LES MODIFICATIONS APPORTÉES PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE
En première délibération, l'Assemblée nationale a adopté sans modification les crédits de la mission et du compte de concours financiers. En seconde délibération, à l'initiative du Gouvernement, nos collègues députés ont minoré les crédits de la mission de 12,6 millions d'euros .
Plus précisément, le Gouvernement a minoré la quasi-totalité des missions afin de « tenir compte des votes intervenus dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances ». Sur la présente mission, il a réduit de 4,3 millions d'euros le programme 110 « Aide économique et financière au développement » et de 8,3 millions d'euros le programme 209 « Solidarité à l'égard des pays en développement ».
EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 7 novembre 2018, sous la présidence de M. Vincent Éblé, président, la commission a procédé à l'examen du rapport de MM. Yvon Collin et Jean-Claude Requier, rapporteurs spéciaux, sur la mission « Aide publique au développement » et le compte de concours financiers « Prêts à des États étrangers ».
M. Vincent Éblé , président . - Nous examinons à présent le rapport conjoint des rapporteurs spéciaux Yvon Collin et Jean-Claude Requier sur la mission « Aide publique au développement » et le compte de concours financier « Prêts à des États étrangers ». Ils en profiteront pour nous livrer le compte rendu de leur déplacement à Washington et à New-York dans le cadre du contrôle budgétaire sur le système multilatéral de l'aide publique au développement. Je salue la présence parmi nous de nos collègues rapporteurs pour avis de la commission des affaires étrangères et de la défense Jean-Pierre Vial et Marie-Françoise Pérol-Dumont.
M. Yvon Collin , rapporteur spécial . - Nous allons vous présenter successivement les crédits de la mission pour 2019, puis un compte rendu de notre déplacement à New-York et Washington en juin dernier.
L'exercice 2019 constitue une année charnière pour notre politique d'aide publique au développement (APD) : les décisions prises cette année détermineront si notre pays respectera l'objectif posé par le président de la République d'une aide représentant 0,55 % de notre revenu national brut (RNB) en 2022. En effet, étant donné le décalage entre l'engagement des crédits et leur décaissement, qui dépend de la mise en oeuvre concrète des projets, le niveau de l'APD de la France en 2022 dépend en grande partie du niveau des engagements de 2019. C'est donc à l'aune de cet objectif que nous avons analysé la présente mission, en nous demandant si les moyens engagés nous placent sur la bonne trajectoire, en attendant la loi de programmation qui devrait être discutée en 2019 et qui détaillera les moyens consacrés à cette politique dans les années à venir.
M. Jean-Claude Requier . - Un mot d'abord sur l'évolution de l'effort financier en faveur du développement. Les circuits de financement de l'aide publique au développement connaissent cette année des évolutions significatives : d'une part, la part de taxe sur les transactions financières (TTF) affectée au développement est rebudgétisée, d'autre part, une ressource importante qu'accordait l'État à l'AFD sous forme de prêt est remplacée par des crédits budgétaires supplémentaires, à la suite de sa requalification comptable par Eurostat et l'Insee. Je ne rentre pas dans les détails techniques que vous retrouverez dans le rapport, mais je souligne que la comparaison des crédits 2018 et 2019, à périmètre courant, n'a pas de sens.
J'ajoute que la rebudgétisation de la TTF a été fortement critiquée par certaines organisations non gouvernementales (ONG) et peut-être avez-vous été sollicités pour signer des pétitions. Nous ne partageons pas cette vision qui se focalise sur l'outil financier - la TTF - plutôt que sur le niveau global des ressources.
En définitive, nous vous présentons l'évolution à périmètre constant des crédits, qui montre un effort substantiel, en autorisations d'engagements du moins. Au total, les autorisations d'engagement (AE) augmentent de 1,4 milliard d'euros par rapport à 2018. L'effort est moindre en crédits de paiement (CP), qui augmentent de 127 millions d'euros sur l'ensemble de la mission. Il est normal de constater un écart significatif entre les AE et les CP, étant donné le temps de mise en oeuvre des projets, et le plus important est de pouvoir engager de nouveaux projets dès 2019. Mais concrètement, une grande partie de l'effort financier est en fait reporté aux années ultérieures.
M. Yvon Collin , rapporteur spécial . - La France est toujours distancée par ses voisins. Cet effort financier est d'autant plus utile que nous ne respectons toujours pas nos engagements internationaux. Notre aide a fortement progressé - de 15 % en 2017 - et atteint 0,43 % de notre RNB, mais nous restons distancés par l'Allemagne et le Royaume-Uni, dont l'aide représente respectivement le double et 60 % de plus que la nôtre. Cet écart s'explique notamment par le niveau des dons bilatéraux, trois fois supérieurs chez nos voisins.
Il nous semble cependant que nous sommes sur la bonne voie pour atteindre l'objectif, bien que le budget 2019 n'apporte pas toutes les réponses attendues. Le comité interministériel de la coopération internationale et du développement (Cicid) a défini en février dernier une trajectoire en pourcentage du RNB, mais sans la traduire budgétairement. Notre APD devrait augmenter en 2022 de 5 milliards d'euros par rapport à 2017, sans que cela signifie qu'il faille réaliser un effort financier de cet ordre, compte tenu de l'effet de levier des prêts.
Malgré nos demandes, nous n'avons pas obtenu plus de précisions sur le montant des crédits budgétaires qui seront nécessaires. Cette trajectoire sera définie - ou du moins il faudra y veiller - dans la future loi de programmation de l'aide publique au développement, qui devrait être examinée au Parlement au premier semestre 2019. Nous avons pu obtenir tout de même des éléments sur la montée en charge des engagements de l'AFD - nous y reviendrons dans un instant.
Malgré certains points à préciser, nous constatons suffisamment d'éléments positifs, qui nous permettent d'accorder une confiance vigilante au Gouvernement, et de considérer que nous sommes sur la bonne voie pour atteindre l'objectif. En effet, ce budget traduit une hausse inédite des moyens financiers. En outre, nous observons un engagement personnel du président de la République sur ce sujet, qu'il aborde régulièrement lors de ses déplacements et qui s'est illustré dans la création d'un « Conseil du développement » qu'il préside directement. Dix ans après le départ de Jacques Chirac, nous avons à nouveau un président passionné par le développement et conscient de son importance.
M. Jean-Claude Requier . - J'en viens aux moyens dont disposera l'AFD en 2019, qui vont considérablement augmenter.
S'agissant des dons, elle disposera de près d'un milliard d'euros supplémentaires en autorisations d'engagement. En crédits de paiement, en revanche, l'augmentation n'est que de 68 millions d'euros. On observe à nouveau ce décalage entre AE et CP qui confirme que le gros de l'effort financier est à venir. Ce milliard d'AE supplémentaires sera décaissé sur 13 années.
Concernant les prêts, l'AFD bénéficiera de 500 millions d'euros supplémentaires de crédits de bonification, qui devraient lui permettre d'accorder 1,5 milliard d'engagements supplémentaires.
Par ailleurs, l'augmentation de l'activité de l'agence remet à l'ordre du jour un sujet régulièrement abordé devant cette commission : le niveau des fonds propres de l'agence.
Comme vous le savez, l'AFD est une société de financement soumise au respect des ratios prudentiels qui peuvent l'empêcher de prêter à certains États où son exposition a déjà atteint la limite. C'est le cas par exemple au Maroc, en Colombie ou au Brésil.
Plusieurs mesures sont envisagées. D'une part, l'État accorderait une garantie explicite à l'AFD sur certaines contreparties souveraines afin qu'elle ne soit plus bloquée, cela dès 2019. Un amendement en ce sens pourrait être présenté dans les jours qui viennent. D'autre part, à compter de 2020, il faudra envisager un renforcement de ses fonds propres.
Enfin, une des conditions essentielles de l'atteinte de l'objectif réside dans la capacité de l'AFD à absorber cette hausse de son activité. D'après les informations que nous avons recueillies, pour respecter l'objectif de 0,55 % en 2022, il faudra, à cette date, que les engagements de l'agence s'élèvent à 17,6 milliards d'euros, soit une multiplication par deux en six ans. Demander à un opérateur de multiplier par deux son activité en aussi peu de temps n'est pas anodin...
Une dernière remarque, qui fera le lien avec l'article rattaché et le rapport de contrôle que nous vous présenterons dans un instant.
Le budget 2019 met l'accent sur la hausse de notre aide bilatérale, à travers les ressources de l'AFD. En effet, le Cicid a décidé que l'aide bilatérale bénéficiera des deux tiers de l'augmentation des crédits d'ici à 2022. Cette priorité est logique, dans la mesure où l'aide bilatérale est plus longue à mettre en oeuvre. Nous soulignons cependant la nécessité de ne pas négliger notre aide multilatérale, dans un monde où le multilatéralisme est fortement contesté.
Pour l'ensemble de ces raisons, nous vous invitons à proposer au Sénat d'adopter les crédits de la mission et du compte de concours financiers.
M. Yvon Collin , rapporteur spécial . - L'article 72 autorise à souscrire à l'augmentation de capital de la Banque internationale pour la reconstruction et le développement et de la Société financière internationale. Ces deux institutions multilatérales appartiennent au groupe Banque mondiale. La première intervient auprès des pays à revenu intermédiaire et dans des pays plus pauvres, à condition qu'ils soient solvables ; la seconde intervient pour sa part dans les pays en développement, mais exclusivement auprès du secteur privé.
Cette souscription correspond à un coût total de 464 millions d'euros en AE, retracées sur le compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État », et de 93 millions d'euros en CP par an entre 2019 et 2023.
Nous vous proposons d'adopter cet article, dans la mesure où l'augmentation de capital s'accompagne d'évolutions au sein de la Banque mondiale conformes aux souhaits de la France, y compris en ce qui concerne sa gestion, et qu'il permettra de maintenir la place de notre pays au sein de l'actionnariat de cette institution.
M. Jean-Pierre Vial , rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères. - On ne peut que se féliciter des engagements du Président de la République sur les trois points suivants : augmenter les moyens de l'APD ; réorienter la politique d'aide vers l'Afrique ; rendre plus efficaces les actions. De même, on peut se féliciter de l'idée de mettre en place un conseil de développement. Reste à savoir si la trajectoire sera respectée.
La Cour des comptes s'est intéressée à l'AFD sur les années 2010 à 2015 : la future loi de programmation, qui devrait être examinée en 2019 et sur laquelle la commission des affaires étrangères a longuement débattu, devra être l'occasion d'approfondir les points de vigilance que soulèvent les magistrats dans leur rapport.
Par ailleurs, les conclusions du rapport remis par le député Hervé Berville au Président de la République vont dans le sens de certaines remarques formulées par la Cour des comptes. Par exemple, celui-ci rappelle qu'une organisation non gouvernementale (ONG) classe la France au 35 e rang sur 42 en matière de transparence de l'aide.
Nous espérons que nous obtiendrons de la part de l'AFD des précisions. Par ailleurs, on peut s'interroger sur la volonté d'augmenter l'aide au développement alors même que le budget consacré à la francophonie baisse, même si ces crédits ne sont pas retracés par la présente mission.
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont , rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères . - Je souscris aux remarques de Jean-Pierre Vial. J'ajoute qu'il faut redonner toute sa place au politique et que l'AFD doit rester un outil au service de la politique gouvernementale. Les agences ne doivent pas se substituer à cette ligne, sous la surveillance du Parlement. Le Président de la République a d'ailleurs appelé, à Versailles, les parlementaires à exercer leur contrôle, qui doit être accru. La culture d'évaluation n'est pas assez prégnante si l'on établit des comparaisons avec d'autres pays.
Enfin, si certains groupes, dont le mien, se sont abstenus sur ces crédits, c'est en raison des incertitudes qui pèsent sur la TTF.
M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Je proteste contre l'écrêtement de la taxe de solidarité sur les billets d'avion, la fameuse taxe Chirac, plafonnée à 210 millions d'euros, le surplus allant au budget annexe « Contrôle et exploitation aériens » (BA CEA). Si le reliquat ne bénéficie pas au développement, cela veut dire que les passagers paient trop cher leurs billets d'avion ! Les billets d'avion supportent déjà un nombre considérable de taxes. Ce n'est pas la taxe en elle-même qui me choque et encore moins l'affectation de son produit ; ce qui me choque, c'est son écrêtement. Soit on la diminue, soit on donne plus à l'aide au développement !
Par ailleurs, la Chine fait-elle toujours partie des bénéficiaires de prêts français ? Je ne suis pas certain qu'elle en ait vraiment besoin.
M. Yvon Collin , rapporteur spécial . - L'AFD gagne de l'argent sur ses prêts à la Chine.
M. Jérôme Bascher . - Les agences comme l'AFD ont eu leur raison d'être à un moment donné ; or elles deviennent des agences autonomes. Lorsque Brice Hortefeux est devenu ministre de l'immigration, de l'identité nationale et du codéveloppement, il avait insisté pour rattacher à son ministère l'aide au développement afin de faire porter les efforts sur les pays d'émigration vers la France - une immigration subie. C'est à cela qu'il faut revenir. Cessons de prêter à l'Argentine, au Brésil : la Banque mondiale ou la BIRD le font très bien. Recentrons nos aides là où elles sont utiles.
M. Roger Karoutchi . - En effet, si on engage une autre politique migratoire, si on lance un plan Marshall pour l'Afrique, alors il faut donner des signes sur ce que serait ce plan, idéalement européen.
J'ai interpellé à plusieurs reprises le ministère sur le positionnement de l'AFD, sans avoir obtenu de réponse. En particulier, avec le député La République En Marche (LREM) Adrien Morenas, suppléant de Brune Poirson, nous avons demandé pourquoi l'agence soutenait l'université d'été solidaire et rebelle des mouvements sociaux et citoyens, qui s'est tenue à Grenoble, avec le mouvement boycott, désinvestissement et sanctions (BDS). Je ne suis pas convaincu que cela fasse partie de sa mission d'aide au développement. Nous n'avons pas eu de réponse. Davantage de crédits, d'accord, mais pour le développement.
M. Philippe Adnot . - Les aides sont-elles dispensées en toute innocence ou, comme les autres pays, en attend-on un retour ?
M. Philippe Dallier . - Je m'associe aux propos de Roger Karoutchi : le BDS promeut illégalement le boycott d'Israël en France.
Gérard Larcher recevait ce matin le nouveau président du Sénat de la Côte-d'Ivoire - ils ont notamment parlé de l'aide au développement. Celui-ci regrettait un manque de coordination avec les actions menées par les collectivités locales au titre de l'aide décentralisée et par l'Union européenne et soulignait qu'on pourrait gagner en efficacité en ciblant mieux nos interventions.
M. Pascal Savoldelli . - Je m'exprime en particulier avec mon expérience de président d'une fondation et, jusque récemment, de président d'une société d'aménagement.
J'entends les griefs et les questions. Je partage celles qui sont relatives aux évaluations. Toutefois, il faut relativiser. L'AFD permet de construire à l'étranger de vrais partenariats entre le public et le privé. Certaines critiques sont probablement fondées, mais former des ingénieurs et des techniciens dans le domaine de l'eau dans un pays qui ne dispose pas de ressources en eaux douces, par exemple les Comores, c'est utile. De même, intervenir au Mali n'est pas sans conséquence pour un département qui compte une très forte communauté malienne. Au-delà de l'exercice comptable, il faut aussi avoir à l'esprit la cohésion dans nos territoires et l'image de la France à l'étranger.
M. Jean-Claude Requier , rapporteur spécial . - Les rapporteurs spéciaux de cette mission ne siègent plus au conseil d'administration de l'AFD de manière à mieux exercer leur mission de contrôle.
J'indique au rapporteur général que l'AFD intervient dans certains pays aux conditions du marché, à savoir sans un euro de l'État. Par exemple, en Amérique du Sud, elle gagne 25 millions d'euros par an qu'elle peut réinvestir ailleurs.
Jérôme Bascher et Roger Karoutchi, recentrer notre aide sur les pays d'émigration n'est pas forcément nécessaire puisque les investissements dans les pays émergents ne modifient en rien notre capacité à intervenir dans les pays les plus pauvres.
M. Yvon Collin , rapporteur spécial . - J'ajoute que l'AFD est placée sous le contrôle du Gouvernement. C'est un très bel outil de diplomatie d'influence dans les pays dans lesquels elle intervient, mais trop méconnu, comme le montrent les critiques entendues autour de cette table.
Chaque année, on nous demande ce qu'on va faire en Chine ou en Amérique du Sud, sachant que, par esprit gaullien, il faudrait n'intervenir qu'en Afrique. Je rappelle que c'est toujours le cas puisque la quasi-totalité des 17 pays prioritaires, qui bénéficient de dons en raison de leur incapacité à rembourser les emprunts, se situent sur ce continent. Dans les autres pays, nous vendons de l'ingénierie et faisons indirectement la promotion de nos entreprises. Certes, les aides sont déliées, conformément aux règles de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), mais nous ne sommes pas naïfs. Ainsi, c'est une entreprise française qui a réalisé le métro-câble de Medellin, en Colombie, l'AFD étant à l'origine du projet. Dans ce pays, l'Agence se finance entièrement par le bénéfice qu'elle retire des prêts qu'elle y consent.
Comme l'a dit Jean-Pierre Vial, il faut rester vigilant. C'est ainsi que nous essayons de contrôler chaque année une ou deux agences de l'AFD. Nous constatons bien souvent qu'elles mènent des actions efficaces et innovantes, donnant une bonne image de notre pays.
En ce qui concerne l'université d'été solidaire et rebelle des mouvements sociaux et citoyens de Grenoble, je n'ai pas d'information.
M. Jean-Claude Requier , rapporteur spécial . - La coordination des acteurs est un vrai sujet, même si elle existe au niveau européen. Mais elle peut être améliorée. Chaque État ayant tendance à tirer la couverture, nous sommes parfois en concurrence.
M. Yvon Collin , rapporteur spécial . - En ce qui concerne la taxe sur les transactions financières, sa part consacrée au développement est rebudgétisée. Mais au final, le compte y est, puisque l'effort cette année est plus important que l'année dernière.
À l'issue de ce débat, la commission décide de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, des crédits de la mission « Aide publique au développement », de l'article 72 rattaché à la mission et du compte de concours financiers « Prêts à des États étrangers ».
M. Yvon Collin , rapporteur spécial . - Nous complétons la présentation des crédits budgétaires pour 2019 par un compte rendu de notre déplacement de juin dernier à New York et à Washington, dans le cadre de notre contrôle sur le système multilatéral de l'aide publique au développement. La destination de ce déplacement peut surprendre, s'agissant d'aide publique au développement, mais elle nous semblait pertinente pour appréhender l'aide multilatérale française et pour comprendre les grandes évolutions de la politique d'aide publique au développement.
En effet, nous voyons souvent l'aide publique au développement au travers de sa composante bilatérale, notamment celle des concours financiers accordés par l'AFD à des pays en développement. N'oublions pas cependant que l'aide transitant par des organisations multilatérales représente plus de 40 % de notre APD totale. En excluant l'aide transitant par l'Union européenne, 80 % de cette aide multilatérale transite par des organisations sises à New York ou à Washington.
Par ailleurs, ces organisations mènent des réflexions sur l'avenir de la politique d'aide publique au développement (APD) qui dépassent le cadre de l'aide multilatérale et qui peuvent inspirer notre politique bilatérale.
Enfin, nous avons profité de notre présence dans la capitale des États-Unis pour nous intéresser également aux évolutions de l'aide américaine, un an et demi après l'arrivée au pouvoir de Donald Trump.
M. Jean-Claude Requier , rapporteur spécial . - Je commencerai par dresser un tableau succinct de l'aide multilatérale, sans trop entrer dans le détail des chiffres, qui figurent dans le rapport d'information ayant vocation à être publié. L'aide multilatérale représente, globalement, plus d'un quart de l'APD totale et bénéficie à plus de deux cents agences multilatérales. Plus précisément, cette aide passe, pour l'essentiel, par l'Organisation des Nations unies et ses différents fonds et comités, par l'Union européenne, au travers de son budget propre et du Fonds européen de développement, et enfin par le groupe Banque mondiale et les différentes banques régionales de développement.
La part de l'aide multilatérale dans l'aide de chaque pays est très variable. Elle ne dépasse pas 20 % aux États-Unis, en Allemagne et au Japon. Au Royaume-Uni et en France, cette part est comprise entre un tiers et 40 %. Ces chiffres illustrent un rapport différent aux institutions multilatérales. L'un des grands avantages des institutions multilatérales est que leur aide est particulièrement concentrée sur les pays les moins avancés (PMA), où il est plus difficile d'intervenir. Ainsi, en 2013, ces pays bénéficiaient de 45 % de l'aide multilatérale ; en comparaison, cette part n'est que de 29 % pour l'aide totale de la France - si l'on examinait uniquement notre aide bilatérale, cette part serait bien entendu encore plus faible.
Enfin, l'aide multilatérale française s'élevait en 2017 à 4,8 milliards de dollars ; elle est constituée pour plus de la moitié par l'aide communautaire. Le groupe Banque mondiale et les banques régionales de développement représentent 20 % de cette aide et les contributions au système onusien environ 15 %.
M. Yvon Collin , rapporteur spécial . - L'aide multilatérale est traditionnellement à la fois moins connue et plus critiquée que l'aide bilatérale, y compris par les parlementaires. En effet, elle offre, sur le terrain, moins de visibilité à la France et, si nous participons à la prise de décision, nous ne la maîtrisons pas totalement, si bien que les financements accordés peuvent ne pas correspondre à nos priorités. Toutefois, nous sommes revenus convaincus de l'importance de cet outil, qu'il ne faudra pas négliger dans le mouvement actuel d'augmentation de notre aide.
Le hasard du calendrier nous a menés aux États-Unis au moment où avait lieu le G7 au Canada, que certains ont qualifié de « G6 + 1 » tant l'unilatéralisme américain s'y est illustré. Cette crise du multilatéralisme a été omniprésente dans nos entretiens. Les institutions multilatérales mises en place après la Seconde Guerre mondiale sont de plus en plus contestées, tant par des États qui l'ont toujours fait - la Russie, la Chine - que, désormais, par les États-Unis, qui les ont pourtant largement mises en place.
Les Américains se placent en retrait : ils ont ainsi déjà supprimé plusieurs contributions importantes, par exemple au Programme des Nations unies pour le développement (PNUD). Parfois, ils s'opposent même directement à nos valeurs où à nos intérêts. Il est ainsi devenu extrêmement difficile de parler d'environnement ou de commerce international avec eux. Dans ce contexte, on observe également que la Chine essaie d'occuper le vide laissé par les Américains, en particulier sur les financements relatifs au climat. Il en résulte une attente particulière à l'égard de la France : nous pouvons devenir les champions du multilatéralisme.
Cela dit, il est difficile de répondre à cette attente sans moyens financiers. Notre siège permanent au Conseil de sécurité des Nations unies, notre expertise en matière de maintien de la paix, la francophonie et le succès de la COP 21 sont autant d'atouts pour la France, mais le niveau de nos contributions volontaires est parfois ridiculement bas.
Nous sommes ainsi le trente-sixième contributeur au PNUD, pour ce qui concerne les contributions volontaires. De façon générale, nous sommes souvent classés entre la dixième et la vingtième place, quand nos voisins Britanniques se situent autour de la cinquième place. De même, à la Banque mondiale, nous sommes largement distancés par le Royaume-Uni, l'Allemagne, le Japon ou encore les pays nordiques en matière de contributions volontaires.
Une stratégie efficace consiste à investir massivement sur quelques fonds. C'est par exemple le cas sur le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, dont la France est le deuxième contributeur après les États-Unis. Néanmoins, si nous voulons être les champions du multilatéralisme, il nous faut accroître ces moyens, et sachez que la hausse annoncée de notre APD est très attendue à New York et à Washington.
J'ajoute qu'il ne faut pas sous-estimer notre capacité à défendre nos intérêts dans le système multilatéral et en particulier à promouvoir nos priorités sectorielles. Par exemple, avant la COP 21, la France a obtenu que 30 % des financements de la Banque mondiale soient consacrés à des sujets climatiques, ce qui a facilité la négociation du volet financier des accords de Paris.
De même, les institutions multilatérales peuvent venir renforcer notre aide bilatérale : par exemple, le Fonds vert pour le climat a annoncé, voilà quelques jours, qu'il contribuerait à hauteur de 280 millions de dollars à un programme de l'AFD.
En définitive, nous considérons que l'état actuel du monde nous donne encore plus de responsabilités dans la défense du système multilatéral dans son ensemble, et donc également dans la défense des institutions de développement. Cette responsabilité implique un effort financier, qui pourra être mis en oeuvre dans les années qui viennent. Le projet de loi de finances pour 2019 met l'accent sur la hausse de l'aide bilatérale, mais il ne faudra pas oublier cette deuxième jambe de notre politique de solidarité.
M. Jean-Claude Requier , r apporteur spécial . - Quelques mots également sur la mise en oeuvre du programme d'Addis-Abeba, souvent abordé au cours de nos entretiens. Ce programme constitue un nouveau cadre conceptuel pour le financement du développement. Il invite notamment à prendre en compte l'ensemble des flux financiers, et non pas seulement l'aide publique au développement. L'enjeu financier est en effet trop important - plusieurs milliers de milliards de dollars - pour que l'APD suffise.
Il faut donc mobiliser les investissements privés et étudier la façon dont l'aide publique peut les faciliter. De même, il est nécessaire d'aider les pays en développement à mobiliser leurs ressources internes et notamment à utiliser le levier fiscal. Cette philosophie se retrouve par exemple dans le recours aux mécanismes innovants - obligations vertes, obligations vaccinations, ou encore taxes dédiées au développement. De même, la combinaison entre aide publique et investissements privés, et l'association de prêts et de dons vont dans ce sens. La Banque mondiale a par exemple mis en place des obligations « ODD », pour objectifs de développement durable, qui ont permis de lever 165 millions d'euros auprès d'investisseurs privés.
Enfin, nous vous présentons quelques éléments sur l'aide américaine. Les États-Unis sont le premier pays donneur en valeur absolue, mais ils sont seulement au vingt-deuxième rang en pourcentage du revenu national brut. Cette aide passe notamment par l'agence US-AID, qui travaille sous la supervision du président, du département d'État et du Conseil de sécurité nationale.
Un point nous a particulièrement intéressés : le Congrès exerce un rôle central dans le contrôle et la définition de la politique américaine d'aide publique au développement. Ainsi, le président Donald Trump annonçait pour le budget 2018 une diminution de 30 % des crédits du département d'État et les ressources de l'agence US-AID auraient diminué de 13 milliards de dollars. Ces projets de coupes budgétaires ont été sensiblement modifiés par le Congrès, grâce au consensus bipartisan qui existe depuis trente ans sur ce sujet : l'aide publique au développement est vue comme un élément clef du soft power américain.
Malgré tout, nos interlocuteurs ont pointé le fait que les États-Unis voulaient parvenir à une relation « plus équilibrée » avec les organisations internationales ; en d'autres termes, ils ne veulent plus être les principaux bailleurs des différents fonds internationaux, et souhaitent que d'autres pays jouent un rôle accru, c'est-à-dire paient davantage. Cela nous ramène à notre premier point sur la crise du multilatéralisme.
Néanmoins, pour conclure cette intervention sur une note positive, nous soulignons le fait que les États-Unis ont accepté l'augmentation de capital de la Banque mondiale : cela constitue le principal geste du président Trump envers le système multilatéral.
La commission a donné acte à MM. Yvon Collin et Jean-Claude Requier, rapporteurs spéciaux, de leur communication et en a autorisé la publication sous la forme d'un rapport d'information.
À l'issue de ce débat, la commission a décidé de proposer au Sénat l'adoption des crédits de la mission « Aide publique au développement » et du compte de concours financiers « Prêts à des États étrangers », ainsi que l'adoption sans modification de l'article 72.
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Réunie à nouveau le jeudi 22 novembre 2018, sous la présidence de M. Vincent Éblé, président, après avoir pris acte des modifications apportées par l'Assemblée nationale, la commission des finances a confirmé sa décision de proposer au Sénat l'adoption des crédits de la mission « Aide publique au développement » et du compte de concours financiers « Prêts à des États étrangers », ainsi que l'adoption sans modification de l'article 72.