B. LE RÉGIME DES DÉCISIONS IMPLICITES : UN DISPOSITIF JURIDIQUE DEVENU ILLISIBLE

Si l'objectif de la réforme de 2013 conduisant à multiplier les procédures SVA a été rempli, force est de constater que ce résultat a été obtenu en sacrifiant la lisibilité du régime du silence gardé par l'administration prévu par le CRPA.

L'inversion du principe à l'article L. 231-1 de ce code s'est accompagnée de la création d'une multitude d'exceptions principalement justifiées par les limites intrinsèques du SVA ( cf. supra ) et rendant, in fine , la compréhension du droit positif assez chaotique.

Ainsi, l'article L. 231-4 du CRPA pose quatre catégories d'exceptions au champ particulièrement vaste² . En vertu de cet article, le silence de l'administration ne vaut pas acceptation :

« 1° Lorsque la demande ne tend pas à l'adoption d'une décision présentant le caractère d'une décision individuelle ;

« 2° Lorsque la demande ne s'inscrit pas dans une procédure prévue par un texte législatif ou réglementaire ou présente le caractère d'une réclamation ou d'un recours administratif ;

« 3° Si la demande présente un caractère financier sauf, en matière de sécurité sociale, dans les cas prévus par décret ;

« 4° Dans les cas, précisés par décret en Conseil d'État, où une acceptation implicite ne serait pas compatible avec le respect des engagements internationaux et européens de la France, la protection de la sécurité nationale, la protection des libertés et des principes à valeur constitutionnelle et la sauvegarde de l'ordre public ;

« 5° Dans les relations entre l'administration et ses agents ».

Certains des critères mobilisés par l'article L. 231-4 précité ne sont pas parfaitement objectifs et peuvent créer de l'incertitude dans le fait de savoir si le silence gardé par l'administration vaut rejet ou acceptation. C'est notamment le cas au 1° de cet article, qui prévoit que les demandes ne tendant pas à l'adoption d'une décision individuelle sont soumises au SVR, alors que la distinction entre acte réglementaire et décision individuelle n'est pas toujours parfaitement claire pour certains actes.

En outre, l'article L. 231-5 du même code précise que des exceptions au principe peuvent être prévues par décret en Conseil d'État lorsque le justifie « l'objet de certaines décisions ou pour des motifs de bonne administration » .

De plus, l'article L. 231-6 ouvre la faculté de prévoir, par décret, des délais autres que celui de deux mois pour fonder les décisions implicites de rejet ou d'acceptation lorsque « l'urgence ou la complexité de la procédure le justifie » .

Enfin, il convient de noter que les dispositions du CRPA ne régissent pas l'ensemble des relations entre le public et l'administration mais ont un caractère supplétif, en application de l'article L. 100-1 de ce code.

Ainsi, des dispositions législatives ou réglementaires spéciales sont venues qualifier les effets du silence gardé par certaines administrations, pendant un certain délai, face à certaines demandes. L'article R. 181-45 du code de l'environnement précise, par exemple, que le silence gardé pendant quatre mois vaut rejet implicite par le préfet de certaines demandes portant sur l'adaptation de prescriptions prévues par arrêté préfectoral.

L'article L. 1116-1 du code général des collectivités territoriales prévoit également que « le silence gardé par le représentant de l'État pendant trois mois [à compter de la demande de rescrit d'une collectivité territoriale ou d'un groupement de collectivités] vaut absence de prise de position formelle ». Une telle disposition n'aurait pu être inscrite au sein du CRPA puisque les collectivités territoriales ou leurs groupements sont des administrations au sens de l'article L. 100-3 de ce code et ne font pas partie des personnes que cet article qualifie de « public ».

Schéma récapitulatif
du sens du silence de l'administration
depuis la réforme du 12 novembre 2013

Source : Annexe 1 de la thèse de doctorat
«
La décision implicite d'acceptation en droit français » d'Armand Desprairies

La complexité accrue de l'accès au droit a d'ailleurs été mise en exergue par le rapport précité de 2019 qui souligne « qu'il n'existe pas de liste exhaustive des procédures de SVA et de SVR et donc que le public, entreprises comme particuliers, ne dispose pas de la possibilité de prendre connaissance, sur un seul site, de l'ensemble des exceptions anciennes et nouvelles au principe du silence vaut acceptation » 14 ( * ) .

La jurisprudence récente de la ferme des « mille vaches » montre les difficultés également rencontrées par le juge administratif pour qualifier le silence de l'administration, le tribunal administratif d'Amiens ayant considéré que la procédure en cause relevait du SVA alors que la cour administrative d'appel de Douai puis le Conseil d'État ont, au contraire, considéré que s'appliquait le SVR 15 ( * ) .


* 14 Page 20.

* 15 Conseil d'État, 23 septembre 2021, n° 437748.

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