LES MODIFICATIONS APPORTÉES PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE
En première délibération , l'Assemblée nationale a adopté sans modification les crédits de la mission « Justice ».
En seconde délibération , à l'initiative du Gouvernement, l'Assemblée nationale a adopté un amendement minorant de 37,5 millions d'euros les autorisations d'engagement (AE) et les crédits de paiement (CP) de la mission « Justice ».
D'une part, cet amendement tire les conséquences de la mise en oeuvre du protocole relatif à l'avenir de la fonction publique et à la modernisation des parcours professionnels, des carrières et des rémunérations : cela conduit à une majoration des crédits de 7,42 millions d'euros de dépenses de personnel.
D'autre part, afin de garantir le respect de la norme de dépense en valeur de l'État, il est procédé à une diminution des crédits de 45 millions d'euros (en AE et en CP), qui se répartit de la manière suivante :
- 15,3 millions d'euros sur le programme « Justice judiciaire » ;
- 20,6 millions d'euros sur le programme « Administration pénitentiaire » ;
- 6,2 millions d'euros sur le programme « Accès au droit et à la justice » ;
- 2,9 millions d'euros sur le programme « Conduite et pilotage de la politique de la justice » ;
- 0,03 million d'euros sur le programme « Conseil supérieur de la magistrature ».
La justification retenue est proche de celle justifiant l'amendement de seconde délibération déposé par le Gouvernement lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2015, à savoir, pour tous les programmes (sauf le programme Accès au droit et à la justice), « l'actualisation des estimations concernant le rythme de réalisation des investissements immobiliers » ou « informatiques » et « les économies sur les dépenses de fonctionnement courant ».
S'agissant du programme « Accès au droit et à la justice », qui retrace notamment les dépenses d'aide juridictionnelle, la réduction des crédits serait permise par « une optimisation de la gestion financière du dispositif ». Le détail de cette optimisation n'est pas précisé, alors même que des crédits supplémentaires au titre de l'aide juridictionnelle doivent régulièrement être votés en cours de gestion.
EXAMEN EN COMMISSION
Au cours de sa réunion du mercredi 18 novembre 2015, sous la présidence de Mme Michèle André, présidente, la commission a examiné le rapport de M. Antoine Lefèvre, rapporteur spécial, sur la mission « Justice » .
M. Antoine Lefèvre , rapporteur spécial . - L'équilibre de cette mission va être profondément modifié après les annonces du Président de la République devant le Congrès.
Pour l'instant, il est prévu qu'en 2016, le ministère de la justice devrait disposer de 7,9 milliards d'euros en crédits de paiement et de plus de 8 milliards d'euros en autorisations d'engagement. C'est une augmentation modeste de 79 millions d'euros, soit 1 %. Ces moyens ont d'ailleurs été réduits de 40 millions par un amendement du Gouvernement en seconde délibération à l'Assemblée. L'augmentation de ce budget résulte des créations de postes : 979 au total, dont plus de 700 dans l'administration pénitentiaire et environ 150 dans les juridictions. Aux 650 emplois prévus par le triennal s'ajoutent 323 emplois au titre du plan de lutte anti-terroriste.
Plus de 800 emplois ont été créés en 2015 dans le cadre du décret d'avance de février, après les attentats contre Charlie Hebdo et l'Hyper-cacher. Outre les dépenses de personnel associées à ces créations de postes, 80 millions d'euros ont été budgétés.
Ce projet de loi de finances prévoit la création de 323 équivalents temps plein (ETP), et 47 millions d'euros supplémentaires au titre de la lutte contre le terrorisme. Il s'agit de renforcer le nombre de magistrats chargés de la lutte anti-terroriste et de mettre à leur disposition des moyens technologiques modernes dans le cadre des interceptions judiciaires. Ils sont une soixantaine à se consacrer directement à la lutte anti-terroriste : 37 magistrats au tribunal de grande instance de Paris, 25 magistrats du siège à la cour d'appel de Paris, et plusieurs magistrats du parquet général.
Les crédits ouverts dans le cadre du plan de lutte anti-terroriste financent également le programme de dé-radicalisation dans les établissements pénitentiaires, le brouillage des communications illicites en prison, la création de cinq unités dédiées pour les détenus radicalisés et la détection des individus radicalisés. Ils prennent également en charge la formation des agents de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) à ce risque spécifique. Selon la direction de la PJJ, au 1 er août, 67 mineurs étaient poursuivis dans le cadre de procédures pénales liées à des infractions à caractère raciste, d'apologie du terrorisme, ou d'association de malfaiteurs en vue d'une entreprise terroriste ; 39 mineurs étaient identifiés comme à risque de radicalisation et faisaient l'objet d'une procédure dans le cadre de la protection de l'enfance et 48 mineurs étaient pris en charge par la PJJ en raison de la radicalisation de leurs parents.
Devant le Congrès, le Président de la République a annoncé la création de 2 500 postes supplémentaires pour l'administration pénitentiaire et les services judiciaires. La répartition entre types de postes devrait être connue prochainement. Il faudra veiller à ce que les postes soient effectivement pourvus - l'administration pénitentiaire m'a fait part de ses craintes en la matière. Les emplois de surveillants pénitentiaires sont des postes de catégorie C, alors que les gardiens de la paix sont des catégories B : le vivier étant le même, il n'est pas toujours facile pour cette administration de recruter. De même, l'absence de professionnels ou d'associations ayant une réelle expertise sur la dé-radicalisation en prison pose problème.
Il est indispensable de donner les moyens de leurs missions aux juges. Lorsqu'on annonce une augmentation du budget de la justice, nos concitoyens pensent que les juridictions vont mieux fonctionner. Or 40 % des crédits sont affectés à l'administration pénitentiaire, notamment au patrimoine immobilier, cher à entretenir voire à construire. Selon une étude de 2014, l'Allemagne consacre 114 euros par habitant à la justice ; la France, seulement 61 euros. Il est indispensable de donner aux forces de sécurité et de défense les moyens de faire face aux nouvelles menaces, mais n'oublions pas que, dans un État de droit, le juge reste le garant des libertés.
Sous réserve de la traduction des annonces du Président de la République sur ce projet de budget, je suis favorable à l'adoption des crédits de la mission.
M. Yves Détraigne , rapporteur pour avis de la commission des lois . - Je vous remercie de m'avoir invité. La commission des lois a nommé trois rapporteurs sur la justice ; je suis chargé de la justice judiciaire. Compte tenu de la situation actuelle et de l'adoption du projet de loi sur la justice du XXI e siècle, nous devons veiller à ce que les arbitrages ne soient pas défavorables au fonctionnement des juridictions. Il serait regrettable que l'on n'ait pas les moyens de mettre en oeuvre les nouvelles dispositions.
En outre, l'accès à la justice et la situation de l'aide juridictionnelle nous soucient.
Mme Marie-France Beaufils . - On constate, depuis deux ans, une grande différence entre les plafonds d'emplois prévus et les emplois effectivement créés à la PJJ. J'ai d'ailleurs pu me rendre compte du manque criant de personnel sur le terrain alors qu'il faut suivre nombre de jeunes à la dérive et les accompagner vers une vie plus responsable.
M. Daniel Raoul . - Où sont les manques les plus criants en matière de postes ? Il est impensable que les greffes des tribunaux mettent plus de six mois à notifier les jugements. Comment sont transmises les informations entre juges et greffes ? Le manque de formation, de qualification est évident, et le matériel est obsolète...
M. Vincent Delahaye . - Un tableau du rapport montre que les postes créés ne sont pas forcément pourvus. Pour 2015, l'écart est de 1 370 ETP. Il est essentiellement prévu de créer des postes de catégorie C : à quoi vont-ils servir ? C'est le manque de greffiers qui ralentit les procédures. La mobilité dans la fonction publique d'État devrait être encouragée : ne pourrait-on proposer à des personnels de l'éducation nationale de devenir greffiers ?
Au cours des années passées, nous avions identifié la formation d'une dette importante en matière de frais de justice. S'est-elle réduite ?
M. Richard Yung . - Le budget de la mission « Justice » va augmenter significativement après les annonces du Président de la République. Reste à savoir où vont être créés les 2 500 postes promis, car nous manquons de magistrats, de greffiers, de personnels pénitentiaires, de conseillers en orientation et en insertion professionnelle pour les jeunes.
Nous nous félicitons que l'aide juridictionnelle augmente de 25 millions d'euros en 2016 et de 50 millions d'euros en 2017. De même, les trente nouveaux postes d'aumôniers dans les prisons sont une bonne chose ; nous avons tout particulièrement besoin d'aumôniers musulmans pour lutter contre la radicalisation dans les prisons.
M. Bernard Lalande . - Qu'il s'agisse de la justice, de l'enseignement, de la sécurité ou de la santé, les besoins en personnel sont immenses, surtout après les évènements récents. Des postes vont être créés, je m'en félicite, mais n'oublions pas qu'il faut former ces nouveaux personnels, et donc de prévoir des crédits spécifiquement dédiés à ces formations.
M. Gérard Longuet . - Je suis préoccupé par les coûts unitaires, notamment ceux des centres éducatifs fermés : 700 euros par jour, cinq fois plus que pour un détenu classique. À Fleury-Mérogis, la rénovation a coûté 120 000 euros par place rénovée. Disposons-nous d'éléments de comparaison avec nos voisins européens ? Sommes-nous dans la moyenne européenne ou sommes-nous atypiques ?
Question malicieuse, le pôle financier de Paris bénéficie-t-il toujours de locaux dont les loyers sont supérieurs au coût du marché, ce qui est plutôt cocasse s'agissant de magistrats chargés d'instruire les affaires financières ?
M. André Gattolin . - Je suis très affecté par les récents évènements. Le fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme va-t-il être abondé ? L'État va-t-il prendre en charge les frais de funérailles ? Les familles sont en plein désarroi, or les services du ministère de la justice renvoient pour l'instant aux entreprises de pompes funèbres. La prévention, c'est bien, mais n'oublions pas les victimes et leurs familles : il faut agir, mais aussi soigner, réparer. Pour l'heure, les moyens mis à disposition me semblent insuffisants.
M. Jean-Claude Boulard . - En France, à chaque fois que nous rencontrons un problème, nous créons des emplois. Je ne suis pas sûr que cela suffise car nous ne nous interrogeons pas sur leur efficacité. D'ailleurs, la comparaison avec nos voisins serait sans doute accablante... Nous avons beaucoup plus besoin de greffiers et de moyens informatiques que de magistrats. La justice fonctionne de façon totalement archaïque.
Enfin, il faudrait que les magistrats aient une expérience professionnelle de plusieurs années dans la vraie vie pour appréhender les réalités concrètes de notre monde.
M. Antoine Lefèvre , rapporteur spécial . - Les créations de postes annoncées ont été réalisées, et s'agissant des plafonds, ils n'ont pas nécessairement vocation à être atteints, mais il faut tenter de s'en rapprocher. Je tiens à indiquer à Marie-France Beaufils que 163 postes à la PJJ ont été créés au titre du plan anti-terrorisme : c'est un accroissement de moyens significatif.
Nous manquons surtout de greffiers et de magistrats, comme l'a souligné Daniel Raoul. Un effort en matière d'investissement en matériels informatiques est prévu.
En réponse à Vincent Delahaye, les postes de catégorie C prévus sont ceux des surveillants de prison. Quant aux greffiers, ils reçoivent bien sûr une formation spécifique, indispensable, dans une école dédiée.
S'agissant des frais de justice, un travail de fiabilisation a révélé que la dette accumulée était moindre qu'estimée jusqu'alors.
Les crédits consacrés à l'aide juridictionnelle augmentent : 25 millions d'euros supplémentaires cette année, et encore 25 millions d'euros l'année prochaine. Comme vous, je me réjouis des trente postes d'aumôniers supplémentaires dans les prisons : cela permettra de lutter contre la radicalisation. Il faudra poursuivre l'effort.
Oui, l'École nationale d'administration pénitentiaire et l'École nationale de la magistrature bénéficient de créations de postes pour former les personnels recrutés.
Certes, comme le relève Gérard Longuet, les coûts unitaires des centres éducatifs fermés sont élevés, mais les taux d'encadrement y sont très importants. Je ne dispose pas d'éléments de comparaisons avec nos voisins. En revanche, nous comptons une proportion de détenus supérieure aux autres pays européens. Aux Pays-Bas, les maisons d'arrêt ne sont pas remplies, si bien que des places sont proposées aux détenus belges ! Enfin, je ne dispose pas d'informations précises sur les loyers du pôle financier de Paris.
S'agissant du fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme évoqué par André Gattolin, il est financé par un prélèvement sur les contrats d'assurances et non par des crédits inscrits sur le budget de la justice. Cela dit, il faudra tout faire pour alléger les soucis financiers des victimes et des familles. Ainsi, la ministre de la santé a annoncé que les frais médicaux seraient pris en charge par l'État.
Enfin, Jean-Claude Boulard s'est interrogé sur l'efficacité des nouveaux recrutements. En quelques années, le nombre de juges anti-terroristes a fortement augmenté. Est-ce suffisant devant l'ampleur des difficultés ?
Vincent Delahaye m'a interrogé sur les frais de justice : au 31 décembre 2015, les engagements non soldés sont estimés à 149 millions d'euros contre 493 millions d'euros en 2014.
M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Je suis bien sûr favorable aux 2 500 créations de postes dans les administrations judiciaire et pénitentiaire. Nous venons d'envoyer un questionnaire au Gouvernement sur l'impact budgétaire des annonces du P résident de la République, sachant que chaque poste représente entre 35 000 et 50 000 euros de dépenses par an. Nous voulons savoir de quels emplois il s'agit et nous n'ignorons pas les grandes difficultés de recrutement dans la pénitentiaire. Il faut compter cinq ans pour former un magistrat : ces créations de postes ne se traduiront donc pas immédiatement sur le terrain. Si les 2 500 emplois étaient tous pourvus au 1 er janvier 2016, il en coûterait environ 80 millions d'euros.
Demain, le Gouvernement nous en dira sûrement plus et déposera des amendements. Nous les examinerons avec bienveillance mais sans négligence : le pacte de sécurité ne doit pas enterrer le pacte de stabilité.
M. Didier Guillaume . - Cela va de soi !
Mme Michèle André , présidente . - Nous veillerons aux deux.
À l'issue de ce débat, la commission a décidé de proposer au Sénat d'adopter sans modification les crédits de la mission « Justice ».
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Réunie à nouveau le jeudi 19 novembre 2015, sous la présidence de Mme Michèle André, présidente, la commission des finances a confirmé sa décision de proposer au Sénat d'adopter les crédits de la mission « Justice ».