EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Face aux crimes odieux dont la communauté internationale a trop souvent été le témoin impuissant, la création d'une juridiction pénale internationale permanente constitue une victoire importante pour tous les défenseurs des droits de l'homme. Désormais, les auteurs de crimes portant atteinte à l'humanité ne peuvent échapper à leur responsabilité en trouvant refuge dans quelque territoire trop bienveillant.

Dès l'origine, la France a soutenu sans réserve la création d'une telle juridiction. Installée à La Haye, la Cour pénale internationale est compétente, depuis le 1 er juillet 2002, pour poursuivre et juger les auteurs de crimes contre l'humanité, de génocide et de crimes de guerre.

Notre pays s'est progressivement doté des instruments juridiques nécessaires pour appliquer la convention de Rome du 17 juillet 1998 et contribuer au bon fonctionnement de la Cour pénale internationale. En particulier, il a donné compétence au juge français pour intervenir de façon complémentaire à la Cour.

La proposition de loi de notre collègue Jean-Pierre Sueur et de plusieurs de nos collègues, déposée sur le Bureau du Sénat le 6 septembre 2012, a pour objet d'élargir cette compétence en modifiant l'article 689-11 du code de procédure pénale relatif à la compétence territoriale du juge français concernant les infractions visées par le statut de la Cour pénale internationale, et ainsi de permettre plus facilement aux tribunaux français de poursuivre et de juger les auteurs de crimes contre l'humanité, de crimes de guerre et de génocide commis à l'étranger.

*

La ratification du Statut de Rome nécessitait une révision constitutionnelle 1 ( * ) . La loi constitutionnelle n°99-569 du 8 juillet 1999 a ainsi inséré dans la Constitution un nouvel article 53-2 disposant que « la République peut reconnaître la juridiction de la Cour pénale internationale dans les conditions prévues par le traité signé le 18 juillet 1998 ». Puis, la loi n°2002-268 du 26 février 2002 a ajouté dans le code de procédure pénale les dispositions permettant aux autorités judiciaires françaises de coopérer pleinement avec la Cour pénale internationale (définition des modalités de l'entraide judiciaire, conditions d'exécution des demandes d'arrestation et de remise, modalités d'exécution des peines et des mesures de réparation, etc.). Enfin, la loi n°2010-930 du 9 août 2010 portant adaptation du droit pénal à l'institution de la Cour pénale internationale a complété notre code pénal afin de rapprocher la définition de certains crimes prévus par le code pénal des termes retenus par la convention de Rome.

Cette dernière loi a par ailleurs, à l'initiative du Sénat, élargi la compétence des juridictions françaises pour connaître des faits prévus par le statut de Rome. Elle n'a toutefois pas institué, pour ces infractions, une véritable compétence universelle . Aux termes de l'article 689-11 du code de procédure pénale, introduit par cette loi, les juridictions françaises peuvent certes poursuivre et juger une personne suspectée d'avoir commis à l'étranger un crime relevant de la compétence de la Cour pénale internationale, mais sous la réserve de quatre conditions cumulatives :

- la personne suspectée doit « résider habituellement sur le territoire de la République » ;

- les faits doivent être punis par la législation de l'État où ils ont été commis (principe dit de la « double incrimination »), avoir été commis dans un État partie à la convention de Rome, ou avoir été commis par le ressortissant d'un État partie à la convention de Rome ;

- la poursuite de ces crimes ne peut être exercée qu'à la requête du ministère public, ce qui exclut la mise en mouvement de l'action publique par le mécanisme de la plainte avec constitution de partie civile ;

- enfin, la Cour pénale internationale doit avoir expressément décliné sa compétence, aucune autre juridiction internationale compétente ne doit avoir demandé la remise de l'intéressé et aucun autre État ne doit avoir demandé son extradition.

Ce sont ces quatre conditions, jugées excessivement restrictives par de nombreux observateurs, que la proposition de loi propose de supprimer.

En élargissant les conditions dans lesquelles les juridictions françaises peuvent avoir à connaître des crimes prévus par la convention de Rome de 1998, ce texte est fidèle aux principes qui ont présidé à l'adoption de cette convention et à l'instauration d'une cour pénale internationale permanente. En vertu du principe de complémentarité, la mise en oeuvre du Statut de Rome repose en effet sur le principe de responsabilité première des nations pour punir les crimes internationaux - la Cour pénale internationale n'étant appelée qu'à intervenir de façon subsidiaire.

Il est également fidèle à l'engagement ancien de la France en faveur de la lutte contre l'impunité.

C'est pourquoi, tout en encadrant les conditions dans lesquelles les juridictions françaises pourraient être saisies, votre commission des lois a adopté cette proposition de loi après lui avoir apporté quelques modifications destinées notamment à en étendre le champ d'application.

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*

I. UNE ADAPTATION ENCORE IMPARFAITE DES RÈGLES DE COMPÉTENCE DES JURIDICTIONS FRANÇAISES POUR LES CRIMES INTERNATIONAUX LES PLUS GRAVES

Par exception aux règles générales de compétence, le droit français permet aux juridictions françaises de poursuivre et de juger les auteurs étrangers de certains crimes et délits particulièrement graves commis en-dehors du territoire de la République. Toutefois, les conditions restrictives apportées à la compétence des tribunaux français pour connaître des crimes prévus par le Statut de Rome invitent à s'interroger sur la conformité de notre droit aux grands principes qui ont présidé à l'adoption de cette convention internationale.

A. LA COMPÉTENCE EXTRATERRITORIALE DES JURIDICTIONS FRANÇAISES : L'ÉTAT DU DROIT

1. Une compétence déterminée par le principe de souveraineté nationale

Conformément au principe de la territorialité de la loi pénale , lié à la notion de souveraineté nationale et posé dès l'Empire par le code civil dont l'article 3 dispose que « les lois de police et de sûreté obligent tous ceux qui habitent sur le territoire », l'article 113-2 du code pénal prévoit que « la loi pénale française est applicable aux infractions commises sur le territoire de la République ». La notion de « territoire de la République » inclut les espaces maritime et aérien qui lui sont liés 2 ( * ) .

En application de ce principe, toutes les infractions commises sur le territoire français relèvent de la loi pénale française, quelle que soit la nationalité des auteurs ou des victimes. Peu importe, en outre, que la personne ait été jugée à l'étranger pour de mêmes faits - la règle non bis in idem 3 ( * ) étant écartée dans l'hypothèse où l'infraction a été commise sur le territoire national 4 ( * ) .

Le législateur a entendu largement le principe de territorialité. D'une part, l'article 113-2 du code pénal prévoit que « l'infraction est réputée avoir été commise [sur le territoire de la République] dès lors qu'un de ses faits constitutifs a eu lieu sur ce territoire ». D'autre part, l'article 113-5 du même code dispose, quant à lui, que « la loi pénale française est applicable à quiconque s'est rendu coupable sur le territoire de la République, comme complice, d'un crime ou d'un délit commis à l'étranger si le crime ou le délit est puni à la fois par la loi française et par la loi étrangère et s'il a été constaté par une décision définitive de la juridiction étrangère ». Ces dispositions font, en outre, l'objet d'une interprétation extensive de la jurisprudence 5 ( * ) .

La nécessité de protéger les ressortissants français ou de lutter contre certaines infractions particulièrement graves portant atteinte aux intérêts de notre pays a par ailleurs conduit le législateur à reconnaître la compétence des juridictions françaises pour connaître d'infractions commises à l'étranger dans un nombre croissant d'hypothèses.

Il en est ainsi dans deux hypothèses :

- lorsque des crimes ou des délits sont commis à l'étranger par des Français , à condition, s'agissant des délits, que les faits soient également punis par la législation du pays où ils ont été commis (article 113-6 du code pénal). Ces dispositions trouvent leur justification essentielle dans le fait que, sauf exceptions, la France n'extrade pas ses nationaux 6 ( * ) ;

- lorsque la victime est de nationalité française au moment de l'infraction (article 113-7 du code pénal).

Dans ces deux hypothèses, la poursuite des délits ne peut être exercée qu'à la requête du ministère public . Elle doit être précédée d'une plainte de la victime ou de ses ayants droit, ou d'une dénonciation officielle par l'autorité du pays où les faits ont été commis. En outre, conformément au principe non bis in idem , aucune poursuite ne peut être exercée contre une personne justifiant qu'elle a été jugée définitivement à l'étranger pour les mêmes faits et, en cas de condamnation, que la peine a été subie ou prescrite.

Ces conditions ont toutefois été assouplies pour permettre de poursuivre et de punir plus facilement les faits de « tourisme sexuel » et d'autres infractions sexuelles commises sur des mineurs à l'étranger 7 ( * ) . En particulier, les juridictions françaises sont compétentes pour connaître de tels faits non seulement lorsqu'ils ont été commis par un Français, mais également lorsqu'ils ont été commis par un étranger résidant habituellement sur le territoire français. Récemment, la loi n°2012-1432 du 21 décembre 2012 relative à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme a prévu que la loi pénale s'appliquerait également, sans condition préalable, aux crimes et délits qualifiés d'actes de terrorisme commis à l'étranger par un Français ou par une personne résidant habituellement sur le territoire français.

Des assouplissements similaires ont été apportés au regard de la nécessité de protéger des fillettes menacées d'excision : aux termes de l'article 222-16-2 du code pénal, la loi pénale est applicable lorsque de tels faits ont été commis à l'étranger sur une victime mineure résidant habituellement sur le territoire français, sans qu'une plainte préalable de la victime ou une dénonciation de l'État étranger ne soit requise.

Enfin, afin de permettre la répression de certaines infractions commises à l'étranger portant gravement atteinte aux intérêts de la France , le législateur a prévu que la loi pénale française serait applicable, sans restrictions, quelle que soit la nationalité de l'auteur, aux crimes et délits qualifiés d'atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation et réprimés par le titre I er du livre IV du code pénal (trahison, espionnage, atteintes au secret de la défense nationale, etc.), à la falsification et à la contrefaçon du sceau de l'État, de pièces de monnaie, de billets de banque ou d'effets publics, ainsi qu'à tout crime ou délit commis contre les agents ou les locaux diplomatiques ou consulaires français, commis hors du territoire de la République (article 113-10 du code pénal).

On rappellera, enfin, qu'en vertu du principe de solidarité des compétences législative et juridictionnelle , qui découle d'une jurisprudence constante de la Cour de cassation, la reconnaissance de la compétence des juridictions françaises emporte automatiquement application de la loi française à la poursuite et au jugement des affaires concernées.

2. Une compétence quasi-universelle reconnue dans certaines hypothèses liées à la coopération judiciaire internationale

Le dispositif précité, très complet, est toutefois apparu insuffisant, au-delà de la seule protection des intérêts de la France et de ses ressortissants, pour répondre aux enjeux posés par l'essor de la coopération judiciaire entre les nations et par l'émergence d'une justice pénale internationale. Peu à peu en effet, au cours du XX ème siècle, les États ont pris conscience qu'au-delà de leurs intérêts particuliers, certains crimes particulièrement choquants pour la conscience humaine ne pouvaient et ne devaient demeurer impunis.

Ces exigences se sont traduites, d'une part, par la reconnaissance par certains États d'une compétence dite « universelle » à leurs juridictions pour connaître de certaines infractions, d'autre part, par l'institution de juridictions pénales internationales dont le bon fonctionnement est directement subordonné à la coopération des États.

* L'extension progressive des cas de compétence universelle des juridictions françaises

La compétence universelle consiste à « permettre aux juridictions d'un État de se déclarer compétentes pour poursuivre et juger un étranger pour un crime grave commis à l'étranger contre un étranger, sans aucun critère de rattachement direct avec ce crime, à savoir le lieu de commission de l'infraction et la nationalité du suspect et de la victime. L'objectif de la compétence universelle consiste à assurer une répression efficace des infractions les plus graves au droit international et aux droits de l'homme » 8 ( * ) .

Dès lors que les faits n'entrent pas dans le champ des compétences reconnues des juridictions françaises (voir supra ), cette compétence ne peut résulter que d'une convention internationale . L'article 689 du code de procédure pénale prévoit que « les auteurs ou complices d'infractions commises hors du territoire de la République peuvent être poursuivis et jugés par les juridictions françaises soit lorsque, conformément aux dispositions du livre 1 er du code pénal ou d'un autre texte législatif, la loi française est applicable, soit lorsqu'une convention internationale ou un acte pris en application du traité instituant les Communautés européennes donne compétence aux juridictions françaises pour connaître de l'infraction ». En d'autres termes, les juridictions françaises peuvent connaître d'une infraction commise par un étranger hors du territoire de la République à l'encontre d'une victime étrangère si, d'une part, une convention internationale engage la France et si, d'autre part, un texte national a prévu la mise en oeuvre de cette compétence universelle.

Le code de procédure pénale prévoit cette compétence universelle des juridictions françaises pour l'application de dix conventions internationales , dont la convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants , adoptée à New York le 10 décembre 1984 (article 689-2 du code de procédure pénale).

Les hypothèses de compétence universelle des juridictions françaises

Le code de procédure pénale donne compétence aux juridictions françaises pour poursuivre et juger les faits commis à l'étranger par une personne étrangère sur des victimes étrangères lorsqu'ils sont prévus par :

- la convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, adoptée à New York le 10 décembre 1984 (article 689-2 du code de procédure pénale).

- la convention européenne pour la répression du terrorisme, signée à Strasbourg le 27 janvier 1977 et l'accord entre les États membres des Communautés européennes concernant l'application de la convention européenne pour la répression du terrorisme, fait à Dublin le 4 décembre 1979 (article 689-3 du code de procédure pénale) ;

- la convention sur la protection physique des matières nucléaires, ouverte à la signature à Vienne et New York le 3 mars 1980 (article 689-4 du code de procédure pénale) ;

- la convention pour la répression d'actes illicites contre la sécurité de la navigation maritime et le protocole pour la répression d'actes illicites contre la sécurité des plates-formes fixes situées sur le plateau continental, faits à Rome le 10 mars 1988 (article 689-5 du code de procédure pénale) ;

- la convention sur la répression de la capture illicite d'aéronefs, signée à La Haye le 16 décembre 1970 et la convention pour la répression d'actes illicites dirigés contre la sécurité de l'aviation civile, signée à Montréal le 23 septembre 1971 (article 689-6 du code de procédure pénale) ;

- le protocole pour la répression des actes illicites de violence dans les aéroports servant à l'aviation civile internationale, fait à Montréal le 24 février 1988, complémentaire à la convention pour la répression d'actes illicites dirigés contre la sécurité de l'aviation civile, faite à Montréal le 23 septembre 1971 (article 689-7 du code de procédure pénale) ;

- le protocole à la convention relative à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes fait à Dublin le 27 septembre 1996 et la convention relative à la lutte contre la corruption impliquant des fonctionnaires des Communautés européennes ou des fonctionnaires des États membres de l'Union européenne, faite à Bruxelles le 26 mai 1997 (article 689-8 du code de procédure pénale) ;

- la convention internationale pour la répression des attentats terroristes, ouverte à la signature à New York le 12 janvier 1998 (article 689-9 du code de procédure pénale) ;

- la convention internationale pour la répression du financement du terrorisme, ouverte à la signature à New York le 10 janvier 2000 (article 689-10 du code de procédure pénale) ;

- enfin, le règlement (CE) n°561 / 2006 du Parlement européen et du Conseil du 15 mars 2006 relatif à l'harmonisation de certaines dispositions de la législation sociale dans le domaine des transports par route (article 689-12 du code de procédure pénale).

La mise en oeuvre de ces dispositions est subordonnée à une condition, posée par l'article 689-1 du code de procédure pénale : une personne suspectée d'avoir commis l'une des infractions visées par ces dispositions en dehors du territoire de la République ne peut être poursuivie et jugée par les juridictions françaises que si elle se trouve en France . Cette restriction exclut donc la procédure par défaut 9 ( * ) . Elle conduit également, en l'absence d'indice laissant penser que la ou les personnes soupçonnées se trouvent en France, à l'impossibilité des poursuites 10 ( * ) . On parle alors de compétence « quasi-universelle ».

En outre, conformément au principe non bis in idem , aucune poursuite ne peut être exercée contre une personne justifiant qu'elle a été jugée définitivement à l'étranger pour les mêmes faits et, en cas de condamnation, que la peine a été subie ou prescrite (article 692 du code de procédure pénale).

En revanche, aucune plainte ou dénonciation préalable n'est requise. Ces dispositions n'imposent pas non plus l'existence d'une double incrimination pour la poursuite et le jugement des faits visés.

Sauf règle particulière, la juridiction compétente pour connaître des faits est :

- soit celle du lieu où réside le prévenu, celle de sa dernière résidence connue, celle du lieu où il est trouvé, celle de la résidence de la victime, ou, si l'infraction a été commise à bord ou à l'encontre d'un aéronef, ou que les victimes de l'infraction ont été les personnes se trouvant à bord d'un aéronef, celle du lieu de décollage, de destination ou d'atterrissage de celui-ci ;

- soit la juridiction de Paris (article 693 du code de procédure pénale).

C'est sur le fondement de ces dispositions qu'une personne de nationalité mauritanienne, découverte en France, a pu être renvoyée devant une cour d'assises française pour être jugée pour actes de tortures et actes de barbarie commis en 1990 et 1991 sur des victimes mauritaniennes 11 ( * ) .

* Une compétence universelle qui découle également de l'exigence de coopération avec les tribunaux pénaux internationaux

Après l'expérience des tribunaux de Nuremberg et de Tokyo, les tensions géopolitiques de l'après-guerre ont mis en sommeil pendant plusieurs décennies les espoirs de mise en place d'une justice pénale internationale destinée à punir les auteurs de crimes les plus odieux.

Le contexte né de l'effondrement du bloc soviétique a permis d'avancer à nouveau sur ce sujet. Par deux résolutions datées respectivement du 25 mai 1993 et du 8 novembre 1994, le conseil de sécurité de l'ONU a décidé la création de juridictions pénales ad hoc pour le jugement des crimes commis, d'une part, dans l'ex-Yougoslavie (tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie - TPIY) et, d'autre part, au Rwanda (tribunal pénal international pour le Rwanda - TPIR).

Les lois n°95-1 du 2 janvier 1995 et n°96-432 du 1996 ont défini les modalités de coopération entre les autorités judiciaires françaises et ces juridictions internationales, ainsi que l'articulation entre ces juridictions et les tribunaux français, pour le jugement des personnes présumées responsables d'infractions graves aux conventions de Genève de 1949, de violations des lois ou coutumes de la guerre, de génocide ou de crimes contre l'humanité commis dans ces deux pays.

Elles ont ainsi prévu que les auteurs ou complices de ces infractions pourraient être poursuivis et jugés par les juridictions françaises « s'ils sont trouvés en France » . Par ailleurs, elles précisent que « toute personne qui se prétend lésée par l'une de ces infractions peut, en portant plainte, se constituer partie civile dans les conditions prévues par les articles 85 et suivants du code de procédure pénale, dès lors que les juridictions françaises sont compétentes ».

Toutefois, elles prévoient que le tribunal international (TPIY ou TPIR), qui doit être informé de toute procédure en cours portant sur des faits qui pourraient relever de sa compétence, peut , le cas échéant, demander le dessaisissement des juridictions françaises d'instruction ou de jugement à son profit .

S'agissant des faits visés par les résolutions du conseil de sécurité de l'ONU n°827 et 955, les juridictions françaises disposent donc, sous réserve de l'exercice de sa compétence par la juridiction pénale internationale ad hoc , d'une compétence quasi-universelle, soumise à la seule condition de présence du suspect sur le territoire de la République.

La situation est différente s'agissant de la poursuite et du jugement des crimes prévus par la convention de Rome de 1998.

3. Un obstacle constant à la compétence des juridictions nationales : le régime des immunités diplomatiques

En toute hypothèse, l'immunité dont bénéficient les agents diplomatiques et leur famille fait obstacle au déclenchement des poursuites à l'encontre d'un étranger qui aurait commis une infraction en France ou à l'étranger. Les agents diplomatiques, le personnel administratif et technique d'une ambassade et leurs familles bénéficient d'une immunité complète. Ils ne peuvent donc être ni poursuivis, ni arrêtés, ni jugés, ni détenus 12 ( * ) . A fortiori , les chefs d'État étrangers en exercice en bénéficient.

Issues du droit coutumier international et réglementées par les conventions de Vienne sur les relations diplomatiques de 1961 et 1963, ces immunités s'imposent au législateur qui ne peut y déroger conformément à l'article 55 de la Constitution 13 ( * ) .

La question s'est notamment posée il y a une dizaine d'années, lorsqu'une plainte avec constitution de partie civile a été déposée à l'encontre du colonel Kadhafi pour sa responsabilité dans l'attentat commis contre un avion de ligne DC 10 de la compagnie UTA en septembre 1989. Dans un arrêt du 13 mars 2001, la chambre criminelle de la Cour de cassation a affirmé le principe de l'immunité de juridiction pénale des chefs d'État étrangers en exercice et précisé qu'il était opposable à l'ordre juridique national. La Cour de cassation a ainsi considéré que « la coutume internationale s'oppose à ce que les chefs d'État en exercice puissent, en l'absence de dispositions internationales contraires s'imposant aux parties concernées, faire l'objet de poursuites devant les juridictions pénales d'un État étranger ».


* 1 En raison de la décision n°98-408 DC du 22 janvier 1999 rendue par le Conseil constitutionnel sur le fondement de l'article 54 de la Constitution, par laquelle celui-ci avait conclu à l'incompatibilité de certaines dispositions de la convention de Rome avec la Constitution française.

* 2 En outre, les articles 113-3 et 113-4 du code pénal prévoient que « la loi pénale française est applicable aux infractions commises à bord des navires battant un pavillon français, ou à l'encontre de tels navires ou des personnes se trouvant à bord, en quelque lieu qu'ils se trouvent. Elle est seule applicable aux infractions commises à bord des navires de la marine nationale, ou à l'encontre de tels navires ou des personnes se trouvant à bord, en quelque lieu qu'ils se trouvent » et qu'« [elle] est applicable aux infractions commises à bord des aéronefs immatriculés en France, ou à l'encontre de tels aéronefs ou des personnes se trouvant à bord, en quelque lieu qu'ils se trouvent. Elle est seule applicable aux infractions commises à bord des aéronefs militaires français, ou à l'encontre de tels aéronefs ou des personnes se trouvant à bord, en quelque lieu qu'ils se trouvent ».

* 3 La règle « non bis in idem » (ou « ne bis in idem ») est un principe classique de la procédure pénale, déjà connu du droit romain, d'après lequel « nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement à raison des mêmes faits » (ancien code d'Instruction criminelle).

* 4 Cass. Crim., 11 septembre 1873. L'article 113-9 du code pénal dispose expressément qu'il n'est en effet pas applicable aux infractions commises sur le territoire de la République.

* 5 Voir notamment « Droit pénal général », Frédéric Desportes, Francis Le Gunehec, Economica, 15 ème édition, §389 et suivants.

* 6 Voir à ce sujet les articles 696 et suivants du code de procédure pénale. Il convient de relever, en outre, que, pour des raisons similaires, les tribunaux français sont compétents pour juger un étranger suspectés d'un crime ou d'un délit puni d'au moins cinq ans d'emprisonnement commis hors du territoire de la République lorsque son extradition est refusée à l'État requérant par les autorités françaises aux motifs, soit que le fait à raison duquel l'extradition avait été demandée est puni d'une peine ou d'une mesure de sûreté contraire à l'ordre public français, soit que la personne réclamée aurait été jugée dans ledit État par un tribunal n'assurant pas les garanties fondamentales de procédure et de protection des droits de la défense, soit que le fait considéré revêt le caractère d'infraction politique. Dans ce cas, les poursuites ne peuvent être exercées qu'à la requête du ministère public. Elles doivent être précédées d'une dénonciation officielle, transmise par le ministre de la justice, de l'autorité du pays où le fait a été commis et qui avait requis l'extradition (article 113-8-1 du code pénal).

* 7 La loi du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles a facilité l'application de la loi pénale française pour les crimes et délits de viols et d'agressions sexuelles, atteintes sexuelles sur mineurs, corruption de mineurs, pornographie infantile ainsi qu'au délit de proxénétisme commis sur un mineur.

* 8 Ph. Labrégère, X. Tracol, Jurisclasseur procédure pénale, art. 689 à 693, fascicule n°30 : « compétence des juridictions pénales françaises et de la loi pénale française - infractions commises à l'étranger ».

* 9 Cass. Crim, 10 janvier 2007.

* 10 C'est pour cette raison que des plaintes avec constitution de partie civile déposées par des réfugiés bosniaques du chef de tortures contre des dirigeants serbes ont été déclarées irrecevables (Cass. Crim., 26 mars 1996).

* 11 Cass. Crim., 23 octobre 2002.

* 12 Les fonctionnaires consulaires de carrière ne peuvent quant à eux être mis en état d'arrestation ou placés en détention provisoire qu'en cas de crime grave et seulement en application d'une décision de l'autorité judiciaire. Ils ne peuvent être incarcérés qu'en exécution d'une décision judiciaire définitive.

* 13 Qui dispose que « les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie ».

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