N° 655

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 31 mai 2023

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires économiques (1) sur la proposition de résolution européenne en application de l'article 73 quinquies du Règlement, relative à la protection de la filière pêche française et aux mesures préconisées dans le cadre du « Plan d'action pour le milieu marin » présenté le 21 février 2023 par la Commission européenne,

Par M. Alain CADEC,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : Mme Sophie Primas, présidente ; M. Alain Chatillon, Mme Dominique Estrosi Sassone, M. Patrick Chaize, Mme Viviane Artigalas, M. Franck Montaugé, Mme Anne-Catherine Loisier, MM. Jean-Pierre Moga, Bernard Buis, Fabien Gay, Henri Cabanel, Franck Menonville, Joël Labbé, vice-présidents ; MM. Laurent Duplomb, Daniel Laurent, Mme Sylviane Noël, MM. Rémi Cardon, Pierre Louault, secrétaires ; MM. Serge Babary, Jean-Pierre Bansard, Mmes Martine Berthet, Florence Blatrix Contat, MM. Michel Bonnus, Denis Bouad, Yves Bouloux, Jean-Marc Boyer, Alain Cadec, Mme Anne Chain-Larché, M. Patrick Chauvet, Mme Marie-Christine Chauvin, M. Pierre Cuypers, Mmes Françoise Férat, Amel Gacquerre, M. Daniel Gremillet, Mme Micheline Jacques, M. Jean-Baptiste Lemoyne, Mmes Valérie Létard, Marie-Noëlle Lienemann, MM. Claude Malhuret, Serge Mérillou, Jean-Jacques Michau, Mme Guylène Pantel, M. Sebastien Pla, Mme Daphné Ract-Madoux, M. Christian Redon-Sarrazy, Mme Évelyne Renaud-Garabedian, MM. Olivier Rietmann, Daniel Salmon, Mme Patricia Schillinger, MM. Laurent Somon, Jean-Claude Tissot.

Voir les numéros :

Sénat :

557, 633, 634 et 656 (2022-2023)

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Conformément aux dispositions prévues par l'article 73 quinquies du Règlement du Sénat, la commission des affaires économiques s'est saisie de la proposition de résolution européenne n°  634 (2022-2023) de M. Michel Canévet et plusieurs de ses collègues, adoptée par la commission des affaires européennes le 24 mai 2023, relative à la protection de la filière pêche française et aux mesures préconisées dans le cadre du « Plan d'action pour le milieu marin » présenté le 21 février 2023 par la Commission européenne1(*).

Ce plan d'action fait référence à une communication de la Commission européenne intitulée « Plan d'action de l'UE : Protéger et restaurer les écosystèmes marins pour une pêche durable et résiliente2(*) ». Bien que non contraignant d'un point de vue juridique, les États membres demeurant libres d'appliquer ou non les grandes orientations qu'il fixe, ce texte sert vraisemblablement de « ballon d'essai » pour la Commission, destiné à tester les réactions des États membres, dans la perspective d'une éventuelle proposition législative.

La proposition de résolution identifie quatre facteurs qui permettent de douter de l'efficacité de ce plan d'action, qui tend à interdire toute pêche de fond dans toutes les aires marines protégées :

1) d'abord, les fonds marins vulnérables ne se situent pas nécessairement dans les aires marines protégées, ces deux catégories recouvrant des réalités et visant des objectifs distincts ;

2) ensuite, une interdiction générale et uniforme dans les aires protégées s'inscrirait à rebours de la logique propre à celles-ci. En outre, elle ferait table rase des efforts récemment entrepris en matière de gradation des risques pour la biodiversité, que traduisent les « analyses risque-pêche » mises en place depuis peu ;

3) puis, une interdiction pure et simple de tous les engins de fond ferait abstraction de l'impact différencié des arts traînants sur les fonds marins, qui dépend de multiples facteurs ;

4) enfin, la gestion spatiale des activités de pêche ne constitue pas un instrument sans faille, d'autant que les flottes s'adapteraient aisément en reportant l'effort de pêche sur les zones non protégées.

En outre, les aires marines protégées représentent 44 % environ de la zone économique exclusive française, et la « petite pêche » française - navires de moins de 12 mètres - y réalise plus d'un tiers de son activité. Cette interdiction aurait pour effet de fragiliser les pêcheries françaises avec des conséquences inévitables sur l'équilibre socio-économique des zones littorales.

Sur le rapport du sénateur Alain Cadec, la commission des affaires européennes a donc adopté la résolution, modifiée seulement par quelques amendements qui ont permis de préciser son propos à l'aune des informations recueillies au cours des auditions.

Après son adoption par la commission des affaires européennes, le texte aurait été considéré comme adopté par la commission permanente compétente au fond dans un délai d'un mois, si celle-ci ne s'en était pas saisie.

La commission des affaires économiques a toutefois entendu s'emparer de ce texte pour souligner le risque que la stratégie de l'Union européenne pour les aires protégées ferait peser sur le potentiel productif, et en l'occurrence halieutique de la France. Ses membres considèrent que cette déclinaison nouvelle de la question est complémentaire avec ses déclinaisons dans les domaines agricoles ou forestiers, régulièrement évoqués au sein de la commission. Pour eux, cela met bien en évidence la dimension systématique de la démarche de la Commission européenne.

L'instabilité géopolitique nous amène aujourd'hui à nous questionner davantage sur les enjeux de souveraineté alimentaire, y compris en matière de pêche et de produits de la mer, la France important les deux tiers du poisson qu'elle mange.

Dans le contexte du Brexit, le Sénat s'est positionné depuis plusieurs années sur ce sujet, en particulier avec le rapport de M. Alain Cadec de 2021 sur « Les pêcheurs français face au Brexit3(*) », publié en 2021 au nom de la commission des affaires économiques et de la commission des affaires européennes. Après la perte progressive de l'accès aux eaux territoriales britanniques et le plan de sortie de flotte qui s'est ensuivi, ce plan d'action pourrait porter un nouveau coup à une filière essentielle dans l'aménagement du territoire et le dynamisme des zones littorales.

La commission des affaires économiques a souhaité se saisir rapidement de ce texte pour permettre à une délégation sénatoriale composée de l'auteur principal de la proposition de résolution, M. Michel Canévet, du président de la commission des affaires européennes, M. Jean-François Rapin, et du rapporteur sur cette proposition de résolution dans les deux commissions, M. Alain Cadec, de se rendre à Bruxelles, mardi 6 juin, avec ce texte ainsi devenu, officiellement, résolution du Sénat.

Cette délégation s'efforcera de faire connaître la position du Sénat au commissaire européen à l'environnement, aux océans et à la pêche, au Parlement européen et à la représentation permanente de la France auprès de l'Union européenne, en amont de l'adoption du plan d'action par le Conseil les 26 et 27 juin prochains. Il s'agira ainsi pour le Sénat de peser de tout son poids, en tant que chambre des territoires, pour protéger la pêche côtière française, tout en affirmant la nécessaire protection de la biodiversité.


* 1 https://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppr22-557.html.

* 2 https://www.senat.fr/europe/textes_europeens/ue0182.pdf.

* 3 https://www.senat.fr/notice-rapport/2021/r21-298-notice.html.