B. DES INSTRUMENTS QUI ONT ATTEINT LEURS LIMITES
1. APA et PCH : des concours décorrélés des besoins réels
a) L'obsolescence des concours APA
Les dépenses d'APA des départements - y compris l'APA à domicile - s'élevaient, en 2022, à 6,3 milliards d'euros.
Ces dépenses sont partiellement couvertes par les deux concours APA de la CNSA, dont l'enveloppe globale est limitée en fonction des recettes de la branche :
- le concours « APA 1 » s'élève globalement à 7,7 % des produits de la contribution de solidarité pour l'autonomie (CSA), de la contribution additionnelle de solidarité pour l'autonomie (Casa) et de la fraction du produit de la CSG affectée à la CNSA ;
- le concours « APA 2 » est financé à hauteur de 61,4 % du produit de la Casa.
Ces enveloppes sont réparties entre les départements suivant des critères spécifiques à chaque concours.
Les mécanismes de répartition des concours APA
• Le mécanisme de répartition du concours « APA 1 » entre les départements repose sur la prise en compte des critères suivants :
- le nombre de personnes âgées de plus de 75 ans, pour 50 % ;
- la dépense d'APA du département, pour 20 % ;
- le potentiel fiscal, pour 25 % ;
- le nombre de foyers bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA) résidant dans le département, à l'exception de ceux ayant droit au RSA majoré, pour 5 %160(*).
• La répartition du concours « APA 2 » est déterminée par la part de chaque département dans la charge nouvelle résultant de la création de l'aide au répit pour les proches aidants et de la revalorisation des plans d'aide APA par la loi « ASV »161(*).
Comme le relève la CNSA, les critères de répartition du concours « APA 2 » ne sont pas actualisés : son montant reste calculé en fonction d'un écart de dépenses par rapport à l'année 2015 et sa répartition a été figée par décret en 2016162(*). Ainsi, l'objectif initial de compensation pour chaque département des dépenses nouvelles résultant de la loi « ASV » n'est plus rempli par ce mode de calcul.
Au total, les deux concours APA sont aujourd'hui calculés et répartis suivant des logiques différentes, alors qu'ils contribuent au financement de dépenses strictement identiques. Il en résulte un dispositif globalement illisible.
b) Une couverture insuffisante des dépenses des départements
(1) APA : une progression masquant d'importantes disparités
Si la part des dépenses d'APA couverte par les concours de la CNSA a augmenté depuis 2010, cette couverture n'est que de 41,5 % en moyenne en 2022.
Évolution des dépenses d'APA des
départements
et de la part financée par la CNSA
(en millions d'euros)
Source : Rapport d'évaluation des politiques de sécurité sociale - Autonomie, édition 2024
Ce taux de couverture moyen masque de surcroît des disparités importantes entre les départements : en 2022, le taux de couverture des dépenses d'APA par département variait de 14 % (pour Paris) à 59 % (Saint-Barthélemy). Dans 25 départements, ce taux est inférieur à 40 %163(*).
(2) PCH : un taux de couverture en chute libre
Entre 2009 et 2022, le taux de couverture des dépenses de PCH des départements par le concours de la CNSA a chuté de 60,4 % à 33,4 %. En effet, l'augmentation de ce concours est loin d'avoir accompagné la montée en charge de la prestation.
Évolution des dépenses de PCH des départements et de la part financée par la CNSA
(en millions d'euros)
Source : Rapport d'évaluation des politiques de sécurité sociale - Autonomie, édition 2024
Là encore, il existe de grandes disparités entre départements : le taux de couverture des dépenses de PCH par la CNSA variait en 2022 de 20 % (Corse) à 72 % (Haute-Saône).
Le calcul et la répartition du concours PCH
Le concours PCH est financé à hauteur de 2 % des recettes de la CSA, de la Casa et de la fraction du produit de la CSG dévolue à la CNSA.
Le mécanisme de répartition du concours entre les départements repose sur la prise en compte des critères suivants164(*) :
- le nombre de personnes âgées de 20 à 59 ans du département (variable pondérée pour 60 % dans le calcul de la dotation du département) ;
- le nombre cumulé de personnes bénéficiaires de l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé (AEEH), de l'allocation pour adultes handicapés (AAH) et d'une pension d'invalidité dans le département (30 %) ;
- le nombre de bénéficiaires de la PCH augmenté du nombre de bénéficiaires de l'allocation compensatrice pour tierce personne (ACTP) dans le département (30 %) ;
- le potentiel fiscal corrigé du département (- 20 %).
Le concours a été augmenté, en 2022, d'un montant forfaitaire de 200 millions d'euros en compensation de la mise en oeuvre à compter du 1er janvier 2021 du volet « parentalité » de la PCH. Au regard de l'impact encore limité de cette réforme, cette revalorisation forfaitaire n'a pas été révisée pour prendre en compte l'impact financier, lui-même encore incertain, de l'introduction au 1er janvier 2023 d'un volet « soutien à l'autonomie » pour les personnes présentant des altérations des fonctions mentales, cognitives ou psychiques.
(3) La demande des départements d'une garantie de couverture minimale
Selon Départements de France, les dépenses liées à l'autonomie représentent près de 20 % des dépenses de fonctionnement des départements. Ces dépenses progressent à un rythme supérieur à l'inflation et à la moyenne des dépenses de fonctionnement des départements.
Compte tenu des projections d'augmentation de la population âgée dépendante, le reste à charge des départements sur les dépenses d'APA et de PCH pourrait se révéler insoutenable. Aussi, les départements demandent la garantie d'une couverture minimale de 50 % de leurs dépenses relatives à chacune de ces prestations.
Pour 2024, les modalités de mise en oeuvre du « geste financier » de 150 millions d'euros aux départements prévu par la LFSS pour 2024 ont été précisées par un décret du 6 juillet 2024165(*).
Ce complément doit être réparti entre les départements en prenant notamment en compte le niveau du financement attribué en 2023 au titre des concours APA : l'objectif est d'atteindre un taux de couverture minimal fixé par arrêté ministériel. N'y seront pas éligibles les départements ayant un potentiel fiscal par habitant trois fois supérieur à la moyenne de l'ensemble des départements, ni ceux pour lesquels la CNSA n'a pas constaté de dépenses au titre de la « dotation qualité » accordée aux services autonomie à domicile. D'après les estimations de Départements de France, ce dispositif devrait permettre de faire remonter au-dessus de 40 % la compensation APA des départements pour lesquels elle est la plus faible.
Le versement de ce « geste financier » devrait intervenir en octobre 2024.
c) Des mécanismes de compensation mis en place sans cohérence d'ensemble
Si les mesures financières et salariales introduites par les LFSS pour 2021 et 2022 répondent à des besoins structurels du secteur, les mécanismes de compensation qui ont été mis en place n'ont pas été conçus en cohérence avec les concours financiers existants.
Pour la CNSA comme pour les départements, ces nouveaux concours sont générateurs d'une charge de gestion disproportionnée. Les départements doivent en effet assurer des remontées d'information spécifiques en justification des compensations accordées.
En outre, selon la CNSA, ces instruments sont susceptibles de générer des doubles financements. En effet, les dépenses comptabilisées au titre du tarif plancher national, de la « dotation qualité » ou des revalorisations salariales peuvent inclure des dépenses d'APA et de PCH. Bien qu'il soit demandé aux départements de corriger de ces dernières les remontées à la CNSA au titre de ces concours, il leur est difficile d'opérer un suivi aussi fin en pratique et les possibilités de contrôle restent limitées.
Enfin, la compensation de la mise en place du tarif plancher a eu des effets ambivalents. Dans les départements qui pratiquaient des tarifs inférieurs au tarif plancher, cette mesure a permis une mise à niveau minimale, sans toutefois permettre de couvrir le coût revient des services d'aide et d'accompagnement à domicile dans un contexte inflationniste. En revanche, les départements qui pratiquaient une politique volontariste n'ont bénéficié d'aucun financement au titre de cette mesure, alors que ceux dont les efforts étaient moindres ont bénéficié d'une compensation à 100 % du surcoût lié à l'atteinte du tarif plancher, ce qui soulève une question d'équité et a pu générer des effets d'aubaine. Selon l'Union nationale de l'aide, des soins et des services aux domiciles (UNA), cette réforme aurait également entraîné des effets pervers en incitant à la « détarification » des services, avec des conséquences potentiellement négatives sur le reste à charge pour les usagers166(*).
2. Une réforme du concours MDPH à ajuster
a) Une contribution importante au financement des MDPH
Les concours de la CNSA au titre des MDPH se composent de deux enveloppes financières.
D'une part, la subvention de fonctionnement de l'État, fixée par la convention pluriannuelle d'objectifs et de moyens de chaque MDPH, est versée par la CNSA167(*). Cette contribution représenterait au total 82 millions d'euros en 2024.
D'autre part, la CNSA verse aux départements un concours relatif aux coûts d'installation ou de fonctionnement des MDPH168(*) dont le montant est déterminé par des critères paramétriques fixés par voie réglementaire. À la suite d'une augmentation destinée à compenser certaines revalorisations salariales, le montant de ce concours s'élèverait à 100 millions d'euros en 2024169(*).
D'après la CNSA, sur la base des informations communiquées par les MDPH, ces financements représentent un peu plus de 70 % de leurs recettes.
Toutefois, pour Départements de France, le montant de ces concours ne correspond plus aux besoins identifiés. Par exemple, le non-remplacement des personnels mis à disposition par l'État est désormais compensé par des montants inférieurs aux dépenses qu'il occasionne pour les départements.
b) Des critères de répartition à actualiser
Les règles de répartition des financements au titre du concours MDPH ont fait l'objet d'une révision à la suite de la LFSS pour 2021 puis des décrets du 29 juin 2021 et du 15 avril 2022170(*). Cette réforme s'est attachée à mieux refléter les coûts de fonctionnement des MDPH au prix d'une complexification notable des modalités de répartition du concours.
L'enveloppe affectée au concours MDPH comporte désormais deux parts :
- une part forfaitaire définie en fonction de tranches démographiques dans lesquelles sont classés les départements et prenant en compte le montant des dotations versées au nom de l'État (qui vient en déduction de la formule de calcul) ; un mécanisme de garantie permet à chaque MDPH de percevoir une part forfaitaire au moins égale à celle qu'elle a perçue en 2021 ;
- une part variable ayant vocation à adapter le montant du concours au volume d'activité de la MDPH, mesuré en fonction du nombre de bénéficiaires de prestations et du nombre de décisions d'orientation rendues dans le département. L'objectif est d'améliorer l'équité de répartition du concours en prenant en compte l'activité réelle de chaque MDPH. Cette part variable représente, au plus, 25 % du concours global.
Le calcul de la part variable du concours MDPH171(*)
La part variable attribuée à chaque département est déterminée selon la formule suivante :
PVd = (C-? PFd) × [(PAEEHd/ ? PAEEHd) × 30 % + (PPCHd/ ? PPCHd) × 30 % + (POMSd/ ? POMSd) × 40 %]
dans laquelle :
a) PVd représente la part variable perçue par chaque département ;
b) C représente le montant total du concours MDPH ;
c) PFd représente la part forfaitaire du concours ;
d) PAEEHd représente le nombre de personnes bénéficiaires de l'AEEH dans le département ;
e) PPCHd représente le nombre de personnes bénéficiaires de la PCH dans le département ;
f) POMSd représente le nombre annuel de décisions d'orientation vers un établissement ou un service médico-social prises par la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH) du département.
Selon la CNSA, bien qu'ils aient été élaborés conjointement avec les MDPH et les départements, ces critères de répartition ne font aujourd'hui plus consensus, certaines MDPH considérant qu'ils ne traduisent pas correctement leur niveau d'activité relatif.
Il est donc envisagé de tenir compte d'autres indicateurs de l'activité des MDPH et des charges qu'elles doivent assumer pour l'exercice de leurs missions.
* 160 Art. R. 178-7 du code de la sécurité sociale.
* 161 Art. R. 178-8 du code de la sécurité sociale.
* 162 Décret n° 2016-212 du 26 février 2016 relatif à certains concours versés aux départements par la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie.
* 163 Source : CNSA.
* 164 Articles L. 14-10-7 et R. 14-10-32 du code de l'action sociale et des familles.
* 165 Décret n° 2024-726 du 6 juillet 2024 relatif au complément de financement versé aux départements par la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie en application de l'article 86 de la loi de financement de la sécurité sociale du 26 décembre 2023 pour 2024.
* 166 Cf. rapport Sénat n° 252 (2023-2024) de Jean Sol et Jocelyne Guidez sur la proposition de loi portant mesures pour bâtir la société du bien-vieillir en France, déposé le 17 janvier 2024 - commentaire de l'article 8.
* 167 Art. L. 223-13 (III) du code de la sécurité sociale.
* 168 Art. L. 223-8 (3°, c) du code de la sécurité sociale.
* 169 Source : CNSA.
* 170 Décret n° 2022-560 du 15 avril 2022 relatif aux modalités de répartition du concours versé aux départements au titre du fonctionnement ou de l'installation des maisons départementales des personnes handicapées.
* 171 Art. R. 178-3 du code de la sécurité sociale.