N° 242
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2020-2021
Enregistré à la Présidence du Sénat le 16 décembre 2020
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable (1) sur la proposition de loi visant à réduire l' empreinte environnementale du numérique en France ,
Par MM. Guillaume CHEVROLLIER et Jean-Michel HOULLEGATTE,
Sénateurs
(1) Cette commission est composée de : M. Jean-François Longeot , président ; M. Didier Mandelli, Mmes Nicole Bonnefoy, Marta de Cidrac, MM. Joël Bigot, Rémy Pointereau, Frédéric Marchand, Guillaume Chevrollier, Mme Marie-Claude Varaillas, MM. Jean-Pierre Corbisez, Pierre Médevielle, Ronan Dantec , vice-présidents ; M. Cyril Pellevat, Mme Angèle Préville, MM. Pascal Martin, Bruno Belin , secrétaires ; MM. Jean-Claude Anglars, Jean Bacci, Étienne Blanc, François Calvet, Michel Dagbert, Mme Patricia Demas, MM. Stéphane Demilly, Michel Dennemont, Gilbert-Luc Devinaz, Mme Nassimah Dindar, MM. Gilbert Favreau, Jacques Fernique, Mme Martine Filleul, MM. Fabien Genet, Hervé Gillé, Éric Gold, Daniel Gueret, Mmes Nadège Havet, Christine Herzog, MM. Jean-Michel Houllegatte, Olivier Jacquin, Gérard Lahellec, Mme Laurence Muller-Bronn, MM. Louis-Jean de Nicolaÿ, Philippe Pemezec, Mmes Évelyne Perrot, Marie-Laure Phinera-Horth, Kristina Pluchet, MM. Jean-Paul Prince, Bruno Rojouan, Mme Denise Saint-Pé, MM. Philippe Tabarot, Pierre-Jean Verzelen .
Voir les numéros :
Sénat : |
27 rect. , 233 et 243 (2020-2021) |
L'ESSENTIEL
La commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, réunie le mercredi 16 décembre 2020 sous la présidence de M. Jean-François Longeot, président, a examiné le rapport de MM. Guillaume Chevrollier et Jean-Michel Houllegatte sur la proposition de loi visant à réduire l'empreinte environnementale du numérique en France, déposée par MM. Patrick Chaize, Guillaume Chevrollier, Jean-Michel Houllegatte, Hervé Maurey et plusieurs de leurs collègues . Ce texte est la traduction législative des travaux menés par la mission d'information de la commission entre décembre 2019 et juin 2020 et des propositions qu'elle a formulées pour une transition numérique écologique. Il vise à orienter le comportement de tous les acteurs du numérique, qu'il s'agisse des consommateurs, des professionnels du secteur ou encore des acteurs publics, afin de garantir le développement en France d'un numérique sobre, responsable et écologiquement vertueux.
La commission a insisté sur le caractère inédit de cette proposition de loi, abordant pour la première fois les impacts environnementaux de l'ensemble de la chaîne de valeur numérique , des terminaux aux centres de données, en passant par les réseaux.
Elle a adopté 56 amendements , dont 26 des rapporteurs, qui modifient le texte selon cinq axes principaux :
- renforcer les mesures permettant de limiter le renouvellement des terminaux , levier d'action prioritaire de toute politique de réduction de l'empreinte environnementale du numérique, en :
• rendant opérant le délit d'obsolescence programmée , aujourd'hui inapplicable ;
• améliorant l'information du consommateur sur les offres dites « subventionnées » pour lutter contre « l'obsolescence marketing » ;
- créer un référentiel général de l'écoconception fixant des critères de conception durable des sites web que devront respecter les plus gros fournisseurs de contenu ;
- inciter davantage les centres de données et les réseaux, dont la consommation énergétique devrait augmenter de 75 % à l'horizon 2040, à limiter leur empreinte environnementale en :
• conditionnant l'octroi du tarif réduit de taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité (TICFE) aux centres de données à l'atteinte d'objectifs pluriannuels d'accroissement de l'efficacité énergétique et de réduction des consommations d'eau et à la valorisation de la chaleur fatale, considérant que le dispositif adopté dans le cadre du projet de loi de finances pour 2021, à l'initiative de l'Assemblée nationale, ne constituait pas une incitation fiscale efficace au verdissement des centres de données ;
• demandant aux opérateurs de souscrire d'ici 2023 à des engagements environnementaux pluriannuels contraignants auprès de l'Arcep, devant notamment inclure des initiatives de réduction des impacts associés à la fabrication et à l'utilisation des box mises à disposition de leurs abonnés.
- promouvoir des stratégies numériques responsables dans les territoires, afin que les collectivités territoriales accompagnent la transition numérique écologique.
- améliorer la sécurité juridique du texte, en veillant notamment à son articulation avec le droit européen et garantir une mise en oeuvre réaliste de la proposition de loi et une meilleure appropriation par les acteurs concernés.
La commission appelle le Gouvernement, qui s'apprête à publier sa feuille de route interministérielle sur le sujet, à saisir l'occasion de ce texte pour faire avancer notre engagement en matière de transition numérique durable, et pour permettre à la représentation nationale de débattre de manière éclairée sur des mesures qui, loin de n'être que techniques, sont essentielles pour assurer le respect des engagements climatiques de la France dans le cadre de l'Accord de Paris.
I. UNE PROPOSITION DE LOI INÉDITE POUR FAIRE CONVERGER LES TRANSITIONS NUMÉRIQUE ET ÉCOLOGIQUE
« Le numérique n'est pas intrinsèquement bon ou mauvais pour l'environnement. Il est ce que nous en ferons. 1 ( * ) »
Croissance
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Part de la fabrication
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Augmentation
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A. L'EMPREINTE ENVIRONNEMENTALE DU NUMÉRIQUE : ANGLE MORT DES POLITIQUES ENVIRONNEMENTALES ET CLIMATIQUES
Le numérique, grâce aux gains environnementaux qu'il rend possibles, notamment dans les secteurs industriels les plus émetteurs de gaz à effet de serre, est sans conteste indispensable à la transition écologique. Les innovations permises par le numérique sont au coeur de l'amélioration de notre efficacité énergétique et de l'utilisation durable de nos ressources. Mais aux gains environnementaux indéniables de ce secteur en très forte croissance sont associés des impacts directs et quantifiables en termes d'émissions de gaz à effet de serre, d'utilisation des ressources abiotiques, de consommation d'énergie et d'utilisation d'eau douce.
Grande absente du débat public jusqu'à ce jour, la question de l'impact environnemental du numérique se pose aujourd'hui avec la plus grande acuité.
À l'heure où toutes les politiques publiques doivent se donner les moyens d'atteindre les objectifs climatiques fixés par l'Accord de Paris, il est urgent de se pencher sur la pollution engendrée par ce secteur, alors que la consommation des données mobiles 4G augmente d'environ 30 % d'année en année, de même que notre équipement en terminaux (93 % des Français possédaient un téléphone mobile en 2017), et alors que se multiplient les objets connectés.
Les conclusions des travaux de la mission d'information relative à l'empreinte environnementale du numérique en France font état d'un inexorable essor de cette pollution, si rien n'est fait pour enrayer cette dynamique : alors que le numérique a émis 15 millions de tonnes équivalent carbone en 2019 - soit 2 % du total des émissions de la France, induisant un coût collectif d'un milliard d'euros - il serait à l'origine de l'émission de 24 millions de tonnes équivalent carbone à l'horizon 2040 à politique publique constante, soit environ 7 % des émissions de la France, pour un coût collectif de 12 milliards d'euros.
Principaux responsables de cette empreinte, les terminaux numériques engendrent 81 % des impacts environnementaux du secteur en France, une proportion bien plus élevée que la moyenne mondiale. La fabrication de ces appareils représente en outre 70 % de l'empreinte carbone totale du numérique français. La limitation de l'importation et du renouvellement des terminaux est ainsi le principal levier d'action qui permettra d'atténuer l'empreinte carbone du secteur. Les centres informatiques et les réseaux, respectivement responsables de 14 % et de 5 % des émissions du secteur doivent également voir leur coût environnemental maîtrisé.
Outre cette empreinte carbone, la croissance de ce secteur induit également une tension sur les ressources . Elle se traduit en effet par l'utilisation d'une quantité croissante de métaux, encore aujourd'hui très peu recyclés. Leur extraction et leur raffinage nécessitent par ailleurs de grandes quantités d'eau et d'énergie.
Les auteurs de la proposition de loi estiment qu'il est urgent de définir une véritable stratégie de réduction de l'empreinte environnementale du numérique, afin de réussir la transition numérique écologique. Après la publication de la feuille de route en juillet 2020 par le Conseil national du numérique réalisée en partenariat avec le Haut Conseil pour le climat, le Gouvernement a annoncé en octobre le lancement d'une feuille de route interministérielle prévue pour la fin de l'année.
Il s'agit également d'une attente citoyenne forte : la Convention citoyenne pour le climat, qui a présenté le résultat de ses travaux le 18 juin dernier, a fait de l'accompagnement du numérique vers un modèle plus vertueux l'une de ses 150 propositions pour accélérer la lutte contre le réchauffement climatique.
* 1 Livre blanc numérique et environnement « Faire de la transition numérique un accélérateur de la transition écologique » (Iddri, FING, WWF France, GreenIT.fr - 2018).