EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mardi 4 novembre 2014, sous la présidence de Mme Michèle André, présidente, a procédé à l'examen du rapport de MM. François Patriat et Jean-Claude Requier, rapporteurs spéciaux sur la mission « Travail et emploi » (et articles 62 et 63).

M. François Patriat , rapporteur spécial . - Dotée pour 2015 de 11,53 milliards d'euros en autorisations d'engagement (stables) et 11,26 millions en crédits de paiement (en hausse), la mission « Travail et emploi » traduit l'engagement du Gouvernement contre le chômage. C'est un budget de soutien à l'emploi et à la reprise économique, ainsi qu'aux réformes inscrites dans la loi du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l'emploi et à la démocratie sociale. Près de 80 % de ces crédits seront consacrés à des dépenses d'intervention, notamment sur le programme 102 « Accès et retour à l'emploi » et le programme 103 « Accompagnement des mutations économiques et développement de l'emploi ». La subvention de l'État au fonds de solidarité s'élèvera à 1,7 milliard d'euros. Les moyens du service public de l'emploi seront consolidés : 1,52 milliard d'euros sera versé à Pôle Emploi, comme en 2014, afin de prendre en charge l'augmentation des moyens humains de cet opérateur depuis 2012.

Avec un taux de chômage de près de 23 %, les jeunes sont les premières victimes de la crise économique. Le Gouvernement propose donc 65 000 emplois d'avenir supplémentaires en 2015, notamment dans le secteur marchand. Les dotations de la « garantie jeunes » augmentent, à 148 millions d'euros en autorisations d'engagement et 133 millions en crédits de paiement. Au total, plus de 400 000 contrats aidés supplémentaires seront créés en 2015 pour une dépense de près 3 milliards d'euros. L'article 62 rattaché prévoit en outre que 58 millions d'euros seront prélevés sur les réserves de l'Association de gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées (AGEFIPH) et sur le Fonds pour l'insertion des personnes handicapées dans la fonction publique (FIPHFP), afin de financer certains de ces contrats.

L'accompagnement des mutations économiques et le développement de l'emploi bénéficieront de 5,5 milliards d'euros en autorisations d'engagement et de 5 milliards d'euros en crédits de paiement, dont 1,3 milliard d'euros pour le développement de l'alternance.

L'architecture du compte d'affectation spéciale « Financement national du développement de l'apprentissage » sera entièrement rénovée afin de tirer les conséquences de la réforme des aides et du financement de l'apprentissage engagée en 2013.

L'article 63 rattaché crée une aide incitative de 1 000 euros au recrutement d'un apprenti, versée par les régions aux entreprises de moins de 250 salariés sous certaines conditions. M'étant élevé contre la suppression de ces crédits - 800 millions d'euros - l'an dernier, je me félicite qu'ils soient ainsi rétablis pour endiguer la baisse du nombre d'apprentis. Après une réforme majeure de l'apprentissage, il convient désormais de stabiliser les dispositifs existants.

Le budget 2015 créant les conditions d'une amélioration de la situation de l'emploi, je vous propose l'adoption des crédits de la mission « Travail et emploi », du compte d'affectation spéciale « Financement national du développement et de la modernisation de l'apprentissage » ainsi que des articles 62 et 63 sans modification.

M. Jean-Claude Requier , rapporteur spécial . - Je n'étais pas un spécialiste de ces questions avant d'être chargé de rapporter pour vous ces crédits. J'ai beaucoup appris ! Je partage les principales observations de François Patriat : ce budget de sortie de crise appuiera efficacement la politique de l'emploi du Gouvernement.

Si les autorisations d'engagement de cette mission sont stabilisées, l'augmentation des crédits de paiement vise à soutenir l'emploi des jeunes, des personnes handicapées et des personnes rencontrant des difficultés particulières d'insertion. Le chômage atteignant 10,2 % de la population active au deuxième semestre 2014, il était nécessaire que l'intervention de l'État soit maintenue à un niveau constant...

Responsable autant qu'exigeant, ce budget contribuera néanmoins à la maîtrise des dépenses publiques et accompagnera des réformes importantes, dans le champ du dialogue social notamment. Les crédits du programme 111 « Amélioration de la qualité de l'emploi et des relations de travail » s'élèveront à 133,54 millions d'euros en autorisations d'engagement et à 81,62 millions d'euros en crédits de paiement, consacrés pour un dixième environ à la mise en oeuvre du deuxième cycle de la mesure de l'audience des organisations syndicales. Ces crédits financeront également le lancement de la mesure de l'audience des organisations patronales instaurée par la loi du 5 mars 2014.

En 2015 sera mise en oeuvre la réforme du financement des organisations syndicales et patronales, indispensable pour améliorer la transparence. L'article 31 de la loi du 5 mars 2014 crée ainsi un fonds destiné à ce financement, abondé par une contribution des entreprises et une subvention de l'État. Ce fonds, qui sera mis en place au 1 er janvier 2015, sera doté de 82 millions d'euros en autorisations d'engagement et de 34 millions d'euros en crédits de paiement. Il prendra en charge la formation des salariés appelés à exercer des responsabilités syndicales ainsi que la participation des partenaires sociaux à la conception, la mise en oeuvre et le suivi des politiques publiques du travail et de l'emploi.

Les crédits demandés au programme 111 prennent en compte la prolongation des mandats des conseillers prud'hommes jusqu'en 2017 : le principe en a été voté par le Sénat le 14 octobre 2014, afin de permettre la réforme de leur mode de désignation, qui sera désormais fondé sur l'audience des organisations syndicales et patronales. Cette réforme se traduira par une économie structurelle proche de 100 millions d'euros sur cinq ans.

Le programme 155 « Conception, gestion et évaluation des politiques de l'emploi et du travail » sera doté de 765 millions d'euros en autorisations d'engagement, 771 millions d'euros en crédits de paiement, il est donc en diminution. Dans un effort important de réduction des dépenses, 150 postes seront supprimés en 2015 (930 depuis 2010, soit une baisse de 9 % des effectifs). Les dépenses de personnel, en baisse de 1,73 %, s'élèveront à 628,5 millions d'euros.

Le schéma du programme 155 sera profondément rénové : il comptera 12 actions, contre 6 auparavant. Plus cohérente, cette architecture contribuera à mieux identifier les dépenses en fonction de leur nature.

Si les choix assumés par ce budget sont difficiles, les objectifs sont clairs : réduire le chômage des jeunes, consolider les moyens du service public de l'emploi, accompagner des réformes importantes. Je vous propose donc l'adoption sans modification des crédits de cette mission comme du compte d'affectation spéciale « Financement national de la modernisation et du développement de l'apprentissage » ainsi que des articles 62 et 63 rattachés.

M. Éric Bocquet . - Comment la mesure de l'audience des organisations syndicales sera-t-elle effectuée ? Les élections professionnelles constituent un instrument de mesure fiable : pourquoi et comment ce nouveau dispositif sera-t-il mis en place ?

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Audience et représentativité ne sont pas la même chose.

M. Jean-Claude Requier , rapporteur spécial . - Les résultats des élections professionnelles seront pris pour point de départ.

M. Jean-Claude Boulard . - Les élections prudhommales étant supprimées, il s'agit de déduire les quotas prudhommaux des élections professionnelles.

M. François Marc . - S'agissant de l'apprentissage, les mesures prises par le Gouvernement sont bienvenues étant donné le taux de chômage inquiétant des jeunes.

M. François Patriat , rapporteur spécial . - La baisse du nombre d'apprentis est le résultat de la crise, mais aussi de difficultés soulignées par les maîtres d'apprentis, comme les normes, qui interdisent de confier à l'apprenti certains outils, le travail en hauteur, etc. À quoi bon prendre un apprenti s'il n'a le droit de rien faire ? Ces règles ont été assouplies la semaine dernière par les députés. Je salue la réduction du nombre d'organismes collecteurs, un meilleur ciblage des crédits en faveur des CFA, ainsi que l'attribution aux régions de 65 millions d'euros supplémentaires pour accompagner l'apprentissage sur le terrain. Les entreprises de moins de onze salariés recevront désormais 2 000 euros par apprenti embauché. Autant de facteurs qui inciteront les artisans et les chefs d'entreprises à se lancer !

M. Jean-Claude Requier , rapporteur spécial . - Pour répondre plus complètement à Éric Bocquet : la mesure de l'audience des organisations syndicales reposera sur l'agrégat des résultats des élections professionnelles, du scrutin organisé pour les salariés des très petites entreprises et les employés à domicile, et des élections aux chambres d'agriculture. Les votes de plus de 5,456 millions de salariés ainsi exprimés font apparaître le rapport des forces. Notre collègue sera heureux d'apprendre que la CGT arrive en tête, suivie par la CFDT...

Mme Fabienne Keller . - En matière d'apprentissage, le Gouvernement est un pompier pyromane : après avoir fortement réduit les dotations aux régions en 2013, infligeant un coup d'arrêt au recrutement, il fait mine désormais d'encourager ce dispositif, très efficace pour l'intégration sur le marché du travail, mais qui nécessite de la cohérence et de la stabilité. D'autant que les entreprises qui recrutent des apprentis sont souvent très petites : elles ne peuvent se contenter de déclarations aléatoires et attendent des actes et de la constance dans l'engagement.

M. François Patriat , rapporteur spécial . - Les crédits des missions locales sont augmentés et les maisons de l'emploi sont recentrées sur leurs missions. Ce sont des progrès à souligner.

À l'issue de ce débat, la commission a décidé de proposer au Sénat l'adoption des crédits de la mission « Travail et emploi », des articles 62 et 63 et du compte d'affectation spéciale « Financement national du développement et de la modernisation de l'apprentissage ».

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Réunie à nouveau le jeudi 20 novembre 2014, sous la présidence de Mme Michèle André, présidente, la commission des finances a procédé à l'examen définitif des crédits de la mission « Travail et emploi » et des articles 62 et 63.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - L'amendement A5 revient sur la création, par l'Assemblée nationale, de 45 000 emplois aidés supplémentaires, dont 30 000 contrats d'accompagnement dans l'emploi et 15 000 emplois d'avenir . Étant donnés les résultats limités de ces contrats en matière d'insertion dans l'emploi, seul 35,9 % des bénéficiaires d'un contrat d'accompagnement dans l'emploi ont accédé à l'emploi à l'issue de leur engagement ; ce taux n'est que de 21,9 % s'agissant de l'emploi durable. Il est préférable de réduire les charges sociales des entreprises afin de créer des emplois durables dans le secteur marchand.

M. Maurice Vincent . - Cet amendement est étonnant dans la situation économique difficile que nous connaissons. Leur taux d'insertion, 52 %, est supérieur au taux des jeunes qui accèdent à un contrat à durée indéterminée directement. Je ne comprends pas votre amendement.

M. Serge Dassault . - Emplois aidés, emplois d'avenir, emplois-jeunes... Nous connaissons ces dispositifs qui visent à subventionner les entreprises pour embaucher des jeunes qui ne savent rien faire. Nous n'avons plus les moyens de ces emplois d'avenir qui ne servent à rien. Mieux vaudrait mettre ces jeunes en apprentissage ou en formation. Ce n'est pas avec les contrats aidés qu'ils apprendront un métier. Les jeunes à la sortie ne trouvent pas d'emploi. La formation devrait commencer au collège - j'ai toujours été contre le collège unique. Il fabrique des chômeurs, parce que les jeunes n'y apprennent rien, beaucoup s'ennuient. Il n'est pas étonnant que certains, désoeuvrés, deviennent délinquants dans les quartiers...

M. Jean Germain . - Les jeunes ne sont pas tous des paresseux ni des bons à rien ! Il faut avoir conscience des difficultés économiques de notre pays. Qui n'a pas dans son entourage, voire dans sa famille quelqu'un dans cette situation ? En Allemagne, les Länder complètent par des subventions les salaires des travailleurs pauvres qui gagnent moins de 762 euros par mois, comme les titulaires de mini-jobs. La question est délicate. Pour retrouver le plein-emploi, vu le contexte économique qui prévaut en Europe, il faudrait un sacré taux croissance ! En attendant, peut-on laisser les gens sur le bord de la route ? Les difficultés ne concernent pas que les banlieues défavorisées. Les petites villes et les campagnes souffrent aussi. Attention aux caricatures qui conduisent à regretter le bon temps d'autrefois où, soi-disant, les jeunes sortaient de l'école avec un savoir-faire. Était-ce vraiment le bon temps ? L'Assemblée nationale a pris ses responsabilités. Nous soutenons sa position.

Mme Marie-France Beaufils . - Le budget prévoit 40 milliards d'euros pour aider les entreprises à créer des emplois. Comment dire que nous n'avons pas les moyens ? Toutefois, le nombre des contrats aidés n'est pas la seule question. Je suis réservée car la conception même du mécanisme me semble biaisée : les emplois aidés servent trop souvent à compenser des non-remplacements. C'est pourquoi nous nous abstiendrons.

M. Bernard Lalande . - Les baisses de charges sont tout de suite répercutées dans les prix de vente ; elles ne dégagent pas des marges supplémentaires pour embaucher. À l'inverse, les salaires versés aux titulaires des contrats aidés soutiennent la consommation et bénéficient à l'économie car ils sont immédiatement dépensés et non épargnés. Enfin, mieux vaut payer des gens à travailler qu'à ne rien faire ! Ces contrats ont aussi une vocation sociale.

M. Vincent Capo-Canellas . - Tous les gouvernements ont eu recours à des formes de traitement social du chômage. Je ne suis pas enthousiaste à l'égard des contrats aidés, mais il faut reconnaître qu'ils ont l'avantage de mettre le pied à l'étrier à des jeunes sans emploi. Tout est affaire de curseur. Je voterai l'amendement du rapporteur général. Il existe d'autres dispositifs de retour à l'emploi qui méritent d'être développés.

M. Philippe Dallier . - Tous les gouvernements ont eu recours à des contrats aidés. Il s'agit le plus souvent d'emplois publics. Mais comment feront les collectivités territoriales ? D'un côté, on baisse leurs dotations, de l'autre, on leur demande d'embaucher des jeunes en contrats aidé, et ensuite, si ceux-ci ne trouvent pas d'emploi, de payer leur indemnité de chômage car les collectivités territoriales sont leur propre assureur...

M. Claude Raynal . - Je n'aime pas beaucoup ce débat. Nous vivons une période difficile où le taux de chômage des jeunes est élevé. Évidemment les contrats aidés ne sont pas parfaits. Mieux vaudrait que les jeunes entrent en apprentissage. Mais voilà, bien des jeunes ne trouvent pas de stage. Les entreprises n'ont pas confiance dans l'avenir et ne recrutent pas. Dès lors comment refuser d'ouvrir de nouveaux contrats aidés ? En outre il faut aussi aider les seniors sans emploi à trois ou quatre années de la retraite. Les besoins sont énormes. Je ne comprends pas votre amendement.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Tous les gouvernements ont eu recours au traitement social du chômage. Ce projet de loi de finances prévoit déjà 270 000 contrats d'accompagnement dans l'emploi pour un coût de 1,56 milliard, et 50 000 emplois d'avenir, pour un coût de 1,2 milliard. Faut-il aller au-delà ? Le taux d'insertion des jeunes après un contrat d'avenir est de 52 %, de 21,9 % seulement dans le cas des contrats d'accompagnement dans l'emploi (CAE). En outre, seul un cinquième des jeunes a reçu une formation lors de ces contrats. Il ne s'agit pas de remettre en cause les 320 000 postes prévus, mais nous ne souhaitons pas en créer davantage. Il existe d'autres dispositifs à soutenir pour favoriser l'emploi durable.

M. Serge Dassault . - Les entreprises embauchent si elles peuvent vendre, non parce qu'on leur donnera des subventions ! Elles embaucheront quand elles pourront licencier en cas de difficulté. La flexibilité du marché du travail, voilà la solution ! Il suffirait de relever les seuils sociaux, cela ne coûte rien, mais les syndicats y sont hostiles car ils ne veulent pas perdre une partie de leurs pouvoirs... Créons aussi un contrat de mission, comme cela se fait dans le bâtiment.

À l'issue de ce débat, la commission a décidé de proposer au Sénat d'adopter les crédits de la mission ainsi modifiés, et les articles 62 et 63 et les crédits du compte d'affectation spéciale « Financement national du développement et de la modernisation de l'apprentissage » sans modification.

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