B. UNE MAÎTRISE DES DÉLAIS DE JUGEMENT DANS UN CONTEXTE DE PROGRESSION CONTINUE DU CONTENTIEUX
1. Des délais de jugement maîtrisés, la qualité des décisions rendues maintenue
L'objectif principal du programme « Conseil d'État et autres juridictions administratives » en matière de performance est la réduction des délais de jugement .
En effet, si l'exigence conventionnelle de « délai raisonnable de jugement », fixée par la Cour européenne des droits de l'homme a inspiré la jurisprudence du Conseil d'État 5 ( * ) , le législateur a imposé l'objectif de ramener le délai de jugement à un an 6 ( * ) .
Ce délai est mesuré par l'indicateur le plus représentatif du programme , qui, depuis le projet annuel de performances pour 2017, correspond au délai moyen constaté de jugement des affaires . Ce délai, qui représente le délai moyen de traitement des affaires de l'enregistrement à la notification, remplace effectivement le délai prévisible moyen de jugement des affaires en stock (nombre d'affaires en stock divisé par la capacité de jugement de chaque niveau de juridiction), afin de permettre le suivi des délais de jugement instaurés par la loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 portant réforme du droit d'asile , qui fixe à cinq semaines les délais de jugement pour la procédure à juge unique (procédure accélérée) et cinq mois pour les décisions rendues par les formations collégiales (procédure normale).
L'objectif du délai de jugement à un an est désormais atteint depuis plusieurs années, mais la maîtrise des délais demeure un enjeu majeur pour la juridiction administrative. Pour 2017, le délai moyen constaté de jugement des affaires est, en effet, de :
- 9 mois devant le Conseil d'État (délai identique en prévision actualisée pour 2016) ;
- 10 mois et 20 jours devant les CAA (contre 11 mois en prévision actualisée pour 2016) ;
- 10 mois et 15 jours devant les TA , (contre 10 mois et 20 jours en prévision actualisée pour 2016) ;
- 6 mois devant la CNDA s'agissant de la procédure ordinaire (contre 7 mois et 10 jours en prévision actualisée pour 2016 ), et 6 semaines pour la procédure accélérée (contre 2 mois et 15 jours en prévision actualisée 2016) ; ces délais prévisibles ne respectent pas les délais de 5 mois et 5 semaines fixés par le législateur , dans le cadre de la réforme du droit de l'asile.
S'agissant des indicateurs d'activité, on remarque, à nouveau, l'absence d'indicateur sur les délais des affaires « ordinaires », supprimé depuis le projet annuel de performances pour 2015 . Cet indicateur permettait, en effet, de mettre en évidence les délais liés aux contentieux intéressant les citoyens et pouvant être très longs comme en matière d'urbanisme ou de contentieux fiscal. Cette suppression est d'autant plus regrettable que la multiplication des délais contraints a une incidence négative sur le délai moyen pour les affaires « ordinaires ».
Par ailleurs, la maîtrise des délais de jugement ne devrait pas altérer la qualité des décisions rendues . Ainsi, les taux d'annulation des décisions juridictionnelles prévues pour 2017 restent relativement stables, voire diminuent :
- par les CAA des jugements rendus par les TA (15 % prévu en 2017 contre 16 % en prévision actualisée pour 2016) ;
- par le Conseil d'État des décisions de la CNDA (3 % prévu en 2016, pourcentage identique à la prévision actualisée pour 2016).
Cette maîtrise des délais et de la qualité des décisions rendues est d'autant plus notable qu'elle se fait dans un contexte de hausse continue des entrées.
2. Une hausse continue des affaires enregistrées qui devrait perdurer sous l'effet de la mise en oeuvre de plusieurs réformes affectant l'activité de la justice administrative
Depuis près de quarante ans , le contentieux a augmenté de 6 %, en moyenne annuelle, toutes juridictions confondues . Cette augmentation est liée notamment à la montée en charge du contentieux de masse (droit au logement opposable, revenu de solidarité active, réforme du contentieux de l'éloignement des étrangers, réforme de la procédure applicable aux contentieux sociaux, contentieux électoraux avec la publication des décrets relatifs au découpage cantonal) et d'autres paramètres (suppression de la contribution à l'aide juridique, questions prioritaires de constitutionnalité).
En effet, entre 2010 et 2015, le nombre d'affaires enregistrées a augmenté de 11,5 % dans les tribunaux administratifs et de 9,8 % dans les cours administratives d'appel . S'agissant du Conseil d'État, l'augmentation des entrées est de 21,6 % entre 2010 et 2014 , avec une légère diminution en 2015. Néanmoins, les huit premiers mois de l'année 2016 se caractérisent par une augmentation sensible (près de 10 %) des recours devant le Conseil d'État, par rapport à 2015.
Par ailleurs, un certain nombre de nouvelles réformes a ou aura un impact sur cette montée en charge du contentieux, sans qu'il soit évident d'en évaluer l'impact budgétaire précis à ce stade :
- la loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles qui prévoit la dépénalisation du stationnement payant à compter du 1 er octobre 2016, et dont les recours en cassation se feront devant le Conseil d'État. Il est difficile a priori de quantifier l'impact de cette réforme. Néanmoins, on connaît le nombre de contestations enregistrées devant les officiers du ministère public (559 654 en 2013) ;
- la loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 portant réforme du droit d'asile : selon les estimations fournies par le Conseil d'État, les tribunaux administratifs seront susceptibles d'être saisis de près de 4 200 dossiers, soit 2,2 % des affaires enregistrées devant eux ;
- la loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement , qui rend compétent le Conseil d'État pour connaître en premier et dernier ressort des requêtes concernant la mise en oeuvre, d'une part des techniques de renseignement et d'autre part de l'article 41 de la loi de 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés pour des traitements ou parties de traitements intéressant la sûreté intérieure. Au 13 juillet 2016, 98 dossiers étaient en cours. En rythme de croisière, le nombre estimé est de 40 dossiers par an.
- la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France, qui prévoit notamment l'instauration d'une nouvelle procédure de juge unique. Ses dispositions entreront en vigueur au plus tard le 1 er novembre 2016 ;
- la loi n° 2016-274 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXI e siècle qui prévoit la création d'actions de groupe devant le juge administratif et étend la possibilité de recours à la médiation administrative à tous les litiges relevant de la compétence du juge administratif.
Cette maîtrise des délais dans un contexte continue de progression des entrées s'explique ainsi par la politique de création d'emploi des juridictions administratives, mais également par la mise en place d' évolutions procédurales et le renforcement de la productivité des personnels. C'est le cas également pour la CNDA.
3. La CNDA : une amélioration continue de ses délais de jugement qui devraient tendre vers les délais imposés par la réforme du droit d'asile
Entre 2009, date à laquelle le Conseil d'État a pris en charge la gestion de la CNDA, et 2016, le délai prévisible de jugement a été divisé par deux, et le délai moyen constaté, nouvel indicateur à prendre en compte, a été réduit de 45 % .
Cette réduction significative des délais de jugement résulte de l'importante réorganisation interne conduite depuis 2009 (modalités de rejet par ordonnance de certains recours, règles de présentation des recours, rationalisation de l'organisation du greffe, dématérialisation des procédures création de 3 sections et 11 chambres etc. ), mais aussi et surtout de l'augmentation des effectifs réalisée depuis 2009 .
Évolution des effectifs de la CNDA depuis 2009
(en ETPT)
2009 |
2010 |
2011 |
2012 |
2013 |
2014 |
2015 |
2016 |
PLF 2017 |
223 |
243 |
294 |
318 |
341 |
349 |
358 |
367 |
410 |
Source : Conseil d'État
La question de la réduction des délais est effectivement un enjeu budgétaire majeur : ainsi la Cour des comptes, dans son référé de juillet 2015 relatif à l'accueil et l'hébergement des demandeurs d'asile, précisait que - selon le ministère de l'intérieur - une réduction d'un mois des délais de jugement, devant l'OFPRA et la CNDA, permettait une baisse de 10 à 15 millions d'euros . En effet, la mission menée par l'inspection générale des finances, l'inspection générale de l'administration et l'inspection générale des affaires sociales sur les dispositifs de prise en charge des demandeurs d'asile 7 ( * ) , concluait, pour la CNDA, à une économie mensuelle de 15,1 millions d'euros, en termes d'allocation temporaire d'attente (ATA) 8 ( * ) (6,8 millions d'euros) et d'hébergement au titre de l'asile (8,3 millions d'euros), hors coûts indirects liés à la couverture maladie universelle ou l'aide médicale d'État.
Toutefois, la Cour devra faire face en 2017 encore plus qu'en 2016, à un double défi : d'une part une accélération prévisible du nombre de recours fin 2016 avec le déstockage des affaires à l'OFPRA - qui a obtenu une augmentation sensible de ses effectifs en 2016 - le taux de recours étant de 90 % courant 2016, et d'autre part la poursuite de la mise en oeuvre de la réforme de l'asile.
Les délais imposés par ladite réforme ne seront a priori pas respectés en 2017. Néanmoins, la poursuite de la rationalisation de l'organisation de la Cour ainsi que le renforcement important de ses moyens (23 postes en 2015, 24 en 2016, 40 en 2017) permettront, sinon d'atteindre ces délais du moins de s'en rapprocher. Les délais prévisibles pour fin 2017, de 6 mois pour la procédure normale et 6 semaines pour la procédure accélérée, peuvent néanmoins être considérés comme raisonnables au vu du contexte difficile dans laquelle se trouve la CNDA.
* 5 Arrêt « Magiera » du 28 juin 2002, qui reconnaît la responsabilité pour faute simple de l'État du fait du fonctionnement défectueux du service public de la justice administrative.
* 6 Loi n° 2002-1138 du 9 septembre 2002 d'orientation et de programmation pour la justice (LOPJ).
* 7 « L'hébergement et la prise en charge financière des demandeurs d'asile ». IGF, IGAS, IGA, p. 17.
* 8 Devenue « nouvelle allocation pour les demandeurs d'asile » avec la réforme du droit d'asile.