B. L'ACCÈS AUX SOINS ET AUX PRESTATIONS
1. Des mesures de santé publique : le sevrage tabagique et la contraception pour les mineures
L' article 43 ouvre la possibilité aux caisses nationales d'assurance maladie de mettre en place des programmes d'aide au sevrage tabagique à destination des personnes bénéficiaires d'une prescription de traitement de substitution nicotinique (TSN). Ces programmes complèteront les dispositifs déjà mis en oeuvre pour l'accompagnement des personnes souhaitant arrêter de fumer, et notamment le service téléphonique de l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (Inpes), en ciblant précisément les personnes engagées dans un traitement de substitution. Ils contribueront par ailleurs à améliorer la prise en charge de la population des jeunes âgés de 20 à 25 ans, identifiée comme prioritaire dans le cadre de la politique de lutte contre le tabagisme, pour laquelle une augmentation du montant du forfait de prise en charge des TSN sera mise en oeuvre par voie réglementaire.
L' article 44 prévoit la dispense d'avance de frais pour la part assurance maladie des consultations et examens de biologie médicale préalables à la prescription de la contraception aux mineures d'au moins quinze ans. Étendue, à l'Assemblée nationale par un amendement du Gouvernement, à l'ensemble des actes de pose, de changement ou de retrait des contraceptifs implantables (stérilets ou implants sous cutanés), cette mesure permet d'anticiper sur l'application généralisée du tiers payant prévue par la stratégie nationale de santé. Elle s'inscrit dans le cadre de la politique déterminée du Gouvernement pour permettre l'accès des mineurs à partir de la majorité sexuelle à la contraception. Votre rapporteur soutient cette mesure, qu'il juge nécessaire d'articuler avec les Pass mis en place par plusieurs régions qui permettent une consultation anonyme et totalement gratuite d'accès à la contraception.
2. Le fonctionnement des centres de santé
Les centres de santé, héritiers des dispensaires, sont des éléments essentiels de l'accès aux soins sur certains territoires ; ils ont démontré, s'il en était besoin, leur utilité sanitaire et sociale mais leur situation financière est fragile en raison d'un modèle conventionnel obsolète. Ils présentent notamment l'avantage de ne pas facturer de dépassements d'honoraires et de dispenser les patients de l'avance des frais.
Un rapport récent de l'Igas a permis de poser un bilan objectif des centres de santé, qui doit permettre d'avancer sur les points qui posent des difficultés d'organisation ou de fonctionnement.
Les relations entre l'assurance maladie et les centres de santé sont régies, notamment sur le plan de la rémunération des centres, par un accord national datant de 2002, publié au journal officiel en 2003, puis reconduit tacitement et sans changement en 2008 et en 2013. Ses dispositions sont naturellement dépassées, en particulier au regard de l'évolution parallèle qui a eu lieu dans la convention médicale, puisque celle-ci contient dorénavant une part de plus en plus importante de rémunérations forfaitaires ou liées à des objectifs de santé publique ou de coordination des soins.
L'Assemblée nationale a introduit un article 27 bis dans le PLFSS, dont l'objet est double. Il prévoit d'abord que les partenaires conventionnels disposent d' un délai de neuf mois pour réviser l'accord de 2003 . Il prévoit ensuite, de manière générale, que les instances conventionnelles se réunissent, dans les trois mois qui suivent la conclusion d'une convention ou d'un avenant avec une profession de santé, pour examiner les conditions de la transposition des modes de rémunération autres que le paiement à l'acte qui y sont éventuellement prévus.
3. L'approfondissement des droits en matière d'indemnités journalières
Autant les prestations en nature ( i.e. le remboursement des soins) sont dorénavant globalement harmonisées entre les régimes, autant il subsiste d'importantes différences pour les prestations en espèce, c'est-à-dire les indemnités journalières.
L'an passé, la loi de financement pour 2013 a créé un régime spécifique d'indemnités journalières maladie pour les exploitants agricoles , qui va effectivement se mettre en place au 1 er janvier 2014. L' article 46 vise à encadrer et à compléter ce dispositif. Il clarifie les conditions de suspension du versement des indemnités journalières dans la branche maladie du régime des non-salariés agricoles (Amexa) en réservant la condition de mauvaise foi à la suspension des seules prestations en nature. Il précise en outre certaines modalités du contrôle des interruptions de travail pour cause de maladie pour les affiliés à l'Amexa et à l'Atexa (branche AT-MP des non-salariés agricoles). Il donne notamment à la caisse de mutualité sociale agricole la faculté de proposer la mise en invalidité d'un assuré, ce qui doit permettre de faciliter la transition entre les régimes d'indemnités journalières et d'invalidité.
L'article 46 clarifie également la législation relative au maintien des droits aux indemnités journalières dans le régime social des indépendants (RSI) pour les assurés se trouvant dans l'impossibilité d'être à jour de leurs cotisations annuelles, notamment en raison de difficultés financières. Il permet ainsi de rétablir les conditions d'une égalité de traitement de ces assurés, quelle que soit la procédure dans laquelle ils se trouvent engagés (plan de sauvegarde, redressement judiciaire, étalement du paiement des cotisations décidé par plusieurs organismes, liquidation judiciaire).
De leur côté, les praticiens et auxiliaires médicaux libéraux conventionnés qui relèvent d'un régime spécifique (PAMC) conformément au code de la sécurité sociale ne bénéficient pas de prestations en espèces, de la même manière que les ressortissants du régime social des indépendants (à l'exception des artisans). L' article 30 ouvre le droit, pour les professionnelles de ce régime, de percevoir des indemnités journalières maladie en cas d'arrêt de travail lié à leur grossesse .
Enfin, on peut relever que deux amendements adoptés par l'Assemblée nationale ( articles 46 bis et 46 ter ) portent sur des demandes de rapport du Gouvernement au Parlement sur la rénovation des conditions d'ouverture des droits à indemnités journalières maladie . Les seuils alternatifs de 200 heures de travail dans les trois mois précédant l'arrêt ou d'un salaire au moins égal à 1 015 fois le montant du Smic horaire au cours des six mois précédant l'arrêt n'est plus adapté à l'organisation actuelle du travail et beaucoup d'assurés se voient exclus du droit à IJ alors qu'ils cotisent. L'effet de seuil est d'autant plus prégnant pour les malades chroniques ou relevant de pathologies se traitant dans la durée (cancer), ce qui constitue une forme de paradoxe.
4. La protection complémentaire santé
a) Améliorer la qualité des contrats qui bénéficient d'une aide publique
Lors du congrès de la Mutualité française en octobre 2012, le Président de la République a fixé l'objectif de la généralisation d'une couverture complémentaire de qualité à l'horizon 2017 .
Le Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie (Hcaam) a rendu en juillet 2013 un rapport d'ensemble sur la généralisation de la couverture complémentaire en santé : il entend porter un diagnostic sur le rôle de l'assurance maladie complémentaire, les inégalités de garanties et d'aide publique selon les contrats. Il analyse également les conditions et les enjeux d'une extension de l'assurance complémentaire à l'ensemble de la population. Il examine les conditions de la généralisation d'une couverture de qualité, incluant les personnes les plus éloignées de l'emploi et les plus modestes.
Selon le Hcaam, cette généralisation implique une évolution du dispositif de l'aide à l'acquisition d'une complémentaire santé (ACS) pour en améliorer le taux de recours, un renforcement des critères de solidarité et de responsabilité des contrats d'assurance complémentaire et une amélioration du ciblage des aides publiques bénéficiant au secteur.
Le Hcaam s'est également penché sur la répartition des rôles entre régime obligatoire de base et régime complémentaire en matière de gestion du risque et souligne l'intérêt des réseaux de professionnels de santé pour réduire les restes à charge et améliorer l'accès aux soins. Sur ce dernier point, on peut noter l'adoption par l'Assemblée nationale, en novembre 2012, puis par le Sénat, en juillet 2013, d'une proposition de loi relative aux modalités de mise en oeuvre des conventions conclues entre les organismes d'assurance maladie complémentaire et les professionnels, établissements et services de santé.
Dans ce contexte général, le projet de loi de financement pour 2014 contient plusieurs mesures pour améliorer la qualité de la couverture complémentaire santé, notamment pour les plus démunis .
Ainsi, l' article 45 poursuit un quadruple objectif :
- il facilite pour certains étudiants boursiers l'accès à la CMU-c ;
- il vise à orienter les bénéficiaires de l'ACS vers certains contrats qui auront été sélectionnés par une mise en concurrence sur des critères alliant prix et garanties offertes par le contrat. Aujourd'hui, ces bénéficiaires peuvent choisir tout contrat complémentaire et, finalement, on constate que la qualité de ces contrats est très nettement inférieure à celle de l'ensemble des contrats individuels, a fortiori collectifs ;
- il améliore la « sortie » du bénéfice de l'ACS, en demandant à l'organisme assureur du bénéficiaire de l'ACS de lui proposer, lorsqu'il n'est plus éligible à l'aide, un contrat au même tarif pendant un an ;
- il réforme en profondeur les critères nécessaires pour qu'un contrat bénéficie d'un taux de TSCA réduit . Aujourd'hui, ces critères sont limités (pas de prise en charge de la participation forfaitaire ou des franchises ; prise en charge du ticket modérateur des frais liés au parcours de soins mais pas de prise en charge pour les majorations ou dépassements applicables lorsque le patient consulte hors de ce parcours). Avec l'article 45, un décret en Conseil d'Etat fixera un minimum de prise en charge du ticket modérateur et les conditions, comprenant éventuellement un plancher et un plafond, pour la prise en charge des dépassements d'honoraires, des soins dentaires prothétiques et des dispositifs médicaux (en particulier, l'optique) . Il s'agit de véritablement responsabiliser ces contrats, pour éviter qu'une incitation fiscale (le taux de TSCA réduit pour les contrats individuels et collectifs, plus des exonérations fiscales et sociales pour les contrats collectifs) ne se traduise par une « course à l'échalote » entre les organismes pour toujours plus rembourser. Cette logique a en effet un impact sur les prix pratiqués par les professionnels qui ne sont pas régulés par l'assurance maladie.
La mise en oeuvre de ce meilleur ciblage des contrats responsables et solidaires devra se faire en concertation étroite avec les acteurs et dans la suite des travaux déjà entrepris par le Fonds CMU-c et certaines mutuelles : des critères trop ambitieux risquent de renchérir le coût de l'ensemble des contrats ; des critères trop timorés n'enrayeraient pas l'augmentation de certaines prestations.
Cette réforme entrera en vigueur le 1 er janvier 2015 après adoption des mesures réglementaires nécessaires, mais l'Assemblée nationale a décidé de majorer, dès 2014, les contrats qui ne respectent pas ces critères en portant le taux de TSCA qui leur est applicable de 9 % à 14 %, sans modifier le taux réduit (7 %) ( article 15 ter ).
b) Favoriser l'accès aux soins des plus démunis
Décidée à l'issue de la conférence nationale de lutte contre la pauvreté de décembre 2012, une revalorisation de 8,3 % a permis de porter le plafond de la CMU-c à 716 euros au 1 er juillet 2013. La mesure a mécaniquement une incidence sur le plafond de l' ACS qui est porté à 967 euros, soit 95 % du seuil de pauvreté . Au total, 750 000 personnes devraient ainsi entrer dans le champ de ces deux dispositifs, dont 400 000 pour la CMU-c et 350 000 pour l'ACS.
L' article 45 bis , introduit par l'Assemblée nationale, élargit la notion du panier de soins qui s'applique aux bénéficiaires de la CMU-c à ceux de l'ACS : il sera ainsi possible de définir des plafonds de prix pour les prestations fournies aux personnes bénéficiant de l'ACS, par exemple en optique ou en dentaire. D'ores et déjà, l'avenant n° 8 à la convention médicale interdit les dépassements d'honoraires qui seraient appliqués à ces personnes.
Ces mesures permettront de diminuer les restes à charge des patients, ce qui est indispensable pour des personnes dont les ressources sont faibles.
Par ailleurs, l' article 45 ter , également introduit par l'Assemblée nationale, apporte une simplification bienvenue et reprend une proposition qu'avait formulée Aline Archimbaud, sénatrice, dans son rapport au Premier ministre sur l'accès aux soins des plus démunis : il permet un renouvellement automatique de l'ACS pour les titulaires d'un minimum vieillesse . En effet, la situation de ces personnes évolue peu ; il est donc inutile et fastidieux, pour eux comme pour les caisses d'assurance maladie, de devoir chaque année déposer et instruire une demande de renouvellement dont le résultat est quasiment assuré à l'avance...
c) Fixer les modalités de la participation des organismes complémentaires au forfait du médecin traitant
Dans l'avenant n° 8 à la convention médicale signé en octobre 2012, les organismes complémentaires se sont engagés à compléter à hauteur de 150 millions d'euros les nouveaux modes de rémunération destinés aux médecins, notamment le nouveau forfait de cinq euros pour les médecins traitants.
L' article 4 organise les modalités de cette participation : elle sera versée à l'assurance maladie à raison du nombre d'assurés et d'ayants droit qui ont consulté durant l'année leur médecin traitant. Un double plafond s'appliquera : 150 millions par an au total pour l'ensemble des organismes et 5 euros par assuré. Cette participation est prévue pour les années 2013 à 2015 (2016 dans le texte initial du Gouvernement).
d) Encourager la mutualisation des risques prévoyance pour les contrats collectifs
Alors que les contrats collectifs apportent en moyenne plus de garanties que les contrats individuels et que leurs coûts sont moindres pour les salariés en raison de la participation de l'employeur et d'exonérations fiscales et sociales, l'accord national interprofessionnel de janvier 2013 et la loi de sécurisation de l'emploi de juin ont organisé les étapes conduisant à leur généralisation en entreprise.
A cette occasion s'est enclenchée une polémique remettant en cause une pratique très ancienne des partenaires sociaux : la mise en place par les branches professionnelles de régimes de prévoyance, soit intégrés (par exemple, Pro-BTP) soit confiés à un ou des organismes extérieurs (comme le fait depuis 1962 la branche des assurances), à adhésion obligatoire de la part de l'ensemble des entreprises de la branche et avec des barèmes préfixés de cotisations et de garanties.
Cette logique de la « désignation » d'un assureur avec un contrat prédéfini a été déclarée contraire à la Constitution par le Conseil constitutionnel, qui a estimé que cette atteinte à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle était disproportionnée au regard de l'intérêt général poursuivi, à savoir la mutualisation des risques.
Alors que les débats avaient jusque-là porté sur le risque maladie, cette décision du Conseil constitutionnel a un champ nettement plus large puisqu'il concerne aussi la prévoyance. Or, le risque prévoyance ne présente pas les mêmes caractéristiques assurantielles : il est considéré comme « lourd » et nécessite absolument une forme de mutualisation pour ne pas être prohibitif pour certaines entreprises, en raison de leur taille ou de leur secteur d'activité.
Après avoir consulté le Conseil d'Etat sur les solutions pour établir les moins mauvaises conditions possibles au maintien de dispositifs datant souvent des années cinquante ou soixante, le Gouvernement a proposé à l'Assemblée nationale de légiférer sur cette question. Elle a ainsi adopté l' article 12 ter , qui autorise les branches professionnelles à recommander, après mise en concurrence, un ou plusieurs organismes de prévoyance pour des contrats présentant des garanties élevées de solidarité .
Pour préserver la liberté contractuelle telle qu'érigée par le Conseil constitutionnel à un niveau supérieur à la loi, cet article laisse les entreprises libres de s'assurer auprès de l'un des organismes recommandés mais, si elle ne le fait pas, le taux de forfait social qu'elle acquitte sur les cotisations liées à ce contrat de prévoyance passera de 8 % à 20 % pour les entreprises d'au moins dix salariés et de 0 % à 8 % pour celles de moins de dix salariés.
Cette incitation fiscale semble parfaitement compatible avec la décision du Conseil qui a estimé que « faciliter l'accès de toutes les entreprises d'une même branche à une protection complémentaire et assurer un régime de mutualisation des risques, en renvoyant aux accords professionnels et interprofessionnels le soin d'organiser la couverture de ces risques auprès d'un ou plusieurs organismes de prévoyance » constituait bien « un but d'intérêt général ».