B. ACCABLÉES PAR LEUR DETTE TECHNOLOGIQUE, LA DGFIP ET LA DGDDI DOIVENT TROUVER DE NOUVEAUX MOYENS POUR FINANCER LEURS PROJETS INFORMATIQUES
Les grands projets informatiques des programmes 156 et 302 Au titre du programme 156 : - MISTRAL : management interactif de la situation au trésor. Ce projet vise à moderniser l'activité bancaire de la DGFiP, qui découle du principe d'obligation de dépôt des fonds au Trésor pour 130 000 organismes publics (État ou locaux). - PAYSAGE : consolidation de l'application de paye des agents de l'État. Après la suspension du volet système d'information paye du programme d'Opérateur national de paye, ce projet entend consolider l'application actuelle de paye afin de sécuriser le paiement des traitements des fonctionnaires. - ENSAP : espace numérique sécurisé de l'agent public. Ce projet entend faciliter les échanges par voie dématérialisée entre administratif et agents de l'État. -PAS : prélèvement à la source. Si la majorité des modifications du système informatique de la DGFiP ont déjà été menée à bien afin d'adapter les systèmes d'information de la DGFiP aux nouvelles modalités de recouvrement de l'impôt sur le revenu, quelques travaux doivent encore être menés. Au titre du programme 302 : - GUN : Guichet unique national du dédouanement. Ce projet interministériel permet de mettre en place des liaisons informatiques entre le système d'information douanier et les bases des 15 administrations qui délivrent les autorisations nécessaires à l'importation et à l'exportation. - NSTI Delta T : Nouveau système de transit informatisé. La refonte de l'application NTSI , qui permet la gestion et le suivi du régime douanier de transit. Cette application traite plus de cinq millions de déclarations par an et cette refonte devrait lui permettre d'assurer une meilleure traçabilité des marchandises. Source : documents budgétaires |
1. Les enjeux informatiques pour chacune des deux directions
Les enjeux informatiques de la DGFiP et de la DGDDI sont très élevés. Les deux assurent une mission essentielle au bon fonctionnement de l'État, en assurant le recouvrement de ses ressources .
À cela s'ajoute pour la DGDDI la gestion d'un service de cloud au profit de plusieurs administrations . Elle avait donc dû fortement investir en 2019 dans ces équipements de stockage pour faire face à la volumétrie croissante des données mais aussi à l'obsolescence de son matériel. Les crédits informatiques alloués à ce service d'infrastructure devraient atteindre 9,4 millions d'euros en 2019 (8% des dépenses d'investissement). En retour, les administrations rémunèrent la DGDDI à hauteur d'environ 9 000 euros par an et par baie de stockage (soit 6 950 euros par baie, tarif défini par la Direction interministérielle des systèmes d'information et de communication [Dinsic], hors frais d'électricité). La facturation fait l'objet d'un décret de transfert de la part du ministère concerné.
Vos rapporteurs spéciaux estiment que les crédits informatiques de ces deux directions avaient quelque peu servi de variables d'ajustement , jusqu'au moment où les circonstances ont exigé d'eux qu'ils soient les plus résilients possibles. Comme le rappelle la Cour des comptes dans son rapport sur les systèmes d'information de la DGFiP et de la DGDDI 2 ( * ) , les crédits informatiques de la DGDDI ont été relevés pour lui permettre de faire face à la dématérialisation du dédouanement, au plan de lutte contre le terrorisme et à la préparation du Brexit, tandis que la baisse du budget informatique de la DGFiP a été enrayée pour la mise en oeuvre du prélèvement à la source.
Résorber la dette technologique, c'est avant tout s'assurer de la sécurité des systèmes d'information à long terme et gérer les risques liés à leur fonctionnement. Dans son rapport, la Cour des comptes juge que les systèmes sont gérés avec fiabilité, mais que c'est bien leur ancienneté qui est source de faiblesses . La DGFiP estime ainsi que 9 % de ses applications sont obsolètes... dont celle chargée d'éditer les bulletins de salaire et de pension des agents de la fonction publique. Dans leur rapport de contrôle sur le recouvrement des amendes de circulation et les forfaits de post-stationnement, vos rapporteurs spéciaux avaient longuement insisté sur les insuffisances du logiciel utilisé, vieux de 25 ans et aux possibilités limitées 3 ( * ) .
Il a sans doute fallu faire des choix et, à cet égard, vos rapporteurs spéciaux notent que la directrice générale des douanes et droits indirects se montre plutôt rassurante quant à la résilience des systèmes d'information de la DGDDI et à leur capacité d'absorber le choc du Brexit.
2. L'existence d'une dette technologique insoutenable préempte des crédits qui auraient pu être alloués au développement de projets informatiques innovants
Forcées de se confronter à cette dette technologique, la DGFiP et la DGDDI doivent allouer la majorité de leurs crédits informatiques à la maintenance d'applications anciennes, ce qui préempte, en retour, tout investissement sur des projets innovants et davantage porteurs de gains de productivité.
Outre cet impact au niveau national, vos rapporteurs spéciaux notent que l'insuffisance de crédits dédiés aux projets informatiques peut également nous pénaliser et nous placer en porte à faux vis-à-vis de nos partenaires européens . Par exemple, alors que de nouvelles dispositions du code des douanes doivent entrer en vigueur, les systèmes d'information requis pour assurer le principe de dématérialisation des échanges d'informations entre opérateurs et services douaniers ainsi que leur stockage, n'étaient pas prêts. L'échéance initiale de fin de l'année 2020 a été repoussée, même si vos rapporteurs spéciaux relèvent que ce retard ne concerne pas seulement la France. Résultat cependant, l'article 278 du code des douanes de l'Union a été amendé le 17 avril 2019, fixant le 31 décembre 2025 comme date de livraison des six projets transeuropéens les plus structurants.
En parallèle, la mise à niveau des systèmes nationaux d'importation et de présentation a, quant à elle, été repoussée au 31 décembre 2022 . Ce n'est pas la première fois que nos projets informatiques prennent du retard, comme vos rapporteurs spéciaux ont déjà pu s'en inquiéter 4 ( * ) . À cet égard, ils ne peuvent que souscrire à la quatrième recommandation de la Cour dans le rapport précité, qui porte sur la mise en place d'indicateurs de suivi des coûts et des délais. Cela n'a pour l'instant pas d'impact sur l'indice de satisfaction des applications informatiques évaluées par les usagers (8,11/10 en 2018, avec une cible en 2020 de 7,5/10).
Enfin, vos rapporteurs spéciaux voient d'un oeil favorable le changement amorcé dans le projet de loi de finances pour 2020. En effet, les crédits informatiques connaissent une hausse conséquente, ils devraient ainsi bondir de 40 % (AE) et 22 % (CP) pour la DGFiP. Vos rapporteurs spéciaux souhaitent que cela ne soit pas un simple effet d'annonce, mais bien l'amorce d'une trajectoire pluriannuelle vertueuse .
3. Le manque de moyens s'observe également sur le plan humain
Si vos rapporteurs spéciaux soutiennent le choix de la DGFiP et de la DGDDI de recourir à des compétences en interne, ils en perçoivent également les défauts. Plus d'un quart des effectifs du service des systèmes d'information de la DGFiP devrait partir à la retraite d'ici trois ans et 80 % des postes d'informaticiens ouverts à la DGDDI en 2018 n'ont pas pu être pourvus 5 ( * ) .
À la suite du rapport de la Cour des comptes sur les systèmes d'information de la DGFiP et de la DGDDI, la Douane a conduit en 2018 un audit sur ses quatre modes de recrutement (concours, corps interministériel des ISIC, détachement, contrats) afin d'identifier les difficultés rencontrées pour le recrutement d'informaticiens. Celles-ci sont de trois ordres différents : le manque d'attractivité de la fonction publique (déficit de visibilité sur ces métiers, concurrence forte sur le marché de l'emploi informatique, perspectives d'évolution professionnelle limitées), le processus de recrutement (voie prédominante du concours, concours mal adapté aux compétences attendues, vivier interne limité) et les obstacles règlementaires aux recours de contractuels.
En sus de leurs difficultés de recrutement, l'autre problème majeur de la DGFiP et de la DGDDI est de fidéliser les effectifs et les talents . Le turnover des informaticiens est de 14 % à la DGDDI (22 % dans les services centraux), soit un taux bien supérieur à celui constaté dans les autres ministères. Les écarts sont similaires pour la vacance des postes (10 % pour les services centraux).
D'après les informations communiquées à vos rapporteurs spéciaux, l'audit précité a conduit à énoncer plusieurs pistes pour répondre à cette inquiétante dynamique. Les premières d'entre elles consistent à réformer les épreuves du concours et à mieux cibler les candidats potentiels, par exemple à l'aide d'un algorithme qui pourrait repérer sur des sites comme LinkedIn les profils les plus susceptibles de s'inscrire aux concours ou d'être recrutées par contrat. Vos rapporteurs spéciaux considèrent que ces modifications sont nécessaires et reconnaissent que les effets ne pourront en être mesurés que dans le courant de l'année 2020, une fois passées les premières sessions de recrutement. Ils soutiennent également les efforts de ces deux directions pour nouer davantage de partenariats avec les écoles spécialisées ou les écoles du type « École 42 ».
Saisies de ce sujet, la Dinsic et la direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGFAP) travaillent sur des propositions communes afin d'attirer, de recruter et de fidéliser les compétences informatiques au sein de l'État . L'une des 31 mesures du plan qui sera progressivement mis en oeuvre entend répondre à l'un des obstacles majeurs au recrutement : le manque de compétitivité des rémunérations offertes par le secteur public vis-à-vis de celles de leurs homologues du secteur privé. Une nouvelle grille de salaires de référence pourrait voir le jour pour les recrutements de contractuels informaticiens.
De même, les dispositions introduites par la loi pour la transformation de la fonction publique pourraient venir apporter davantage de flexibilité, que ce soit en élargissant le recours au contrat, y compris pour faire appel à des compétences spécialisées, ou en autorisant le recours au contrat de projet.
4. Ces insuffisances expliquent que les deux directions recourent, pour leurs projets innovants, aux fonds pour la transformation de la fonction publique
Pour contourner ces difficultés, et ce malgré la hausse des budgets informatiques, la DGFiP et la DGDDI recourent, pour le financement de leurs projets innovants, au Fonds pour la transformation de la fonction publique (FTAP), en particulier pour le développement d'applications destinées à tirer profit des données massives à leur disposition.
La DGDDI a ainsi obtenu 18,8 millions d'euros au profit du « Projet 3D » (Développement de la donnée en Douane), destiné à « placer la donnée au coeur des métiers de la douane ». Son objectif est de faire émerger, sur une période de trois, de nouveaux outils capables de transformer en profondeur le fonctionnement de la douane, grâce à la data science . Cela devrait concerner l'ensemble des métiers de la DGDDI, de la fiscalité douanière à la lutte contre la fraude, en passant par la facilitation des démarches des entreprises.
Quant à la DGFiP, elle a par exemple obtenu pour le projet PILAT (Pilotage et analyse du contrôle) 13,4 millions d'euros . Ce projet est destiné à aider les agents à mieux cibler la fraude et à automatiser les travaux de suivi en améliorant les interfaces entre les nombreuses applications numériques dédiées au contrôle fiscal. Outre une amélioration du taux de recouvrement, le projet PILAT vise à décloisonner les bases de données de l'ensemble des acteurs impliqués dans le recouvrement et dans le contrôle de la fraude. Il vient compléter le projet Ciblage de la fraude et valorisation des requêtes (CFRV), lauréat du premier appel à projet au coeur de la nouvelle stratégie de la DGFiP en matière de contrôle fiscal (cf. infra ).
* 2 Cour des comptes, Les systèmes d'information de la DGFiP et de la DGDDI, mai 2019.
* 3 Rapport d'information n°651 (2018-2019) de MM. Thierry CARCENAC et Claude NOUGEIN, fait au nom de la commission des finances
* 4 Contribution de MM. Thierry Carcenac et Claude Nougein, rapporteurs spéciaux, au rapport n° 625 (2018-2019) de M. Albéric de Montgolfier, sur le projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2018. https://www.senat.fr/rap/l18-625-2/l18-625-2.html
* 5 Rapport précité de la Cour des comptes