B. LA RÉFORME PROPOSÉE PAR LE GOUVERNEMENT ET ADOPTÉE PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE
Conformément à l'engagement pris par le Premier ministre lors de son discours de politique générale le 3 juillet 2012, le présent projet de loi organique vise à mettre fin, « comme c'est déjà le cas pour les membres du gouvernement, au cumul entre un mandat parlementaire et l'exercice des fonctions exécutives locales », le projet de loi étendant cette règle aux représentants français au Parlement européen.
Certaines initiatives parlementaires avaient précédé les textes présentement soumis à la délibération de notre assemblée, que ce soit, pour les plus récentes, la proposition de loi organique visant à interdire le cumul du mandat de parlementaire avec l'exercice d'une fonction exécutive locale déposée le 8 septembre 2010 par le groupe socialiste 20 ( * ) , ou la proposition de loi organique portant sur l'incompatibilité entre le mandat parlementaire et les fonctions exécutives locales de François Pillet et plusieurs de nos collègues du groupe UMP déposée le 17 juin 2011 21 ( * ) , cette dernière visant à n'autoriser le cumul du mandat parlementaire qu'avec une seule fonction exécutive locale.
À l'instar de ces propositions sénatoriales, le projet de loi organique et le projet de loi n'imposent pas le « mandat unique » puisqu'ils permettent le cumul d'une fonction nationale ou européenne avec un mandat local non exécutif. À cet égard, la réforme ne remet pas en cause l'article L.O. 141 du code électoral créé par la loi n° 2000-294 du 5 avril 2000, limitant le cumul du mandat parlementaire avec un seul mandat local (conseil municipal d'une commune d'au moins 3 500 habitants, puis, à compte de mars 2014, d'au moins 1 000 habitants, conseil général, conseiller régional et mandats équivalents en Corse et outre-mer).
En outre, ne sont pas davantage modifiées les règles limitant actuellement le cumul entre mandats locaux. Cette question a d'ailleurs été récemment abordée par le rapport d'information du 12 février 2013 de nos collègues MM. François-Noël Buffet et Georges Labazée au nom de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation 22 ( * ) .
Ayant adopté le principe de la réforme proposée par le Gouvernement, l'Assemblée nationale l'a même renforcé en étendant le champ de l'incompatibilité aux fonctions « dérivées locales » et en limitant les hypothèses de cumul d'indemnités. En revanche, elle a supprimé en séance publique une disposition adoptée en commission afin de limiter à trois le nombre de mandats successifs au regard des doutes pesant sur la constitutionnalité d'une telle mesure.
1. Le champ des nouvelles incompatibilités parlementaires
Le projet de loi organique se borne à fixer une incompatibilité entre le mandat de député, de sénateur ou de représentant français au Parlement européen avec une fonction exécutive locale ou la présidence de l'organe délibérant lorsqu'elle est dissociée de l'exécutif local ( articles 1 er du projet de loi organique et du projet de loi ) : seraient ainsi concernées la fonction exécutive des collectivités territoriales de droit commun ou à statut particulier ainsi que des établissements publics de coopération intercommunale mais également les fonctions au sein de ces collectivités publiques qui comprennent une délégation de fonctions (adjoint au maire, vice-président de conseil départemental, vice-président de conseil régional, vice-président d'EPCI, etc.). Poursuivant cette logique, la commission des lois de l'Assemblée nationale a élargi, à l'initiative de son rapporteur, le champ de l'incompatibilité aux fonctions de présidence et de vice-présidence au sein d'un syndicat mixte ainsi qu'aux EPCI sans fiscalité propre.
De même, la commission des lois de l'Assemblée nationale a complété ce dispositif en interdisant que des fonctions exécutives locales ne soient consenties à des parlementaires par le biais de délégation accordée par arrêté du maire, du président de conseil général, régional, ou du président de l'EPCI ( article 3 bis du projet de loi organique ).
Afin d'éviter que le cumul du mandat parlementaire et des fonctions locales ne se reporte sur d'autres fonctions locales, la commission des lois de l'Assemblée nationale a étendu la règle d'incompatibilité ( articles 1 er ter du projet de loi organique et 2 bis du projet de loi ), avec des fonctions locales qui ne constituent pas directement l'exécutif d'une assemblée territoriale, ce que le rapporteur de l'Assemblée nationale qualifiait de fonctions « dérivées » de l'exécutif local (président, vice-président ou membre d'un conseil d'administration d'un établissement public local, d'un centre de gestion de la fonction publique territoriale, d'une société d'économie mixte locale (SEML), d'une société publique locale (SPL) ou d'une société publique locale d'aménagement ainsi que d'un office public d'habitations à loyer modéré). Dans le même esprit, des dérogations aux incompatibilités frappant un parlementaire leur permettant, dans des conditions précises, d'exercer des fonctions au sein d'organismes « satellites » dès lors qu'il représente sa collectivité et qu'il n'est pas rémunéré ( article 1 er quater ).
2. La limitation du cumul des indemnités perçues au titre des mandats électoraux et fonctions électives
Pendant de courtes périodes, un parlementaire peut être conduit à cumuler exceptionnellement des mandats ou fonctions qui relèvent normalement d'un régime d'incompatibilité, généralement pendant un mois afin qu'il choisisse le mandat ou la fonction qu'il souhaite abandonner. Dans ce cas, il perçoit les indemnités pour l'ensemble des mandats et fonctions qu'il détient pendant ce délai restreint au cours duquel le régime d'incompatibilité ne s'applique pas.
L'Assemblée nationale a souhaité mettre fin à cette dérogation sur le plan indemnitaire en interdisant le cumul d'indemnités au titre du mandat parlementaire avec celles conférées par les fonctions exécutives locales pendant le délais d'un mois au cours duquel l'élu concerné devrait faire cesser l'incompatibilité. Dans ce cas, il percevrait uniquement les indemnités liées au mandat parlementaire ( article 1 er du projet de loi organique ).
Suivant la même logique, cette règle est étendue en cas de passage du mandat de député à un mandat de sénateur (et inversement) ou d'un mandat de parlementaire national à un mandat de parlementaire européen, ainsi que pour les parlementaires se trouvant dans la même situation au regard des règles de cumul d'un mandat parlementaire et de mandats locaux ( article 1 er ter A du projet de loi organique ).
Le parlementaire ne percevrait donc que les indemnités liées au mandat parlementaire ainsi que, le cas échéant, celles qu'il pourrait percevoir du fait de l'application des règles de non-cumul. Il ne bénéficierait plus ainsi de l'ensemble des indemnités auxquelles il pourrait prétendre en raison de ce cumul provisoire de mandats et de fonctions.
3. Les modalités de mise en oeuvre des incompatibilités
Sont transposées à la nouvelle incompatibilité entre mandat parlementaire et fonction exécutive locale les modalités de résolution des incompatibilités entre mandats ( article 2 du projet de loi organique ). Le parlementaire qui se trouverait dans une situation d'incompatibilité avec une fonction exécutive locale serait tenu de la faire cesser en démissionnant du mandat ou de la fonction, au plus tard le trentième jour qui suit la date de la proclamation des résultats de l'élection qui l'a mis en situation d'incompatibilité ou, en cas de contestation, la date à laquelle le jugement confirmant cette élection est devenu définitif.
À l'initiative de l'Assemblée nationale, la personne placée en situation d'incompatibilité ne serait plus libre de choisir entre son mandat parlementaire et sa fonction exécutive locale, mais contrainte de démissionner du mandat ou de la fonction antérieurement détenu. À défaut de démission dans le délai imparti, prendrait fin de plein droit le mandat ou la fonction acquis à la date la plus ancienne. En cas d'élections acquises le même jour, prendrait fin le mandat ou la fonction acquis dans la circonscription comptant le moins grand nombre d'habitants.
L'Assemblée nationale a saisi l'occasion offerte par ce texte pour revoir les modalités de résolution des incompatibilités entre mandats en substituant à la liberté de choix de l'intéressé l'automaticité de la démission du mandat antérieurement détenu. En conséquence, elle a supprimé la priorité accordée au mandat national sur les mandats locaux dans l'hypothèse où l'intéressé n'aurait pas démissionné dans le délai imparti. À défaut d'option, ce serait donc le mandat acquis à la date la plus ancienne qui prendrait fin de plein droit, qu'il soit national (parlementaire) ou local - et non plus le mandat local le plus ancien, conformément au droit en vigueur.
4. L'extension du recours au suppléant en cas d'incompatibilité
Actuellement, le régime de remplacement des députés et des sénateurs élus au scrutin majoritaire prévoit qu'en cas de démission il doit être procédé à une élection partielle.
Devant l'augmentation du nombre des élections partielles consécutives aux démissions pour incompatibilité que les nouvelles règles laissent présager, le Gouvernement a souhaité étendre le recours au suppléant au-delà des quatre hypothèses actuellement envisagées (décès, acceptation de fonctions de membre du Conseil constitutionnel ou de Défenseur des droits, prolongation au-delà de six mois d'une mission temporaire confiée par le Gouvernement et acceptation de fonctions gouvernementales). Il proposait ainsi, dans son projet de loi initial, d'inverser la logique actuelle en faisant du remplacement par le suppléant la règle, et l'élection partielle, l'exception ( article 3 du projet de loi organique ). Cette dernière n'aurait trouvé à s'appliquer qu'en cas d'annulation de l'élection ou de perte du mandat consécutive à une inéligibilité (déchéance ou démission d'office).
Tout en conservant cette nouvelle logique, l'Assemblée nationale n'a cependant pas estimé souhaitable d'étendre le recours au suppléant à tous les cas de démission, de façon à ce que seule une démission consécutive à une incompatibilité entre mandats ou entre mandat et fonction exécutive locale entraîne le remplacement par le suppléant.
5. L'entrée en vigueur et l'application territoriale de la réforme
Au terme d'un débat nourri et afin d'écarter tout risque d'inconstitutionnalité dont la réalité a pu être contestée, la prudence a conduit à différer l'entrée en vigueur du nouveau dispositif pour tout parlementaire à compter du premier renouvellement de l'assemblée à laquelle il appartient suivant le 31 mars 2017 ( article 4 du projet de loi organique et article 3 du projet de loi ), ce que l'Assemblée nationale a approuvé.
Dans le même esprit, la commission des lois de l'Assemblée nationale a précisé afin de lever tout doute que les deux textes s'appliqueraient sur l'ensemble du territoire de la République ( article 3 ter du projet de loi organique et 2 bis du projet de loi ).
* 20 Cette proposition de loi organique est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/leg/ppl09-697.html
* 21 Cette proposition de loi organique est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/leg/ppl10-647.html
* 22 Rapport d'information n° 365 (2011-2012) de MM. François-Noël Buffet et Georges Labazée, fait au nom de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, Le cumul des mandats : moins cumuler pour plus d'efficacité, 14 février 2012. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/notice-rapport/2011/r11-365-notice.html