B. LE REFUS D'ENGAGER DES RÉFORMES STRUCTURELLES POUR LA MAÎTRISE DES DÉPENSES
Face à ces imperfections, le Gouvernement a été lent à prendre des mesures tendant à renforcer la sincérité de l'Ondam, et n'a pas mis en place les mesures structurelles qui apparaissent aujourd'hui indispensables.
1. Rénover l'évaluation du médicament
• A l'issue des débats au Sénat sur le
PLFSS pour 2015, à l'occasion desquels le Sénat avait
souhaité la mise en place du critère unique
d'intérêt thérapeutique relatif (ITR) pour
l'évaluation du médicament, le Gouvernement a demandé
à Mme Dominique Polton de conduire une nouvelle réflexion sur
cette question. Ce rapport, remis à la ministre en novembre 2015,
reprend l'ensemble des données relatives à l'évaluation et
formule de nombreuses propositions.
En dépit de ces travaux, le Gouvernement n'a pas souhaité inclure de dispositions spécifiques relatives à l'évaluation du médicament dans la loi relative à la modernisation de notre système de santé (LMSS), et n'a à ce jour annoncé aucun calendrier de réforme de la prise en charge des produits de santé.
• Le rapport de nos collègues Gilbert Barbier
et Yves Daudigny sur la politique du médicament
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a depuis formulé
douze propositions, parmi lesquelles deux apparaissent
particulièrement substantielles :
« 11. Mettre en place, selon les préconisations du rapport Polton, un critère unique d'évaluation comparative des médicaments, la valeur thérapeutique relative (VTR) ;
12. Fusionner en un seul les taux de prise en charge à 15 %, 30 % et 65 % , en s'appuyant sur les évaluations conduites par le rapport Polton. »
Le rapport sénatorial exprimait ces propositions en ces termes : « Au regard de travaux déjà conduits, vos rapporteurs estiment nécessaire de mettre en oeuvre un indicateur unique d'évaluation comparative du médicament. Cet indicateur n'a pas nécessairement vocation à être étendu aux dispositifs médicaux si la HAS estime que leurs spécificités s'y opposent. Étant donnée l'étude approfondie des limites de la dualité des critères actuels de SMR et d'ASMR menés par la mission Polton, il paraît aujourd'hui plus efficace de retenir sa proposition de mettre en place un indice de valeur thérapeutique relative (VTR). En conséquence, ainsi que le préconise le rapport Polton, il convient de donner mission à la HAS d'élaborer dans un délai de six mois une grille explicitant la relation entre la VTR et l'évaluation du médicament sur ces différentes composantes. Le prochain PLFSS pourrait être l'occasion d'inscrire cette mission dans la loi si le Gouvernement n'a pas d'ici là pris d'initiative en ce sens .
Par ailleurs vos rapporteurs estiment nécessaire de simplifier la multiplicité actuelle des taux de remboursement, qui est une spécificité française . En dehors du taux de remboursement à 100 % qui doit être maintenu et de la prise en charge intégrale des ALD, les taux de 65 %, 30 % et 15 % sont facteurs de confusion pour les patients voire d'inégalités. En effet, ainsi qu'on a pu le constater à l'occasion de l'analyse des déremboursements ou des stratégies des firmes en matière d'automédication, le lien entre l'efficacité du médicament et son taux de remboursement n'est pas facile à appréhender par la population. Ceci crée l'illusion dangereuse en termes de santé publique et couteuse pour l'assurance maladie que l'on est nécessairement mieux soigné par un médicament mieux remboursé. »
• En plus d'être difficile à
appréhender,
la multiplication des taux de remboursement autres
que celui de 100 % est d'application limitée, du fait du poids
croissant des ALD, et source d'inégalités
. Ainsi que le
démontre clairement le rapport de la mission Polton, certains
médicaments considérés comme supplémentaires se
voient attribuer un SMR, et donc un taux de remboursement, faibles. Or, ils
peuvent constituer des traitements nécessaires aux patients ne
réagissant pas aux traitements de première intention, mieux
remboursés.
Le rapport Polton relève ainsi qu'« on ne voit pas pourquoi, pour les patients ayant une intolérance aux autres traitements, ce traitement supplémentaire, s'il est effectivement prescrit avec discernement, serait moins bien remboursé. Ceci revient à dire qu'un médicament de 2 ème intention aurait par construction un taux de remboursement plus bas qu'un médicament de 1 ère intention (« double peine » pour le patient intolérant aux traitements jugés les plus efficaces) ».
Au regard de ces différents arguments, les rapporteurs de la commission des affaires sociales ont considéré que les taux de 15 %, 30 % et 65 % doivent être fusionnés en un taux unique, après mise en oeuvre de la VTR, selon les étapes définies par le scénario 2 du rapport Polton. Le niveau de ce taux unique -qui ne pourra être inférieur à 50 %- devra faire l'objet de concertations entre les différentes parties prenantes de la couverture maladie et les pouvoirs publics, dans l'objectif de limiter les restes à charge pour la population.
Au regard de ces différents travaux et de leurs conclusions, votre rapporteur général estime qu'après plus de trois ans déjà de réflexion, il est aujourd'hui grand temps de prévoir la mise en oeuvre de la réforme des critères d'évaluation du médicament .
2. Redynamiser les conventions entre les professionnels de santé et l'assurance maladie
Afin de permettre une meilleure maîtrise des dépenses de soins de ville, la Cour des comptes préconise la mise en place d'un mécanisme de mise en réserve des revalorisations négociées avec les professionnels de santé.
• Cette possibilité ne serait cependant qu'un
palliatif des
insuffisances de la négociation
conventionnelle
, déjà soulignées dans un rapport
de la Cour des comptes remis à la demande de la commission des
affaires sociales, et précisé par l'étude comparative
menée par la mission d'évaluation et de contrôle de la
sécurité sociale (Mecss) en Allemagne
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)
.
Les cultures française et allemande sont très différentes sur ce sujet. Caisses et médecins allemands négocient depuis 1913, tandis qu'il a fallu attendre les réformes de 1958 et de 1960 pour qu'un régime conventionnel efficace soit mis en place en France. Les syndicats allemands font campagne pour les élections aux unions de médecins, mais négocient d'une seule voix face aux caisses, tandis que les syndicats français sont dispersés. Les médecins allemands acceptent que leurs honoraires soient établis de manière à préserver l'équilibre de l'assurance maladie, mais également d'être payés et contrôlés par ceux qu'ils ont élus au sein des unions.
La négociation conventionnelle suppose que les acteurs reconnaissent leur légitimité réciproque. Or, admettre que l'assurance maladie obligatoire non seulement agit comme moyen pour les patients de payer les médecins, mais encore a vocation à établir un lien direct avec ces derniers, a pris en France un temps important. Malgré l'importance du conventionnement, chaque période de tension entre les médecins et les pouvoirs publics entraîne un procès en illégitimité de l'assurance maladie - d'où l'intérêt que ce soit désormais le ministre qui fixe explicitement les orientations des négociations.
Pour autant, cette querelle n'est rien au regard de celle qui oppose les syndicats de médecins et l'assurance maladie complémentaire.
Cet état de fait amène une surenchère syndicale sur le thème de la préservation des fondamentaux de la médecine libérale. On peut dès lors reconnaître, avec les directeurs généraux successifs de l'assurance maladie, que la maturité conventionnelle en France est bien loin de celle de l'Allemagne . La perspective d'asseoir une enveloppe de ville sur la négociation entre syndicats de médecins et union des caisses apparaît à l'heure actuelle encore illusoire, et pourrait même remettre en cause l'existence même des conventions.
Sans envisager de bouleversement de la pratique conventionnelle telle qu'elle s'est établie en France, des évolutions sont néanmoins envisageables à partir, notamment, des enseignements de l'expérience allemande. Votre rapporteur général a ainsi été particulièrement intéressé par le niveau d'information dont disposent les médecins et leurs unions sur les pratiques médicales et sur leurs évolutions . Renforcer l'information des médecins et envisager, au niveau des ARS, des mécanismes de financement complémentaire négociés avec les unions régionales des professionnels de santé (URPS) pourraient être des moyens de mieux impliquer les praticiens dans la gestion des dépenses d'assurance maladie.
• S'agissant de la convention nationale, votre
commission a été
favorable au renforcement du rôle
des ministres dans la négociation conventionnelle
, tel qu'il
est prévu par l'article 164 de la loi de modernisation de notre
système de santé (LMSS). Celui-ci permet aux ministres en charge
de la santé et de la sécurité sociale de définir
conjointement les lignes directrices préalablement aux accords, contrats
et conventions signés entre l'Uncam et les professionnels de
santé.
Cette clarification des rôles est
bienvenue
, et permet d'indiquer lisiblement quelle est
la véritable place du Gouvernement dans les relations entre
l'assurance maladie et les professionnels de santé.
Votre commission ne peut cependant que regretter la méthode utilisée par le Gouvernement pour peser sur les négociations d'avenants en cours, en faisant adopter par voie d'amendement au présent PLFSS des dispositifs ad hoc destinés à faire prévaloir la position de l'Uncam sur celle des autres parties . S'il est légitime de prévoir un moyen de surmonter les blocages de la négociation, il ne l'est pas de changer les règles applicables au moment même où les négociations se déroulent.
• Afin de faire progresser le champ de la
négociation conventionnelle, votre rapporteur général a
entendu avec intérêt l'idée portée par la CSMF
d'envisager
une convention nationale entre les syndicats de
médecin et l'Unocam
,
aux dispositions de laquelle les
praticiens pourraient adhérer individuellement
.
Une telle négociation serait incontestablement de nature à dissiper les nombreux a priori qui entachent les relations entre médecins et régimes complémentaires, voire entre régimes complémentaires et régimes obligatoires de base. Elle pose cependant la question de la mise en cohérence d'ensemble des dispositifs qui seraient mis en place avec ceux négociés avec l'Uncam, et du maintien de la participation des Ocam au financement de la convention avec l'Uncam.
En souhaitant étendre la couverture complémentaire d'entreprise aux 400 000 salariés qui en sont dépourvus, l'accord national interprofessionnel (ANI) a encore accentué les débats autour de la couverture complémentaire en France. La progression de la couverture complémentaire obligatoire pose en effet deux questions : celle de la nécessité d'une couverture complémentaire pour parvenir à couvrir ses frais de santé, et celle du renforcement des règles et contraintes dans un secteur relevant en théorie de la liberté contractuelle .
Néanmoins, ainsi que le souligne la Cour des comptes dans son dernier rapport sur l'application de la loi de financement de la sécurité sociale (RALFSS), ce tableau global cache quelques paradoxes . L'augmentation du niveau global de prise en charge par l'assurance maladie est ainsi principalement liée à l'augmentation de la population prise en charge au titre d'une affection de longue durée (ALD). Une partie de la population, notamment celle ayant recours uniquement aux soins courants, a pu voir dans le même temps son taux de prise en charge diminuer.
Pour pallier ces difficultés, le Gouvernement a mis en place des mécanismes de régulation des contrats complémentaires . Certains semblent atteindre leur objectif, comme l'aide à la complémentaire santé (ACS), dont le nombre de bénéficiaires a augmenté de 12,4 % suite à la réforme mise en place par la LFSS pour 2015. D'autres ont des résultats plus mitigés, comme le contrat responsable, généralisé par la complémentaire santé d'entreprise ; celui-ci aboutit en effet paradoxalement à diminuer le niveau de couverture des personnes ayant recours aux spécialistes -qui concentrent, en région parisienne notamment, les dépassements d'honoraires, parmi lesquels certains pédiatres ou gynécologues. Ainsi, si le secteur de l'assurance maladie complémentaire est de plus en plus régulé pour tendre à couvrir toute la population, le risque en est, selon la formule utilisée par la revue Prescrire, qu'elle soit « généralisée mais avec moins de solidarité ». Sources : « Rapport annuel sur l'aide au paiement d'une complémentaire santé, bénéficiaires, prix et contenu des contrats ayant ouvert droit à l'aide », Fonds de financement de la protection complémentaire de la couverture universelle du risque maladie, octobre 2016. « La participation des assurés au financement de leurs dépenses de santé : une charge croissante, une protection maladie à redéfinir », Rapport sur l'application de la loi de financement de la Sécurité sociale 2016, Cour des comptes, septembre 2016 - Prescrire, novembre 2016, tome 36 n° 397, pp. 856-861. |
* 3 Le médicament à quel prix ?, Rapport d'information fait au nom de la commission des affaires sociales sur la politique du médicament, par MM. Gilbert Barbier et Yves Daudigny, 29 juin 2016.
* 4 Sur l'organisation et le financement de la médecine de ville en Allemagne, Rapport d'information numéro 867, fait au nom de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale et de la commission des affaires sociales, de MM. Daudigny et Vanlerenberghe.