AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Le Sénat est saisi en premier lieu du projet de loi autorisant la ratification de l'avenant modifiant la convention du 14 janvier 1971 entre la France et le Portugal tendant à éviter les doubles impositions et à établir des règles d'assistance administrative réciproque en matière d'impôts sur le revenu, signé à Lisbonne le 25 août 2016.

Lors de l'examen par l'Assemblée nationale du projet de loi de finances rectificative pour 2016, le Gouvernement avait déposé en séance publique un amendement autorisant l'approbation de cet avenant - créant par là même un précédent qu'il aurait sans doute eu la tentation de répéter très souvent.

Le Sénat, suivant en cela l'avis du rapporteur général de la commission des finances, Albéric de Montgolfier, avait supprimé cet article, estimant que la ratification d'une convention fiscale n'avait pas sa place dans une loi de finances . Le Conseil constitutionnel avait finalement censuré l'article, donnant raison au Sénat.

L'examen des conventions fiscales par le Parlement n'est pas seulement une exigence formelle ; il a plusieurs fois montré son utilité , comme par exemple lord du refus du Sénat d'autoriser la ratification de l'accord de 2011 avec le Panama, ou les engagements obtenus du Gouvernement lors de la ratification de la convention fiscale avec Andorre en 2014.

Sur le fond, cet avenant est une réponse à un problème précis, apparu en 2013, touchant aux règles d'imposition des rémunérations et pensions publiques . En vertu du modèle de référence de l'OCDE, les revenus versés à des agents publics ou à des retraités de la fonction publique sont exclusivement imposés à la source, c'est-à-dire par l'État qui les verse, par opposition aux revenus et pensions privés, imposés dans l'État de résidence du bénéficiaire. Or la convention franco-portugaise de 1971 déroge à ce modèle en autorisant aussi une imposition des rémunérations et pensions publiques par l'État de résidence , à condition que celui-ci élimine les doubles impositions. On parle alors de « droit d'imposition partagé ».

Cette dérogation est longtemps restée sans effet , ni le Portugal ni la France n'exerçant leur droit d'imposer en tant qu'État de résidence.

Mais en 2013, le Portugal, alors en pleine crise économique, a engagé une série de contrôles fiscaux à l'encontre d'agents publics et de retraités de la fonction publique française résidant au Portugal . Plus précisément, les contrôles ont visé les personnels des lycées français de Lisbonne et de Porto, soit quelques dizaines de personnes.

Celles-ci se sont alors retrouvées dans une situation difficile , car même après élimination de la double imposition, le barème de l'impôt sur le revenu est sensiblement plus élevé au Portugal qu'en France. De plus, l'administration portugaise peut effectuer des redressements sur cinq ans - contre trois ans en France -, auxquels s'ajoutent le cas échéant des majorations et pénalités.

À la suite de ces contrôles, la France a entamé des démarches auprès du Portugal, qui a accepté de suspendre les procédures et de faire évoluer les règles applicables, pour les mettre en conformité avec les règles de l'OCDE.

C'est l'objet du présent avenant, qui prévoit donc un principe d'imposition exclusive à la source des pensions et rémunérations publiques, assortie de deux exceptions :

- d'une part, les pensions publiques sont imposables par l'État de résidence si leur bénéficiaire en possède la nationalité - portugaise, en l'espèce. Cette exception est prévue par le modèle de l'OCDE.

- d'autre part, les traitements et rémunérations d'activité sont également imposables par le Portugal si le bénéficiaire en possède la nationalité, mais à la condition qu'il ne possède pas la nationalité française .

En d'autres termes, la France a obtenu le droit, dérogatoire au modèle de l'OCDE, d'imposer à la source les fonctionnaires actifs binationaux résidant au Portugal .

Les parties ont également saisi l'occasion de cette négociation pour moderniser les dispositifs de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales , sur deux aspects :

- premièrement, la mise en conformité de l'article régissant les échanges d'informations (à la demande et automatiques) , étant précisé que la France et le Portugal sont déjà soumis à ces dispositions en vertu de leurs engagements multilatéraux et européens ;

- deuxièmement, l'introduction de deux clauses anti-abus générales , permettant de refuser le bénéfice de la convention fiscale lorsque le bénéficiaire n'est pas le « bénéficiaire effectif », ou lorsqu'il apparaît que l'opération a un objectif « principalement fiscal ».

Ces dispositions anti-abus, tout autant que la modernisation des règles applicables aux rémunérations et pensions publiques, constituent des modifications bienvenues à la convention fiscale de 1971, et justifient l'adoption de l'avenant.

Toutefois, une incertitude plane aujourd'hui sur l'ensemble des conventions fiscales signées par la France .

Le 7 juin dernier, les représentants de quelque 76 pays ont en effet signé la convention multilatérale de l'OCDE pour la mise en oeuvre des mesures du plan BEPS ( Base erosion and profit shifting ) de lutte contre l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices. Comme l'a expliqué Pascal Saint-Amans, directeur du Centre de politique et d'administration fiscales de l'OCDE, lors de son audition du 28 juin 2017 par la commission des finances, cet instrument vise à modifier en une seule fois les dispositions anti-abus de 1 105 conventions bilatérales existantes , dont la convention franco-portugaise.

Or, en l'absence de version consolidée de la convention disponible à ce jour, il est extrêmement difficile de mesurer précisément l'impact de l'instrument multilatéral . Par exemple, la France considère que la convention franco-portugaise de 1971 contient déjà une clause permettant d'éviter le contournement de la notion d'établissement stable telle que décrite à l'article 12 de l'instrument multilatéral, et n'émet aucune réserve sur l'application de cet article. Mais le Portugal, de son côté, se réserve le droit de ne pas l'appliquer dans son intégralité, et ne considère expressément aucune de ses conventions bilatérales comme déjà conformes.

Des divergences de ce type, très techniques, sont susceptibles d'apparaître sur d'autres points, et dans d'autres accords. Il apparaît donc indispensable qu'à l'avenir, une convention fiscale ne puisse pas être approuvée par le Parlement sans que celui-ci dispose d'une information claire et exhaustive sur ce que change l'instrument multilatéral . Il incombera le cas échéant au Gouvernement de fournir les informations qui ne seraient pas disponibles via les outils que prépare actuellement l'OCDE.

Une autre question relative à la fiscalité internationale se pose actuellement à la France et au Portugal, bien qu'elle ne soit pas traitée par le présent accord : celle des avantages fiscaux accordés par le Portugal aux bénéficiaires du statut de « résident non habituel » (RNH).

Institué en 2009, ce statut permet aux particuliers qui résident au Portugal plus de 183 jours par an, sans y avoir été résidents au cours des cinq années précédentes, de bénéficier, pendant une période de dix ans, d'une exonération totale d'impôt sur le revenu sur leurs revenus de source étrangère .

Initialement réservé à certains profils à haute valeur ajoutée - médecins, professeurs, artistes, avocats fiscalistes par exemple -, le statut de RNH a été étendu aux retraités du secteur privé à partir de 2013, faisant du Portugal une destination fiscalement très attractive . Cela n'a pas échappé à de nombreux retraités français, bien informés par maints reportages sur le sujet, et trouvant pour les aider une multitude d'intermédiaires et de sociétés de conseil.

En principe, un tel régime relève de la souveraineté fiscale du Portugal , qui en tant qu'État de résidence peut choisir d'exercer ou non son droit d'imposer. Il existe depuis longtemps un consensus international sur le sujet.

Mais, par deux décisions du 9 novembre 2015, le Conseil d'État a jugé que pour se voir reconnaître la qualité de résident fiscal d'un État, il ne fallait pas seulement être imposable dans cet État, mais y être effectivement imposé .

Portant en l'espèce sur des fonds de pension allemand et espagnol, exonérés dans leurs pays d'origine, ces décisions pourraient trouver à s'appliquer au cas du Portugal, mais aussi à d'autres États qui offrent des avantages similaires aux retraités, comme par exemple le Maroc. Elles pourraient, d'une manière générale, s'appliquer à de nombreux autres régimes fiscaux étrangers, depuis les exonérations accordées à certains foyers en raison de leur taille ou de leurs revenus, jusqu'aux avantages accordés par un pays à une entreprise en échange, par exemple, d'un investissement ou de la construction d'une infrastructure dans une zone isolée.

Il s'agit d'un sujet complexe, dont les conséquences dépassent largement le cadre du Portugal. Il a vocation à être apprécié au cas par cas, en conciliant deux principes : la lutte contre la concurrence fiscale déloyale d'une part, et le respect de la souveraineté fiscale des États d'autre part .

S'agissant du cas particulier du Portugal, et sous toutes réserves, il ne semble a priori pas opportun d'imposer rétroactivement les Français qui ont fait le choix de demander le statut de RNH au Portugal , ceux-ci l'ayant fait de bonne foi et en toute conformité les stipulations de la convention fiscale et le droit interne des deux États. Au demeurant, la fiscalité n'est peut-être pas toujours leur motivation principale : beaucoup de binationaux figurent parmi ceux qui ont choisi ce statut.

Néanmoins, le statut de RNH constitue une forme de concurrence fiscale offensive, d'ailleurs parfaitement assumée par le Portugal dans un contexte de difficultés économiques. Ce pays a également institué un « golden visa » accordant aux ressortissants d'un pays n'appartenant pas à l'espace Schengen un visa, un permis de travail et un permis de résidence, en échange d'un investissement immobilier de 500 000 euros.

Le régime des RNH a suscité des réactions de certains partenaires du Portugal. La Finlande ainsi a obtenu la négociation d'une nouvelle convention fiscale, qui met fin à ce statut pour les retraités finlandais qui s'installent au Portugal, et la Suède envisagerait de le faire.

À l'avenir, le maintien d'une imposition à taux zéro pendant dix ans pourrait donc devenir plus difficile à défendre . Des solutions conciliant la souveraineté fiscale des uns et les bases fiscales des autres pourraient toutefois être imaginées - par exemple un taux d'imposition réduit, sans pour autant être abusif.

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