PREMIÈRE PARTIE - ANALYSE DU CONTEXTE ET DES CRÉDITS DE LA MISSION
I. UNE MISSION TOUJOURS SOUS FORTE TENSION
1. Un niveau de dépenses largement déterminé par l'asile
Les dépenses de la mission « Immigration, asile et intégration » sont en réalité très concentrées sur l'asile (instruction et conditions matérielles d'accueil des demandeurs d'asile), puisque l'action 02 « Garantie de l'exercice du droit d'asile » du programme 303 « Immigration et asile » concentre à elle seule plus de 60 % des crédits de paiement demandés . En outre, l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii), dont les dépenses dépendent aussi du programme 104 « Intégration et accès à la nationalité française », concourt également aux missions relatives à l'asile (guichet unique d'accueil des demandeurs d'asile et d'information des demandeurs d'asile, gestion du plan « Migrants », gestion de l'allocation pour demandeurs d'asile (ADA), frais de transport et frais d'interprétariat pour les demandeurs d'asile, etc.).
Répartition des crédits de paiement demandés pour 2019
(en %)
Source : commission des finances
Ainsi, l'évolution de la demande d'asile (flux et stocks), ainsi que le temps de traitement des demandes, constituent le principal déterminant des dépenses de la mission.
2. Une mission ne représentant qu'une faible part de la dépense publique induite par l'immigration
Les dépenses de l'État induites par l'immigration ne se limitent pas à la mission « Immigration, asile et intégration ». Le coût estimé de la politique française de l'immigration et de l'intégration est de 5,8 milliards d'euros en 2018 et 6,2 milliards d'euros en 2019.
Part des crédits de paiement de la mission « Immigration, asile et intégration » par rapport à l'ensemble des crédits de la « Politique française de l'immigration et de l'intégration »
(en %)
Source : commission des finances
Ce coût est issu du document de politique transversale (DPT) « Politique française de l'immigration et de l'intégration » annexé au projet de loi de finances pour 2019, auquel contribuent 9 ministères, en plus du ministère de l'intérieur. Il ne prend en réalité en compte que les dépenses directes et orientées à titre principal vers les étrangers.
Par ailleurs, l'immigration suscite également des dépenses de la part des collectivités territoriales et des organismes de sécurité sociale, dont la comptabilité se heurte à d'importantes difficultés.
La comptabilité des collectivités territoriales ne permet pas d'établir le coût de l'immigration. Il n'est pas possible d'isoler les dépenses relatives aux mineurs étrangers parmi les mineurs non accompagnés. Selon les enquêtes annuelles menées auprès des départements par la Direction des statistiques (la DREES) du ministère chargé de l'action sociale 1 ( * ) , le coût de l'aide sociale à l'enfance (ASE) pour les départements a été en 2016 de 7,8 milliards d'euros, dont 6,1 milliards d'euros au titre de l'accueil des enfants, soit en établissements (4,0 milliards d'euros) soit en familles d'accueil (2,1 milliards d'euros) 2 ( * ) .
3. Une baisse de la demande d'asile au niveau européen qui ne devrait pas se répercuter sur la France dans l'immédiat
Après quatre années de baisse de la demande d'asile globale (mineurs accompagnants et réexamens inclus) entre 2004 et 2007, six années de hausse entre 2008 et 2013, une légère baisse en 2014 , une forte hausse de la demande d'asile s'est amorcée au troisième trimestre 2015 et s'est intensifiée au quatrième trimestre, conduisant à une hausse globale de 24 % pour l'année 2015. Ce phénomène s'est poursuivi tout au long de l'année 2016, mais dans une moindre mesure (+ 7 %) et s'est accéléré en 2017 (+ 17 %).
Cette accélération de la demande résulte pour l'essentiel du contexte de crise de l'asile que connaît l'Europe dans son ensemble depuis la mi-2015, la France étant toutefois moins touchée que d'autres États européens (Allemagne, Suède, Autriche, etc.). Sur l'ensemble de la période, entre 2007 et 2017, la demande de protection internationale en France a ainsi pratiquement triplé (+ 183 %).
Évolution de la demande d'asile en France
(en nombre de demandeurs)
* : prévision du ministère de l'intérieur
Source : commission des finances, d'après Eurostat et le ministère de l'intérieur
À l'issue du premier semestre 2018, la demande continue d'augmenter (+ 16,7 % par rapport au premier semestre de 2017), alors qu'elle tend à baisser au niveau de l'Union européenne (- 29 % par rapport au premier semestre 2017).
On observe, en France, une hausse de 15 % des premières demandes (mineurs accompagnants inclus), et de 37 % des demandes de réexamen. La part des seules premières demandes (hors mineurs accompagnants) dans la demande globale, de l'ordre de 70 % en 2013 et 2014, est depuis en augmentation : elle est désormais de l'ordre de 74 %, comme en 2017.
Le Gouvernement a construit le présent projet de loi de finances en suivant une hypothèse de croissance de 10 % de la demande d'asile en 2018, puis une stabilisation en 2019. Votre rapporteur spécial rappelle néanmoins que l'évolution de la demande d'asile fait l'objet d'une sous-évaluation chronique. Ainsi, en 2017, alors que seules 97 300 demandes avaient été prévues, 100 613 ont finalement été enregistrées.
Par ailleurs, la politique d'asile s'inscrit dans un cadre européen, qui pourrait également modifier à la hausse les dépenses induites par la demande d'asile.
Si, en 2017, seuls 650 000 primo-demandeurs d'asile ont introduit une demande de protection internationale dans les États membres de l'Union européenne (UE), leur nombre était deux fois plus élevé en 2016, quand 1 206 500 primo-demandeurs d'asile ont été enregistrés. L'année 2017 marque un net reflux des demandes, qui se rétablissent à un niveau comparable à celui enregistré en 2014, avant les pics de 2015 et 2016.
Les statistiques de la demande d'asile en France prennent en compte les demandes présentées auprès de l'Ofpra mais n'incluent pas les demandes d'asile relevant de la compétence d'un autre État membre en application du règlement « Dublin III » 3 ( * ) . Il s'agit de migrants arrivés en Europe en 2015, 2016 ou 2017 et qui, après avoir enregistré cette demande dans un premier pays européen, la réitèrent dans un autre État membre de l'Union européenne (UE). La procédure Dublin, qui vise à éviter la multiplication des demandes d'asile dans différents pays de l'UE qui garantissent des standards de protection aussi élevés que ceux en vigueur en France, connaît d'importantes difficultés de mise en oeuvre.
Malgré le reflux des demandes d'asile au niveau européen, la France continue de connaître un accroissement des demandes d'asile relevant de l'application de ce règlement. Elles étaient au nombre de 22 300 en 2016, 36 000 en 2017 et 19 400 sur le premier semestre 2018.
Évolution de la demande d'asile en France et dans l'UE (28)
(en nombre de demandeurs)
* : prévision effectuée sur la base du premier semestre 2018
Source : commission des finances, d'après Eurostat et le ministère de l'intérieur
Avec 198 300 primo-demandeurs enregistrés en 2017, l'Allemagne a reçu 31 % de l'ensemble des primo-demandeurs d'asile dans les États membres de l'UE. Suivaient l'Italie (126 600, soit 20%), la France (91 100, soit 14 %), la Grèce (57 000, soit 9 %), le Royaume-Uni (33 300, soit 5 %) et l'Espagne (30 400, soit 5 %).
4. Un nouveau cadre légal pour l'immigration, comprenant des conséquences pour le budget 2019
La loi pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie du 10 septembre 2018 4 ( * ) présente des enjeux financiers dans ses trois composantes.
En matière d' asile , la loi se donne tout particulièrement pour objectif d'amplifier la réduction des délais des procédures d'asile en dotant les acteurs de l'asile de nouveaux outils qui visent à atteindre une durée moyenne de six mois d'instruction des dossiers, recours juridictionnel compris. Ce volet est susceptible d'entrainer des économies de plusieurs manières :
- en permettant d'arrêter le versement du pécule aux personnes déjà hébergées par d'autres dispositifs que ceux supportés pas la mission « Immigration, asile et intégration », il pourrait permettre une économie de 4 millions d'euros ;
- en dématérialisant les notifications des décisions aux demandeurs d'asile (via, par exemple, un compte personnel usager dématérialisé), il pourrait permettre de réduire la durée de versement de l'allocation pour demandeur d'asile (ADA). Cette mesure pourrait permettre une économie de l'ordre de 2 millions d'euros ;
- le droit au maintien sur le territoire cessant dès la lecture en audience publique de la décision de la CNDA, une économie de 7,3 millions d'euros est attendue.
En matière d'intégration , l'article 48 de la loi précise et enrichit la description du contenu du contrat d'intégration républicaine (CIR).
C'est surtout en matière de lutte contre l'immigration irrégulière que les dépenses induites devraient connaître une hausse importante. L'article 16 de la loi augmente la durée de rétention légale maximale de 45 à 90 jours, ce qui devrait entrainer un accroissement de la durée moyenne de rétention. L'hypothèse moyenne retenue par le Gouvernement d'une hausse de 15 % de la durée de rétention pour un coût de 1,7 million d'euros apparait particulièrement conservatrice. Par ailleurs, l'augmentation du taux de remplissage des centres de rétention administrative devrait inciter le gouvernement à procéder à des créations de place, ce qui passe par une augmentation substantielle des crédits d'investissement de l'action « Lutte contre l'immigration irrégulière » du programme « Immigration et asile ».
* 1 DREES, enquêtes aide sociale.
* 2 Les données sur 2017 seront disponibles en janvier 2019.
* 3 Règlement (UE) n°604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.
* 4 Loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie.