B. LA POURSUITE DU REDRESSEMENT FINANCIER DE L'AGENCE NATIONALE DE LA RECHERCHE
1. Une augmentation des crédits destinée à relever le taux de succès pour les appels à projets
Depuis maintenant une quinzaine d'années, dans les pays industrialisés, les équipes de chercheurs doivent candidater à des appels à projets compétitifs pour obtenir les financements nécessaires au développement de leurs projets de recherche .
L'Agence nationale de la recherche (ANR) , créée en 2005, a précisément pour mission la mise en oeuvre du financement de la recherche sur projets dans notre pays , en répartissant les crédits d'intervention qui lui sont alloués par le programme 172 « Recherches scientifiques et technologique pluridisciplinaires » .
De 2010 à 2015, le budget global de l'ANR, qui avait atteint un point haut à 858 millions d'euros en 2008, est passé de 828 millions d'euros à 489 millions d'euros , soit une baisse de - 41 %, et les crédits d'intervention répartis sur appels à projets ont chuté de - 38 % , chutant de 629 millions d'euros en 2010 à 390 millions d'euros en 2015, année lors de laquelle le budget de l'ANR avait atteint un point bas .
Évolution du budget alloué par l'Agence
nationale de la recherche
aux projets de recherche entre 2005 et
2017
(en millions d'euros)
Source : commission des finances du Sénat, à partir des données de l'Agence nationale de la recherche
À cette diminution des crédits d'intervention de l'ANR sont venus s'ajouter les effets de la hausse considérable du nombre de projets présentés, résultant du passage en deux temps de la procédure d'évaluation en 2014 . La conjonction de ces deux éléments a entraîné une chute du taux de succès des appels à projets , qui a été divisé par deux entre 2012 et 2014, passant de 20,1 % à 10,6 % des projets soumis , comme le montre le graphique suivant.
Évolution du taux de sélection de
l'Agence nationale de la recherche
entre 2010 et 2017
(en %)
Source : commission des finances du Sénat, à partir des données de l'Agence nationale de la recherche
Cette évolution ayant constitué une source de découragement certaine pour de nombreux chercheurs, le Gouvernement a progressivement augmenté les crédits d'intervention de l'ANR à compter de 2016 , avec une accélération marquée en 2018, le nouveau président de la République ayant promis de redonner à l'ANR « des moyens comparables à ceux des meilleures agences de financement de la recherche chez nos partenaires européens 25 ( * ) ».
De fait, la loi de finances initiales pour 2018 a procédé à une augmentation significative des crédits de l'ANR , de l'ordre de 32,7 millions d'euros en AE (+ 4,6 %) et 133,9 millions d'euros en CP (+ 20,9 %).
Le présent projet de loi de finances s'inscrit dans la continuité de cette démarche en prévoyant de porter la capacité d'engagement de l'Agence à 205,4 millions d'euros, soit une augmentation de 33 millions d'euros (+ 4,5 %), tandis que les crédits de paiement bénéficieraient d'une hausse encore plus significative de 86,2 millions d'euros (+ 11,1 %).
Ce rattrapage en CP devrait permettre d'honorer les versements de l'année liés à la hausse des engagements en 2016 et 2017 , mais aussi d'apurer le stock de projets plus anciens . En effet, les CP votés ayant fait l'objet d'une moindre budgétisation au cours des dernières années, la mise en oeuvre de plusieurs projets a pu avoir tendance à s'étioler. Depuis 2018, le Gouvernement entreprend de resserrer l'écart entre les AE et les CP.
Au total, entre 2017 et 2019, les moyens de l'ANR augmenteraient de 85 millions d'euros en AE (+ 12,4 %) et 245 millions d'euros en CP (+ 39,8 %) pour atteindre 769 millions d'euros en AE et 860 millions d'euros en CP .
Cet effort budgétaire bienvenu devrait permettre à l'ANR de retrouver un niveau de crédits comparable à celui de 2010 et de renouer avec un taux de succès plus acceptable , de l'ordre de 14,9 % en 2017.
Évolution des crédits de l'ANR entre 2010 et 2019
(en millions d'euros)
Source : commission des finances, à partir des rapports annuels de performance pour les années 2010 à 2017 et des projets annuels de performance pour 2018 et 2019
Cette rebudgétisation devrait se poursuivre dans les années à venir , conformément aux prévisions de la loi de programmation des finances publiques 2018-2022 26 ( * ) . Sur le quinquennat, la trajectoire prévoit en effet d'augmenter le budget de l'ANR de manière à porter le taux de succès à 20 %.
Notre ancien collègue Michel Berson appelait de ses voeux ce redressement financier dans son rapport « L'Agence nationale de la recherche : une ambition à retrouver pour le financement de la recherche sur projets » 27 ( * ) présenté devant votre commission des finances le 26 juillet 2017. Il estimait ainsi « qu'il serait indispensable de permettre à l'ANR de retrouver d'ici 2020, au plus tard, son niveau de crédits d'intervention répartis par appels à projets de 2009 , soit 650 millions d'euros , ce qui correspondrait à environ 850 millions d'euros de crédits d'intervention et à un budget total de 880 millions d'euros » .
Votre rapporteur spécial se félicite que le projet de loi de finances pour 2019 suive à la lettre ces recommandations , avec un budget total de 860 millions d'euros en CP pour l'ANR.
La sanctuarisation des crédits de l'ANR s'accompagne, par ailleurs, d'une refonte bienvenue de son plan d'action , destinée à simplifier les démarches pour les chercheurs et renforcer la transparence des processus de sélection.
La refonte du plan d'action de l'ANR en 2018 Des évolutions majeures ont été apportées à partir de l'édition 2018 du plan d'action annuel, dans l'objectif de simplifier et rendre plus lisible l'action de l'agence, mais aussi de renforcer la confiance des communautés scientifiques envers l'action et les processus de l'ANR. Les principaux changements sont : - le renforcement de la lisibilité du plan d'action annuel , qui se compose désormais d'un document synthétique de 35 pages et d'un document scientifique de référence ; - la redéfinition des composantes du plan d'action : les composantes « défis de société » et « aux frontières de la recherche » disparaissent au profit d'une composante intitulée « recherche et innovation » intégralement dédiée à l'appel générique ; les trois autres composantes regroupent des appels et instruments plus spécifiques (liés à l'international ou à la compétitivité notamment) ; - le point d'entrée de l'appel générique est désormais disciplinaire ou interdisciplinaire (selon les comités d'évaluation) ; - le renforcement de la transparence du processus de sélection des projets ; - la simplification des procédures de soumission et de sélection ; - l'introduction de mécanismes de régulation de la soumission (avec notamment la limitation du nombre de projets qu'un même porteur peut déposer chaque année) ; - l'amélioration de la communication autour de la programmation de l'agence (présentation aux communautés scientifiques et aux organismes du plan d'action et des appels à projets) ; - l'application des principes et valeurs qui accompagnent le soutien public à la recherche et à l'innovation (intégrité scientifique, genre, science ouverte, protocole de Nagoya). Ces dispositions sont maintenues et renforcées dans le cadre du plan d'action 2019 de l'ANR. |
2. La persistance de certains freins au développement de la recherche sur projets
Ces efforts indispensables, s'ils méritent d'être salués, sont cependant insuffisants et doivent être poursuivis . Avec un taux d'échec de 85 % des projets présentés, le rapport entre les charges administratives incompressibles et les financements espérés demeure très défavorable , entrainant une démotivation légitime des équipes scientifiques.
Votre rapporteur spécial tient en effet à souligner que les chercheurs et enseignants chercheurs consacrent une part non négligeable de leur temps à l'élaboration de dossiers de candidatures , et ce au détriment de leurs activités de recherche. Or, faute de financements adéquats, d'excellents projets ayant reçu des appréciations très positives sont rejetés par l'ANR .
Il apparait d'autant plus fondé d'augmenter le taux de succès des appels à projets en France que ce dernier demeure très inférieur aux taux de sélection enregistrés dans les autres pays de l'Union européenne , variant de 40 % pour le Fonds national suisse (FNS) à 35 % pour la Fondation allemande pour la recherche (DFG), pour une moyenne européenne de 24 %.
Pour parvenir à un taux de succès comparable, l'ANR devrait bénéficier, a minima , d'un budget global d'un milliard d'euros .
Cependant, à budget constant, la priorité donnée à l'ANR entraîne une diminution des crédits alloués aux organismes de recherche (voir infra ). De surcroît, le choix de privilégier les financements sur appels à projets se traduit d'ores et déjà par une diminution des crédits des autres dispositifs d'intervention , tels que le préciput , les transferts à l'INCa dans le cadre du plan cancer ou les dispositifs Carnot (- 11 % entre 2016 et 2017).
Or, la faiblesse du préciput est une exception française , comme le démontrait notre ancien collègue Michel Berson dans un rapport intitulé « L'Agence nationale de la recherche : une ambition à retrouver pour le financement de la recherche sur projets 28 ( * ) » déposé en 2017. Mécanisme financier dont le but est d'encourager les organismes de recherche à se porter candidats à des appels à projets compétitifs, le préciput consiste à réserver systématiquement une partie des crédits obtenus par une équipe de chercheurs au financement des frais de fonctionnement de l'organisme qui abritera leurs recherches .
Le préciput est ainsi censé permettre aux établissements bénéficiaires d'amplifier le cercle vertueux qui leur a permis de faire émerger et de soutenir des projets scientifiques de haut niveau.
Or, le rapport d'information de l'Assemblée nationale sur le financement publique de la recherche dans les universités de juillet 2018 29 ( * ) souligne que « la particularité en France repose sur la mise en place au niveau de l'ANR de deux mécanismes distincts pour prendre en charge les coûts indirects des établissements publics » :
- pour les établissements gestionnaires des contrats, les frais d'environnement sont pris en compte dans le cadre d'un forfait global de 8 %, sans besoin de justification (taux de 4 % initialement, porté à 8 % en 2015) ;
- l'établissement hébergeur reçoit également, en application de l'article L. 329-5 du code de la recherche, un préciput à hauteur de 11 % des aides attribuées (taux initialement de 5 %, porté à 11 % en 2008).
La participation aux frais de fonctionnement pour les organismes d'accueil présente ainsi deux inconvénients majeurs. D'une part, dans la majorité des cas, le montant du préciput versé par l'ANR ne couvre pas l'intégralité des frais pris en charge. D'autre part, le versement du préciput obéit à des règles complexes, manquant singulièrement de clarté .
Si des évolutions récentes relatives au préciput ont été apportées par l'agence dans le cadre de sa démarche de simplification - avec notamment la suppression du compte rendu annuel d'utilisation du préciput - ce mécanisme reste donc perfectible.
La plupart des pays européens appliquent ainsi un taux forfaitaire de 20 % , tandis que les programmes européens prévoient un préciput de 25 %, un ratio conforme aux meilleures pratiques internationales.
Si votre rapporteur spécial, conscient de la contrainte budgétaire actuelle, ne plaide pas pour un relèvement pur et simple du taux du préciput, il estime que rien ne s'opposerait, à court terme, à une simplification de la prise en charge des coûts indirects.
* 25 Réponse à un questionnaire adressé par une centaine de personnalités scientifiques à Emmanuel Macron.
* 26 LOI n° 2018-32 du 22 janvier 2018 de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022.
* 27 Ibid.
* 28 Michel Berson, « L'Agence nationale de la recherche : une ambition à retrouver pour le financement de la recherche sur projets », Rapport d'information n° 684 (2016-2017) fait au nom de la commission des finances, déposé le 26 juillet 2017
* 29 Mme Danièle HÉRIN, M. Patrick HETZEL, Mme Amélie de MONTCHALIN, rapport d'information en conclusion des travaux de la Mission d'évaluation et de contrôle (MEC) sur l'évaluation du financement public de la recherche dans les universités.