B. UN COÛT RELATIVEMENT MAÎTRISÉ, QUI SEMBLE S'EXPLIQUER AVANT TOUT PAR UNE FAIBLE ÉVOLUTION DU TAUX DE RECOURS

1. Un coût qui s'inscrit dans les prévisions budgétaires initiales

Le rapport à la commission des comptes de la sécurité sociale de septembre 2023 montrait que les dépenses d'indemnités journalières liées au congé de paternité et d'accueil de l'enfant avaient augmenté de 41 % en 2021 par rapport à 2020 pour s'établir à 333 millions d'euros au total. Cette hausse de 95 millions d'euros, à laquelle s'ajoutent les pertes de recettes, qui se chiffreraient entre 50 et 100 millions d'euros pour 2021, révèle un coût moindre au regard de l'incidence budgétaire estimée a priori.

Lors de l'année 2022, première année pleine de mise en oeuvre du dispositif, les dépenses du congé paternité ont augmenté de plus de 74 % par rapport à 2021, pour s'élever à 582 millions d'euros144(*) en raison de la montée en charge du dispositif et de l'extension de cette mesure aux collaborateurs des professions libérales (article 96 de la LFSS pour 2022). Toutefois, il convient de noter que les prévisions budgétaires présentées en septembre 2022 à la commission des comptes de la sécurité sociale prévoyaient une dépense de 514 millions d'euros, soit une différence de 68 millions d'euros par rapport aux dépenses effectivement constatées.

Pour l'année 2023, le rapport à la commission des comptes de la sécurité sociale indique une relative stabilisation autour de 600 millions d'euros au total, ce qui est proche de la prévision initiale. Ces dépenses devraient continuer d'augmenter légèrement en 2024, « tirées notamment par une évolution du salaire moyen qui demeurerait élevée (+2,9 %) et surtout par une baisse de la natalité moins forte qu'en 2023 »145(*).

Évolution du montant des indemnités journalières
de paternité et d'accueil du jeune enfant

(en millions d'euros)

Source : Commission des affaires sociales du Sénat, d'après les chiffres du rapport à la commission des comptes de la sécurité sociale de mai 2024

Pour estimer précisément l'impact budgétaire de la réforme du congé paternité, il convient d'estimer ce qui relève spécifiquement des 14 jours supplémentaires ainsi que du caractère obligatoire des sept premiers jours du congé de naissance puis de paternité. Dans sa réponse au questionnaire transmis par le rapporteur, la direction de la sécurité sociale (DSS) indique qu'en 2023 « l'allongement de la durée du congé paternité de 14 jours représenterait un coût en prestations (hors effets en cotisation) de l'ordre de 0,4 milliard d'euros », soit un coût relativement proche des 388 millions d'euros estimés en 2021. La DSS ne semble toutefois pas inclure le coût spécifique du caractère obligatoire des premiers jours de congé suivant la naissance dans cette estimation.

2. Une réforme qui tarde cependant à produire ses effets
a) Une faible augmentation du taux de recours

Dans sa réponse au questionnaire transmis par le rapporteur, la DSS indique que 46 % des pères ayant eu un enfant au cours de l'année 2023 ont entamé un congé paternité au cours de l'année. Elle indique que, depuis 2021, cette part est stable, tout en précisant « que les parents relevant de la fonction publique ou de régimes spéciaux ne sont pas comptabilisés ».

Concernant précisément l'évolution du taux de recours, c'est-à-dire la part des pères, parmi ceux éligibles au dispositif, qui ont recours au congé de paternité, le rapporteur déplore l'absence de chiffres actualisés ainsi que l'impossibilité de disposer, autrement que par le moyen d'enquêtes statistiques ponctuelles, d'une ventilation fine par catégorie socio-professionnelle et statut d'emploi. En effet, les derniers chiffres disponibles, issus de l'enquête de la Drees publiée en juillet 2023, portent sur l'année 2021, soit avant la mise en oeuvre de la réforme. Le taux de recours au congé de paternité était alors estimé en moyenne à 71 % (avec des variations importantes, selon la situation dans l'emploi notamment, passant de 46 % pour les indépendants à 91 % pour les fonctionnaires ou agents en CDI du secteur public)146(*).

Une étude de la Drees réalisée dans la continuité de l'enquête Mode de garde et d'accueil des jeunes enfants 2021 et menée entre avril et septembre 2022147(*) permet de livrer quelques éléments sur l'appropriation de cette réforme. Elle montre que si le congé paternité est perçu comme une évidence par la plupart des parents interrogés, les contraintes professionnelles pèsent toujours fortement sur la prise effective de celui-ci. Par ailleurs, cette enquête laisse apparaître notamment une confusion entre les différents dispositifs (congé de naissance / congé de paternité), qui pourrait avoir un impact sur le déploiement de la mesure.

D'après l'étude de la Dress de juillet 2023 précitée, parmi les pères ayant bénéficié d'un congé paternité post-réforme, seulement 20 % déclarent avoir eu recours au fractionnement de leur jours de congé de paternité permis par la réforme et entre 25 et 35 % des pères n'auraient pris que partiellement leurs jours de congés (contre 8 % avant la réforme). Chez les pères ayant pris leurs jours de congés de paternité de manière fractionnée, les motivations sont principalement de deux ordres : ne pas s'absenter trop longtemps de leur travail, notamment chez les cadre et ouvriers qualifiés, et répondre aux contraintes organisationnelles familiales liées principalement au mode de garde de l'enfant. Ainsi, comme l'indique la Drees, « certains pères utilisent leurs jours de congés pour relayer la mère, après sa reprise d'activité professionnelle et en attendant d'obtenir une place »148(*).

Toutefois, ces éléments ne permettent pas de mesurer de manière fiable les effets réels de la réforme, en raison du manque de recul et de la trop faible appropriation par les pères au moment de l'enquête des nouvelles possibilités offertes par la réforme. Les informations transmises par la DSS au rapporteur permettent cependant d'identifier que les dépenses de congé de paternité qui n'ont été versées ni par le régime général (en intégrant le RSI), ni par les autres régimes, et qui relèvent donc de la fonction publique très largement, ont été très dynamiques entre 2021 et 2022, ce « qui pourrait être lié à l'allongement de la durée du congé de paternité et à une maximisation immédiate de la durée du congé par les pères fonctionnaires »149(*).

b) Le principal effet de la réforme : l'allongement de la durée du congé paternité

Enfin, s'il n'est possible à ce stade d'apprécier finement l'évolution du taux de recours, l'évolution du nombre de jours indemnisés par la Sécurité sociale peut quant à elle être analysée. Ainsi, d'après les données issues du système national des données de santé (SNDS) et analysées par la DSS, en 2023, 60 % des pères ont pris l'intégralité de leurs jours de congés de paternité (25 jours) et 4 % seulement se limitent aux quatre jours obligatoires à la suite du congé de naissance.

La durée moyenne du congé de paternité a ainsi augmenté de 12 jours entre 2020 (11 jours) et 2023 (23 jours). Pour mémoire, la durée maximale du congé paternité (hors naissances multiples) était alors de respectivement 11 jours et 25 jours.

Le montant moyen des indemnités journalières des salariés du secteur privé s'élève, selon les chiffres transmis par la DSS, à 70 euros en 2023, soit un coût moyen de 20 millions d'euros par journée de congé de paternité.

Nombre de jours moyen du congé maternité / paternité

Source : Rapport à la commission des comptes de la sécurité sociale, mai 2024

Inversement, on constate une baisse du nombre de pères bénéficiaires liée à la baisse de la natalité. En effet, le nombre de pères bénéficiaires a quant à lui diminué, passant ainsi de 340 000 en 2016 à 310 000 en 2023 (- 9 %).

La hausse des dépenses relatives au congé de paternité observée sur la période est donc en lien avec l'allongement de la durée moyenne de congé (+ 106 % de jours de congés de paternité indemnisé au régime général entre 2016 et 2023) et la hausse de l'indemnité journalière moyenne des pères (+ 9 % sur la même période), ce qui laisse à penser, comme l'indique le rapport de mai 2024 à la commission des comptes de la sécurité sociale, que « l'allongement du congé paternité en 2021 n'a pas conduit les pères qui ne recourent pas au congé paternité à y recourir davantage »150(*). Cependant, ces effets prix et durée d'indemnisation du régime général ne permettent pas d'expliquer l'ensemble de la hausse des dépenses de congé paternité (et maternité) constatée tous régimes confondus. Ainsi, l'alignement des modalités d'indemnisation des indépendants sur le régime général, l'allongement de la durée du congé de paternité et l'obligation de prendre les quatre premiers jours semblent bien avoir accru le recours et les durées de congés dans les autres régimes et particulièrement chez les indépendants.


* 144 Rapport à la commission des comptes de la sécurité sociale, mai 2024.

* 145 Rapport à la commission des comptes de la sécurité sociale, mai 2024.

* 146 Drees, « Premiers jours de l'enfant : un temps de plus en plus sanctuarisé par les pères via le congé de paternité », Études et Résultats n° 1275, juillet 2023.

* 147 Drees, Réforme du congé de paternité : modalités de recours, vécus, effets sur les inégalités femmes-hommes et la construction de la parentalité - Synthèse, juin 2023.

* 148 Drees, Réforme du congé de paternité : modalités de recours, vécus, effets sur les inégalités femmes-hommes et la construction de la parentalité - Synthèse, juin 2023.

* 149 Réponse au questionnaire transmis par le rapporteur.

* 150 Rapport à la commission des comptes de la sécurité sociale, mai 2024.

Les thèmes associés à ce dossier

Partager cette page