N° 660

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 31 mai 2023

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1)
sur le projet de loi d'
orientation et de programmation
du
ministère de la justice 2023-2027 (procédure accélérée)
et sur le projet de loi organique relatif à l'
ouverture, la modernisation et la responsabilité du corps judiciaire (procédure accélérée),

Par Mmes Agnès CANAYER et Dominique VÉRIEN,

Sénateur et Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : M. François-Noël Buffet, président ; Mmes Catherine Di Folco, Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Christophe-André Frassa, Jérôme Durain, Marc-Philippe Daubresse, Philippe Bonnecarrère, Mme Nathalie Goulet, M. Thani Mohamed Soilihi, Mmes Cécile Cukierman, Maryse Carrère, MM. Alain Marc, Guy Benarroche, vice-présidents ; M. André Reichardt, Mmes Laurence Harribey, Muriel Jourda, Agnès Canayer, secrétaires ; Mme Éliane Assassi, MM. Philippe Bas, Arnaud de Belenet, Mmes Nadine Bellurot, Catherine Belrhiti, Esther Benbassa, MM. François Bonhomme, Hussein Bourgi, Mme Valérie Boyer, M. Mathieu Darnaud, Mmes Françoise Dumont, Jacqueline Eustache-Brinio, M. Pierre Frogier, Mme Françoise Gatel, MM. Loïc Hervé, Patrick Kanner, Éric Kerrouche, Jean-Yves Leconte, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Brigitte Lherbier, MM. Didier Marie, Hervé Marseille, Mme Marie Mercier, MM. Alain Richard, Jean-Yves Roux, Jean-Pierre Sueur, Mme Lana Tetuanui, M. Dominique Théophile, Mmes Claudine Thomas, Dominique Vérien, M. Dany Wattebled.

Voir les numéros :

Sénat :

569, 570, 661 et 662 (2022-2023)

L'ESSENTIEL

Moins d'un an et demi après l'adoption de deux lois visant à restaurer la confiance des Français dans la justice1(*), il est apparu nécessaire au Gouvernement de légiférer à nouveau « pour rendre la justice plus rapide, plus efficace, plus protectrice et plus proche de nos concitoyens ». Le projet de loi organique relatif à l'ouverture, la modernisation et la responsabilité du corps judiciaire et le projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 constituent ainsi le volet législatif du plan d'action pour la justice annoncé par le garde des sceaux, Éric Dupond-Moretti, le 5 janvier 2023.

La commission estime que, contrairement à ce qu'indique le Gouvernement, ces deux projets de loi ne constituent qu'une traduction approximative des conclusions du comité des États généraux de la justice. Les textes soumis à l'examen de la représentation nationale tendent à renvoyer une part substantielle de son contenu à la discrétion du pouvoir réglementaire, tandis que le rapport annexé au projet de loi d'orientation et de programmation, dont la commission a pris acte, ne permet pas de préciser les intentions du Gouvernement quant au futur de l'institution judiciaire.

Ces réserves de méthode formulées, la commission a néanmoins adopté les deux textes soumis à son examen sous réserve de l'adoption de 85 amendements. Pierre angulaire de cette initiative législative, la hausse des moyens budgétaires alloués au ministère de la justice, assurément bienvenue, ne suffira pas seule à remettre à flots l'institution : il conviendra de revoir en profondeur l'organisation du travail des magistrats, notamment par une structuration de l'équipe autour des magistrats plus ambitieuse que la vision réductrice qu'en a le Gouvernement.

Certaines mesures de modernisation de l'institution judiciaire souhaitées par le Gouvernement, bien que de portée souvent technique, ont été accueillies favorablement par la commission, à l'exemple de l'expérimentation de tribunaux des activités économiques, appelée de ses voeux par le Sénat de longue date, ou le renforcement de la responsabilité des magistrats, que la commission a souhaité prolonger.

La commission a néanmoins été attentive à ce que certaines mesures de simplification soient accompagnées des garanties juridiques suffisantes. Elle a en particulier prévu, à l'article 2 du projet de loi, habilitant le Gouvernement à prendre par voie d'ordonnance des mesures de clarification du code de procédure pénale à droit constant, qu'une telle ordonnance ne saurait entrer en vigueur avant l'expiration d'un délai d'un an après sa publication : le Parlement aura ainsi toute latitude pour contrôler le respect du champ de l'habilitation accordée et pour procéder à la simplification attendue de longue date par les usagers quotidiens du code de procédure pénale.

I. DE VIVES RÉSERVES SUR LA MÉTHODE

A. UNE TRADUCTION APPROXIMATIVE DES ÉTATS GÉNÉRAUX DE LA JUSTICE

Si le Gouvernement présente les textes déposés devant le Sénat comme la traduction législative des conclusions des États généraux, ils en sont davantage une suite chronologique qu'intellectuelle. Ainsi, un certain nombre de mesures manquent à l'appel, comme l'extension de l'aide juridictionnelle pour les personnes morales de droit privé, tandis que d'autres s'éloignent des points de consensus auxquels les États généraux avaient aboutis.

Ainsi, la réforme retenue par le Gouvernement concernant le témoin assisté reste a minima, alors que les États généraux avaient porté l'ambition d'une réforme consacrant le droit des personnes en faisant de la mise sous statut de témoin assisté la règle et en limitant la possibilité de mise en examen à la fin de l'instruction.

Quant à la vision de l'équipe autour des magistrats portée par l'article 11, elle diffère de la position des États généraux en ce qu'elle exclut les greffiers. Or le comité des États généraux de la justice a bien proposé « de renforcer les effectifs des greffiers de 2 500 à 3 000 personnes, dont certaines participeront aussi à l'aide à la décision ». À propos des greffiers des conseils des prud'hommes, il a relevé que leur rôle et leurs compétences doivent être étendus pour offrir une assistance plus poussée aux conseillers prud'homaux dans la prise en charge de la mise en état.

Concernant le volet économique du projet de loi, la composition du tribunal des affaires économiques (TAE) proposée par le Gouvernement retient une forme d'échevinage édulcoré (un magistrat professionnel pouvant siéger en qualité d'assesseur uniquement). Ce choix ne reflète pas les résultats des travaux des États généraux de la justice qui n'envisageaient l'échevinage que dans l'hypothèse limitée de la création d'une chambre des sanctions du TAE qui aurait eu vocation à prononcer des sanctions pénales en matière économique.


* 1 Loi organique n° 2021-1728 et loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire.