TITRE V
DISPOSITIONS RELATIVES AU DROIT CIVIL ET AUX PROFESSIONS

CHAPITRE 1ER
TRANSFERT DE COMPÉTENCES CIVILES DU JUGE DES LIBERTÉS ET DE LA DÉTENTION

Article 15
Transfert des fonctions civiles du juge des libertés et de la détention

Afin de faciliter l'organisation du travail des juridictions, d'accélérer le traitement des dossiers et de renforcer l'attractivité des fonctions de juge des libertés et de la détention, l'article 13 transfère les fonctions civiles que celui-ci exerce en matière de contentieux des étrangers et de contentieux des hospitalisations sous contrainte à un magistrat du siège.

La commission a estimé que ce transfert constituait une réponse équilibrée aux difficultés d'organisation des juridictions générées par le manque de juge des libertés et de la détention et qu'il ne remettait pas en cause les garanties apportées aux justiciables. En conséquence, elle a adopté cet article sans modification.

1. Un juge des libertés et de la détention dont les fonctions non répressives occupent une part croissante de l'activité

Le constat de l'accroissement continu des missions dévolues au juge des libertés et de la détention depuis sa création par la n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes fait aujourd'hui consensus. Outre l'extension de son activité pénale, le juge des libertés et de la détention a également vu son office s'étendre à des activités non répressives qui lui sont confiées par des lois particulières, conformément aux dispositions de l'article L. 213-8 du code de l'organisation judiciaire.

Ces fonctions non répressives, communément assimilées à des fonctions civiles, concernent principalement le contentieux des étrangers et celui de l'hospitalisation sous contrainte. Selon les données transmises par le Gouvernement, le volume de dossiers traités par le juge des libertés et de la détention en 2022 dans le premier domaine était d'environ 39 500, à raison d'environ 6 850 dossiers pour le maintien en zone d'attente et de 32 500 pour le placement ou la prolongation de la rétention administrative. S'agissant des mesures d'hospitalisation sous contrainte, le volume global de dossiers se portait à environ 115 000, dont environ 30 % concernaient des mesures de contention et d'isolement.

Le développement et la diversification croissante de l'office du juge des libertés et de la détention vont de pair avec un inquiétant phénomène de désaffection pour ces fonctions. S'il n'est pas nouveau, ce constat a été encore une fois réaffirmé dans le rapport issu des états généraux de la justice qui mentionne le fait que « l'extension continue de l'office du JLD
et la désaffection pour ces fonctions conduisent à affaiblir son action
 »273(*). Dans la pratique, cette désaffection s'illustre notamment par un taux de vacance élevé pour ces postes. Celui-ci était de 16,10 % au 1er janvier 2023, en augmentation de 3,6 points par rapport à l'année précédente274(*). En volume, cela représente 224 postes occupés sur un total de 267 postes à pourvoir.

Nombre d'affaires nouvelles de la compétence du juge des libertés
et de la détention enregistrées annuellement en contentieux des étrangers
et de l'hospitalisation sous contrainte

 

2018

2019

2020

2021

2022

Contentieux des étrangers

48 159

49 141

30 698

37 774

39 418

Dont rétention administrative

39 779

40 590

25 357

31 201

32 578

Dont zone d'attente

8380

8551

5 341

6 573

6 840

Hospitalisations sous contrainte

80 765

81 886

81 094

83 049

115 845

Dont placement sous contention et isolement

-

-

-

26 656

34 393

Source : Direction des services judiciaires

2. L'article 15 : transférer à un magistrat du siège les fonctions civiles exercées par le juge des libertés et de la détention en matière de droit des étrangers et d'hospitalisation sous contrainte

L'article 15 transfère les fonctions non répressives du juge des libertés et de la détention en matière de contentieux des étrangers et d'hospitalisation sous contrainte à un « magistrat du siège du tribunal judiciaire ». L'objectif affiché est triple :

- renforcer l'attractivité du poste de juge des libertés et de la détention en le recentrant sur ses fonctions pénales et, en miroir, renforcer celle de juge civiliste en lui permettant de développer une expertise dans le domaine des mesures privatives de liberté ;

offrir davantage de souplesse à des juridictions dont l'organisation est durement affectée par l'insuffisance du nombre de juges des libertés et de la détention. Cela s'explique notamment par l'impossibilité d'organiser sa suppléance en matière civile, contrairement à ce que prévoit l'article 137-1-1 du code de procédure pénale en matière pénale ;

accélérer le traitement des dossiers correspondants par l'augmentation du nombre de juges compétents pour statuer. La direction des services judiciaires a indiqué au cours de son audition par les rapporteurs que les magistrats du siège concernés seraient désignés par l'ordonnance de roulement du président du tribunal judiciaire et que l'intégralité des magistrats non spécialisés étaient susceptibles d'être désignés, en fonction de la taille de la juridiction et du volume de l'activité contentieuse.

Il doit être précisé que, dans le cadre des États généraux de la justice, une solution de cette nature avait été proposée par le groupe de travail sur la simplification de la justice pénale qui plaidait pour la création de « deux fonctions distinctes pour exercer les missions qui incombent au juge des libertés et de la détention : d'une part, un magistrat statutaire, du premier grade, prenant en charge la matière exclusivement pénale; d'autre part, un magistrat prenant en charge la matière civile et administrative quel que soit son grade »275(*).

Ce transfert des fonctions non répressives du juge des libertés et de la détention vers un magistrat du siège devra s'accompagner d'une évolution de la formation initiale et continue des magistrats. Si les contours n'en sont pas clairement définis à ce stade, l'étude d'impact évoque notamment une refonte des contenus pédagogiques de la formation initiale afin de proposer une formation de découverte de ces contentieux ainsi qu'un dispositif de préparation aux premières fonctions. La direction des services judiciaires estime également que la possibilité pour le juge non spécialisé d'être assisté par les nouveaux attachés de justice dont la création est prévue par l'article 11 facilitera la mise en oeuvre de ce transfert.

En termes de ressources humaines, le bénéfice du transfert de ces deux blocs contentieux est évalué dans l'étude d'impact à 83,6 ETP « juges » et 121,2 ETP fonctionnaires de greffe. S'agissant de la rémunération, le rapport annexé au projet de loi précise que « les indemnités d'astreinte des magistrats intervenant les fins de semaine dans les fonctions civiles actuellement dévolues au juge des libertés et de la détention seront maintenues sans que des quotas d'astreinte puissent leur être opposés »276(*).

L'article 15 tire par ailleurs les conséquences au niveau législatif des dispositions de l'article 5 du projet de loi relatif à l'ouverture, la modernisation et la responsabilité du corps judiciaire en procédant à deux coordinations277(*).

3. La position de la commission : un transfert qui facilitera l'organisation des juridictions sans remettre en cause les droits des justiciables

La commission n'a pas remis en cause le transfert des fonctions non répressives du juge des libertés et de la détention à un magistrat du siège. Elle a considéré que cette disposition avait le mérite de proposer une réponse équilibrée aux difficultés d'organisation des juridictions générées par la désaffection pour les fonctions de juge des libertés et de la détention et qui ne se fasse pas au détriment des garanties apportées aux justiciables.

Du reste, cette analyse est partagée par le Conseil d'État qui estime dans son avis sur le projet de loi que « la disposition envisagée n'affaiblit pas les garanties individuelles devant entourer les mesures privatives de liberté dans les domaines [concernés] mais devrait permettre au contraire de mieux les assurer en remédiant aux difficultés pratiques rencontrées par les juridictions ». Il convient par ailleurs de rappeler que ce sont les magistrats judiciaires dans leur ensemble, et singulièrement du siège, qui sont les garants de la liberté individuelle au titre de l'article 66 de la Constitution et non les seuls juges des libertés et de la détention. À l'origine, ce dernier était conçu comme un tiers à la procédure disposant de suffisamment d'autorité pour, le cas échéant, pouvoir déjuger l'un de ses collègues. Or, ce besoin n'existe pas dans les matières administratives que sont le droit des étrangers et l'hospitalisation sous contraintes.

La commission a en outre considéré que le transfert proposé faciliterait considérablement l'organisation des juridictions, avec un vivier de magistrats compétents élargi et une charge de travail mieux répartie. Rien n'interdirait par ailleurs que le juge des libertés et de la détention continue à assumer prioritairement les missions concernées dans les juridictions où cela est possible. La commission a ainsi estimé que ce dispositif représentait une souplesse d'organisation intéressante offerte à des juridictions qui pâtissent durement de la pénurie de juge des libertés et de la détention.

La commission a adopté l'article 15 sans modification.


* 273 Rapport du comité des États généraux de la justice, 8 juillet 2022, p. 108.

* 274 Ce taux était néanmoins plus élevé par le passé, avec un pic à 36 % en 2017. Il s'est progressivement réduit avant une nouvelle augmentation à partir de 2022 (voir étude d'impact, p. 301).

* 275 Étude d'impact, p. 303.

* 276 Rapport du groupe de travail sur la simplification de la justice pénale, 8 juillet 2022, p. 29 (mentionné dans l'étude d'impact, p. 303).

* 277 À l'article L. 213-10 du code de l'organisation judiciaire et à l'article 137-1-1 du code de procédure pénale.