UNE STRATÉGIE DE DÉVELOPPEMENT VERTUEUSE MENACÉE PAR LES DISTORSIONS DE CONCURRENCE AVEC LES PAYS TIERS
Les RUP acceptent, pour leur part, la logique du mieux disant environnemental
Les acteurs de la filière, ainsi que les pouvoirs publics, ont engagé une démarche volontariste afin de réduire fortement l'utilisation des produits phytosanitaires chimiques. Ces efforts ont pris la forme de trois plans d'action en faveur de la « banane durable » et, depuis 2006, l''emploi de pesticides, grâce au développement de techniques alternatives, a diminué de moitié. Les leçons du passé ont donc été tirées.
À La Réunion, la culture de la canne ne requiert plus, désormais, de fongicide ou d'insecticide, grâce aux solutions variétales de substitution développées par le centre européen de sélection de la canne à sucre.
D'une façon générale, les filières agricoles ultramarines ont accepté, la logique vertueuse du mieux disant environnemental et s'y sont adaptés. Ce fut le cas, en particulier, pour la canne à sucre et la banane, à dominante exportatrice. Les professionnels de ces secteurs ne sollicitent aucunement le démantèlement de protections sanitaires française et européenne, même s'ils jugeraient bienvenu un allègement des procédures. Ils souhaiteraient surtout que la pérennité des cultures soit assurée par une garantie d'une couverture phytosanitaire de base. Il serait alors possible d'envisager, beaucoup plus facilement qu'aujourd'hui, de poursuivre les démarches valorisant leurs efforts en direction du consommateur.
Pour autant, la question de la nécessaire résorption du différentiel de compétitivité normative demeure posée.
Le différentiel de compétitivité normative porte sur la production agricole stricto sensu, mais également sur le stockage, le transport, ainsi que sur les stations de conditionnement. Pour ce qui concerne la banane, les concurrents de la Martinique et de la Guadeloupe sur le marché européen se situent, en particulier, en Amérique centrale (Costa Rica, Colombie et Équateur) et en Afrique (Côte d'Ivoire, Cameroun, Ghana).
Les concurrents des pays tiers sont paradoxalement avantagés par un moindre niveau d'exigences environnementales
Les producteurs des pays tiers ne sont tenus que de respecter un « plancher réglementaire » commun avec ceux des RUP, pour les pesticides. Comme le souligne le rapport d'information de la Délégation à l'Outre-mer, le coeur du problème se situe au niveau des normes applicables en matière de pesticides : « Les denrées des pays tiers, dès lors qu'elles respectent les limites maximales de résidus (LMR) de pesticides, même si elles ont été traitées par des substances interdites pour les producteurs de l'Union européenne, sont acceptées sur les marchés européens, où elles concurrencent sévèrement les productions des RUP » 5 ( * ) .
D'une façon générale, les pays tiers peuvent avoir recours à une palette beaucoup plus large de produits autorisés. À titre d'illustration, les producteurs de banane français, qui ne sont autorisés à recourir qu'à deux produits, procèdent à environ 7 traitements par an. Leurs concurrents sud-américains, en revanche, peuvent utiliser plus de 50 produits différents et en font souvent une utilisation massive. Ainsi, les producteurs du Costa Rica et l'Équateur procèdent-ils, en moyenne, à respectivement 65 traitements et 40 traitements par an. Ces bananes sont proposées au consommateur européen.
Le constat du « deux poids deux mesures » est particulièrement net pour les productions dites « conventionnelles ». Certains produits librement utilisés dans les pays concurrents voisins, n'ont fait l'objet d'aucune demande d'autorisation de mise sur le marché en France. Dans les pays tiers, des autorisations sont même accordées pour des substances expressément interdites dans l'Union européenne. Or, dès lors qu'elles respectent des limites maximales de résidus de pesticides, ces productions sont pourtant ensuite exportées vers le marché européen.
Les productions biologiques des pays tiers sont, elles aussi, soumises à un moindre niveau d'exigences que leurs homologues des RUP, tant du point de vue environnemental, que pour la santé des agriculteurs. Ainsi, par exemple, les bananes bio produites en République dominicaine peuvent-elles être traitées par 14 substances interdites en agriculture conventionnelle dans l'Union européenne. Les producteurs des pays tiers occupent 80% de ce marché, en profitant d'un étiquetage ambigu.
Un fort impact négatif pour les grandes filières exportatrices (banane, canne à sucre, rhum)
Les productions agricoles des RUP sont concurrencées par les pays tiers, non seulement dans l'Union européenne , mais également pour certaines filières, comme l'ananas ou le litchi, sur leur propre territoire. De fait, la compétitivité de nos régions est menacée par la différence des coûts salariaux, ainsi que par le coût des normes sanitaires. Ainsi, en 2015, les bananes de Guadeloupe et de Martinique ne représentaient que 4,5 % de l'approvisionnement de l'Union européenne. Pour le sucre, en 2014, la part de marché des DOM français s'élevait à 2,5 %. Celle du rhum des DOM atteignaient certes encore 24 % du marché européen, mais en diminution de moitié par rapport au niveau de 1986 (51 %).
Alors que la main d'oeuvre correspond à 27 % des coûts de production des bananeraies françaises, le ministère de l'Agriculture estime que le salaire d'un employé de bananeraie en Afrique ou en Amérique latine est 15 fois moins élevé qu'en France.
S'y ajoutent les surcoûts imputables aux normes phytosanitaires , qui, calculés après déduction des surcoûts de main d'oeuvre, représenteraient 15 à 20 % du prix de vente 6 ( * ) . L'Union des groupements de producteurs de bananes de Guadeloupe et Martinique (UGPBAN) évalue, pour sa part, à 150 euros par tonne de banane le surcoût global lié aux normes sanitaires et environnementales, y compris la protection des salariés (tenues, équipements), le conditionnement et le recyclage des déchets.
En contrepartie de ces efforts, la qualité des productions des RUP est incomparablement meilleure que celle de la concurrence. Les données de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) du ministère de l'Agriculture en témoignent : les taux de non-conformité aux niveaux de résidu de pesticides pour les fruits et légumes sont deux fois plus élevés pour les produits des pays tiers (,3 %) que pour ceux des RUP (1,6 %).
La dynamique de montée en gamme pourrait-elle être réduite à néant ?
Les régions ultrapériphériques ne sauraient concurrencer les pays tiers sur le terrain des coûts salariaux. Le maintien et le développement des parts de marché des producteurs ultramarins reposent donc exclusivement sur une stratégie de montée en gamme. Cette démarche apparaît d'autant plus nécessaire que certains pays tiers visent le même objectif, en bénéficiant de labels, sans d'ailleurs pour autant respecter les normes européennes.
Les filières de la banane et du rhum des régions ultrapériphériques françaises, en particulier, ont fondé d'importants espoirs sur la labellisation. Dans le cas de la banane, les consommateurs considèrent généralement le produit comme un aliment « standard », ce qui rend spontanément plus difficile la juste reconnaissance de la promotion de la qualité.
L'Union des groupements de producteurs de bananes de Guadeloupe et Martinique (UGPBAN) a donc institué une certification propre à la banane de Guadeloupe et de Martinique. Ce label « BanaGAP » est plus exigeant, non seulement en matière de formation des salariés et de conditions de travail, mais aussi en matière environnementale (gestion de l'eau, réduction des intrants, valorisation des déchets). Aujourd'hui, environ 80 % de la production française remplit ces critères et est donc certifiée. Parallèlement, la profession entreprend de mener à bien, d'ici à l'horizon 2020, un processus d'homologation d'une indication géographique protégée (IGP).
Le rhum, autre grande filière d'exportation, a appuyé son développement sur une stratégie analogue, développée plus précocement. Mais ce produit bénéficie, il est vrai, d'une image spontanément plus forte auprès des consommateurs : 90 % du rhum produit en Martinique est classé en Appellation d'origine contrôlée (AOC).
La question de l'avenir de l'agriculture biologique dans les RUP est également posée. La production biologique ne représente encore que moins de 1 % de la surface cultivée dans ces territoires. Toutefois, il pourrait s'agir d'une diversification intéressante, à l'instar de celle réalisée en métropole. Mais, là encore, la réglementation européenne ne prévoit pas de volet spécifique pour l'agriculture tropicale. Plus précisément, l'interdiction stricte des systèmes participatifs de garantie (SPG), c'est-à-dire de la certification par des tiers des produits agricoles, mais également celles du recours aux cultures sur claies, ou de l'emploi de semences conventionnelles pénalisent les agriculteurs des RUP, par rapport à leurs grands concurrents.
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En définitive, les contradictions de la politique européenne apparaissent ici particulièrement fortes.
L'Union européenne a soutenu financièrement la politique de modernisation de l'appareil productif agricole menée dans les DOM. Cette stratégie, fondée tout à la fois sur l'agroécologie, sur la diversification des filières et sur la montée en gamme de l'offre, a permis de réaliser d'importants progrès et de réels gains de compétitivité.
Il semblerait incompréhensible de remettre en question des réalisations aussi exemplaires, en raison d'une inadaptation persistante du cadre réglementaire des produits phytosanitaires aux zones tropicales, conjuguée aux effets collatéraux mal mesurés d'une ouverture commerciale trop grande, en particulier aux pays tiers d'Amérique centrale et latine.
* 5 Rapport d'information précité - page 8.
* 6 Rapport d'information précité - page 30.