CHAPITRE II
EN FINIR AVEC L'OPACITÉ
DES
PRESTATIONS DE CONSEIL
Article 2
Création de trois règles encadrant les pratiques
des consultants dans leurs rapports avec l'administration
L'article 2 crée de nouvelles règles afin de mieux identifier les consultants dans leurs relations avec l'administration et avec des tiers et afin de mettre en évidence leurs apports dans les documents qu'ils produisent pour l'administration.
L'utilisation des marques distinctives de l'administration, telles que les logos, serait réservée uniquement aux documents produits par l'administration, éventuellement avec la participation de consultants. Dans ce cas, les documents produits conjointement comporteraient une mention de la participation des consultants ainsi que le cadre contractuel dans lequel s'inscrit la prestation de conseil. En outre, les consultants seraient tenus de décliner leur identité dans leurs échanges avec l'administration ou des tiers, afin d'éviter toute confusion quant à leur qualité de consultant vis-à-vis des agents publics.
La commission a approuvé ces mesures, qu'elle a renforcées tout en clarifiant leur articulation.
1. Des règles encore insuffisantes pour assurer la traçabilité des interventions des cabinets de conseil lors de leurs prestations
1.1. Le constat d'une certaine opacité quant aux apports et à l'identification des consultants
La commission d'enquête sénatoriale sur l'influence croissante des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques a identifié des pratiques entraînant un risque de confusion entre le rôle des consultants et celui de l'administration bénéficiaire.
Ces pratiques concernent notamment :
- l'utilisation du sceau ou du logo de l'administration sur les livrables ou documents divers fournis par le cabinet de conseil ;
- l'absence de précision quant à la qualité de consultant dans les échanges avec des tiers ou des agents de l'administration, les consultants pouvant alors être assimilés à des agents publics ;
- ou encore l'omission, dans les livrables issus d'un travail collectif entre des agents publics et des consultants, de la participation de ces derniers au travail effectué.
Il résulte de ces pratiques une absence de visibilité quant aux réels apports des consultants au travail de l'administration, qui nuit aussi bien à la transparence de l'utilisation des deniers publics qu'à la possibilité, pour l'administration, d'évaluer convenablement la prestation des consultants.
Ces pratiques sont d'autant plus répréhensibles qu'elles sont parfois assumées et volontaires, dans un objectif discutable de « discrétion », voire de « confidentialité »13(*), comme l'a reconnu le ministre Olivier Véran lors de son audition par la commission d'enquête sénatoriale, le cabinet de conseil s'engageant à « rester en coulisse »14(*) malgré son rôle significatif.
1.2. Des règles inexistantes ou à la normativité limitée
En réaction aux travaux et aux recommandations de la commission d'enquête sénatoriale, de premières règles ont été récemment édictées afin de mettre un terme aux pratiques précitées. Ces règles sont cependant peu contraignantes ou peuvent aisément être contournées, non seulement en raison de la nature de leur véhicule juridique (circulaire, accord-cadre régulièrement renouvelé) qui s'apparente à du droit souple, mais aussi par l'absence ou la faiblesse des sanctions prévues en cas de non-respect de ces règles. En outre, elles ne sont pas harmonisées et varient en fonction des supports contractuels.
En premier lieu, la circulaire n° 6329/SG du Premier ministre du 19 janvier 2022 encadrant le recours par les administrations et les établissements publics de l'État aux prestations intellectuelles dispose qu'il « est primordial qu'aucun doute ne soit entretenu concernant [la] qualité de prestataire, tant en interne que vis-à-vis des tiers » afin d'éviter toute « confusion ». Pour atteindre cet objectif, la seule recommandation pratique consiste cependant à ne pas affecter une adresse électronique aux consultants, dont la signature doit mentionner explicitement leur qualité de prestataire et l'administration qui les a mandatés pour la mission qu'ils conduisent.
En second lieu, l'accord-cadre de la direction interministérielle de la transformation publique (DITP) relatif aux prestations de conseil en stratégie, en cadrage et conduite de projets et en efficacité opérationnelle, dont la procédure de renouvellement est en cours, prévoit dans son cahier des clauses administratives particulières des dispositions censées assurer une plus grande transparence dans les modes d'intervention des consultants, directement inspirées des recommandations de la commission d'enquête15(*) :
- l'article 9.2.2 impose aux consultants « d'indiquer leur identité ainsi que le nom de l'entreprise qui les emploie dans leurs contacts avec l'administration bénéficiaire et les tiers avec qui ils échangent pour les besoins de leurs prestations » ;
- les consultants ont « interdiction d'utiliser les sceaux, timbres, cachets et marques de l'administration » et « la charte graphique de l'administration est réservée uniquement aux productions rédigées par l'administration » (article 9.3.4) ;
- enfin, les livrables ou documents rédigés avec la participation directe ou indirecte du consultant doivent « mentionne[r] cette information, précise[r] la prestation de conseil réalisée et le cadre contractuel dans lequel s'inscrit ladite prestation » (article 9.3.4).
La sanction prévue en cas de non-respect des deux dernières règles est une pénalité de 500 € par élément utilisé à tort (article 17.9). Aucune sanction particulière n'est prévue en cas de manquement à la première règle.
Ces règles, pour nécessaires qu'elles soient, ne sont cependant pas systématiques, en l'absence de cadre légal qui les imposerait.
Ainsi, le dernier accord-cadre de l'Union des groupements d'achats publics (UGAP), rédigé avant le début des travaux de la commission d'enquête, ne prévoit aucune règle de nature à identifier convenablement les apports et l'identité des consultants, alors que l'UGAP représenterait près de 30 % des prestations de conseil les plus stratégique de l'État, selon les estimations de la commission d'enquête, soit davantage que la DITP (23 %).
Par ailleurs, les administrations sont libres de recourir directement à des prestations de conseil sans passer par les accords-cadres de la DITP ou de l'UGAP, la seule règle s'imposant alors étant, pour les administrations de l'État, de veiller à éviter tout « doute » concernant la qualité des consultants, comme le prévoit la circulaire du Premier ministre précitée.
2. Prévenir la pratique consistant à « rester en coulisse » par l'inscription dans la loi de règles limitant les risques de confusion entre l'administration et les consultants qu'elle sollicite
L'article 2 de la proposition de loi tend à systématiser trois règles encadrant les interventions des consultants dans la sphère publique via leur inscription dans un cadre légal, afin d'assurer la traçabilité de ces interventions. Ainsi, ces règles ne seraient plus facultatives, en fonction des contrats, mais s'imposeraient à l'ensemble des prestations de conseil effectuées pour le compte des administrations mentionnées à l'article 1er de la proposition de loi, y compris pour les prestations qui ne sont pas issues des accords-cadres de la DITP et de l'UGAP.
Le I prévoit l'obligation pour les consultants d'indiquer leur identité et celle de leur employeur au cours de leurs échanges avec l'administration ou des tiers. Le II interdirait aux consultants d'utiliser les marques distinctives de l'administration bénéficiaire de la prestation de conseil. Enfin, le III prévoit la mention, dans tous les documents livrés, du rôle tenu par le consultant dans les travaux de rédaction, même lorsque la participation de ce dernier est indirecte.
Les I et II de l'article 2 de la proposition de loi s'inspirent partiellement de l'article 18-5 de loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, qui régit les relations entre les pouvoirs publics et les représentants d'intérêts. Ces derniers sont en effet tenus de « déclarer leur identité, l'organisme pour lequel ils travaillent et les intérêts ou entités qu'ils représentent dans leurs relations avec [les pouvoirs publics] » et doivent « s'abstenir [...] d'utiliser du papier à en-tête ainsi que le logo [des] autorités publiques et [des] organes administratifs ».
L'adoption de ces règles rendrait illégale la pratique consistant à « rester en coulisse ». Dans un objectif de transparence, elle rendrait donc caduques les préventions des cabinets de conseil ou des administrations souhaitant que « les travaux et livrables fournis [par le cabinet] et divulgués à l'extérieur du [ministère] ne [mentionnent pas] l'intervention et le nom [du cabinet], sauf obligation légale »16(*). Conformément au IV de l'article 2 de la proposition de loi, cette pratique s'apparenterait à un manquement pouvant être sanctionné par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), laquelle pourrait infliger une amende administrative voire exclure le contrevenant des procédures de passation des marchés publics pour une durée maximale de trois ans.
3. Des mesures renforcées par la commission
La commission juge pertinent l'encadrement des modalités d'intervention des cabinets de conseil auprès des administrations publiques et leur inscription dans un cadre légal qui harmoniserait les pratiques dans le sens d'une exigence de transparence qui lui apparait nécessaire.
Elle a néanmoins apporté des précisions relatives à l'articulation de ces règles par le vote de l'amendement COM-7 de sa rapporteure.
Pour éviter toute confusion quant à la qualité de consultant, cet amendement précise que les consultants ne peuvent se voir attribuer une adresse électronique comportant le nom de domaine de l'administration.
Il clarifie par ailleurs l'interdiction d'utilisation des marques distinctives de l'administration afin qu'elle concerne plus explicitement les relations entre les consultants et l'administration ou les tiers, ainsi que les documents rédigés par les consultants pour le compte de l'administration, les cas de rédaction conjointe étant prévus au III de l'article 2. En revanche, cette rédaction rendrait possible la diffusion, sur le site internet des prestataires de conseil, de la liste des administrations pour lesquelles ils ont travaillé en les identifiant notamment par leur logo, pratique favorable à l'objectif de transparence que promeut la proposition de loi.
Dans ce même esprit de transparence, et afin d'éviter un contournement des règles précitées une fois que les livrables sont validés, l'amendement COM-7 prévoit en outre que c'est à l'administration de mentionner sur les livrables rédigés conjointement avec des consultants les informations relatives à l'intervention de ces derniers et au cadre contractuel dans lequel ils ont participé aux travaux de rédaction.
Enfin, le 1° du I de l'article 13 mentionnant l'article 2 parmi les manquements que la HATVP peut sanctionner, la commission a supprimé le IV du même article 2, pour éviter toute redondance au sein de la loi.
La commission a adopté l'article 2 ainsi modifié.
Article 3
Création d'un document budgétaire
recensant les prestations de conseil par les administrations publiques
L'article 3 crée un nouveau document budgétaire, annexé à chaque loi de finances, appelé « jaune budgétaire », recensant les prestations de conseil effectuées pour le compte des administrations bénéficiaires. Il permettrait de disposer, sur un document unique, à la fois d'informations agrégées sur le recours aux prestations de conseil et d'une liste détaillée de chaque prestation.
La commission est favorable à cet outil qui participerait aussi bien à la transparence du recours aux prestations de conseil qu'à l'émergence d'un suivi plus structuré de ces prestations par l'État. Prenant acte de la compétence exclusive des lois de finances pour créer des annexes à celles-ci, la commission a transformé ce jaune budgétaire en demande de rapport annuel, tout en souhaitant que la discussion prochaine du projet de loi de finances pour 2023 soit l'occasion de créer un véritable jaune budgétaire.
1. Les travaux de la commission d'enquête ont mis en lumière la difficulté, y compris pour l'État, d'appréhender et de chiffrer l'étendue du recours aux prestations de conseil
1.1. L'absence de données agrégées
Malgré les outils de comptabilité publique dont dispose l'État, notamment le logiciel Chorus, il ressort aussi bien des travaux de la commission d'enquête que des auditions menées par la rapporteure qu'il n'existait pas, jusqu'à deux jours avant l'examen de la proposition de loi par la commission, de données agrégées permettant d'apprécier et d'évaluer les montants que représente le recours aux prestations de conseil par les administrations publiques.
Comme l'a indiqué la direction interministérielle à la transformation publique (DITP) à la rapporteure, « force est de constater que ni le système d'information des achats, ni le système d'information comptable de l'État n'ont permis de répondre aux demandes de la commission d'enquête du Sénat », qui souhaitait connaître les dépenses totales dédiées aux prestations de conseil.
Cette méconnaissance généralisée des montants concernés résultait principalement d'un manque de coordination au sein des administrations de l'État, aucune administration, y compris le ministère de l'économie et des finances, chargé de la rédaction des documents budgétaires, n'ayant été missionnée jusqu'à récemment pour assurer un suivi quantitatif minimal de ces prestations. Même à l'échelle des ministères, l'agrégation des données était fortement hétérogène, illustrant l'absence d'un suivi fiable, systématique et harmonisé.
En conséquence, il n'existait aucun support d'information recensant de façon agrégée le montant ainsi que le nombre de prestations de conseil auxquelles l'État et ses établissements publics ont eu recours.
Si ces informations n'étaient disponibles ni pour les parlementaires, ni pour les citoyens, ce qui soulevait un problème de transparence de l'utilisation des deniers publics, l'État lui-même ne semblait pas en mesure de chiffrer son recours aux prestations de conseil, ce qui interrogeait sur l'efficacité et la maîtrise de la dépense publique.
Pourtant, les sommes en jeu sont non seulement significatives, mais suivent une dynamique croissante.
En effet, selon les estimations « minimales » de la commission d'enquête, les dépenses de conseil des seuls ministères ont avoisiné 900 millions d'euros pour l'année 2021, soit un doublement par rapport à 2018. À titre de comparaison, cela correspond approximativement au budget annuel du ministère des sports.
1.2. Une prise de conscience récente mais insuffisante de la nécessité d'assurer un suivi quantitatif des prestations de conseil
Le constat de la dispersion et donc de la difficulté d'appréhender les données relatives aux prestations de conseil a donné lieu à de premières avancées afin de rationaliser le recueil et la publicité de ces informations.
La circulaire du Premier ministre du 19 janvier 2022 précitée a ainsi cherché à initier « une nouvelle politique de recours aux prestations intellectuelles », passant notamment par la mise en place d'un « dispositif de pilotage » au sein de chaque ministère sous la responsabilité de son secrétaire général. À l'échelle agrégée de l'État, il a été demandé à la direction du budget du ministère de l'économie et des finances d'assurer, dès l'exercice 2022, « un suivi des dépenses de prestations intellectuelles à travers le réseau des contrôleurs budgétaires et comptables ministériels ».
En parallèle, un objectif de réduction de 15 % des dépenses de conseil en stratégie et en organisation par rapport à 2021 a été fixé. Le suivi précité, une première en l'état, est censé permettre d'évaluer l'atteinte de cet objectif.
Enfin, le 10 octobre 2022, soit deux jours avant l'examen de la proposition de loi par la commission, le Gouvernement a publié un rapport annexé au projet de loi de finances pour 2023 relatif au « recours aux conseils extérieurs ». Ce rapport reprend l'esthétique, l'intitulé et les modalités de présentation des annexes générales au projet de loi de finances, appelés « jaunes budgétaires », sans pour autant disposer de leur base légale, seule une loi de finances pouvant créer une annexe générale au projet de loi de finances.
Ce rapport présente la stratégie de l'État quant à son recours aux prestations de conseil, en rappelant les règles instaurées par la circulaire du Premier ministre du 19 janvier 2022 et en synthétisant l'architecture du dernier accord-cadre de la DITP, dont la procédure de renouvellement est encore en cours. Sa réelle nouveauté consiste en la publication de données agrégées pour l'année 2021 et les six premiers mois de l'année 2022 : l'État aurait ainsi passé 4 854 commandes de prestations intellectuelles auprès de conseils extérieurs en 2022, pour un montant total de 271 millions d'euros. Lors du premier semestre de l'année 2022, 2 321 commandes auraient été passées, pour un montant total de 118 millions d'euros. Ces données sont également présentées par ministère.
Contrairement aux estimations de la commission d'enquête, ces montants excluent cependant les prestations de conseil en informatique. En outre, sont exclus du rapport présenté par le Gouvernement les dépenses de conseil engagées par les établissements publics nationaux. Enfin, ce rapport ne contient pas de liste détaillée des prestations de conseil effectuées pour le compte des administrations publiques.
2. La création d'un document budgétaire récurrent dédié au recours aux prestations de conseil participerait à l'effort de transparence et imposerait la structuration d'un véritable suivi quantitatif
2.1. Un document unique pour une meilleure lisibilité des données
Afin de remédier au manque d'information et à l'absence de vision globale sur l'étendue du recours aux prestations de conseil, l'article 3 de la proposition de loi prévoit la création d'un document budgétaire annexé à la loi de finances, destiné, selon les termes de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF), « à l'information et au contrôle du Parlement ».
Ce document, appelé « jaune budgétaire », serait ainsi public et contribuerait tout autant à l'information des citoyens quant à l'utilisation des deniers publics pour des prestations de conseil. Il permettrait de disposer, sur un document unique, d'informations agrégées et d'une liste détaillée des prestations de conseil effectuées au cours des cinq dernières années pour le compte des administrations entrant dans le périmètre de la proposition de loi.
En outre, le caractère régulier et systématique de la discussion des lois de finances imposerait à l'État de pérenniser et d'affiner le suivi des dépenses de conseil initié par la circulaire du Premier ministre du 22 janvier 2022 précitée.
2.2. Des informations détaillées, dans le respect du secret des affaires
L'article 3 de la proposition de loi prévoit que la liste des prestations de conseil qui serait établie dans le « jaune budgétaire » comporte une série d'informations telles que la date de notification et d'exécution de la prestation, l'administration bénéficiaire, l'objet résumé de la prestation, son montant, le nom du prestataire, ou encore la référence de l'accord-cadre auquel se rattache la prestation.
Pour les marchés publics de services d'un montant supérieur à 140 000 €, la plupart de ces informations, comme le montant du marché ainsi que son attributaire, sont déjà contenues dans les avis d'attribution de chaque marché publiés au Bulletin officiel des annonces des marchés publics et au Journal officiel de l'Union européenne, conformément aux articles L. 2183-1 et R. 2183-1 du code de la commande publique.
Ces informations sont en outre conformes à la jurisprudence du Conseil d'État et de la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA) quant au respect du secret des affaires, tel que défini à l'article L. 311-6 du code des relations entre le public et l'administration (CRPA), lors de la communication de documents relatifs aux marchés publics.
La CADA a notamment rappelé, dans son récent avis n° 20221117 du 31 mars 2022 relatif à une demande de communication du rapport remis au ministre de l'Éducation nationale par le cabinet McKinsey sur l'évolution du métier d'enseignant, ainsi que des pièces du contrat-cadre initial et des factures afférentes , qu'une « fois signés, les marchés publics et les documents qui s'y rapportent sont des documents publics soumis au droit d'accès institué par le [...] code des relations entre le public et l'administration ». En conséquence, « doivent être regardés comme communicables [...] l'ensemble des pièces d'un marché public [telles que] le prix global de l'offre et les prestations proposées ». Les éléments non communicables sont ceux qui « reflètent la stratégie commerciale de l'entreprise et dont la divulgation est susceptible de porter atteinte au secret commercial », ce qui concerne « le bordereau unitaire ». C'est pourquoi est notamment exclue du dispositif prévu à l'article 3 de la proposition de loi la communication des unités d'oeuvres.
Le même article 3 prévoit une réserve à la publication des informations demandées dans le jaune budgétaire pour les prestations de conseil en lien avec « le secret de la défense nationale, de la conduite de la politique extérieure de la France, de la sûreté de l'État, de la sécurité publique et de la sécurité des personnes ou des systèmes d'information ». Cette réserve reprend celle déjà présente à l'article L. 311-5 du code des relations entre le public et l'administration et, en ce qui concerne le secret de la défense nationale, à l'article 413-9 du code pénal.
3. Une mesure approuvée par la commission mais redéfinie afin de respecter le domaine exclusif des lois de finances
La création d'un document budgétaire présentant le recours agrégé aux prestations de conseil et donnant une liste détaillée desdites prestations est une mesure soutenue par la commission. Elle souhaite ainsi que le rapport présenté récemment par le Gouvernement, qu'elle voit comme une première étape et non comme un aboutissement, soit à la fois pérennisé et mieux défini en lui donnant un cadre légal ainsi qu'un périmètre élargi et stabilisé.
La commission a néanmoins pris acte de la compétence exclusive des lois de finances pour créer des annexes à celles-ci, conformément au 7° de l'article 51 de la LOLF, tel qu'issu de la loi organique n° 2021-1836 du 28 décembre 2021 relative à la modernisation de la gestion des finances publiques, entrée en vigueur le 4 octobre 2022 lors du dépôt du projet de loi de finances pour 2023 à l'Assemblée nationale.
En conséquence, la commission a transformé, par le vote de l'amendement COM-8 de sa rapporteure, le jaune budgétaire en une demande de rapport annuel, remis au Parlement le premier mardi d'octobre, date correspondant au dépôt du projet de loi de finances à l'Assemblée nationale.
Son souhait est néanmoins que la discussion prochaine du projet de loi de finances pour 2023 soit l'occasion de créer d'un véritable jaune budgétaire, dans les conditions conformes aux dispositions organiques.
La commission a adopté l'article 3 ainsi modifié.
Article 4
Publication des informations relatives aux
prestations de conseil en données ouvertes et dans le rapport social
unique des administrations concernées
L'article 4 de la proposition de loi prévoit la publication en données ouvertes des informations relatives aux prestations de conseil et des bons de commande et actes d'engagement lorsque la prestation se rattache à un accord cadre. Ces données figureraient en outre dans le rapport social unique de l'administration bénéficiaire des prestations de conseil.
La commission a approuvé ces dispositions et a adopté un amendement rédactionnel afin d'assurer une coordination avec les modifications apportées à l'article 3.
1. Depuis la loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique, l'ouverture des données publiques est la règle
1.1. Renforcer la transparence des données relatives aux prestations de conseil en les publiant en données ouvertes
L'article 4 de la proposition de loi prévoit la publication en données ouvertes des informations listées dans le rapport budgétaire créé à l'article 3 de la proposition de loi.
Cette disposition viendrait compléter le cadre général de la loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique, qui a acté le principe d'une ouverture des données publiques, lesquelles doivent être publiées « dans un standard ouvert, aisément réutilisable et exploitable par un système de traitement automatisé », formulation reprise à l'article 4 de la proposition de loi.
Conformément à l'article L. 321-4 du code des relations entre le public et l'administration, la mise à disposition des données de référence « en vue de faciliter leur réutilisation » constitue une mission de service public relevant de l'État. Cette mission de service public est notamment assurée par le biais du site data.gouv.fr.
Dans la mesure où les informations contenues dans le document budgétaire seraient considérées comme publiques puisqu'annexées à chaque loi de finances, la publication en données ouvertes représenterait une étape supplémentaire en faveur de la transparence des données publiques.
Mise en perspective avec le document budgétaire demandé à l'article 3 de la proposition de loi, la publication de ces informations en données ouvertes ne représenterait qu'une charge administrative secondaire, les services de l'État devant déjà rassembler ces informations en vue de la préparation dudit document budgétaire.
1.2. Publier systématiquement les bons de commandes des accords-cadres afin de réduire les saisines de la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA)
Le II de l'article 4 de la proposition de loi étendrait l'obligation de publication en données ouvertes aux bons de commandes et aux actes d'engagement des prestations de conseils se rattachant à des accords-cadres.
Dans un contexte de forte hausse des saisines de la CADA, celles-ci ayant augmenté de 30 % entre 2020 et 2021 pour s'établir à 8 417 saisines17(*), cette obligation de publication permettrait de réduire les saisines de cette dernière, dont la jurisprudence autorise déjà la communication des pièces des accords-cadres, sous réserve du retrait des informations personnelles et des éléments permettant de déterminer les prix unitaires, c'est-à-dire, dans le cas des prestations de conseil, les unités d'oeuvre. À titre d'exemple, la CADA a récemment émis un avis favorable à une demande d'accès formulée par un journaliste du Monde aux « documents relatifs à l'attribution du marché [de conseil au profit de la présidence de la République] : notamment l'accord-cadre, l'offre d'engagement ou l'acte d'engagement, et les bons de commande, mais aussi tout autre document contractuel établi entre le(s) cabinet(s) attributaire(s) et la Présidence » de la République18(*).
Il reviendrait cependant aux administrations de supprimer des bons de commande et actes d'engagement les informations personnelles qu'ils contiennent, comme par exemple des adresses électroniques personnelles, ainsi que les unités d'oeuvre.
2. L'enrichissement du rapport social unique participerait à l'information des agents publics quant à l'emploi des compétences par l'administration
2.1. Le rapport social unique, un élément du dialogue social au sein de la fonction publique
L'article 5 de la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique a rassemblé en un document unique, appelé rapport social unique, divers rapports en lien avec les ressources humaines qu'élaboraient les administrations publiques.
Ce rapport annuel et public s'adosse sur une base de données sociales accessible aux membres des comités sociaux. Il rassemble tous les éléments et données sur la base desquelles est élaborée la stratégie pluriannuelle de pilotage des ressources humaines.
Ce rapport aborde une douzaine de thématiques, parmi lesquelles figure la gestion prévisionnelle des effectifs, des emplois et des compétences.
2.2. Répondre à la méconnaissance, par les agents publics, du recours aux prestations de conseil par leur administration
La commission d'enquête sénatoriale a mis en exergue un manque d'information des agents publics quant au recours par leur administration à des cabinets de conseil, et ce alors que l'une des justifications avancées de ce recours à des consultants est l'absence de certaines compétences au sein des administrations.
C'est pourquoi le 2° du I de l'article 4 de la proposition de loi prévoit que les données relatives aux prestations de conseils, telles que listées dans le document budgétaire créé à l'article 3, soient incluses dans le rapport social unique, afin que la présentation de ce dernier permette aux agents publics d'être formellement informés des prestations de conseils auxquelles a eu recours leur administration.
Dans la mesure où ces données seraient déjà rassemblées pour la préparation du document budgétaire précité, cette disposition ne représenterait pas une charge administrative supplémentaire significative.
3. La position de la commission
La commission est favorable à la publication des informations relatives au recours aux prestations de conseil en données ouvertes et dans le rapport social unique des administrations, considérant qu'il s'agit de l'aboutissement du mouvement de transparence promu par la proposition de loi.
Elle a adopté l'amendement COM-10 de sa rapporteure, qui procède à une coordination résultant des modifications apportées à l'article 3.
La commission a adopté l'article 4 ainsi modifié.
* 13 Voir pages 34 à 36 du rapport de la commission d'enquête sénatoriale sur l'influence croissante des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques.
* 14 Pratique dite du « behind the scene ».
* 15 Selon Thierry Lambert, délégué interministériel à la transformation publique, lors de son audition par la rapporteure, le 27 septembre 2022.
* 16 Voir page 34 du rapport de la commission d'enquête sénatoriale sur l'influence croissante des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques.
* 17 Selon le rapport annuel de la CADA, relatif à l'année 2021.
* 18 Avis n ° 20221607 du 21 avril 2022.