II. LES OBSERVATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL PAR PROGRAMME
A. LE PROGRAMME 165 « CONSEIL D'ÉTAT ET AUTRES JURIDICTIONS ADMINISTRATIVES »
1. Une maitrise des délais de jugement satisfaisante permise par l'allocation de moyens budgétaires adaptés
Le principal enjeu de la mission Conseil et contrôle de l'État demeure l'adéquation des moyens du programme 165 avec la croissance continue du contentieux administratif, en particulier dans le cadre de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA). La baisse des AE consommées entre 2022 et 2023 ou la sous exécution des AE et des CP en 2023 par rapport aux prévisions de la LFI ne sont pas alarmantes et ne doivent pas masquer une hausse de long terme des AE et des CP prévus et consommés qui répond à l'accroissement de l'activité juridictionnelle.
Évolution de l'exécution des crédits du programme 165 (2021-2023)
(en millions d'euros)
Source : Commission des finances du Sénat, d'après les RAP de la mission « Conseil et contrôle de l'État »
Délai moyen constaté de jugement par
niveau de juridiction administrative,
y compris procédures
d'urgence
2021 réalisation |
2022 réalisation |
2023 cible |
2023 réalisation |
|
Conseil d'État |
7 mois et 8 jours |
7 mois et 14 jours |
9 mois |
7 mois et 8 jours |
Cours administratives d'appel |
11 mois et 15 jours |
11 mois et 18 jours |
11 mois |
11 mois et 16 jours |
Tribunaux administratifs |
9 mois et 16 jours |
9 mois et 20 jours |
10 mois |
9 mois et 20 jours |
CNDA - procédures ordinaires |
8 mois et 16 jours |
7 mois et 5 jours |
6 mois |
6 mois et 26 jours |
CNDA - procédures accélérées |
17 semaines |
5 mois et 8 jours |
6 semaines |
4 mois et 29 jours |
Source : Commission des finances du Sénat, d'après le RAP « Conseil et contrôle de l'État » annexé au projet de loi relative aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes de l'année 2023
Le délai moyen constaté de jugement des affaires en 2023 est de 7 mois et 8 jours pour le Conseil d'État (- 6 jours par rapport à 2022). Le respect, par le Conseil d'État, de délais moyens constatés inférieurs à la cible définie dans les projets annuels de performances (PAP) pour les trois dernières années est notamment lié à la progression des référés sur lesquels le juge statue dans des délais courts. Par ailleurs, les cours administratives d'appel (CAA) et les tribunaux administratifs (TA) parviennent à stabiliser, voire à réduire légèrement, les délais de jugement, alors même que les premières sont ralenties par le traitement de dossier lourds et anciens comme ceux concernant l'urbanisme, et que les seconds composent avec une forte augmentation des dossiers enregistrés (+ 6,7 % en 2023 par rapport à 2022, année aux statistiques déjà historiquement hautes avec plus de 250 000 requêtes) surmontée grâce à l'augmentation du nombre de dossiers traités par magistrat de TA (+ 2 %).
Concernant la CNDA, en l'espace d'une dizaine d'années, le nombre de recours portés devant la juridiction du droit d'asile a plus que doublé, s'élevant à plus de 60 000 par an depuis 2021. Pour faire face à cet afflux, le rapporteur spécial a pu constater à l'occasion de son récent contrôle budgétaire sur la CNDA2(*) que la Cour a augmenté ses capacités de jugement grâce, notamment, à des recrutements importants, à la professionnalisation des juges de l'asile soumis à une norme élevée, à un rythme soutenu du traitement des affaires, à la dématérialisation des procédures, complétée par des audiences foraines en outre-mer afin de résorber les stocks. Ainsi, depuis 2021, la Cour a un taux de couverture excédentaire, c'est-à-dire qu'elle juge plus d'affaires que le nombre de recours introduits sur l'année.
Le délai moyen global constaté à la CNDA est correct, dans la mesure où il s'établit à 6 mois et 3 jours pour 2023. Il masque toutefois des disparités territoriales, notamment dans les outre-mer, mais aussi selon le type de procédure : tandis que le délai moyen est de 6 mois et 26 jours en procédure normale en 2023, il est de 4 mois et 29 jours pour les procédures accélérées, loin du délai de cinq semaines fixé par le législateur. Comme exposé à l'occasion du contrôle budgétaire sur la CNDA susmentionné, le rapporteur spécial considère qu'un allongement du délai cible à trois mois pour les procédures accélérées serait plus réaliste.3(*)
Le rapporteur spécial tient à souligner l'importance de la maîtrise de ces délais, dès lors qu'une réduction d'un mois du délai de jugement peut produire une économie de 91 millions d'euros, qui correspond au coût mensuel de la prise en charge des demandeurs d'asile, hors dépenses de santé et d'éducation.
Le rapporteur spécial constate qu'en mettant de côté les dépenses d'investissement exceptionnelles immobilières liées au relogement de la CNDA avec le tribunal administratif de Montreuil, les dépenses agrégées de personnel et de fonctionnement ont été multipliées par 2,8 depuis 2010 et suivent globalement l'évolution du nombre de recours quant à lui multiplié par 2,4 entre 2010 et 20234(*).
2. Une augmentation tendancielle des dépenses de personnel et une exécution stable du schéma d'emploi masquant néanmoins des politiques de ressources humaines perfectibles
Les dépenses de personnel du programme 165, hors CAS Pensions, sont passées de 284,3 millions d'euros en 2022 à 299,8 millions d'euros de CP et d'AE en 2023. Cette augmentation de 5,4 % s'inscrit dans la même tendance que la hausse constatée (+ 5,6 %) entre les exécutions 2021 et 2022.5(*) Les principaux facteurs d'évolution à la hausse de la masse salariale, hors CAS Pensions, sont les revalorisations du point d'indice (+ 5,1 millions d'euros) l'impact d'un schéma d'emploi positif (+ 3,9 millions d'euros), et diverses mesures catégorielles (+ 2,4 millions d'euros).
La consommation 2023 du plafond d'emplois s'élève à 4 261 ETPT soit une augmentation de 42 ETPT par rapport à la consommation 2022. Cette hausse résulte de l'impact du schéma d'emplois réalisé en 2023 (+ 21 ETPT pour 38 créations d'emplois) et de l'extension en année pleine du schéma d'emplois 2022 (+ 20,5 ETPT). La légère sous-consommation du plafond d'emplois autorisé (4 330 ETPT) est stable par rapport à 2022 (69 ETPT en 2023, contre 67 ETPT en 2022).
Le rapporteur spécial reconnait la mobilisation de moyens budgétaires permettant le renforcement des juridictions administratives. Cependant, il tient à rappeler que les seules appréciations quantitatives (augmentation de l'enveloppe budgétaire, pleine consommation du schéma d'emplois...) sont insuffisantes pour rendre compte de la réalité qualitative des moyens humains déployés et de l'efficacité des juridictions administratives. Ainsi, concernant la CNDA, qui a pourtant largement bénéficié des créations d'emplois du programme 165 depuis 2018, le rapporteur spécial a constaté que les politiques de formation et de gestion des ressources humaines de la cour demeuraient perfectibles : absence d'obligation de formation des juges de l'asile, manque d'attractivité des postes de rapporteurs induisant une très forte mobilité de ces derniers et donc des surcoûts de gestion6(*).
3. Une sous-exécution significative des AE et une baisse relative du taux d'exécution des CP principalement liées aux dépenses d'investissement et de fonctionnement
Les AE consommées sont passées de 553,2 millions d'euros en 2022 à 516,2 millions d'euros en 2023 (- 6,7 %). Cette baisse apparente, qui s'explique d'une part par une consommation d'AE exceptionnellement haute en 2022 du fait de reports des AENE au bénéfice d'importantes dépenses d'investissement, et d'autre part par une sous-consommation des AE prévues en LFI 2023 (taux d'exécution de 84,4 % en 2023 contre 125,2 % en 2022), masque une hausse tendancielle de la consommation d'AE depuis 2020 (+ 13 %). La sous-exécution des AE en 2023 résulte concomitamment d'AENE sur des opérations d'investissements (seules 6,1 millions d'euros des 47,8 millions d'euros d'AE prévues en LFI pour les immobilisations corporelles de l'État ont été consommées), d'une évolution des conditions de durée de renouvellement du bail du site Richelieu, d'une progression de la masse salariale inférieure aux prévisions, ainsi que de dépenses de fonctionnement (frais de justice, frais postaux, interprétariat, consommables, dépenses courantes ...) significativement inférieures à celles prévues en LFI 2023 (103,8 millions d'euros d'AE consommées contre 153,4 millions d'euros prévues en LFI 2023).
Les CP consommés ont atteint 501,3 millions d'euros en 2023 (+ 5,3 %), avec un taux d'exécution des crédits prévus en LFI qui régresse légèrement, passant de 99 % en 2022 à 95,5 % en 2023. Cette sous-exécution s'explique d'une part, par une sous-consommation de 8,9 millions d'euros des dépenses de fonctionnement (frais de justice, fonctionnement courant, informatiques et immobiliers relevant du titre 3), et d'autre part par un écart de 8,8 millions d'euros entre les dépenses d'investissement prévues et celles exécutées en raison notamment d'un décalage de calendrier dans la réalisation de certaines opérations immobilières.
* 2 La Cour nationale du droit d'asile : une juridiction qui s'adapte sans cesse aux "chaos du monde", Rapport d'information n° 604 (2023-2024) de M. Christian Bilhac, fait au nom de la commission des finances du Sénat, déposé le 15 mai 2024.
* 3 Ibid., p.45.
* 4 Ibid., p.47.
* 5 Annexe relative à la mission « Conseil et contrôle de l'État » au rapport, présenté par M. Christian Bilhac au nom de la commission des finances du Sénat sur le projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2022, déposé le 28 juin 2023, p.10.
* 6 La Cour nationale du droit d'asile : une juridiction qui s'adapte sans cesse aux "chaos du monde", Rapport d'information n° 604 (2023-2024) de M. Christian Bilhac, fait au nom de la commission des finances du Sénat, déposé le 15 mai 2024, p.64.