente directive du « Six-Pack » relative aux cadres budgétaires nationaux 63 ( * ) , qui prévoit seulement que les « règles budgétaires chiffrées » « favorisent effectivement le respect » des obligations des Etats dans le domaine de la politique budgétaire.

La proposition de règlement prévoit, dans son article 12, que « les États membres se conforment à l'article 4 au plus tard [ six mois après l'adoption du présent règlement] ». On remarque que dans la proposition de règlement, ce délai figure entre crochets, ce délai étant susceptible d'évoluer au cours de la discussion. En particulier, le traité intergouvernemental (cf. B ci-après) n'entrerait en vigueur qu'au 1 er janvier 2013, et les Etats auraient encore une année pour se doter de « dispositions contraignantes et permanentes, de préférence constitutionnelles ». Toutefois, en l'état actuel de la proposition de règlement, la France aurait six mois pour se doter d'une règle contraignante. Si, dans un scénario « optimiste », le règlement entrait en vigueur à la mi-septembre 2012, la France aurait donc jusqu'à la mi-mars 2013 pour se doter d'une règle contraignante .

(2) Une obligation dont le non respect pourrait être sanctionné selon les procédures habituelles d'infraction

On rappelle que la Commission est responsable de la bonne application du droit de l'Union, que ce soit le droit primaire ou le droit dérivé, ce qui peut la conduire à ouvrir une procédure d'infraction si elle considère qu'un Etat membre n'applique pas correctement le droit de l'Union (ou ne l'applique pas du tout).

Cette procédure d'infraction peut conduire la Commission à saisir la Cour de justice de l'Union européenne sur le fondement de l'article 258 du TFUE afin que la Cour prononce le manquement de cet Etat membre à l'égard du droit de l'Union.

Si la Commission estime que cet Etat membre n'a pas tiré les conséquences nécessaires de l'arrêt de la Cour elle peut à nouveau saisir celle-ci - c'est le fameux « manquement sur manquement » prévu par les dispositions de l'article 260 § 2 du TFUE - et lui demander de prononcer une sanction financière contre cet Etat membre. Cette sanction financière, qui a pour objectif de contraindre l'Etat membre à se conformer à ses obligations vis-à-vis du droit de l'Union, peut se composer d'une astreinte et d'une somme forfaitaire.

b) Un texte susceptible d'évoluer sur ce point par coordination avec le « traité SCG »

Lors de leur conférence de presse commune du 5 décembre 2011, le Président de la République et la Chancelière de la République fédérale d'Allemagne ont annoncé leur intention d'adopter d'ici mars 2012 un nouveau traité impliquant, selon les termes du Président de la République, « une règle d'or renforcée et harmonisée au niveau européen pour que tous les budgets des 17 comportent une disposition constitutionnelle qui permette aux cours constitutionnelles nationales de vérifier que le budget national va vers le retour à l'équilibre ».

La proposition de règlement pourrait donc être modifiée, en cours de discussion, par coordination avec le traité intergouvernemental, en particulier en ce qui concerne la « règle d'or ». Selon les informations obtenues par votre commission des finances, il serait même actuellement envisagé par certains Etats de supprimer du règlement la disposition relative à la règle d'or, son inscription parallèle dans le traité lui faisant perdre son utilité 64 ( * ) .

S'agissant des autres dispositions du règlement, la procédure irait jusqu'à son terme, l'objectif étant que le texte soit adopté d'ici la fin de l'année .

c) La soumission, au plus tard le 15 octobre, d'un « projet de plan budgétaire pour l'année suivante »

La proposition de règlement précitée 65 ( * ) prévoit en outre, dans son article 5, que « les États membres soumettent à la Commission et à l'Eurogroupe chaque année, et au plus tard le 15 octobre , un projet de plan budgétaire pour l'année suivante ».

• Ces projets de plans budgétaires doivent concerner, comme les programmes de stabilité, l'ensemble des administrations publiques .

La différence par rapport à ceux-ci est qu'ils concerneraient seulement une année, et, surtout, qu'ils obligeraient le Gouvernement à indiquer explicitement :

- d'une part, « les projections, sur la base de politiques inchangées , relatives aux dépenses et aux recettes des administrations publiques, en pourcentage du PIB, ainsi que leurs principales composantes » ;

- d'autre part, « une description détaillée et un chiffrage solidement étayé des mesures à inclure dans le budget de l'année suivante afin de combler l'écart entre les objectifs (...) et les projections établies sur la base de politiques inchangées (...) ».

En France, cela serait une nouveauté utile dans le cas des dépenses (sinon des recettes 66 ( * ) ). En effet, le Gouvernement se contente habituellement d'indiquer, dans le rapport économique, social et financier annexé au projet de loi de finances, des objectifs d'évolution des dépenses publiques, sans indiquer précisément comment il entend les atteindre. Si dans le cas de l'Etat la norme de dépenses est habituellement respectée, il en va tout autrement dans celui des autres administrations publiques. La proposition de règlement améliorerait donc, sur ce point, la sincérité des lois financières annuelles.

• Les institutions communautaires pourraient demander à un Etat de modifier son projet de plan budgétaire :

- selon l'article 5 de la proposition de règlement, « lorsqu'elle constate, dans un projet de plan budgétaire, un manquement particulièrement grave aux obligations de politique budgétaire prévues dans le pacte de stabilité et de croissance, la Commission demande à l'État membre concerné, dans les deux semaines qui suivent la présentation de ce projet, de le réviser » ;

- selon l'article 6, « la Commission adopte, si nécessaire, un avis sur le projet de plan budgétaire le 30 novembre au plus tard . (...) L'Eurogroupe examine les avis de la Commission concernant les plans budgétaires nationaux (...), en se fondant sur l'évaluation globale réalisée par la Commission (...) ».

Dans le premier cas de figure , il faudrait vraisemblablement prendre de nouvelles mesures en cours de discussion budgétaire . En effet, dès lors que la Commission aurait demandé à l'Etat concerné de modifier son projet de plan budgétaire au plus tard fin octobre, on imagine mal cet Etat poursuivre sa discussion budgétaire comme si de rien n'était. La discussion budgétaire en France a connu une « interférence » de ce type lorsque, en 2011, le Premier ministre a annoncé le 7 novembre un plan supplémentaire de réduction du déficit public, mis en oeuvre par le projet de loi de financement de la sécurité sociale et le projet de loi de finances pour 2012 (modifiés par amendements du Gouvernement) et par le projet de loi de finances rectificative de fin d'année.

Dans le second cas de figure , on observe que ni l'Eurogroupe, ni l'Etat concerné, ne se voient imposer de contraintes de délai.

La proposition de règlement prévoit par ailleurs, diverses dispositions relatives aux calendriers budgétaires nationaux, sans conséquences pour la France 67 ( * ) .

d) La présentation de « plans budgétaires à moyen terme » mal définis

L'article 3 de la proposition de règlement prévoit que « les États membres rendent publics chaque année, et au plus tard le 15 avril, en même temps que leur programme de stabilité, un plan budgétaire à moyen terme conforme à leur cadre budgétaire à moyen terme et fondé sur des prévisions macroéconomiques indépendantes ».

Le contenu de ces plans budgétaires à moyen terme, et leur différence avec les programmes de stabilité, ne sont toutefois pas précisés .


* 61 En matière de finances publiques, la règle d'or désigne normalement une règle selon laquelle le solde courant (donc hors investissement) doit être équilibré sur la durée du cycle économique.

* 62 La différence entre les plans budgétaires à moyen terme et les programmes de stabilité n'apparaît pas clairement à la lecture du texte.

* 63 Directive 2011/85/UE du Conseil du 8 novembre 2011 sur les exigences applicables aux cadres budgétaires des États membres.

* 64 Sur ce point, voir le rapport n° 271 (2011-2012) de Nicole Bricq au nom de la commission des finances, sur la proposition de résolution européenne de M. Richard YUNG portant avis motivé présentée au nom de la commission des affaires européennes, en application de l'article 73 octies du Règlement, sur la conformité au principe de subsidiarité de la proposition de règlement établissant des dispositions communes pour le suivi et l'évaluation des projets de plans budgétaires et pour la correction des déficits excessifs dans les États membres de la zone euro (E 6903).

* 65 Proposition de règlement établissant des dispositions communes pour le suivi et l'évaluation des projets de plans budgétaires et pour la correction des déficits excessifs dans les États membres de la zone euro (COM(2011) 821 final).

* 66 Les mesures nouvelles sur les prélèvements obligatoires sont indiquées dans le rapport relatif aux prélèvements obligatoires annexé au projet de loi de finances.

* 67 La proposition de règlement prévoit, dans son article 3, que « les projets de lois budgétaires relatives aux administrations publiques » - ce qui en France concerne le projet de loi de finances et le projet de loi de financement de la sécurité sociale - « sont rendus publics chaque année, et au plus tard le 15 octobre (...) ». Selon son article 5, « les lois budgétaires relatives aux administrations publiques sont adoptées et rendues publiques chaque année, et au plus tard le 31 décembre ». On rappelle qu'en France, l'article 39 de la LOLF prévoit que le projet de loi de finances est déposé au plus tard le premier mardi d'octobre, reprenant en cela les stipulations de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959. En pratique toutefois, le dépôt est intervenu le 29 septembre en 2011 et en 2010, le 30 septembre en 2009 ou encore le 26 septembre en 2006 et 2007. Par ailleurs, jusqu'au projet de loi de finances pour 2002, les projets de loi de finances étaient généralement déposés autour du 20 septembre, parfois encore plus tôt (le 15 septembre en 1999 et même le 9 septembre en 1998).

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