B. ...MAIS TOUTES ÉTAIENT TOUCHÉES

En conséquence de ces évolutions, la valeur ajoutée de l'agriculture s'est repliée en 2015 (- 0,4 %), cet indicateur étant mieux orientée pour les industries agroalimentaires (+ 2,2 %).

La légère hausse des prix constatée globalement en 2015 n'a pas suffi à compenser la baisse des volumes produits. Si la valeur ajoutée dans le secteur des fruits et légumes a progressé de 0,7 %, elle s'est repliée de 1,3 % dans le secteur laitier.

La baisse des consommations intermédiaires a soutenu la valeur ajoutée. Elle résulte en grande partie d'une réduction des volumes, qui, elle-même, dépend étroitement de la production et joue un rôle amortisseur.

C'est également le cas pour les subventions perçues par la branche agricole.

Les subventions aux produits, malgré leur augmentation de 1 090 millions d'euros à 1 181 millions d'euros entre 2014 et 2015, jouent désormais un rôle second dans la nouvelle politique agricole commune.

Le rôle principal est désormais dévolu aux subventions aux exploitations. Elles passent de 8 052,6 à 8 552,1 millions d'euros, augmentation qui soutient le revenu agricole. C'est grâce à l'augmentation des subventions que la valeur ajoutée brute aux coûts des facteurs peut progresser de 2,9 % en 2015.

Les résultats de la branche agricole s'améliore de 1 milliard d'euros dont la moitié grâce aux subventions d'exploitation dans un contexte de baisse des charges financières en lien avec le bas niveau des taux d'intérêt et de progression mesurée des salaires nominaux (soit une baisse en termes réels).

Ces résultats globaux dissimulent des performances très inégales. Sur la base du « résultat courant avant impôts (RCAI) par actif non salarié », indicateur qui profite de la baisse du nombre des indépendants agricoles, le résultat courant avant impôts (RCAI) par actif non salarié des moyennes et grandes exploitations s'est établi en 2014 à 25 200 euros par actif non salarié en moyenne, en relative stabilité (- 0,7 %) par rapport à 2013.

Ce niveau est proche du résultat moyen du début des années 2000. Mais il s'accompagne de situations très disparates.

En 2014, avec 15 300 euros en moyenne par actif non salarié (- 18 % par rapport à 2013), le résultat courant avant impôt de l'ensemble des exploitations de grandes cultures a poursuivi son repli. La diminution des charges d'approvisionnement n'a pas permis de compenser les fortes baisses des prix de production (environ - 15 %), ainsi que la baisse des subventions (- 6 %).

Pour les élevages porcins , du fait notamment de la forte baisse du prix du porc, le résultat courant avant impôt s'est établi à 11 900 euros par actif non salarié, niveau proche des niveaux bas de 1988, 2002, ou encore 2007-2008. Pour les éleveurs de volaille , les résultats ont retrouvé un niveau comparable à celui du début des années 2000, après le point bas de 2013 (24 000 euros en moyenne en 2014). Les résultats des éleveurs laitiers ont légèrement augmenté en 2014 du fait de la légère hausse du prix du lait, avec un résultat courant avant impôt par actif non salarié de 24 700 euros. Pour les éleveurs de bovins viande , la situation est restée stable en 2014, avec un résultat courant avant impôt par actif non salarié de 18 300 euros. Pour les éleveurs d'ovins ou de caprins , le résultat courant avant impôt par actif non salarié est en moyenne de 18 400 euros, en hausse de 19 % par rapport à 2013. L'augmentation des ventes comme celle des subventions, notamment l'ICHN (Indemnité compensatoire des handicaps naturels) contribuent amplement à ces résultats.

L'évocation des résultats prévus pour 2015 suffit à mesurer les perspectives des comptes de 2016 . Les spéculations les moins mal orientées ont pu être soutenues en 2015 par des variations de prix et de production qui, pour l'essentiel, se sont retournées en cours d'année.

Au total, la baisse exceptionnellement forte des rendements dans les grandes cultures mais aussi dans la production viticole - la production pourrait passer en dessous de 40 millions d'hectolitres - dans un contexte international marqué par des progrès de production dans d'autres régions du monde, qui pèsent sur les prix, conduit à envisager des chutes de revenus agricoles sans précédents. Pour simple illustration, un repli du revenu à hauteur de 1 % correspond à une baisse du revenu agricole de 142,8 millions d'euros, montant à mettre en rapport avec l'ampleur des plans de soutien mis en place pour compenser les baisses de revenu des agriculteurs.

Au-delà de ces évolutions qu'il faut espérer très ponctuelles, des indicateurs plus structurels conduisent à nourrir des inquiétudes sur la capacité de l'agriculture française à demeurer compétitive et à fournir une base d'emplois.

L'emploi agricole a considérablement diminué ces dernières années. Il est en régression régulière depuis 2010.

Emploi agricole en France métropolitaine

France métropolitaine

2010

2013

2014

2015 estimations

Total actifs agricoles

Unités de travail annuel

751 000

729 000

722 000

717 000

Total main d'oeuvre permanente

Personnes

966 000

922 000

908 000

895 000

Unités de travail annuel

661 000

629 000

620 000

610 000

Chefs d'exploitations et coexploitants

Personnes

604 000

578 000

570 000

563 000

Unités de travail annuel

446 000

429 000

423 000

417 000

Conjoints et autre main d'oeuvre familiale

Personnes

190 000

156 000

146 000

137 000

Unités de travail annuel

75 000

59 000

54 000

50 000

Salariés permanents

Personnes

172 000

187 000

192 000

195 000

Unités de travail annuel

140 000

141 000

140 000

141 000

Salariés saisonniers, ETA, Cuma

Unités de travail annuel

91 000

101 000

105 000

108 000

Source : Service de la Statistique et de la Prospective - recensement de l'agriculture 2010, BAEA pour 2013, 2014 et 2015

Le total des actifs agricoles a baissé de 34 000 unités entre 2010 et 2015 (environ - 5 %).

Pour les exploitants, la baisse relative est encore plus forte ; elle atteint 6,8 %. Entre 2010 et 2014, le nombre d'exploitations agricoles a baissé de 9,6 % environ, soit un rythme annuel moyen (- 2,5 % par an) légèrement inférieur à celui de la décennie précédente (- 3 % par an), tandis que la superficie agricole utilisée est restée stable.

Quant au commerce extérieur , il offre des perspectives peu rassurantes.

La France n'est plus que le septième exportateur mondial de produits agricoles (15 milliards d'euros), derrière les États-Unis (59 milliards d'euros), le Brésil, les Pays-Bas, le Canada, la Chine et l'Espagne. Elle n'est plus que le quatrième exportateur de produits transformés (43 milliards d'euros) derrière les États-Unis (66 milliards d'euros), l'Allemagne (58 milliards d'euros) et les Pays-Bas (55 milliards d'euros).

Certes, l' excédent des échanges agricoles et agroalimentaires français a atteint 9,4 milliards d'euros en 2015 (2/3 produits agroalimentaires/ 1/3 produits agricoles) en hausse de 300 millions par rapport à 2014, dont pour les seules productions agricoles un solde positif de 2,6 milliards d'euros. Mais, ce résultat résulte beaucoup de circonstances monétaires favorables et la dégradation des performances réalisées avec nos partenaires européens, qui en témoignent, doit être relevée. Le solde des échanges avec les pays de l'Union européenne diminue (2,9 milliards d'euros, contre 3,9 en 2014 et 5,2 milliards d'euros en 2013), nos importations de produits transformés étant désormais supérieures à nos exportations . Or, avec une demande intérieure qui reste stable, l'agriculture française doit relever le défi de la compétitivité et se tourner vers l'export comme l'avaient du reste analysé en 2013 plusieurs de nos collègues dans un rapport sur le dispositif public de soutien aux exportations agroalimentaires 9 ( * ) .

Tout en regrettant que la recommandation d'une réforme profonde du dispositif , faite par nos collègues dans leur rapport précité, à commencer par le rapprochement effectif entre Sopexa et Business France, n'ait pas été suivie par le Gouvernement , l'on peut trouver un motif de satisfaction mesurée dans l'abondement des moyens prévu dans le projet de budget. Ils passeraient de 5,85 millions d'euros en 2016 à 8,3 millions d'euros en 2017.

Il reste que les facteurs de la perte de compétitivité de l'agriculture française devraient être vigoureusement corrigés.

Malgré les progrès considérables de productivité réalisés par les agriculteurs français, force est de constater que les écarts de compétitivité avec les pays émergents, s'ils sont sans doute partiellement transitoires, ne nous mettent pas à même de concurrencer efficacement leurs productions ordinaires, situation paradoxale compte tenu des perspectives de moyen et long terme qui pourraient se traduire par une responsabilité accrue de notre agriculture dans le bouclage des besoins alimentaires d'un monde en expansion démographique.

Il nous faut donc jouer prioritairement la gamme de la qualité, mieux exploiter nos avantages comparatifs et favoriser notre compétitivité face aux produits des pays développés .

Or, avec ceux-ci, la concurrence doit être au minimum loyale. Les différences structurelles avec l'agriculture nord-américaine, qui résulte de l'adoption de contraintes de production parfois très laxistes dans les pays concernés doivent être prises en considérations et combattues.

Au sein même de l'Europe, des pratiques de concurrence déloyale s'observent hélas.

Le recours aux travailleurs détachés dont la réalité statistique reste trop mal connue semble faire partie de celles-ci.

Aperçus sur le travail détaché en agriculture

Pour la France, le nombre des déclarations de prestations de services réalisées par des entreprises étrangères dans le secteur agricole s'établit à 3 309 en 2014. En moyenne, le nombre de déclarations dans ces secteurs a augmenté sur les six dernières années, passant de 849 à 3 309 entre 2009 et 2014. En nombre de salariés détachés, le secteur agricole comptabilise 8 327 salariés en 2014, en baisse de 38 % par rapport à 2013 où l'on comptait 13 444 salariés détachés dans le secteur agricole 10 ( * ) .

En Italie, en 2012, 269 000 ressortissants étrangers ont été introduits, soit une augmentation de 15 % par comparaison avec 2011. Sont principalement concernées l'arboriculture, l'élevage et les activités de collecte.

Aux Pays-Bas, en 2012, 145 000 travailleurs détachés opèrent tous secteurs économiques confondus. Les travailleurs détachés dans la production ornementale et maraîchère sous serre sont essentiellement polonais.

Au Danemark, ce sont 22 600 étrangers qui ont été introduits en 2014 dans les secteurs de la sylviculture et de la pêche soit 9 % du total des introductions. Cette main-d'oeuvre représente 25 % des emplois dans ces secteurs.

En Allemagne, selon les statistiques établies par la Commission européenne à partir des formulaires de sécurité sociale, 373 666 détachements avaient été dénombrés en 2013 sur le territoire allemand tous secteurs économiques confondus (contre environ 225 000 en 2010) 11 ( * ) . Jusqu'en 2014, l'industrie allemande des abattoirs a profité d'un afflux de main-d'oeuvre bon marché en provenance de Pologne et d'autres pays.

En Espagne, en 2014, 138 000 salariés étrangers étaient recensés dans le secteur agricole pour les travaux de récoltes, chiffre en forte décroissance. Du fait de la crise, de plus en plus de salariés espagnols réoccupent les emplois de l'agriculture ce qui réduit d'autant le recours à l'immigration d'origine marocaine.

Une harmonisation du droit de l'UE est en cours. Il faut en encourager la rapide adoption .

De la même manière, certaines pratiques de concurrence fiscale dommageables doivent être prises en compte avec la plus extrême vigueur. Vos rapporteurs spéciaux sont en particulier attentifs au contentieux porté devant les instances communautaires relatif au régime allemand de TVA.

Les entreprises agricoles allemandes bénéficient d'un dispositif de TVA adopté en 1967, dérogatoire au régime de TVA de droit commun applicable à toute entreprise quel que soit son secteur d'activité et son niveau de recettes. Les agriculteurs ayant opté pour ce dispositif forfaitaire facturent la TVA à leurs clients selon un taux dit « taux moyen » se situant depuis 2007 à 10,7 % et supportent la TVA à 7 % ou 19 % selon le type d'achats ou d'échanges. Ils sont dispensés de verser la TVA qu'ils font apparaître sur leurs factures au taux moyen de 10,7 %, tout en permettant à leurs clients assujettis de la déduire. En contrepartie, ils ne peuvent pas déduire la TVA qui leur est facturée.

Par ce régime forfaitaire, un exploitant agricole peut généralement vendre sa production à un taux de TVA supérieur à celui qui est appliqué à ses achats. Il peut conserver la différence ce qui constituerait un avantage.

Il serait possible de mentionner bien d'autres points sur lesquels une concurrence plus loyale s'imposerait. On connaît assez le débat sur les normes dont l'application n'est pas toujours uniforme quand elles sont harmonisées et qui, demeurent fondamentalement différentes d'un point de vue international.

L'ensemble de ces dossiers mérité une attention renforcée.

Il convient également d'apporter des solutions pérennes à la crise de l'investissement en agriculture . Le niveau de l'investissement est, en volume, sans changement par rapport à celui du début des années 80, quand les prix ont triplé. Dans ces conditions, des risques excessifs pèsent sur une agriculture française en retard de modernisation.


* 9 « L'agroalimentaire français face au défi de l'export : pour une réforme ambitieuse du dispositif public de soutien », rapport n° 736 (2012-2013) par Yannick Botrel, Joël Bourdin, Christian Bourquin et André Ferrand.

* 10 DGT - Analyse des déclarations de détachement des entreprises prestataires de services en France en 2014. Ces données ne concernent que les déclarations faites dans le secteur agricole hors entreprises de travail temporaire qui concentrent en fait la majorité des détachements en milieu agricole.

* 11 Ces détachements comptabilisés à partir des formulaires A1 de sécurité sociale peuvent concerner plusieurs fois la même personne. Les statistiques sur le nombre des personnes réellement concernées ne sont pas disponibles pour tous les pays.

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