D. LUTTER CONTRE LA FRAUDE ET LES FLUX ILLICITES, UNE PRIORITÉ POUR LES ADMINISTRATIONS DE LA MISSION

Si la lutte contre la fraude et contre les flux illicites font respectivement partie des missions prioritaires de l'administration fiscale et de la Douane, d'autres administrations y contribuent. Ainsi, sur le programme 218, ce sont 4,2 millions d'euros en AE et 3,6 millions d'euros en CP qui sont demandés pour Tracfin aux seules fins de la mise en place du plan de lutte contre toutes les fraudes aux finances publiques, présenté par le Gouvernement au mois de mai 202320(*). Ces crédits devront permettre de financer la poursuite de l'adaptation des outils numériques de détection des fraudes ainsi que le développement des capacités de renseignement, en renforçant les moyens d'enquête et d'investigation21(*).

1. La valorisation de la donnée, un impératif pour renforcer l'efficacité de la lutte contre la fraude
a) Les résultats du contrôle fiscal s'inscrivent dans le rebond observé depuis l'an dernier

Après plusieurs années de baisse inquiétante des résultats du contrôle fiscal, l'année 2019 a marqué un net rebond, les recettes du contrôle fiscal ayant atteint 11 milliards d'euros, auxquels s'ajoutaient 385 millions d'euros du service de traitement des déclarations rectificatives (STDR) et 550 millions d'euros générés par les conventions judiciaires d'intérêt public (CJIP), dont celle conclue par Google pour 500 millions d'euros.

Les résultats pour l'année 2020 ont, eux, mécaniquement été affectés par la crise sanitaire. Le rendement budgétaire du contrôle fiscal a alors atteint 7,8 milliards d'euros : ce chiffre était certes inférieur de plus de 40 % au résultat observé en 2019, mais était du même niveau que celui constaté en 2018.

En 2022, les montants recouvrés au titre du contrôle fiscal ont atteint 10,6 milliards d'euros, en stabilisation par rapport à 2021 (10,7 milliards d'euros). Le niveau de 2019 a donc quasiment été atteint.

Évolution des montants encaissés au titre du contrôle fiscal

(en millions d'euros)

Source : commission des finances, d'après le rapport de la mission d'information de la commission des finances sur la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales ainsi que le rapport d'activité de la direction générale des finances publiques pour l'année 2022

Le rapporteur spécial souligne avec un certain étonnement que, pour l'année 2022, le Gouvernement a décidé de présenter d'abord les montants mis en recouvrement (14,6 milliards d'euros) avant les montants recouvrés. Il avait pourtant fait le choix, dès 2019, de ne plus présenter que les montants recouvrés, plus représentatifs des progrès accomplis en matière de lutte contre la fraude.

b) La valorisation de la donnée, un enjeu majeur pour la lutte contre la fraude
(1) La mission requêtes et valorisation de la DGFiP

Le contrôle fiscal a connu ces dernières années une transformation profonde de ces outils, avec un recours accru à l'intelligence artificielle ainsi qu'à l'exploitation des données de masse (datamining, text-mining). Cet axe fait lui aussi partie des 26 chantiers inscrits dans le plan de transformation ministériel. Ces nouvelles techniques sont au coeur des objectifs affichés par le Gouvernement, qui entend mettre à profit ces outils pour poursuivre le redressement des résultats du contrôle fiscal. Ils doivent permettre de détecter des cas de fraude plus complexe et plus sophistiquée, tout en amélioration la programmation des contrôles22(*).

À la fin de l'année 2022, 52 % des opérations de contrôle fiscal ont été programmées par le biais du datamining, soit une nette progression par rapport à 2021 (44,1 %), 2020 (32,5 %) et 2019 (22 %). Le Gouvernement a donc atteint la cible qu'il s'était fixée, de 50 %. L'efficacité du ciblage progresse également : le montant des droits et pénalités rappelés sur l'année 2022 sur les contrôles ciblés par intelligence artificielle s'est élevé à 2 milliards d'euros, soit 67 % de plus qu'en 2021 (1,2 milliard d'euros) et 2,5 fois plus que le montant moyen rappelé en 2019 et 2020 (autour de 790 millions d'euros).

Ces résultats sont positifs et illustrent ainsi la montée en puissance des nouvelles techniques d'analyse de la donnée, alors que les agents chargés du contrôle fiscal reçoivent des flux de données de plus en plus volumineux.

L'information du Parlement sur le recours et l'efficacité du datamining demeure toutefois imparfaite. À l'instar de ce qui est inscrit dans les recommandations de la mission d'information de la commission relative à la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales23(*), le rapporteur spécial souhaiterait que soient prévus, dans les documents budgétaires, des sous-indicateurs portant sur le taux de dossiers sélectionnés par la programmation centralisée (datamining) et ayant conduit, d'une part, au recouvrement de droits et pénalités et, d'autre part, à des contentieux à « enjeux » ou particulièrement complexes. Il existe en effet une incertitude quant à la capacité des traitements déployés à pouvoir déceler des schémas de fraude complexe, le plus souvent appuyés sur des montages transfrontaliers.

(2) Le service d'analyse de risque et de ciblage (DGDDI)

La Douane a également développé son propre service à compétence nationale dédié au traitement des données, le service d'analyse de risque et de ciblage (SARC).

Le service d'analyse de risque et de ciblage (SARC)

Le SARC, service à compétence nationale, a été créé par un arrêté du 29 février 2016. Entré en fonction en 2016, il est chargé de la production de l'intégralité des analyses de risque et études à vocation opérationnelle portant sur l'avant dédouanement, le dédouanement et la fiscalité. Il dispose également d'une cellule datascience chargée de valoriser les données douanières dans la lutte contre la fraude. Le SARC a une vocation directement opérationnelle : l'intégration des profils de ciblage dans l'outil Risk management system (RMS) ; l'orientation des contrôles ex-post 1 et ex-post 2 grâce à l'attribution des dossiers aux services concernés par le type de risque préalablement identifié.

Source : réponses au questionnaire budgétaire du rapporteur spécial

Ces outils seront plus que nécessaires pour la Douane, avec l'entrée en vigueur depuis le 1er juillet 2021 du paquet européen relatif à la TVA sur le commerce électronique. La règlementation européenne a en effet mis fin à l'exonération de TVA sur les envois à valeur négligeable (EVN - inférieurs à 22 euros en France) au profit d'un dispositif de guichet unique pour les biens de moins de 150 euros importés de pays ou de territoires tiers. L'exonération sur les EVN constituait en effet un ressort important de fraude à la TVA, la Cour des comptes parlant de « fraudes sans doute massives pour les envois en provenance des pays extra-européens «24(*), ce qu'Albéric de Montgolfier et Philippe Dallier avaient déjà montré en 201325(*).

Conséquence néanmoins, la Douane doit faire face à un afflux massif de déclarations, accru par la très forte progression du commerce électronique depuis le début de l'épidémie de covid-19 et impossible à contrôler individuellement. Selon le ministère de l'économie, des finances et de la relance, ce sont plus de 450 millions de déclarations électroniques en douane qui pourraient être faites, contre 15 millions aujourd'hui26(*).

Dans le cadre des travaux qu'elle mène sur son schéma directeur informatique, la Douane a identifié trois grandes priorités parmi l'ensemble des projets informatiques qu'elle mène : la refonte du dédouanement, la valorisation de la donnée et la lutte contre la fraude. L'ensemble du système d'information relatif à la lutte contre la fraude est en train d'être reconstruit afin d'améliorer la traçabilité des produits concernés et de pouvoir, par exemple, constituer une base de données et d'images des « positifs », c'est-à-dire des colis dans lesquels ont été trouvées des marchandises illicites ou des colis par lesquels ont été expédiées des marchandises sans que les parties à la transaction ne se soient acquittées de la TVA. Ce projet est en partie financé par le Fonds pour la transformation ministérielle (FTM), porté par le SG MEFSIN.

2. La lutte contre les trafics de toute nature, mission stratégique de la Douane, renforcé dans le cadre de la loi « Douane » du 18 juillet 2023

Administration de la frontière et de la marchandise, la Douane surveille et contrôle l'ensemble des flux de marchandises entrant et sortant du territoire. L'une de ses missions fondamentales, réaffirmée dans le cadre de sa revue stratégique, est de lutter contre les trafics de marchandises prohibées et les flux financiers illicites. Elle a ainsi saisi 104,8 tonnes de stupéfiants en 2022, retiré 11,5 millions d'articles contrefaits et, au nom de la lutte contre la fraude financière, saisi ou identifié des avoirs pour un montant total de 175,5 millions d'euros.

Les prérogatives de la Douane ont été modernisées et significativement renforcées dans le cadre de l'examen du projet de loi visant à donner à la douane les moyens de lutter contre les nouvelles menaces27(*). Une réforme du « droit de visite » des douaniers, qui correspond à un droit de fouille des personnes, des marchandises et des moyens de transport, était en effet impérative après que le Conseil constitutionnel a estimé que l'article 60 du code des douanes n'était pas conforme à la Constitution28(*). En parallèle, les agents des douanes se sont également vus octroyer de nouveaux pouvoirs, tels que la possibilité de sonoriser et de capter des images dans le cadre des enquêtes douanières, d'accéder et de saisir des données numériques dans le cadre des visites domiciliaires, de moderniser le délit de blanchiment douanier, de favoriser les échanges d'information entre l'autorité judiciaire et la Douane ou encore, à l'initiative du Sénat, de pouvoir mieux lutter contre la fraude à la détaxe de TVA.

Deux dispositions avaient également été insérées dans le texte dans un double objectif de lutter contre la fraude et de renforcer les prérogatives de la Douane dans la perspective des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 : la création d'une réserve opérationnelle douanière et la possibilité, pour les douaniers, de procéder à une retenue d'argent liquide sur le territoire, à la condition qu'il existe des indices que cet argent est lié à une activité criminelle (terrorisme, fabrication et trafic de stupéfiants, criminalité organisée, corruption, fraude fiscale grave).

Au regard de l'ampleur des modifications apportées par la loi « Douane », le rapporteur spécial a interrogé la directrice générale des douanes et des droits indirects sur la mise en oeuvre des dispositions de la loi, qui supposent d'importants efforts d'adaptation de la part des agents.

Ainsi, une partie de la très forte hausse des crédits demandés au titre des dépenses d'investissement (+ 42 %) s'explique par l'enveloppe spéciale octroyée à la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED), concernées par la quasi-totalité des dispositions de la loi « Douane ». Cette enveloppe de 22,7 millions d'euros en AE et de 15,4 millions d'euros en CP serait allouée aux travaux informatiques, à l'acquisition de matériels techniques, aux opérations immobilières et à l'acquisition de véhicules.

Quant à l'application du nouvel article 60, un dispositif de formation avait été finalisé dès le mois de juin 2023 et une première évaluation de la mise en application de la loi est prévue pour la mi-janvier 2024. La lutte contre le blanchiment douanier à l'intérieur du territoire, désormais autorisée et partie intégrante des missions de la Douane, a été mise en place très rapidement après la promulgation de la loi et a déjà mené à de « belles affaires », pour citer la directrice des douanes.

S'agissant de l'impact des Jeux olympiques et paralympiques, la Douane devrait à la fois être affectée sur ses missions traditionnelles (dédouanement des matériels nécessaires, lutte contre la contrefaçon) ainsi que sur sa mission prioritaire, la mission de garde-frontières. La direction générale a d'ores et déjà commencé à travailler sur un plan de continuité.

Les effectifs de la Douane et les Jeux olympiques
et paralympiques de Paris 2024

La mobilisation des agents des douanes concernera la quasi-totalité des effectifs douaniers des unités de la Surveillance et une part de ceux des Opérations commerciales seront mobilisés pendant la période des Jeux. Les directions interrégionales seront réparties en trois niveaux permettant d'adapter à la fois le niveau de mobilisation des effectifs et à la fois la priorisation des allocations de renforts (environ 230 personnes). Les autres directions ont été appelées à construire leur programmation d'activité en fonction des priorités et en privilégiant les reports en interne ou les reports de congés.

Des agents mobiles de la réserve « Paris Spécial » seront mobilisés et le déroulé de la scolarité de la promotion 2024 des élèves agents de constatation des douanes a été modifié afin qu'ils bénéficient des formations fondamentales (tir, techniques d'intervention) avant d'être projetés sur les sites des compétitions.

Source : audition de la directrice générale des douanes et des droits indirects par le rapporteur spécial

Le rapporteur regrette à cet égard que, selon les informations transmises par la Douane, la réserve opérationnelle ne sera pas effective pour les Jeux, alors même que sa mise en place avait été en partie justifiée par cette échéance. En audition, la directrice a ainsi expliqué que les dispositions législatives nécessitaient plusieurs textes d'application destinés à préciser les conditions de recrutement, de formation, d'habilitation, de port d'arme si nécessaire et d'indemnisation. Ces textes devraient paraître au cours de l'année 2024.


* 20 Ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, Feuille de route « Lutte contre toutes les fraudes aux finances publiques », mai 2023. 

* 21 Selon les informations transmises au rapporteur par le secrétariat général du ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

* 22 Pour plus de détails, le lecteur est invité à se reporter au rapport de la mission d'information de la commission des finances relative à la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales.

* 23 Ibid.

* 24 Cour des comptes, La fraude aux prélèvements obligatoires, décembre 2019.

* 25 « Les douanes face au commerce en ligne : une fraude fiscale importante et ignorée », rapport d'information n° 93 (2013-2014) de MM. Albéric de MONTGOLFIER et Philippe DALLIER, au nom de la commission des finances, déposé le 23 octobre 2013.

* 26 Selon des données reprises dans Les Échos, «  TVA sur l'e-commerce : Bercy se prépare au big bang du 1er juillet », 22 avril 2021.

* 27 Loi n° 2023-610 du 18 juillet 2023 visant à donner à la douane les moyens de faire face aux nouvelles menaces.

* 28 Conseil constitutionnel, décision n° 2022-1010 QPC du 22 septembre 2022.

Partager cette page