III. LA POSITION DE LA COMMISSION DES LOIS : LA MISE EN PLACE DE CORRECTIFS DESTINÉS À CONSERVER LES ACQUIS DU MODE DE SCRUTIN ACTUEL AVEC UNE REPRÉSENTATION ÉQUILIBRÉE DES TERRITOIRES

A. LE REFUS D'UNE REMISE EN CAUSE DES ACQUIS DU MODE DE SCRUTIN RÉGIONAL ACTUEL

La présente proposition de loi permet d'établir un bilan du mode de scrutin régional, dix ans après sa mise en oeuvre, et d'ouvrir des pistes de réforme pour tenter de résoudre les difficultés soulevées.

Toutefois, force est de constater qu'il s'agit d'une proposition de loi inaboutie. La suppression du principe d'une liste régionale répartie entre sections départementales au profit de listes départementales a pour corollaire de fixer, ex ante , dans la loi, le nombre d'élus régionaux par département. Or, la présente proposition de loi ne fixe pas, en dehors d'un seuil plancher de trois conseillers régionaux par département, le nombre de sièges dont disposerait chaque département au sein du conseil régional. En effet, la proposition de loi renvoi au tableau n° 7 annexé au code électoral alors que ce dernier prévoit, comme votre rapporteur l'a déjà indiqué, non pas le nombre de conseillers régionaux par département, mais celui de candidats par section départementales.

La fixation d'un nombre minimal de trois conseillers régionaux par département, qui s'appliquerait aujourd'hui au seul département de la Lozère, mérite une réflexion approfondie pour ne pas pénaliser la représentation des départements plus peuplés. En effet, une telle disposition pourrait conduire à une représentation excessive de certains départements par rapport à leur poids démographique, ce qui serait contraire à la jurisprudence, constante et ancienne, du Conseil constitutionnel qui a toujours rappelé que la répartition des sièges devait reposer sur des bases essentiellement démographiques. Toutefois, le Conseil constitutionnel a jugé 12 ( * ) qu'il ne s'ensuit pas que la répartition des sièges doive être nécessairement proportionnelle à la population de chaque département ou région ni qu'il ne puisse être tenu compte d'autres impératifs d'intérêt général, en soulignant toutefois que ces considérations ne peuvent intervenir que dans une mesure limitée. C'est pourquoi, en déclarant conforme à la Constitution le seuil de quinze conseillers territoriaux par département, le Conseil constitutionnel a estimé qu'il constituait un minimum pour assurer le fonctionnement normal d'une assemblée délibérante locale et a donc jugé que la fixation de ce seuil n'était pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

Par ailleurs, la proposition de loi tend à mettre fin à la « régionalisation » du scrutin des conseillers régionaux afin de proposer un mode de scrutin « départementalisé ». Les départements ne seraient donc plus des sections départementales mais la circonscription au sein de laquelle seraient élus les conseillers régionaux. Ce changement du cadre électoral des conseillers régionaux n'est pas sans conséquence sur l'identité régionale. En effet, sous couvert d'une simple évolution sémantique entre « section départementale » et « département », la région n'apparaitrait plus comme une collectivité territoriale en tant que telle mais, à l'instar des établissements publics de coopération intercommunale, comme une coopérative de départements. D'une certaine manière, les départements seraient à la région ce que les communes sont à l'intercommunalité. Cette évolution est en contradiction avec la volonté actuelle et réaffirmée de renforcer la place et les compétences des régions pour en faire des collectivités territoriales de stature européenne.

De surcroît, un mode de scrutin départementalisé empêche la prise en compte de problématiques de niveau régional : le conseil régional deviendrait le lieu de synthèse des problématiques départementales, et non celui des problématiques communes de niveau régional.

Si l'impératif de représentation de l'ensemble des territoires d'une région est susceptible de progresser en cas d'adoption de cette proposition de loi, le mode de scrutin régional deviendrait cependant plus complexe. Bien que le Conseil constitutionnel ait validé le mode de scrutin actuel au motif qu'il permettait la conciliation de différents principes d'intérêt général, le mode de scrutin ainsi modifié pourrait conduire à la représentation de mouvements politiques présents dans une partie seulement d'une région et non dans l'ensemble, ce qui empêcherait l'émergence de majorités politiques stables destinées à assurer la gestion de la collectivité. On peut à cet égard se remémorer la crise vécue en 1998 lors de l'élection du président de la région Rhône-Alpes, en raison de l'élection de deux conseillers, chacun dans un seul département, l'un élu en tant qu'indépendantiste « savoisien », l'autre en tant que représentant des chasseurs. En outre, le passage d'une circonscription régionale à des circonscriptions départementales, avec l'attribution d'une prime majoritaire au niveau départemental, pourrait conduire à l'absence de majorités au sein des conseils régionaux, qui représente un des acquis essentiels de la réforme de 2003.


* 12 Décision n° 2010-618 DC, Loi de réforme des collectivités territoriales, considérants 37 et suivants.

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