TRAVAUX DE LA COMMISSION

I. TRAVAUX DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

A. AUDITION DE M. PIERRE PRIBILE, DIRECTEUR DE LA SÉCURITÉ SOCIALE (2 OCTOBRE 2024)

M. Philippe Mouiller, président. - Mes chers collègues, nous commençons nos travaux par l'audition du directeur de la sécurité sociale, M. Pierre Pribile.

Je précise que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo et est retransmise en direct sur le site du Sénat. Elle sera disponible en vidéo à la demande.

Monsieur le directeur, nous sommes heureux de vous accueillir à l'aube d'une session budgétaire qui s'annonce particulièrement dense.

Comme le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 n'a pas encore été adopté par le Conseil des ministres, je suppose qu'il vous sera difficile de nous en parler.

Nous nous concentrerons donc sur le projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale pour l'année 2023, qui devrait être prochainement inscrit à l'ordre du jour du Sénat. Plus généralement, la situation financière de la sécurité sociale est un souci constant pour notre commission. Notre rapporteure générale, Élisabeth Doineau, et les autres rapporteurs ont souvent exprimé leur préoccupation face à un niveau de déficit désormais proche du niveau de remboursement annuel de la dette sociale par la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades) et qui ne semble pas présenter de perspective d'amélioration pour les prochaines années.

Nous espérons que vous pourrez nous apporter des motifs d'espérer un tableau moins sombre à l'avenir.

M. Pierre Pribile, directeur de la sécurité sociale- La présentation du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 ayant été retardée, j'évoquerai rapidement le projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale pour l'année 2023.

Ce projet de loi présente la situation des comptes sociaux à l'issue du choc historique qu'a constitué la crise covid. Ce choc ayant considérablement alourdi la dette sociale, il a été décidé d'allonger la durée d'amortissement de celle-ci.

Le choc économique lié à la crise de l'inflation n'apparaît quant à lui pas encore dans ce Placss. Il a de lourdes conséquences sur les comptes sociaux, du fait notamment d'un écart entre la dynamique d'indexation d'un grand nombre de prestations et la dynamique spontanée des recettes, qui dépend de l'évolution des salaires. Au mois de mai dernier, la commission des comptes de la sécurité sociale prévoyait en conséquence une dégradation du déficit des comptes sociaux en 2024, celui-ci étant estimé à 16,6 milliards d'euros.

Il y a toutefois des raisons d'espérer, monsieur le président. Ce n'est d'abord pas la première fois que les comptes sociaux connaissent une dégradation de cette ampleur. Ce fut déjà le cas en 2008, après la crise des subprimes. Après une décennie d'efforts et à la veille de la crise covid, les comptes sociaux étaient quasiment revenus à l'équilibre, et la dette était quasiment amortie.

Si la situation des comptes sociaux appelle un discours de gravité, notre histoire récente montre que des solutions existent. La dégradation de nos comptes sociaux et l'allongement de l'amortissement de notre dette sociale ne sont pas des fatalités.

Je ne doute pas que le projet de loi de financement de la sécurité sociale qui vous sera présenté sera une première étape de ce chemin long mais nécessaire.

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Je vous souhaite la bienvenue, monsieur le directeur. Au regard de votre bilan d'ancien président de l'agence régionale de santé (ARS) de la région Bourgogne-Franche-Comté, je ne doute pas que vous saurez retrousser vos manches.

Je souhaiterais vous interroger sur trois sujets.

Le premier est celui des perspectives de déficit de la sécurité sociale pour 2024. Le rapport à la commission des comptes de la sécurité sociale de mai 2024 prévoyait un déficit de 16,6 milliards d'euros. Ce chiffre est-il toujours d'actualité ? Des mesures correctrices sont-elles envisagées ou prévues ?

Le deuxième sujet sur lequel je souhaiterais vous interroger est l'article L.O. 111-4-4 du code de la sécurité sociale, qui prévoit que l'annexe au Placss relative aux niches sociales comprend une « évaluation de l'efficacité » de ces niches pour un tiers des mesures, chacune devant faire l'objet d'une évaluation une fois tous les trois ans. Dans le cas du Placss 2022, cette disposition n'a pas du tout été respectée. Dans le cas du Placss 2023, l'annexe sur les niches a été enrichie d'un « tome III » de seulement quatre pages, renvoyant à des évaluations existantes.

J'aurais trois questions à ce sujet.

Tout d'abord, l'annexe présente comme « ayant fait l'objet d'une évaluation » les allègements généraux de cotisations patronales, qui représentent les trois quarts du coût total des niches. Nous souhaiterions vivement avoir connaissance du rapport définitif de la mission sur les allègements généraux confiée par Élisabeth Borne à Antoine Bozio et Étienne Wasmer, seul le rapport d'étape ayant été publié en avril. Quand le rapport définitif sera-t-il publié, et pourrions-nous en être destinataires ?

Ensuite, serait-il envisageable de synthétiser clairement l'efficacité des différentes niches dans l'annexe, par exemple via un système de notation des niches, comme celui mis en place dans le rapport du comité d'évaluation des dépenses fiscales et des niches sociales, remis par Henri Guillaume en juin 2011 ?

Enfin, quels sont vos objectifs pour le prochain Placss ? Prévoyez-vous d'évaluer au moins un tiers des niches, conformément à l'obligation organique ?

Je souhaiterais vous interroger sur un dernier point. Après avoir refusé de certifier les comptes 2022 de la branche famille et de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf), la Cour des comptes s'est déclarée dans l'impossibilité de certifier les comptes 2023. Les indicateurs de « risques financiers résiduels », relatifs aux prestations dont le montant est erroné, continuent pourtant de se dégrader à 9 mois, et ils ne s'améliorent que légèrement à 24 mois.

Quelle appréciation portez-vous sur cette impossibilité de certification ? Pouvez-vous faire le point sur les actions en cours ? Êtes-vous confiant sur la certification des comptes 2024 ?

M. Pierre Pribile. - Le déficit des comptes sociaux devrait être légèrement supérieur à 16,6 milliards d'euros. Autrement dit, nous ne constatons pas de dérive par rapport à la prévision de la commission des comptes de la sécurité sociale, qui était déjà assez inquiétante.

Dans un avis rendu en juillet dernier, le comité d'alerte sur l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) faisait état d'un dépassement de l'objectif de dépenses de l'ordre de 1 milliard d'euros. Ce dépassement se confirmant de mois en mois, il emporte naturellement des effets sur les comptes sociaux, même si cela ne bouleverse pas l'estimation du déficit.

Vous avez raison de souligner que nous ne sommes pas encore au niveau des exigences de la loi organique en termes d'évaluation des niches sociales. Toutefois, si les allègements généraux ne sont qu'un dispositif parmi 120, ils représentent la quasi-totalité de la masse financière.

Le rapport définitif de la mission Bozio-Wasmer sera présenté au Premier ministre cette semaine. Il devrait donc être disponible dans les jours qui viennent. Le rapport d'étape permet toutefois de se faire une idée assez juste de la conclusion vers laquelle se dirigent les économistes sur le triangle d'incompatibilité constitué par les trois objectifs que sont l'emploi, le dynamisme de la masse salariale et la maîtrise des comptes publics. Dans sa déclaration de politique générale, le Premier ministre a indiqué qu'il souhaitait faire évoluer ce dispositif pour favoriser la dynamique des salaires.

D'autres évaluations sont en cours. Nous n'en mènerons peut-être pas 40 par an, mais nous commençons par les plus importantes. Nous procédons non pas au copier-coller d'évaluations conduites par d'autres organismes de contrôle ou d'évaluation, mais plutôt à la mise en perspective d'évaluations existantes, en renvoyant à celles-ci. Cela explique la concision de l'annexe. De fait, mes équipes ne sont pas taillées pour prendre en charge l'ensemble des évaluations.

Compte tenu des montants engagés au travers du dispositif des allègements généraux, nous couvrons 90 % du montant total des niches sociales. L'année prochaine, ce taux passera à 95 %.

L'année dernière, la Cour des comptes a effectivement refusé de certifier les comptes sociaux. Cette année, elle se déclare dans l'impossibilité de le faire. J'y vois une évolution favorable !

À la fin de l'année 2023, la branche famille a mis en place un plan d'action assez lourd pour améliorer son contrôle interne. La Cour estime à juste titre que ce plan d'action est trop récent pour pouvoir en tirer des conclusions en matière de certification des comptes, mais il en ira sans doute autrement l'année prochaine.

Nous sommes par ailleurs en train de mettre en place le pré-remplissage de certaines déclarations de ressources des allocataires des caisses d'allocations familiales (CAF). Cette réforme est actuellement expérimentée dans cinq départements, avant sa généralisation l'année prochaine. Il s'agit d'un pas majeur vers la sécurisation du calcul à juste droit de prestations telles que le revenu de solidarité active (RSA) ou la prime d'activité.

La Cour des comptes estime enfin que le tableau d'équilibre et le tableau de la situation patrimoniale de la sécurité sociale qui figurent dans ce projet de loi sont cohérents. Le fait que la Cour se déclare dans l'impossibilité de certifier les comptes ne doit donc pas jeter un soupçon sur la sincérité de la présentation de la situation comptable de la sécurité sociale dans son ensemble ni de la branche famille en particulier.

Mme Corinne Imbert, rapporteure pour la branche assurance maladie- La loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 a fixé l'Ondam à 244,1 milliards d'euros, avant que les lois de financement rectificative pour 2023 et initiale pour 2024 ne viennent le porter à 247,6 milliards d'euros.

Je ne reviendrai pas sur les réserves maintes fois exprimées par notre commission sur la cohérence et la crédibilité des montants présentés, jusqu'à nous faire douter de la sincérité des Ondam sur lesquels nous avons eu à nous prononcer. Je constate que, sur un même exercice, la prévision a varié de 3,3 milliards d'euros, sans contexte épidémique particulier et avec des effets de l'inflation somme toute anticipables. Je constate surtout que l'exécution constatée est présentée à 247,8 milliards d'euros, en dépassement par rapport à la dernière révision faite en novembre 2023. J'insiste régulièrement sur le caractère vertigineux de l'Ondam, un agrégat de 250 milliards d'euros que l'on vote en quelques minutes : je tiens à insister une nouvelle fois sur le fait que nous devons aujourd'hui constater un écart de 3,8 milliards d'euros avec la prévision initiale votée en loi de financement de la sécurité sociale.

Comment expliquez-vous que nous n'ayons pas pu retrouver, malgré la fin de la crise sanitaire, un pilotage effectif des dépenses de santé ? Comment garantir un Ondam initial crédible et mettre fin aux révisions substantielles en cours d'exercice et, encore davantage, aux dépassements lors de l'exécution ?

Enfin, pour 2024, il semble que le dépassement à venir soit supérieur à ce que le comité d'alerte anticipait durant l'été. Comment l'expliquer ? À quel ordre de grandeur devons-nous nous attendre pour la révision de l'Ondam 2024 ?

Parmi les facteurs expliquant le dépassement régulier de l'Ondam, le dynamisme des dépenses de soins de ville figure en bonne place. À plusieurs reprises au cours des dernières années, la Cour des comptes a souligné le caractère lacunaire des outils de régulation. La commission a formulé plusieurs propositions pour améliorer le pilotage des dépenses de soins de ville et l'information du Parlement sur l'effet financier des conventions professionnelles. Celles-ci ont systématiquement été refusées par le Gouvernement.

Comment les dépenses conventionnelles de soins de ville, c'est-à-dire pour l'essentiel les honoraires des professionnels de santé, pourraient-elles selon vous être mieux suivies et régulées en cours d'année ? La direction de la sécurité sociale (DSS) travaille-t-elle à faire évoluer l'exercice conventionnel et à améliorer l'information du Parlement sur les effets financiers des conventions conclues par l'assurance maladie ?

Dans son dernier rapport annuel sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale, la Cour des comptes consacre un chapitre aux médicaments anti-cancéreux. Elle souligne que les dépenses de médicaments innovants anti-cancéreux, délivrés à l'hôpital et inscrits sur la liste en sus, ont fortement augmenté.

Pour mieux réguler ces dépenses, la Cour propose dans son rapport d'envisager, dès la première négociation du prix de certaines molécules avec les entreprises du médicament, de fixer une trajectoire pluriannuelle de baisse des prix, afin de planifier leur sortie de la liste en sus.

Quel regard portez-vous sur cette proposition ? Des réflexions sont-elles en cours ?

Mme Pascale Gruny, rapporteur pour la branche vieillesse. - Le chiffrage du déficit de la branche vieillesse pour l'année 2023 a fait l'objet de plusieurs révisions. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 l'estimait initialement à 3,6 milliards d'euros. Cette prévision a ensuite été corrigée à 3,8 milliards d'euros par la loi de financement rectificative du 14 avril 2023. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2024 l'a ensuite porté à 1,9 milliard d'euros. Enfin, selon le projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale pour l'année 2023, il s'élèverait finalement à 2,6 milliards d'euros.

Pouvez-vous expliquer ces différences ?

La réforme des retraites de 2023 prévoit le retour à l'équilibre du système de retraites en 2030. Avez-vous effectué le chiffrage des revalorisations de pensions intervenues en juillet 2022 et aux 1er janvier 2023 et 2024 ? Cet équilibre vous paraît-il tenable dans le contexte inflationniste actuel ?

M. Pierre Pribile. - L'Ondam a démontré par le passé qu'il était un outil de pilotage efficace - certains diraient même trop efficace. S'il a été moins efficace récemment, c'est en raison du choc inflationniste et des décisions, notamment les revalorisations salariales dans la fonction publique, en particulier hospitalière, qu'il a rendues nécessaires. Une grande partie des révisions que vous avez signalées sont l'effet des revalorisations décidées en cours d'exercice - de l'ordre de 1,6 milliard d'euros pour les hôpitaux et les services sociaux.

Par ailleurs, la crise covid a contribué à brouiller les prévisions, car celles-ci se fondent en général sur les événements passés. Ce phénomène va s'estomper, car les courbes de 2023 et 2024 nous permettent de prévoir le dynamisme spontané des dépenses pour l'année future avec plus de clarté. L'Ondam devrait donc de nouveau nous permettre d'assurer un pilotage effectif de nos dépenses.

Pour l'année 2024, le dépassement de l'ordre de 1 milliard d'euros identifié par le comité d'alerte de l'Ondam en juillet dernier se confirme. Le seuil d'alerte étant fixé à 0,5 % de l'Ondam, celui-ci n'a pas été dépassé, mais nous n'en sommes pas loin. La première cause de ce dépassement est le dynamisme des indemnités journalières, pour des raisons qui ne sont pas simples à déterminer. L'activité hospitalière semble en revanche plus dynamique qu'escompté, ce qui serait une bonne nouvelle si cela se confirmait.

La régulation en cours d'exercice des dépenses de soins de ville supposerait la régulation du revenu de milliers d'individus. De fait, comment expliquer à une infirmière libérale que son revenu est susceptible d'évoluer en cours d'année du fait du rythme de consommation des dépenses de soins de l'ensemble du système de santé ?

Les conventions sont prises en compte avec sincérité dans nos prévisions d'évolution des dépenses, d'autant qu'elles n'entrent en vigueur que six mois après leur signature, ce qui nous laisse le temps d'intégrer finement leurs effets.

La négociation à l'entrée des prix des médicaments anti-cancéreux que vous pointez est souvent difficile, car si ces médicaments sont onéreux, ils apportent également un bénéfice majeur. Si nous négocions en même temps une trajectoire de baisses de prix futures, nous risquons d'allonger encore des négociations qui sont déjà considérées comme trop longues en raison de certaines demandes déraisonnables.

M. Harry Partouche, sous-directeur des études et prévisions financières, direction de la sécurité sociale. - Entre la LFSS 2023 et la LFRSS 2023 portant réforme des retraites, nous avons enregistré les effets des premières mesures d'âge, notamment la revalorisation du minimum contributif (Mico), qui ont fait passer le déficit de la branche vieillesse de 3,6 à 3,8 milliards d'euros. Par ailleurs, la prévision de progression de la masse salariale du secteur privé, initialement fixée à 4,8 % en septembre 2022, a été revue à 6,3 % en septembre 2023, alors qu'elle n'a finalement été que de 5,7 %. C'est ce qui explique les variations de déficit prévisionnel, puis l'écart avec le déficit constaté.

D'autres facteurs, notamment les recettes qui sont affectées à la branche, le forfait social ou la taxe sur les salaires ont également pesé à la marge, mais la cause principale est l'incertitude très forte qui caractérisait le contexte macroéconomique en septembre 2022.

M. Pierre Pribile. - La perspective d'un retour à l'équilibre à l'horizon 2030 est hélas ! derrière nous. La revalorisation des pensions réalisée au 1er janvier 2024 représente une dépense supplémentaire de l'ordre de 15 milliards d'euros pour les finances publiques. Une telle dépense n'était pas prévue lors de l'examen du projet de loi portant réforme des retraites.

Mme Chantal Deseyne, rapporteur pour la branche autonomie- Notre commission avait souligné que la déconjugalisation de l'allocation aux adultes handicapés (AAH), qui est entrée en vigueur il y a tout juste un an, pourrait avoir des conséquences à la fois sur les montants versés et sur le nombre de bénéficiaires. Disposez-vous de données permettant de mesurer les effets de cette réforme ? Des difficultés ont-elles été rencontrées lors de sa mise en oeuvre ?

Par ailleurs, avec mes collègues Solanges Nadille et Anne Souyris, nous venons de rendre un rapport préoccupant sur la situation des Ehpad. Quelque 66 % de ces établissements se trouvent en grande difficulté. L'an passé au PLFSS, un fonds d'urgence de 100 millions d'euros avait été débloqué pour venir en aide à ces établissements en difficulté. Estimez-vous judicieux de reconduire cette aide d'urgence en 2025 ? Quelles mesures préconisez-vous à long terme ?

Mme Marie-Pierre Richer, rapporteure pour la branche accidents du travail et maladies professionnelles. - Dans le cadre du comité de suivi de l'accord national interprofessionnel pour la branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP) en date du 15 mai 2023, les partenaires sociaux ont abouti à une proposition ambitieuse pour refonder et moderniser le mode de calcul de la rente AT-MP, avec la création d'une part fonctionnelle dépendant d'un taux d'incapacité spécifique. Quel regard la DSS porte-t-elle sur la proposition des partenaires sociaux ? Celle-ci vous paraît-elle finançable et techniquement réalisable ?

D'après nos informations, le dernier rapport sur la sous-déclaration des AT-MP doublerait ses précédentes estimations concernant le montant de prestations liées à des AT-MP indûment prises en charge par la branche maladie. Il est difficile de comprendre comment, malgré tous les efforts mis en oeuvre par les entreprises, les professionnels de santé et les caisses, la sous-déclaration ait pu doubler en trois ans. Comment expliquer cette dynamique ?

M. Olivier Henno, rapporteur pour la branche famille. - Les indemnités journalières au titre du congé maternité post-natal ont été transférées à la branche famille, pour un coût estimé à 2,1 milliards d'euros en 2023. Selon le rapport à la commission des comptes de la sécurité sociale, l'excédent de la branche famille a de ce fait été réduit de 1 milliard d'euros en 2022, puis de 0,9 milliard d'euros en 2023, de sorte qu'il ne devrait plus s'élever qu'à 0,2 milliard d'euros en 2024. Confirmez-vous ces chiffres ? Ces indemnités journalières ayant augmenté de 19 % entre 2015 et 2023, quelles sont vos prévisions ? Quelles seront les conséquences financières sur la branche famille ? Estimez-vous que celle-ci conserve des capacités suffisantes ?

La Cour des comptes estime par ailleurs qu'il convient de repenser les allocations aux familles nombreuses et mieux analyser le montant des économies réalisées par la modulation des conditions de ressources des prestations familiales. Quel est votre regard sur cette question ? Avez-vous engagé une réflexion sur l'amélioration de l'efficacité et de la cohérence des prestations en faveur des familles nombreuses - je pense notamment à l'articulation du complément familial avec les autres prestations ?

Les dépenses de prévention en matière de santé sont-elles en augmentation ? J'estime qu'il s'agit de dépenses utiles, qui nous permettront de réaliser des économies demain.

M. Pierre Pribile. - L'AAH relève non pas de la DSS, mais de la direction générale de la cohésion sociale (DGCS). Je ne puis donc vous répondre sur ce point.

Le fonds d'urgence pour les Ehpad est l'un des facteurs qui expliquent le relèvement de l'Ondam. En ce qui concerne l'année en cours, les perspectives dépendront de décisions politiques.

Nous sommes effectivement en mesure de mettre en oeuvre l'accord national interprofessionnel pour la branche AT-MP que vous évoquez. La question qu'il nous faudra dénouer avec le Parlement dans les semaines à venir est celle de la place de ce nouveau calcul de la rente dans l'équilibre de la branche.

Le montant de la prise en charge d'accidents du travail par la branche maladie du fait de sous-déclarations s'élèverait en fourchette basse à plus de 800 millions d'euros, mais ce montant aurait sans doute été plus important encore sans les efforts des partenaires sociaux pour remédier aux sous-déclarations.

Toutefois, l'effet prix qu'emporte la revalorisation des salaires hospitaliers et le prix des consultations, ainsi que des effets épidémiologiques expliquent les deux tiers de l'évolution de l'évaluation du montant des sous-déclarations.

En ce qui concerne la branche famille, la dynamique des dépenses est ralentie par la trop faible dynamique de la natalité dans notre pays. Notre prisme d'analyse, notamment grâce aux missions parlementaires qui ont été menées, s'est concentré dernièrement sur le soutien apporté aux familles monoparentales, quel que soit leur nombre. Je ne dispose donc pas d'évaluations récentes des prestations familiales pour les familles nombreuses à vous communiquer.

Les dépenses de prévention sont effectivement des dépenses d'investissement ! Elles ont des effets à moyen terme, mais parfois aussi à court terme. L'admission au remboursement à un prix élevé d'un traitement préventif contre la bronchiolite a par exemple permis, dès l'hiver suivant, d'éviter la saturation des services de réanimation pédiatrique.

Mme Christine Bonfanti-Dossat. - Le solde des régimes obligatoires de base et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) fait apparaître un déficit de 10,8 milliards en 2023 et continue de se creuser jusqu'à atteindre le montant prévu initialement pour 2027. Entendez-vous retenir les préconisations de la Cour des comptes, laquelle mentionne des pistes intéressantes visant, par exemple, à maîtriser des dépenses liées à l'indemnisation des arrêts de travail pour maladie et à simplifier la réglementation en la matière ? Je rappelle qu'en 2022, les arrêts de travail ont augmenté de 8,2 %.

L'Allemagne prévoit de rembourser la dette de la covid en 7 ans. Je n'ose indiquer la durée de ce remboursement pour la France... Pouvez-vous nous éclairer sur ce sujet ?

Mme Raymonde Poncet Monge- Vous notez que le choc inflationniste a emporté une diminution des recettes. Cela s'explique par le fait que les salaires ne suivent pas, mais aussi par le fait que depuis 2017, les exonérations de cotisations non compensées ont explosé. La Cour des comptes souligne en effet qu'entre 2018 et 2022, les exonérations non compensées, qui sont une perte sèche pour la sécurité sociale, ont augmenté de 9 milliards d'euros. Dans le même temps, le déficit de la sécurité sociale a augmenté de 6 milliards d'euros.

Qu'en est-il pour 2023 ? Pouvez-vous nous indiquer le montant des exonérations non compensées depuis 2017 ? En 2022, le manque à gagner était déjà de 18,8 milliards d'euros pour la sécurité sociale. Pourriez-vous nous donner le détail de ces exonérations non compensées pour chacune de nos cinq branches ?

L'Insee estime qu'un tiers au moins de ces primes non compensées se substituent à des augmentations de salaire qui, elles, contribueraient à alimenter les recettes de la sécurité sociale. Combien ces exonérations coûtent-elles pour les salaires supérieurs à 1,6 Smic ?

Mme Florence Lassarade. - En tant que présidente du groupe d'étude sur le cancer, je suis préoccupée par la question de l'accès aux tests de diagnostic moléculaire pour les patients. La réalisation de ces tests est recommandée par les sociétés savantes, car ils permettent de déterminer quelle thérapie ciblée pourra convenir à un patient souffrant d'un cancer.

Mais ces tests sont coûteux, et leur prise en charge n'est que partielle dans le cadre du RIHN (référentiel des actes innovants hors nomenclature). Les établissements de santé doivent supporter un important reste à charge pour pouvoir en réaliser, ce qui freine leur utilisation.

Dans son dernier rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale, la Cour des comptes a questionné la pertinence du modèle de financement actuel et suggéré de le revoir.

La question d'un meilleur accès à ces tests moléculaires, en réévaluant le modèle de leur prise en charge, est-elle étudiée par la DSS ?

Je souhaite également vous interroger sur la question de l'aide médicale d'État (AME). Le projet de transformation de l'AME en AMU (aide médicale d'urgence), qui relève de la loi, a été abandonné l'an dernier lors de l'examen du projet de loi Immigration.

Des réflexions pour faire évoluer l'AME semblent être envisagées par le Gouvernement, sachant que la précédente Première ministre, Mme Élisabeth Borne, avait déjà indiqué au président du Sénat, dans un courrier de décembre 2023, avoir demandé aux ministres concernés de préparer des modifications réglementaires et législatives du dispositif de l'AME.

À ce stade, et sans préjuger des arbitrages du Gouvernement, quelles vous semblent être les évolutions envisageables par voie réglementaire - sans passer, donc, par le Parlement ?

M. Bernard Jomier. - Nous vous rejoignons sur la nécessité d'équilibrer les comptes de la sécurité sociale, un objectif que nous avons porté à l'occasion de chaque LFSS. Le fait de placer la sécurité sociale dans une situation de déficit résulte selon nous d'un choix politique et je constate que la Cour des comptes - sans évoquer un choix politique - juge qu'une telle situation est contraire aux principes fondamentaux de la sécurité sociale, tout en pointant un défaut de volonté politique pour ce qui est du retour à l'équilibre des comptes sociaux. Si la méthode pour revenir à l'équilibre ne fera pas l'unanimité, il faut souligner que la sécurité sociale n'a pas vocation à être en déficit.

En l'absence de PLFSS, nous allons devoir débattre d'un Placss via un mode d'examen extrêmement dégradé : ledit projet de loi aurait dû être examiné au printemps, mais le gouvernement de Gabriel Attal l'a transmis en retard, d'où une inscription tardive à l'ordre du jour, au mois de mai, le processus ayant ensuite été interrompu par la dissolution de l'Assemblée nationale. Par conséquent, nous débattrons au mois d'octobre du Placss 2023, le principe et la lettre de la loi organique du 14 mars 2022 relative aux lois de financement de la sécurité sociale n'étant pas respectés. Nous sommes donc confrontés à un désordre dans les comptes sociaux qui résulte lui-même d'un désordre politique et d'une absence de pilotage.

Par ailleurs, vous avez souligné que l'inflation avait eu un effet sur les dépenses et les coûts. Or, depuis quelques mois, les salaires progressent désormais plus vite que l'inflation, ce qui devrait entraîner une augmentation des recettes. La progression relativement forte du salaire moyen par tête (SMPT) est ainsi un facteur d'accroissement des recettes : êtes-vous en mesure d'évaluer l'impact de cette deuxième phase de la crise inflationniste sur les comptes sociaux ?

S'agissant des indemnités journalières (IJ), les comptes mensuels de la sécurité sociale publiés à la fin du mois de juin montrent une progression de 4,3 %, ces documents l'expliquant par la hausse du SMPT et par une progression du volume, en particulier sur les arrêts de plus de trois mois. Avez-vous mené une analyse plus précise de la tranche d'âge concernée et des causes de ce phénomène ? Cela nous permettrait d'éviter le refrain sur la responsabilité des médecins et les contrôles qu'il faudrait mettre en place pour améliorer la situation.

Enfin, vous avez mentionné le dynamisme de l'activité hospitalière comme un élément positif. Pour faire le lien avec l'intervention d'Olivier Henno relative à la prévention, ce type d'analyse ne traduit-il pas le fait que la sécurité sociale s'écarte de ses objectifs fondamentaux, à savoir une réflexion autour de la socialisation et de la prévention des risques ? Le virage de la prévention, amorcé par François Braun, n'a pas été mené à bien : où en sont les réflexions de la sécurité sociale sur cette question ? Votre discours n'a pas mentionné ce point, alors que l'exemple de l'Australie montre que le recrutement de nombreuses infirmières et un investissement à hauteur de 80 millions d'euros permettent de récupérer 110 millions d'euros au bout de trois ans. Ce type d'investissement est quasiment toujours rentable, mais il reste à savoir si un pilotage à moyen terme est envisageable dans les conditions politiques actuelles.

M. Pierre Pribile. - S'agissant des arrêts de travail, je ne suis pas en mesure de vous faire part d'éventuelles décisions à la suite des recommandations de la Cour des comptes. La dynamique des dépenses doit effectivement être appréciée en tenant compte de l'effet « prix » et des évolutions liées à la revalorisation du Smic et des salaires, ainsi que des effets d'âge dans la mesure où la progression du taux d'emploi des seniors renforce la fréquence des arrêts maladie. Cela étant dit, une fois ces retraitements effectués, le « recours » aux arrêts de travail reste plus élevé et nous ne sommes pas encore en mesure de l'expliquer. En tout état de cause, cet effet de volume explique la dynamique assez atypique de ces dépenses.

Concernant la dette covid, le terme du remboursement est désormais fixé à 2033. Ce dernier s'effectue à un rythme légèrement plus rapide que prévu, ce qui laisse entrevoir une fin du remboursement par la Cades dès 2032.

Pour ce qui est des exonérations non compensées et du rapport de la Cour des comptes, nous ne contestons aucun des chiffres présentés. S'agissant du coût des allègements généraux, je vous renvoie à un éclairage figurant dans le rapport à la commission des comptes de la sécurité sociale de mai 2024, qui détaille à la fois le coût de ces allègements et leur évolution, marquée par une forte dynamique. Basées sur le Smic, les revalorisations de ce dernier et le tassement des salaires qui en a résulté ont eu des impacts considérables sur leur coût. En outre, l'annexe 2 du Placss détaille assez précisément le coût de ces exonérations, sans cependant présenter un historique, mais nous pourrons vous le transmettre.

Mme Delphine Champetier, cheffe de service, adjointe au directeur de la sécurité sociale. - Les tests de diagnostic moléculaire en oncologie et les recherches sur les biomarqueurs sont des actes financés par un dispositif spécifique, le RIHN, au moyen d'une enveloppe fixe. Au fur et à mesure du développement de ces tests, l'objectif consiste à passer à un financement via les dépenses générales de ville, mais tout ceci nécessite une réévaluation par la Haute Autorité de santé (HAS).

M. Pierre Pribile. - J'insiste sur le fait que les fonds alloués aux dépistages des cancers n'ont pas diminué. Certes, une réorganisation est intervenue puisque les caisses primaire d'assurance maladie (CPAM) assurent désormais une partie des missions auparavant confiées aux centres régionaux de coordination des dépistages des cancers (CRCDC). Si une réallocation des moyens a donc eu lieu, aucune mesure d'économies n'a été mise en oeuvre. Au contraire, nous devons améliorer la dynamique de dépistages afin de prévenir davantage les cancers, améliorer la santé de la population et réduire les dépenses liées à la prise en charge de ces maladies.

Enfin, l'AME ne relève pas du champ des PLFSS. Pour autant, notre référence en la matière reste le rapport publié par Claude Évin et Patrick Stefanini, qui constate que ce dispositif est utile et n'encourage pas massivement l'immigration illégale, contrairement à ce que l'on entend parfois dans le débat public.

M. Harry Partouche. - Concernant l'évolution des comptes sociaux, le véritable sujet a trait à l'évolution différenciée des salaires et de l'inflation, dans le cadre d'un choc d'inflation, pour l'essentiel importé depuis 2022. Les salaires ont augmenté moins vite que l'inflation : le salaire économique - c'est-à-dire corrigé des effets de l'activité partielle - a progressé de 3,5 % pour une inflation à 5,3 % en 2022 ; en 2023, le salaire économique a augmenté de 4,4 % pour une inflation à 4,8 %, ce retard des salaires ayant eu un impact sur les recettes de la sécurité sociale.

Dans le même temps, les dépenses de la sécurité sociale ont été affectées, soit en temps réel par la revalorisation anticipée des prestations sociales en juillet 2022, soit avec un effet de décalage de l'ordre d'une année s'agissant de l'Ondam, très sensible à l'inflation, notamment au titre des rémunérations en établissement et en ville, ou encore au titre des IJ. Le prochain rapport à la commission des comptes de la sécurité sociale mettra davantage l'accent sur l'analyse économique des conséquences de l'inflation.

M. Pierre Pribile. - J'en viens à votre commentaire sur le fait d'avoir présenté la dynamique d'activité de l'hôpital comme un facteur positif, en précisant qu'il s'agissait d'une réflexion d'ordre plus sanitaire que comptable. Sur ce dernier plan, une dynamique supérieure aux prévisions est en effet davantage source de dépenses supplémentaires et imprévues pour les comptes sociaux. Je ne me réjouissais pas du fait que les gens aient besoin de l'hôpital, les dépenses de prévention étant éminemment utiles, mais exprimais le souhait de voir l'hôpital retrouver un niveau d'activité d'avant-crise, en cohérence avec les besoins de la population. N'y voyez en tout cas aucune remise en cause des politiques de prévention.

Mme Jocelyne Guidez. - Pourriez-vous nous donner des exemples concrets de simplification des normes - en cours ou à venir -, notamment dans des secteurs identifiés comme étant à risques, à l'instar des audioprothèses ou des centres dentaires ?

Par ailleurs, le rapport insiste sur la distinction entre fraudes, abus et erreurs. Comment la sécurité sociale adapte-t-elle ses dispositifs pour mieux identifier et traiter ces trois situations distinctes, tout en évitant de pénaliser les usagers de bonne foi ?

M. Khalifé Khalifé. - Le Sénat a récemment publié un rapport sur la financiarisation de la santé. Avez-vous identifié des éléments comptables qui pourraient compléter l'analyse du Sénat ?

Mme Céline Brulin. - Vous avez indiqué qu'il était impossible d'absorber l'inflation et les revalorisations salariales dans le cadre de l'Ondam d'une seule année. Nous pourrions adopter le même raisonnement pour d'autres sujets, l'inflation n'ayant pas impacté que les salaires. Comment pourrions-nous prendre en compte ce paramètre de l'absorption dans le temps, alors qu'il semble manquer dans les objectifs tels qu'ils sont actuellement fixés ?

Sur un autre point, vous avez mis en exergue la difficulté à identifier les causes de la progression des IJ. Ce manque de précision - qui n'est pas de votre fait - me semble contredire un argument souvent employé dans le débat public selon lequel la réduction des IJ représenterait l'un des principaux leviers d'économies pour les comptes sociaux. À quelle échéance des précisions pourraient-elles être apportées ?

M. Dominique Théophile. - L'élargissement de la vente des médicaments à l'unité reste malaisé. Avez-vous déjà évalué l'effet de cette solution dans la réduction des dépenses ?

M. Philippe Mouiller, président. - Le directeur de la sécurité sociale ayant à nous quitter, il apportera une réponse par écrit à cette dernière série de questions. Je vous remercie.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

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