EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
Le Sénat est appelé à examiner la proposition de loi n° 826 (2012-2013) de modernisation de diverses dispositions de la législation applicable dans les départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, de notre collègue M. André Reichardt et de plusieurs de ses collègues, déposée sur le Bureau du Sénat le 9 septembre 2013.
Les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle jouissent d'un droit local spécifique en raison de leur histoire commune, liée aux trois conflits qui ont opposé, entre 1870 et 1945, la France et l'Allemagne. La réintégration de ces trois départements au sein de notre République, en 1918, a conduit à l'émergence d'un droit particulier visant à concilier les acquis de la législation allemande avec le retour de l'application de notre droit. Nos concitoyens alsaciens et mosellans sont très attachés au maintien de ce droit particulier comme à leur appartenance à notre République dont ils sont fiers.
La présente proposition de loi propose de simplifier et de moderniser certaines dispositions du droit local, en particulier en matière de financement des corporations d'artisans, qui représentent une spécificité du système artisanal alsacien-mosellan, de modernisation du cadastre et de la législation en matière de travail dominical et pendant les jours fériés.
Cette proposition de loi est l'occasion, pour notre commission et notre Haute Assemblée, de comprendre le droit local d'Alsace-Moselle, et de réfléchir à son éventuelle évolution, ou, tout au moins, sa modernisation.
I. LE DROIT LOCAL D'ALSACE-MOSELLE : UN DROIT ANCIEN, COMPOSITE, DONT LE CHAMP D'APPLICATION TEND À SE RÉDUIRE
A. LES SOURCES DU DROIT LOCAL D'ALSACE-MOSELLE
Le droit local en Alsace et en Moselle 1 ( * ) , applicable dans les seuls départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, est un régime juridique, créé en 1919 , qui vise à conserver les dispositions mises en place par les autorités allemandes entre 1871 et 1918 lorsque ces dernières sont estimées plus favorables que les dispositions préexistantes qui ont, entre-temps, été modifiées ou supprimées par la législation française. Il diffère ainsi, dans plusieurs matières, du droit applicable dans le reste du territoire national.
Le droit local est composé de cinq types de dispositions :
- des lois françaises adoptées avant 1870, maintenues en vigueur par les autorités allemandes à la suite de l'annexion de ces départements à l'Empire allemand mais abrogées par les autorités françaises avant 1918 : l'exemple le plus célèbre est le maintien du Concordat de 1801 ;
- des lois allemandes adoptées par l'Empire allemand entre 1871 et 1918, tel que le code local des professions ;
- des dispositions propres aux départements d'Alsace-Moselle, adoptées par les organes législatifs locaux de l'époque ;
- des lois françaises intervenues après 1918 mais applicables aux seuls départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle ;
- de certaines lois françaises, promulguées en 1871 et 1918, et rendues, pour la plupart, applicables dans ces départements par deux lois du 1 er juin 1924.
L'existence de ce droit spécifique est lié aux événements historiques particuliers qu'ont connus les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle entre 1870 et 1918.
Après la défaite de Napoléon III, à Sedan, le 2 septembre 1870, le Traité de Francfort, signé le 10 mai 1871 entre la République Française (proclamée le 4 septembre 1870) et l'Empire allemand (proclamé le 18 janvier 1871) entérina la cession des départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et d'une partie des terres lorraines de la Moselle, au nouvel Empire allemand. Ces trois départements devinrent alors une terre d'empire ( Reichsland ). En 1911, l'Alsace-Lorraine devint un Land allemand, dotée de sa propre Constitution et d'un parlement bicaméral (le Landtag ), et bénéficiant d'une certaine autonomie administrative.
Entre 1871 et 1918, date du retour des trois départements à la France, le droit français a été, dans de nombreux domaines, progressivement remplacé par différentes lois de l'Empire allemand qui s'appliquèrent à l'Alsace-Moselle, dans des matières telles que la faillite civile, la chasse, les caisses de maladies obligatoires, les assurances obligatoires pour les accidents et invalidité vieillesse, les chambres de commerce, le code professionnel, l'aide sociale, le domicile de secours, la règlementation du travail des mineurs, le repos dominical et les assurances sociales.
* 1 Il convient de préciser que les Allemands utilisaient le terme d'Alsace-Lorraine qui est impropre, puisque les autres départements de notre région Lorraine n'ont pas été concernés par l'annexion allemande.