II. FACE À L'URGENCE, LA NÉCESSITÉ DE SOUTENIR EFFICACEMENT LES ASSOCIATIONS DOIT PRIMER DEVANT TOUTE AUTRE CONSIDÉRATION
A. LES FONDS EUROPÉENS : UNE PROGRESSION DES CRÉDITS FRAGILISÉE PAR L'INFLATION ET LA PROBLÉMATIQUE CROISSANTE DES MARCHÉS INFRUCTUEUX
Pour la programmation 2022-2027, le fonds européen d'aide aux plus démunis (FEAD) a été intégré au nouveau Fonds social européen plus (FSE +). La France a ainsi reçu une dotation de 647 millions d'euros dans le cadre du nouveau FSE + (dont 65 millions d'euros relevant du cofinancement national) , contre 587 millions d'euros pour la campagne 2014-2020 du FEAD. Le taux de co-financement national sur les achats de denrées a également été relevé à 90 % (contre 85 % sur la précédente campagne).
Par ailleurs, la Commission européenne a lancé fin mai 2020 une initiative REACT-EU visant à abonder les fonds de cohésion pour la période 2020-2022 en réponse à la crise sanitaire et économique. Cela a permis d'allouer au FEAD français 132 millions d'euros de crédits financés à 100 % par l'UE permettant à l'opérateur FranceAgriMer - l'opérateur du programme 304 en charge de la passation des marchés d'achats publics de denrées pour le compte des associations d'aide alimentaire éligibles au FSE + d'effectuer des achats complémentaires de denrées. Sur cette initiative , 106 millions d'euros ont été engagés .
Les rapporteurs spéciaux ne peuvent que se féliciter de l'important effort national et européen annoncé en faveur de l'aide alimentaire pour la programmation 2022-2027. Plusieurs menaces continuent cependant de peser sur l'approvisionnement des associations.
En premier lieu, la programmation a été adoptée avant la poussée inflationniste qui a débuté fin 2021. En termes réels, la dotation annuelle diminuerait donc de 12 % à l'horizon 2027 d'après les hypothèses d'inflations figurant au rapport économique, social et financier (RESF) annexé au présent projet de loi de finances, diminuant donc d'autant les quantités de denrées pouvant être achetées.
Programmation 2022-2027 du FSE + pour l'aide alimentaire
(en millions d'euros)
Source : commission des finances du Sénat
En second lieu, les tensions très importantes observables sur les marchés agricoles, en particulier depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine, ont provoqué plusieurs marchés infructueux - soit des marchés n'ayant fait l'objet d'aucune offre ou ayant fait l'objet de demandes de résiliation pour force majeure par les fournisseurs sélectionnés, finalement dans l'incapacité d'honorer leurs livraisons. Les lots infructueux ont, à date, représenté un volume de denrées de 67 millions d'euros depuis 2021. Cette situation est particulièrement préoccupante pour les associations qui, en l'absence de compensation, se verraient ainsi privées des denrées sur lesquelles elles comptaient.
Plusieurs leviers sont mis en avant par FranceAgriMer pour limiter les marchés infructueux :
- le renforcement de ses capacités de sourcing des produits . La subvention pour charges de service public a connu une progression en LFI 2022 visant à lui permettre de recruter un expert en la matière, recrutement qui n'a pas pu être réalisé à ce jour du fait de la rareté de la compétence recherchée sur le marché du travail et d'une attractivité du poste vraisemblablement insuffisante ;
- la passation de marchés pluriannuels assortis de clauses de révision annuelles, destinés à donner de la visibilité aux fournisseurs comme à l'ensemble des réseaux associatifs. Des marchés pluriannuels ont été signés pour cinq produits début 2022. Une telle évolution ne peut cependant qu'être progressive dans les mesure où les associations doivent adapter leurs process en conséquence ;
- la poursuite du travail d'alerte mené par FranceAgriMer auprès des associations sur les marchés à risque.
Enfin, l'accès aux fonds européens est encore trop souvent obéré par un cadre normatif excessivement contraignant . À cet égard, les constats formulés par les rapporteurs spéciaux dans le rapport qu'ils avaient consacré au sujet en 2018 restent malheureusement toujours valables 15 ( * ) . Les contrôles de conformité aux normes européennes, assurés par commission interministérielle de coordination des contrôles (CICC), qui opère pour le compte de la Commission européenne comme autorité de certification nationale des marchés passés par FranceAgriMer, sont encore excessivement tatillons, voire drastiques . Ces contrôles aboutissent à ce que 15 % des montants engagés par FranceAgriMer en 2022 soient rendus inéligibles au financement FSE +, devant en conséquence faire l'objet d'une compensation par l'État. Ce taux dit « d'auto-apurement » est d'ailleurs en hausse puisqu'il était encore de 12 % en 2019. Les irrégularités en cause sont généralement imputables à des erreurs d'ordre logistique.
Afin de renforcer la sécurité juridique des marchés, une dissociation entre le marché logistique (géré avec l'appui d'un logisticien professionnel recruté par FranceAgriMer en 2022 grâce à la hausse de sa subvention pour charges de service public) et le marché de l'achat de denrées a été expérimentée sur cinq produits, avec des résultats jugés très positifs par l'ensemble des acteurs, y compris associatifs.
De manière générale, les associations auditionnées ont fait part aux rapporteurs spéciaux de la nécessité de simplifier les charges administratives pour leurs bénévoles , même si des améliorations ont pu être constatées, notamment grâce à l'expérimentation de la dissociation des marchés logistiques et d'achats de denrées. Les obligations déclaratives ont toutefois été considérablement complexifiées par les nouvelles exigences posées par la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, avec la déclaration du nombre de reçus fiscaux émis et du montant total des dons, et l'introduction de nouvelles informations obligatoires sur les reçus, notamment la valeur monétaire s'agissant du don en nature. Ces contraintes nouvelles affectent également les donateurs, de sorte que les associations craignent un recul des dons dans une période où leurs besoins augmentent. Il s'agit pour les rapporteurs spéciaux d'un effet de bord regrettable de cette loi, qui n'avait pas pour vocation de renforcer les exigences à l'égard des associations d'aide alimentaire.
* 15 « Aide alimentaire : un dispositif vital, un financement menacé ? Un modèle associatif fondé sur le bénévolat à préserver », rapport d'information d'Arnaud Bazin et Éric Bocquet, fait au nom de la commission des finances du Sénat octobre 2018.