B. LE FIVA, OPÉRATEUR EN CHARGE DE LA RÉPARATION DES VICTIMES DE L'AMIANTE, PROPOSE UNE QUALITÉ DE SERVICES SATISFAISANTE, MAIS DOIT AFFRONTER LE DÉFI DU NON-RECOURS ET D'UNE SITUATION FINANCIÈRE TENDUE
1. Une politique d'indemnisation ambitieuse auréolée d'une qualité de service reconnue
La politique d'indemnisation du Fiva, plus protectrice que celle qui a cours pour les autres AT-MP, se double d'une qualité de service qui fait aujourd'hui figure d'exemple.
a) Des délais d'indemnisation maîtrisés
Le Fiva est soumis à des délais réglementaires d'instruction et de paiement des offres : le fonds dispose de six mois pour instruire les demandes et, le cas échéant, présenter une offre à la victime, puis de deux mois pour payer l'offre187(*).
Il convient de se féliciter de ce que les délais s'imposant au Fiva soient aujourd'hui en moyenne respectés : les décisions de prise en charge ont été prises en moyenne en 3 mois et 3 semaines en 2023, soit un progrès de presque un mois par rapport à 2022. Ce progrès est notamment imputable au revirement de jurisprudence de la Cour de cassation concernant la dualité de la rente AT-MP. Initialement, le Fiva devait en effet retrancher de la rente qu'il verse au titre de l'incapacité fonctionnelle le montant de rente AT-MP correspondant à ce poste de préjudice, dès lors que la rente AT-MP était réputée couvrir à la fois le déficit professionnel et le déficit fonctionnel. Or la Cour de cassation estime désormais que la rente AT-MP n'indemnise que le déficit professionnel, et pas le déficit fonctionnel. Par conséquent, le Fiva n'a plus à retrancher de la rente qu'il verse au titre du déficit fonctionnel le montant de la rente correspondant à l'indemnisation de ce même poste de préjudices, ce qui accélère les procédures.
Sur les cinq dernières années, seule l'année 2020, particulière à bien des égards, avait donné lieu à un délai moyen de présentation des décisions excédant les exigences réglementaires.
Le Fiva satisfait également aux exigences réglementaires en ce qui concerne le délai de paiement : le délai moyen d'un mois et deux semaines en 2023 demeure bien inférieur au seuil des deux mois figurant dans le décret.
b) La satisfaction affichée par les victimes accompagnées par le Fiva
Le Fiva est, en outre, réputé pour la qualité de son service auprès des victimes. Le fonds met ainsi en avant un taux de satisfaction globale des victimes et ayants droit de 94,4 % en 2023 sur la qualité du service rendu par le Fiva.
Ces données sont étayées par les auditions conduites par la rapporteure sur la mission d'information « Branche AT-MP : vers un juste équilibre entre réparation et prévention des risques professionnels ». La fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés (Fnath) estime ainsi que « les relations sont plus fluides » avec le Fiva qu'avec les caisses de sécurité sociale. Le rôle du Fiva dans la diffusion et la transmission d'informations sur les pathologies subies et sur la procédure à suivre a notamment été souligné par l'association de victimes.
2. Deux défis pour l'avenir : le non-recours et l'équilibre financier
a) Le non-recours : une problématique désormais centrale pour le Fiva
Malgré une qualité de services satisfaisante, le Fiva déplore un taux de non-recours important, évalué autour de 35 % à 40 % des demandeurs. Ce taux de non-recours élevé réduit la portée de la politique en faveur des victimes de l'amiante et diminue les ressources des foyers des victimes de l'amiante.
Interrogé sur les causes de ce non-recours, le Fiva évoque « le manque d'information, le manque d'accompagnement et le manque d'intérêt »188(*) pour les prestations du fonds.
La lutte contre le non-recours est un des défis principaux auxquels le Fiva est aujourd'hui confronté. Symboliquement, la mission d' « identifier »189(*) les bénéficiaires potentiels fait, depuis la LFSS pour 2024190(*), pleinement partie des missions du fonds.
(1) Des stratégies déjà mises en oeuvre
Afin de diminuer le taux de non-recours, le Fiva s'est lancé, ces dernières années, dans différents chantiers visant à répondre au manque d'information des victimes. Un outil de saisine en ligne spécifique « Fiva demandeur » a ainsi été lancé en juin 2023. Il s'appuie sur le site internet du fonds, qui a été modernisé pour bénéficier d'un meilleur référencement en septembre 2023.
En outre, avec le concours du réseau Netmeso, le fonds a lancé une campagne d'information ciblée sur les victimes du mésothéliome, pathologie caractéristique de l'amiante : un flyer faisant figurer « les montants en euros [...] auxquels [elle]s peuvent avoir droit » est désormais remis « aux victimes de mésothéliomes lors de la consultation de diagnostic de la pathologie »191(*). Il s'agit là de lutter contre le défaut d'information, mais aussi de susciter l'intérêt des victimes en communiquant sur les moyens dont dispose le fonds pour les indemniser.
Enfin, le Fiva indique avoir « renforcé sa plateforme d'accueil téléphonique, et entend développer le "dispositif de suivi personnalisé" (DSP) qui accompagne dans leurs démarches via cette plateforme les victimes de cancers broncho-pulmonaires opérés et de mésothéliomes à d'autres victimes et ayants droit en situation difficile (objectif du COP 2024-2026) »192(*).
(2) Avec la LFSS pour 2024, l'espoir d'un passage à la vitesse supérieure dans la lutte contre le non-recours
Dans ces conditions, le Fiva « a oeuvré pour qu'une évolution législative importante lui permette d'obtenir des autres administrations et organismes de sécurité sociale les informations nécessaires afin de contacter de potentielles victimes qui n'ont pas encore réalisé de demande auprès du [fonds] »193(*).
C'est ainsi que l'article 89 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2024 prévoit, dans une logique d'aller-vers, que le Fiva puisse désormais contacter des potentiels bénéficiaires. Dans le détail, les administrations et organismes de sécurité sociale devront fournir au Fiva certaines données personnelles sur des potentiels bénéficiaires, par exemple sur des personnes traitées pour des pathologies caractéristiques de l'amiante.
Le Fiva indique souhaiter « que le décret lui permette d'obtenir adresse postale, numéro de téléphone, adresse mail, afin de pouvoir envoyer un courrier informatif mettant en avant l'intérêt d'engager des démarches auprès du Fonds et l'accompagnement possible ; les personnes concernées seraient contactées par téléphone une semaine après, comme dans le cas du DSP, pour les accompagner dans les démarches et répondre à leurs questions éventuelles »194(*). Sous réserve de la compatibilité de ces transferts avec le droit de la protection des données, la rapporteure pour la branche AT-MP soutient pleinement cette initiative, qu'elle avait déjà accueillie favorablement lors de l'examen du projet de loi à l'automne 2023.
À ce stade, un système sécurisé d'échanges de données entre la Cnam et le Fiva est déjà prêt : il pourra être déployé dès lors que le décret en Conseil d'État après avis de la Cnil sera pris. Si la transmission du projet de décret au Conseil d'État était initialement prévue dans le courant de l'été, la dissolution de l'Assemblée nationale a conduit à retarder ce calendrier, sans que le Fiva dispose « à ce jour d'une visibilité sur le calendrier de publication »195(*). La rapporteure pour la branche AT-MP appelle le Gouvernement à prendre les mesures d'application de l'article 89 de la LFSS pour 2024 afin de permettre au plus vite l'identification des potentiels bénéficiaires.
La rapporteure soutient également un autre projet mené par le Fiva en lien avec la DSS et les ARS afin de faire évoluer le formulaire de déclaration obligatoire des mésothéliomes afin que ceux-ci contiennent désormais des données qui pourraient être utilisées par le Fiva pour contacter les patients et faire connaître ses prestations.
b) Une situation budgétaire préoccupante
Il est également à noter que la situation financière du fonds est, par certains aspects, préoccupante.
Le fonds est en effet confronté à un « effet ciseaux » avec une baisse de ses recettes, et une augmentation de ses dépenses.
En recettes, comme le note le récent rapport de la Mecss sur les dotations de la sécurité sociale196(*), une politique de prélèvement sur fonds de roulement a été mise en oeuvre « afin d'apurer les excédents passés du fonds. Ainsi, en 2017, la dotation de la branche AT-MP a été diminuée en gestion de 400 M€ à 250 M€, dans un contexte où le fonds de roulement du fonds dépassait 150 M€ ». La dotation est ensuite restée structurellement insuffisante pour couvrir les dépenses du fonds, afin de consommer les réserves financières du fonds.
En parallèle, si la trajectoire tendancielle des dépenses du Fiva est décroissante du fait de la diminution du nombre de nouvelles personnes à indemniser, deux éléments récents ont entraîné un rebond des dépenses.
D'une part, le Conseil d'administration du Fiva a adopté, le 15 juin 2023, une revalorisation de 10,5 % du barème déterminant l'indemnisation des postes de préjudices extrapatrimoniaux pour les demandes reçues à compter du 1er octobre.
D'autre part, le revirement de jurisprudence de la Cour de cassation précité implique que le Fiva ne peut plus déduire tout ou partie de la rente AT-MP du montant de rente versé par le fonds au titre de la réparation de l'incapacité fonctionnelle. Cela a induit une hausse importante du nombre de rentes à gérer, de l'ordre de 30 % sur un an.
Ainsi, en 2023, le Fiva a signé un résultat comptable déficitaire de plus de 80 millions d'euros, réduisant le fonds de roulement à 22,7 millions d'euros, soit moins d'un mois de dépenses. Ce niveau est désormais dangereusement bas et en tout état de cause inférieur au niveau de précaution visé pour le fonds, soit deux mois de dépenses - près de 60 millions d'euros.
Dans cette situation, il devenait urgent de rebaser les ressources du Fiva. La LFSS pour 2024197(*) s'est attelée à le faire, avec une augmentation de près de 50 % du montant de la dotation de la branche AT-MP au fonds pour la porter à 353 millions d'euros. Malgré cette trajectoire, la participation de l'État est restée constante et modeste, à 7 millions d'euros.
Cette situation appelle l'État, reconnu responsable du scandale de l'amiante, à intensifier son effort financier en faveur du Fiva. Le rapport de la Mecss coécrit par la rapporteure pour la branche AT-MP précité, insiste en ce sens : « alors que le Fiva ne s'adresse pas uniquement à des victimes qui relèveraient, en droit commun, de la branche AT-MP, il est permis de s'étonner que la branche finance 98 % des ressources publiques du fonds. Il conviendrait, là encore, que l'État renforce son engagement financier ».
* 187 Article 23 du décret n°2001-963 du 23 octobre 2001 relatif au fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante institué par l'article 53 de la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000 de financement de la sécurité sociale pour 2001.
* 188 Réponses du Fiva au questionnaire de la rapporteure.
* 189 Article 53 de la LFSS pour 2001.
* 190 Loi n° 2023-1250 du 26 décembre 2023 de financement de la sécurité sociale pour 2024.
* 191 Réponses du Fiva au questionnaire de la rapporteure.
* 192 Réponses du Fiva au questionnaire de la rapporteure.
* 193 Réponses du Fiva au questionnaire de la rapporteure.
* 194 Réponses du Fiva au questionnaire de la rapporteure.
* 195 Réponses du Fiva au questionnaire de la rapporteure.
* 196 Elisabeth Doineau et Annie Le Houerou, Dotations de la sécurité sociale : sortir de la logique du financement à l'aveugle, rapport d'information n° 877 (2022-2023), 12 juillet 2023.
* 197 Loi n° 2023-1250 du 26 décembre 2023 de financement de la sécurité sociale pour 2024.