N° 81

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2014-2015

Enregistré à la Présidence du Sénat le 4 novembre 2014

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires européennes (1) sur la proposition de résolution de Mme Catherine MORIN-DESAILLY et plusieurs de ses collègues, présentée en application de l'article 73 quinquies du Règlement, sur la nécessaire réforme de la gouvernance de l' Internet ,

Par Mme Colette MÉLOT,

Sénateur

et TEXTE DE LA COMMISSION

(1) Cette commission est composée de : M. Jean Bizet, président ; MM. Michel Billout, Michel Delebarre, Jean-Paul Emorine, André Gattolin, Fabienne Keller, Yves Pozzo di Borgo, André Reichardt, Jean-Claude Requier, Simon Sutour, Richard Yung, vice-présidents ; Mme Colette Mélot, Louis Nègre, Patricia Schillinger, secrétaires ; Pascal Allizard, Éric Bocquet, Philippe Bonnecarrere, Gérard César, René Danesi, Nicole Duranton, Joëlle Garriaud-Maylam, Pascale Gruny, Claude Haut, Jean-Jacques Hyest, Claude Kern, Jean-René Lecerf, Jean-Yves Leconte, François Marc, Didier Marie, Michel Mercier, Robert Navarro, Georges Patient, Michel Raison, Daniel Raoul, Alain Richard, Jean-Marc Todeschini. .

Voir le(s) numéro(s) :

Sénat :

44 (2014-2015)

EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Conformément à l'article 73 quinquies du règlement du Sénat, votre commission des affaires européennes est chargée d'examiner la proposition de résolution européenne n° 44 (2014-2015) sur la nécessaire réforme de la gouvernance de l'Internet, déposée par Mme Catherine Morin-Desailly et M. Gaëtan Gorce le 22 octobre 2014.

Depuis sa création dans les années 1960 et surtout son essor dans les années 1990 grâce au web , l'Internet s'est étendu à bas bruit jusqu'à devenir aujourd'hui le coeur de nos économies et de nos sociétés. Faute de volonté politique, l'Europe se trouve à présent sous la domination commerciale des géants américains du net et sous la domination juridique qui l'accompagne.

Le sujet de la gouvernance de l'Internet, longtemps sous-estimé, s'est affirmé cette année comme un sujet politique majeur. Le Sénat a rapidement pris conscience que les révélations d'Edward Snowden en 2013 sur la surveillance massive du réseau auraient de ce point de vue un impact profond et durable : espace de liberté, l'Internet est dès lors apparu également comme le support d'une surveillance massive exercée par les agences de renseignement, avec l'aide de grands acteurs privés, ainsi que le lieu de nouvelles vulnérabilités qui menacent la sécurité des États. À ce titre, la gouvernance de l'Internet se révèle être un nouveau terrain d'affrontement mondial dont le Parlement ne peut se désintéresser.

C'est ainsi que, à l'initiative de son groupe UDI-UC, le Sénat a créé fin 2013 une mission commune d'information (MCI), rassemblant 33 sénateurs, pour analyser quel nouveau rôle et quelle nouvelle stratégie l'Union européenne pourrait avoir dans la gouvernance mondiale de l'Internet. Cette mission, présidée par M. Gaëtan Gorce, a rendu ses conclusions en juillet 2014 dans un rapport 1 ( * ) dont l'auteure, Mme Catherine Morin-Desailly, est aussi première signataire de la proposition de résolution européenne soumise à votre commission. En effet, les auteurs de cette proposition de résolution européenne entendent, par leur initiative, faire connaître au Gouvernement français la position élaborée par la MCI au terme de ses six mois de travaux, afin qu'il puisse s'appuyer sur cette position sénatoriale dans les discussions engagées au Conseil de l'Union européenne sur la gouvernance de l'Internet.

La proposition de résolution rappelle dans son exposé des motifs que, comme l'a établi la mission commune d'information, aucune autorité centrale ne gouverne l'Internet aujourd'hui, une pléthore d'enceintes (IETF 2 ( * ) , IAB 3 ( * ) , ISOC 4 ( * ) , W3C 5 ( * ) , ICANN...) participant à une forme d'autorégulation du réseau sur un mode ascendant et consensuel. Pour des raisons historiques, cette gouvernance est américaine, de fait : forte présence des géants américains de l'Internet dans ces enceintes, souvent liées aux universités américaines, implantation sur le sol américain de trois quarts des serveurs racine, supervision du Département du commerce américain sur l' Internet Corporation for Assigned Names and Numbers (ICANN), qui est la société de droit californien chargée de gérer le fichier racine du système des noms de domaine, forme d'annuaire central de l'Internet assurant une correspondance unique entre noms de domaine et adresses IP...

La contestation croissante de cette domination américaine sur la gouvernance de l'Internet est ensuite retracée :

- reconnaissance du rôle de tous les acteurs (États, secteur privé, société civile) dans la gouvernance de l'Internet, sur un pied d'égalité, par l'Agenda de Tunis, qui a conclu le sommet mondial de la société de l'information en 2005 et créé l' Internet Governance Forum (IGF), forum multi-parties prenantes - multistakeholder - , onusien mais non interétatique, qui offre un espace annuel de dialogue, mais sans jamais conclure ;

- cristallisation de l'opposition entre les tenants du modèle multistakeholder et les tenants d'une reprise en main étatique de la gouvernance de l'Internet, lors de la conférence organisée par l'Union Internationale des Télécoms (UIT) à Dubaï en décembre 2012 ;

- en réaction à l'affaire Snowden, déclaration en octobre 2013 à Montevideo des enceintes de gouvernance de l'Internet appelant à la mondialisation de cette dernière et, parallèlement, convocation par le Brésil d'une conférence mondiale sur la gouvernance de l'Internet pour avril 2014, qui se conclura par une déclaration condamnant la surveillance en ligne et affirmant des principes fondateurs pour un internet libre et démocratique.

Ayant définitivement perdu avec l'affaire Snowden leur crédibilité comme garant des libertés en ligne, les États-Unis ont voulu reprendre l'avantage : l'administration Obama a annoncé en mars 2014 son intention de renoncer à sa tutelle sur le système, afin d'achever d'ici septembre 2015 sa privatisation, présentée comme le meilleur moyen d'éviter une reprise en main étatique de l'Internet, suspectée de porter atteinte aux libertés en ligne. Le département du commerce américain a également chargé l'ICANN d'organiser le processus de transition selon un cahier des charges bien défini, qui prévoit notamment que le processus ne saurait aboutir à une solution menée par les gouvernements ou par une organisation intergouvernementale et que le gouvernement américain devra valider la proposition de l'ICANN. Ce processus doit être mené par l'ICANN, en collaboration avec l'IETF, l'IAB, l'ISOC, les Registres Internet régionaux (RIR), les opérateurs de noms de domaine de premier niveau, VeriSign et les autres parties prenantes intéressées, sans qu'aucune mention explicite du comité consultatif des gouvernements ( Govermental Advisory Committee ), dont le président siège au conseil d'administration ( board ) de l'ICANN avec voix consultative, ne soit faite dans le communiqué du gouvernement américain.

Or l'ICANN, chef de file de cette transition et en proie aux conflits d'intérêt, est accusée de fonctionner de manière trop opaque; en outre, elle n'offre pas de droit de recours satisfaisant 6 ( * ) et ne rend de comptes qu'au seul gouvernement américain, qui a ainsi joué depuis la création de l'ICANN en 1998 un rôle de pourvoyeur de confiance.

À la suite de l'annonce du gouvernement américain, l'ICANN a engagé, lors de sa 49 ème réunion à Singapour fin mars, deux processus multi-parties prenantes visant, pour le premier, à assurer la fin de la tutelle américaine - établie par contrat - sur les fonctions de gestion de la racine d'Internet, dites fonctions IANA 7 ( * ) , et, pour le second, à améliorer le processus de reddition de comptes de l'ICANN, jusqu'ici régi par l'Affirmation d'engagements passée entre l'ICANN et le Département du commerce américain.

C'est dans ce contexte que la MCI a proposé en juillet dernier plusieurs pistes de réforme du système de gouvernance de l'Internet qui dessinent un horizon différent de celui envisagé par le gouvernement américain et qui sont fidèlement reprises dans la proposition de résolution européenne soumise à votre commission :

• consacrer les principes fondateurs du NETmundial de São Paulo dans un traité international ouvert à tous les États ;

• globaliser la gouvernance de l'Internet sur le fondement des principes du NETmundial, c'est-à-dire :

- faire émerger un réseau d'enceintes pour une gouvernance de l'Internet distribuée et transparente, en formalisant les rôles et interactions entre l'ICANN, les registres Internet, le W3C, l'IETF, l'IAB, l'IUT, les gestionnaires de serveurs racine, les opérateurs de noms de domaine de premier niveau ;

- transformer le Forum pour la Gouvernance de l'Internet en Conseil mondial de l'Internet, doté d'un financement propre et chargé de contrôler la conformité des décisions des enceintes de gouvernance aux principes dégagés à São Paulo ; toutes les enceintes appartenant au réseau de gouvernance devraient rendre des comptes devant ce Conseil, pour éviter que se répètent les graves dysfonctionnements déjà constatés et mettant en péril la sécurité en ligne ;

- accueillir en Europe la célébration des dix ans du Sommet mondial pour la société de l'information en 2015 pour promouvoir cette nouvelle architecture mondialisée de la gouvernance de l'Internet ;

• refonder l'ICANN pour restaurer la confiance dans le système des noms de domaine, donc :

- en faire une WICANN ( World ICANN ), de droit international ou, de préférence, de droit suisse sur le modèle du Comité international de la Croix Rouge, et organiser une supervision internationale du fichier racine des noms de domaine en substitution de la supervision américaine ;

- rendre la WICANN responsable devant le Conseil mondial de l'Internet ou, à défaut, devant une assemblée générale interne et donner au Conseil ou à cette assemblée le pouvoir d'approuver les nominations au conseil d'administration de la WICANN ainsi que les comptes ;

- mettre en place un mécanisme de recours indépendant et accessible, permettant la révision d'une décision de la WICANN, voire sa réparation ;

- établir une séparation fonctionnelle entre la WICANN et les fonctions opérationnelles IANA pour distinguer ceux qui élaborent les politiques de ceux qui attribuent individuellement les noms de domaine ;

- définir des critères d'indépendance pour l'essentiel des membres du board de la WICANN afin de réduire les conflits d'intérêts ;

• exiger que le groupe directeur prévu par l'ICANN pour organiser la transition soit composé de membres désignés par les parties prenantes de l'ICANN, selon des modalités transparentes et démocratiques, et inclue également des représentants des autres parties prenantes non représentées aujourd'hui à l'ICANN.

Afin de préparer ce rapport, votre rapporteur a pu entendre M. David Martinon, représentant spécial de la France pour les négociations internationales sur le numérique, accompagné de M. Laurent Ferrali, chargé de mission Gouvernance de l'Internet 8 ( * ) à la Direction générale des entreprises, du Ministère de l'Économie, de l'Industrie et du Numérique, de retour de la réunion de l'IGF début septembre à Istanbul, de la 51 ème session de l'ICANN qui s'est tenue du 13 au 16 octobre derniers à Los Angeles et de la conférence plénipotentiaire de l'IUT en cours à Busan (Corée du Sud).

Il ressort de cet entretien que la réforme de l'ICANN progresse, plus rapidement pour son volet qui concerne la transition de la fonction IANA. Le groupe de travail sur ce sujet comprend divers représentants des organismes de soutien de l'ICANN, dont cinq représentants du comité consultatif gouvernemental (GAC). Plusieurs questions ont été soulevées, relatives à la souveraineté des États sur leurs domaines internet nationaux (« .fr » pour la France), à la nature des contrats passés entre l'ICANN et les États, qui ne sauraient ressortir des seules juridictions californiennes, et à la reddition des comptes concernant l'exercice de cette fonction IANA. L'échéance de septembre 2015, retenue par l'administration américaine, correspond à l'expiration du contrat qui lie l'ICANN au département du commerce américain; même si les Américains la présentent comme indicative et jugent possible de proroger leur contrat avec l'ICANN de deux ans, cette échéance mériterait d'être tenue afin d'éviter les incertitudes liées à la tenue des élections présidentielles américaines dans l'intervalle.

Le deuxième volet de réforme de l'ICANN, qui concerne la nécessité d'améliorer la façon dont elle rend des comptes sur son action, avance plus lentement. Selon les informations recueillies par votre rapporteur, le groupe de travail qui est également commun à tous les comités composant l'ICANN travaille à élaborer sa propre composition et sa charte. Une prochaine réunion de l'ICANN est déjà prévue en février à Marrakech. L'enjeu est de parvenir à mettre en place des procédures transparentes et accessibles, telles qu'un mécanisme d'appel vraiment ouvert à tous, voire de constituer une assemblée générale des parties prenantes devant laquelle serait responsable le conseil d'administration de l'ICANN... Mais ces objectifs se heurtent à de nombreuses résistances, particulièrement au sein du conseil d'administration de l'ICANN, jaloux de ses actuelles prérogatives. Ce « risque d'une dilution et d'une capture par l'ICANN de son propre processus de réforme » est d'ailleurs bien identifié par les auteurs de la proposition de résolution européenne. Il convient donc que l'UE veille à ce que cette réforme de l'ICANN par elle-même ne se réduise à un mirage.

Dans cette recomposition en cours de la gouvernance de l'Internet, les auteurs de la proposition de résolution européenne déplorent que la parole européenne soit restée peu audible : seulement portée par la Commission européenne, qui a présenté plusieurs communications sur le sujet 9 ( * ) - la dernière de février 2014 appelant à une gouvernance de l'Internet plus transparente, responsable et inclusive -, cette voix européenne n'est pas assumée dans son ensemble par le Conseil qui réunit les États membres. Il est vrai que, par ailleurs, les États-Unis n'aident pas l'Europe à exister sur le sujet, assimilant tous ceux qui interrogent le statu quo à des ennemis de la liberté. Or il est urgent que l'Union européenne s'impose comme un interlocuteur crédible dans le processus de réforme qui est amorcé, si elle veut saisir l'opportunité historique qui se présente de promouvoir une approche véritablement inclusive de la gouvernance d'un Internet bâti sur les valeurs démocratiques et les droits fondamentaux.

Sur le fondement de la communication présentée en février par la Commission, le COREPER était déjà convenu d'une ligne à tenir en préparation de la conférence multi-parties prenantes NETmundial qui s'est tenue à Sao Paulo en avril 2014 : les États membres ont alors confirmé à cette occasion leur soutien à un Internet unique, ouvert, libre, sûr, fiable et non fragmenté. S'en est suivi un déjeuner de travail du Conseil (Télécoms) consacré à ce sujet, le 6 juin 2014, au cours duquel le Conseil a confirmé son attachement au modèle multistakeholder et insisté sur la nécessité de renforcer l'IGF. Il a également appelé à mondialiser les fonctions IANA, sans pour autant porter atteinte à la sécurité et à la stabilité du système des noms de domaine, et à accroître la responsabilité, la transparence et le caractère mondial de l'ICANN.

La présidence italienne de l'Union européenne s'est investie pour consolider cette mobilisation naissante du Conseil, nourrie notamment par la controverse croissante autour de la délégation de nouveaux noms de domaine en « .vin » et en « .wine » qui défie les règles européennes assurant la protection des indications géographiques : elle a ainsi réuni à Milan un conseil Télécoms informel les 2 et 3 octobre derniers, afin de préparer une position que le Conseil Télécoms pourrait adopter lors de sa réunion prévue le 27 novembre prochain et qui permettrait à l'Europe de peser dans les négociations internationales en cours.

Ce conseil informel a donné lieu à une déclaration de la présidence italienne assurant que l'UE est déterminée à agir comme un partenaire cohérent dans le débat sur la gouvernance de l'Internet vis-à-vis des États-Unis et des autres acteurs. Cette déclaration indique prudemment que « les États membres veulent que l'UE parle d'une seule voix tout en préservant leur droits et prérogatives individuels » et annonce de futurs messages communs au sujet de la transition de la fonction IANA et du renforcement de la redevabilité de l'ICANN, afin que soit mis en place un mécanisme de supervision inclusif, transparent et responsable qui assure un bon équilibre (« checks and balances » ). Elle précise enfin que les États membres considèrent l'orientation dégagée au NETmundial comme une bonne base pour développer une communauté multi-parties prenantes et reconnaît à cet égard l'importance de renforcer les capacités des pays en développement.

Depuis lors, les discussions se poursuivent au sein du groupe de travail Télécoms, où certains États membres, déjà identifiés par la mission commune d'information, continuent, pour des raisons affichées de prudence, de défendre des positions alignées sur les États-Unis : Royaume-Uni, Suède, Pologne, Estonie, République tchèque, Pays-Bas... Ces États manifestent leur inquiétude à l'idée qu'un changement trop profond du mode de gouvernance actuel de l'Internet pourrait déstructurer le système et précipiter nos économies et nos sociétés dans une forme de chaos. Paradoxalement, et malgré la perte de confiance occasionnée par les révélations sur l'espionnage américain des communications privées de la Chancelière, l'Allemagne semble se rallier à ce groupe d'États.

Il n'est donc pas acquis que le Conseil parvienne fin novembre à adopter une position satisfaisante et suffisamment ambitieuse. C'est la raison pour laquelle il est important que le Sénat proclame par une résolution européenne son souhait de voir l'UE s'affirmer dans le débat en cours sur la gouvernance de l'Internet et promouvoir un modèle plus démocratique et fondé sur les principes unanimement reconnus par l'ensemble des parties prenantes réunies au NETmundial.

Lors du débat qui s'est tenu le 23 octobre 2014 au Sénat sur les conclusions de la MCI sur la gouvernance de l'Internet, Mme Axelle Lemaire, Secrétaire d'État chargée du Numérique, auprès du ministre de l'Économie, du Redressement productif et du Numérique, a rappelé ces principes essentiels que le NETmundial a permis de dégager et que la France souhaite voir endosser par le Conseil de l'UE : « la liberté d'expression, la liberté d'association, la liberté d'information, le droit au respect de la vie privée, l'accessibilité, l'architecture ouverte d'internet, une gouvernance qui soit multipartite, ouverte, transparente, redevable, un système qui soit inclusif, équitable et qui promeuve des standards ouverts ».

Afin d'entraîner derrière elle d'autres démocraties, il est important que l'UE déploie des efforts diplomatiques pour s'assurer du soutien d'États non européens, notamment parmi ceux en développement. À cet égard, votre commission se félicite que, parallèlement au travail qu'elles effectuent à Bruxelles auprès des autres membres du Conseil, les autorités françaises s'attellent à faire consacrer ces principes dégagés par le NETmundial dans le cadre de la francophonie, notamment à l'occasion du prochain sommet de l'Organisation internationale de la francophonie (OIF) qui se tiendra fin novembre à Dakar.

Votre rapporteur estime donc que la proposition de résolution n° 44 répond tout à fait à l'ambition qu'elle partage: que l'Union européenne pèse dans la réforme de la gouvernance de l'Internet pour la rendre respectueuse des principes démocratiques et des droits fondamentaux. Il est urgent que, dans la perspective des prochaines échéances de négociations internationales sur le sujet, l'Union européenne porte une vision propre : les enjeux qui s'attachent à l'Internet interdisent de priver les États de tout droit de regard sur la gouvernance de l'Internet et c'est plutôt pour une mondialisation qu'une privatisation de cette gouvernance que l'Europe doit plaider.

Votre rapporteur propose simplement d'apporter à la proposition de résolution trois légères modifications.

La première consiste à compléter le considérant qui appelle à reconnaître le rôle légitime des États dans le système de nommage, afin de préciser que l'attribution des noms de domaine ne saurait obéir qu'à des motifs commerciaux. En effet, la pratique actuelle de contrôle et d'attribution des noms de domaine par l'ICANN est inacceptable, en particulier pour les cas du « .vin » et « .wine », et ne peut continuer d'être déterminée par des intérêts purement commerciaux: cet enjeu majeur mérite d'être expressément souligné dans les considérants de la proposition de résolution.

La deuxième modification proposée insiste sur la nécessité de mieux reconnaître dans le système multi-acteurs non seulement le rôle spécifique des États comme garants des droits et libertés mais aussi, plus fondamentalement, leur souveraineté. Il importe en effet que les processus d'élaboration des décisions en matière d'Internet et leur mise en oeuvre prennent en compte les cadres juridiques nationaux (en matière de sécurité, de propriété intellectuelle, de vie privée, de fiscalité, de protection des individus et des enfants, de professions réglementées,...) ou internationaux définis et agréés par la communauté internationale.

La troisième modification que propose votre rapporteur vise à mieux cibler la réunion que le texte suggère à l'Europe d'accueillir pour marquer son engagement sur le sujet de la gouvernance de l'Internet: en effet, cette réunion pourrait difficilement être celle occasionnée par la célébration du dixième anniversaire du Sommet mondial pour la société de l'information, qui aura naturellement lieu à New York sous l'égide des Nations Unies. Il s'agirait plutôt de prolonger sur le sol européen la conférence NETmundial, qui s'est tenue au Brésil en avril 2014, afin de lancer un processus de négociation qui viserait à consacrer dans un acte international les principes que cette conférence du printemps dernier est parvenue à dégager. Comme l'a indiqué M. David Martinon à votre rapporteur, il existe en effet un risque que les fruits du NETmundial tombent dans l'oubli ou soient confisqués par l'ICANN (qui tente en effet de les récupérer, par exemple en inscrivant le sujet de la gouvernance de l'Internet dans le cadre du prochain Forum économique mondial).


* 1 L'Europe au secours de l'Internet : démocratiser la gouvernance de l'Internet en s'appuyant sur une ambition politique et industrielle européenne, rapport d'information de Mme Catherine MORIN-DESAILLY, fait au nom de la mission commune d'information du Sénat sur la gouvernance mondiale de l'Internet n° 696 (2013-2014).

* 2 Internet Engineering Task Force (Détachement de l'ingénierie de l'Internet), groupe international participant à l'élaboration de standards dans le domaine de l'Internet.

* 3 Internet architecture board , comité chargé de la surveillance et du développement de l'Internet désigné par l'Internet Society.

* 4 Internet Society (Société de l'Internet).

* 5 World wide web consortium (Organisation pour le réseau mondial).

* 6 Pour plus de détails sur ce point, voir le rapport déjà cité pages 108-109.

* 7 Ces fonctions, confiées aujourd'hui à l'ICANN, étaient assumées avant 1998 par l'IANA ( Internet Assigned Number Authority ) sous la responsabilité de son fondateur Jon Postel : attribuer les noms de domaine de premier niveau (donc gérer la racine), attribuer les adresses IP et les numéros de systèmes autonomes (ASN) aux registres Internet régionaux, et définir les paramètres des protocoles Internet (liste des numéros de ports...) en collaboration avec l'IETF. Pour plus de détails sur les fonctions IANA, voir l'infographie figurant pages 102 et 103 du rapport de la MCI déjà cité.

* 8 Service de l'économie numérique.

* 9 En 1998, 2000, 2009 et 2014.

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