EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 4 novembre 2020, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a examiné le rapport de M. Sébastien Meurant, rapporteur spécial, sur la mission « Immigration, asile et intégration ».
M. Claude Raynal , président . - Je salue la présence parmi nous de Muriel Jourda, rapporteur pour avis de la commission des lois sur les crédits de la mission « Asile, immigration et intégration ».
M. Sébastien Meurant , rapporteur spécial . - Les années se suivent, les ministres se succèdent, mais les mauvaises habitudes perdurent. Il est difficile, concernant cette mission, d'avoir des chiffres fiables. Nous sommes de nouveau en présence d'un budget insincère que je vous inviterai donc à rejeter.
Nous avons eu du mal à obtenir des chiffres pour 2020 concernant un certain nombre d'organismes jouant un rôle important dans la mission « Immigration, asile et intégration ». Certes, la covid-19 a beaucoup perturbé les services, mais c'est tout de même inquiétant.
Je considère comme absurde le périmètre de cette mission. Hier, nous avons abordé avec notre collègue Christian Klinger l'aide médicale d'État (AME), dont le coût dépasse le milliard d'euros. Je rappelle que les immigrés clandestins en sont les principaux bénéficiaires, alors qu'ils n'ont normalement aucune raison d'être présents sur notre sol. Pour avoir une vision plus consolidée de la situation, j'estime que l'aide médicale d'État devrait être rattachée à cette mission et non à la mission « Santé ».
Les députés Rodrigue Kokouendo et François Cornut-Gentille ont réalisé un rapport d'information en 2018 sur l'évaluation de l'action de l'État dans l'exercice de ses missions régaliennes en Seine-Saint-Denis. L'estimation du nombre de clandestins dans ce département par les services de l'État varie de 60 000 à 200 000, c'est dire le flou ! Certains évoquent même le chiffre de 400 000 personnes, pour un département de 1,6 million d'habitants. Il faut avoir bien du talent pour trouver dans le document de politique transversale (DPT) un chiffre consolidé au sujet de la politique française de l'immigration. Le coût consolidé pour l'État de la politique française de l'immigration est estimé à 6,9 milliards d'euros en 2021. De nombreuses dépenses ne sont toutefois pas incluses, comme celles relevant des départements en faveur des mineurs étrangers isolés.
Cette mission n'échappe pas à la sage volonté d'une programmation triennale afin d'anticiper au mieux les évolutions démographiques et adapter notre politique migratoire. Cette année, le budget de la mission continue à augmenter et il dépasse d'environ 100 millions d'euros la programmation triennale, ce qui témoigne de l'incapacité du gouvernement à maîtriser les dépenses dans ce domaine. Cette absence de vison d'ensemble et de long terme pose problème. Le ministre de l'intérieur, qui considérait naguère le candidat Macron comme un « bobo populiste », a surtout retenu le côté bobo et ne semble pas estimer que l'immigration est un immense problème pour la survie même de la France. Le budget qu'il nous présente demeure empreint d'un irénisme d'autant plus inquiétant que nous en discutons après plusieurs attentats. Il croit peut-être, comme son nouveau mentor, à la mondialisation heureuse et à la pacification du monde par le doux commerce ? Je crois plutôt au tragique de l'histoire longue et à la permanence des civilisations. Il ne me semble pas évident de transformer en quelques décennies des millions d'étrangers qui arrivent en France non seulement à l'état civil, mais aussi culturellement, moralement, politiquement. Il me semble encore plus difficile d'intégrer en quelques décennies des millions de musulmans héritiers d'une civilisation non pas seulement étrangère, mais aussi hostile à la nôtre pendant des siècles. Confer les nombreuses vidéos de M. Erdogan qui circulent sur le net ou celles de drapeaux français brûlés au Mali, au Pakistan et au Bangladesh. Une fatwa a été lancée contre notre président, Emmanuel Macron. Je vous rappelle aussi qu'à Nice, il y a quelques jours, un clandestin passé par l'île de Lampedusa a commis un attentat.
M. Pascal Savoldelli . - Hors sujet !
M. Sébastien Meurant , rapporteur spécial . - Bref, la fiabilité des données est pour le moins hasardeuse. Le nombre de mineurs isolés s'établit selon le ministère de la justice à 16 770 en 2019. On a du mal à obtenir des éléments département par département, mais d'après l'Assemblée des départements de France (ADF) le chiffre des mineurs isolés s'élèverait à 40 000, soit presque le triple ! En termes de budget, l'ADF parle de 2 milliards d'euros.
Le Gouvernement nous propose de voter cette mission « Immigration, asile et intégration » sans que nous disposions des moyens d'apprécier la situation et son évolution. Nous travaillons depuis trop longtemps à l'aveuglette. Par ailleurs, je trouve fou, en cette période à tous égards étrange, de trouver à côté de cette mission des crédits du plan de relance. Comment justifier cela sur le plan des principes ? Pourquoi le plan de relance viendrait-il financer le retour volontaire des étrangers dans leur pays ? J'avais compris que le plan de relance consistait en un effort financier important de la nation pour soutenir l'économie française mise à mal par la crise sanitaire. Je ne vois aucune raison d'en détourner ne fusse qu'un seul centime pour financer l'économie de pays tiers, a fortiori les filières de trafiquants !
Pour conclure, j'évoquerai la question préoccupante des obligations de quitter le territoire français (OQTF). Il s'agit de décisions de justice. Ces OQTF connaissaient en 2018-2019 un taux d'exécution s'établissant à environ 12 %, qui est aujourd'hui passé en deçà de 8 %. Nous avons tous entendu les déclarations du ministre de l'intérieur et du Président de la République. Or il faut savoir que les OQTF prononcées deviennent caduques au bout d'un an : elles ne sont pas valables par tacite reconduction. Il se trouve que des juges se prévalent de ces OQTF non exécutées pour accorder des titres de séjour. Nous sommes dans l'absurde ! Une prise de conscience s'impose, au-delà des aspects budgétaires. Pour mémoire, 41 % du contentieux administratif de la nation concerne le droit des étrangers et l'appel 51 %.
Pour toutes ces raisons, je vous propose de rejeter ce budget. En 2020, je n'ai pu réaliser qu'un contrôle à l'extérieur concernant l'association France terre d'asile. Je n'ai pas réussi à obtenir les rémunérations de ses dirigeants, mais sachez que ses effectifs sont passés entre 1998 et 2020 de 30 équivalents temps plein à 1 100 ...
M. Claude Raynal , président . - Merci, monsieur le rapporteur spécial. Vous vous êtes quelque peu écarté de la question budgétaire et vous avez dérivé vers une vision plus large de la politique d'immigration, d'asile et d'intégration.
Mme Muriel Jourda , rapporteur pour avis de la commission des lois sur les crédits de la mission « Asile, immigration et intégration » . - Cet avis budgétaire ne m'étant échu que depuis quelques jours, je n'ai aucune observation à faire à ce stade.
M. Jean-François Husson , rapporteur général . - La mission « Immigration, asile et intégration » devrait également bénéficier de crédits du plan de relance, notamment pour la création de places d'hébergement et d'un centre de rétention administrative (CRA). Pouvez-vous détailler l'utilisation de ces crédits ? Surtout, pensez-vous qu'ils ont bien leur place au sein du plan de relance ? Les dépenses d'asile font l'objet d'une sur-exécution assez forte. Pensez-vous que le mouvement va se poursuivre en 2021, malgré la crise sanitaire ?
Mme Sophie Taillé-Polian . - Je suis choquée par un certain nombre de propos et d'amalgames du rapporteur spécial, qui s'écartent de l'analyse budgétaire. Je rejetterai ces crédits parce qu'ils ne me semblent pas en relation avec la réalité, mais je rejetterai aussi cette présentation de rapport.
M. Rémi Féraud . - Je m'associe aux propos de Sophie Taillé-Polian. Je n'ai pas d'autre exemple de rapport aussi peu budgétaire et aussi polémique politiquement. Je garderai donc mes questions budgétaires pour moi. Je souligne néanmoins qu'une politique d'asile qui se veut sérieuse doit disposer de crédits suffisants. Le rapporteur nous propose-t-il de ramener à une trentaine de postes, comme en 1998, les effectifs de France Terre d'asile ? Il me paraît que les effectifs de cette association sont insuffisants au vu du travail à réaliser.
M. Jérôme Bascher . - Le nombre de places en CRA a largement augmenté. Comment ces derniers ont-ils fonctionné durant le confinement ? Des économies ont-elles pu être réalisées ? Si oui, qu'en faisons-nous ? Même question pour l'allocation pour demandeur d'asile (ADA).
M. Jean Bizet . - Comment améliorer le ratio entre le nombre d'OQTF prononcées et celles réellement exécutées ? Un accord a été conclu à La Valette, mais à défaut d'une cohérence d'ensemble il est impossible d'obtenir un résultat. S'agit-il d'un manque de moyen ou d'un manque de volonté politique ?
M. Vincent Éblé . - Je m'associe aux interventions de Sophie Taillé-Polian et de Rémi Féraud et je me désolidarise totalement des propos de notre collègue Sébastien Meurant, même si je vais le rejoindre en émettant un vote négatif. Non seulement je conteste la philosophie de notre collègue, mais je conteste aussi d'un point de vue matériel certaines de ses affirmations. Les OQTF sont prises par arrêtés préfectoraux et ne sont la plupart du temps pas du tout des décisions de justice, même si elles peuvent, bien entendu, se contester devant les tribunaux.
M. Sébastien Meurant , rapporteur spécial . - Je m'intéresse uniquement aux faits et aux réalités de terrain, je ne suis pas dans l'idéologie ni dans le parti pris. Les chiffres que je vous présente sont le fruit d'une politique qui nous amène tous à rejeter ces crédits.
Le plan de relance se traduit par un effort de l'État sur l'hébergement. De multiples dispositifs ont été créés, avec des coûts différenciés. Les prévisions d'arrivée de migrants à héberger sont difficiles à réaliser, mais année après année le budget est en sur-exécution dans la mesure où le nombre de migrants a été systématiquement minoré. Après le Covid-19, l'État annonce un nombre de migrants égal à celui de 2019. Pour répondre à Jérôme Bascher, plus il y a de migrants, plus on a besoin d'ADA. On aurait pu penser que ces budgets allaient diminuer eu égard à la baisse des arrivées pour 2020, mais ce n'est pas le cas. Les délais de traitement de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) sont passés à 275 jours, et je rappelle qu'un mois en plus de traitement des demandes entraine une dépense de 42 millions d'euros supplémentaires pour l'ADA. Il n'y a donc pas de baisse de dépenses sur lignes.
Heureusement, cher Rémi Féraud et chère Sophie Taillé-Polian, que chacun a encore sa liberté de parlementaire ! Je le redis : mon intervention ne se veut absolument pas polémique. Je note, comme vous, que les crédits de cette mission, dont je m'occupe depuis trois ans, sont volontairement insuffisants, ce qui est grave. Mes collègues en région parisienne voient comme moi le nombre de malheureux qui dorment sur nos trottoirs : c'est ignoble pour un grand pays comme la France !
L'exécution des OQTF s'inscrit dans une politique d'ensemble. Le ministre de l'intérieur s'est d'ailleurs rendu à cette fin dans différents pays. Évidemment, les OQTF peuvent toujours être contestées devant les tribunaux. Plusieurs parlementaires ont aussi manifesté leur étonnement parce que de nombreux pays que nous aidions, comme le Mali, refusent de reprendre des laissez-passer consulaires. Pour améliorer le taux de retours, il faut une pression politique. Certes, tout cela sort de la question budgétaire, mais les chiffres trahissent l'absence de volonté politique de traiter cet aspect de la question. Ces dernières vingt-quatre heures, plus de 600 migrants sont arrivés à Lampedusa. Est-il raisonnable de laisser entrer toutes ces personnes sur notre territoire une semaine après le drame de Nice ?
Les seuls efforts consentis budgétairement parlant portent sur les hébergements, notamment via la création de CRA et de places supplémentaires pour les centres d'accueil pour demandeurs d'asile (CADA). Néanmoins, ces efforts sont systématiquement insuffisants, j'en veux pour preuve le nombre de malheureux qui dorment sur les trottoirs de nos grandes villes. La difficulté à obtenir des informations pour 2020 de la part du Gouvernement n'est pas un signe positif. Idem en ce qui concerne les décisions de justice relatives à l'éloignement. Depuis trois ans, les budgets consacrés à l'éloignement stagnent à un peu moins de 40 millions d'euros. La police aux frontières (PAF) ne dispose que d'un avion de type Beechcraft 1900 de 19 places parvenant à peine à traverser la Méditerranée et le Gouvernement songe à utiliser les nouveaux Dash de la sécurité civile destinés à la lutte contre les incendies de forêt afin d'exécuter les éloignements.
La commission a décidé de proposer au Sénat de ne pas adopter les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration ».
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Réunie à nouveau le jeudi 19 novembre 2020, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission des finances, après avoir pris acte des modifications adoptées par l'Assemblée nationale, a confirmé sa décision de proposer au Sénat de ne pas adopter les crédits de la mission. Elle a également décidé de proposer au Sénat d'adopter l'article 54 quaterdecies sans modification.