- PREMIÈRE PARTIE
UN REDRESSEMENT MASSIF DES COMPTES PUBLICS, À CONFIRMER POUR RETROUVER NOTRE CRÉDIBILITÉ BUDGÉTAIRE
- I. MÊLÉE À DES ERREURS DE
PRÉVISION INÉDITES, LA DÉRIVE BUDGÉTAIRE DES
ANNÉES 2023-2024 APPELLE UN REDRESSEMENT DANS L'URGENCE
- A. LE DÉRAPAGE INCONTRÔLÉ DES
FINANCES PUBLIQUES EN 2023 ET 2024, CONCENTRÉ SUR L'ÉTAT, VA
ÉLOIGNER POUR LONGTEMPS LA FRANCE DE L'ÉQUILIBRE
BUDGÉTAIRE
- 1. En 2023 et 2024, le déficit public a
été systématiquement et significativement supérieur
aux prévisions initiales, témoignant d'erreurs de
prévision inédites et d'une gestion budgétaire
erratique
- 2. Une situation budgétaire sinistrée
dont l'État est le principal responsable
- 3. La lente dérive budgétaire fait
massivement dévier les comptes publics de la France de leur
trajectoire
- 1. En 2023 et 2024, le déficit public a
été systématiquement et significativement supérieur
aux prévisions initiales, témoignant d'erreurs de
prévision inédites et d'une gestion budgétaire
erratique
- B. L'AJUSTEMENT PROPOSÉ PAR LE
GOUVERNEMENT : UN REDRESSEMENT ATTENDU ET BIENVENU
- A. LE DÉRAPAGE INCONTRÔLÉ DES
FINANCES PUBLIQUES EN 2023 ET 2024, CONCENTRÉ SUR L'ÉTAT, VA
ÉLOIGNER POUR LONGTEMPS LA FRANCE DE L'ÉQUILIBRE
BUDGÉTAIRE
- II. APRÈS UN SEPTENNAT MACRON-LE MAIRE
AU BILAN ÉCONOMIQUE CONTRASTÉ, DES PERSPECTIVES DE CROISSANCE EN
AMÉLIORATION LIMITÉES PAR L'IMPACT RÉCESSIF D'UN
AJUSTEMENT NÉCESSAIRE
- A. LE NOUVEAU GOUVERNEMENT EST L'HÉRITIER
D'UN BILAN ÉCONOMIQUE CONTRASTÉ DEPUIS 2017
- 1. Un bilan économique contrasté
depuis 2017
- a) Une croissance moyenne depuis 2017 et en
léger retrait par rapport à nos partenaires
européens
- b) Un taux de chômage en baisse mais
supérieur à la moyenne de la zone euro et qui est la contrepartie
de la baisse de la productivité du travail
- c) Une inflation maîtrisée à un
prix exorbitant pour les finances publiques
- a) Une croissance moyenne depuis 2017 et en
léger retrait par rapport à nos partenaires
européens
- 2. En 2024, une croissance modérée,
portée par le commerce extérieur et le dérapage des
comptes publics, mais freinée par l'effet retardé du durcissement
de la politique monétaire
- 1. Un bilan économique contrasté
depuis 2017
- B. EN 2025, L'EFFORT BUDGÉTAIRE QUI S'IMPOSE
AU GOUVERNEMENT AURA UN IMPACT RÉCESSIF QUI POURRAIT ÊTRE
SOUS-ESTIMÉ
- 1. Malgré une stagnation du pouvoir d'achat
des ménages, le reflux de l'inflation et la baisse des taux pousseraient
le taux d'épargne à la baisse et la consommation à la
hausse
- 2. Les effets de l'assouplissement de la politique
monétaire sur l'investissement seraient modérés par
l'incertitude et le repli du taux de marge des entreprises
- 3. Une situation économique internationale
incertaine et contrastée
- 4. L'effort budgétaire qui s'impose au
Gouvernement aura un impact récessif
- 1. Malgré une stagnation du pouvoir d'achat
des ménages, le reflux de l'inflation et la baisse des taux pousseraient
le taux d'épargne à la baisse et la consommation à la
hausse
- A. LE NOUVEAU GOUVERNEMENT EST L'HÉRITIER
D'UN BILAN ÉCONOMIQUE CONTRASTÉ DEPUIS 2017
- III. UN AJUSTEMENT NÉCESSAIRE POUR RETROUVER
NOTRE CRÉDIBILITÉ ET RESTAURER LA CONFIANCE
- A. L'EFFORT PROPOSÉ PASSE À LA FOIS
PAR LES RECETTES ET LES DÉPENSES ET REPOSE ENFIN ESSENTIELLEMENT SUR
L'ÉTAT
- 1. Un effort en recettes inévitable
- 2. Un effort en dépenses malgré une
hausse de celles-ci en valeur absolue
- 3. Un effort qui repose enfin essentiellement sur
l'État
- a) Un déficit de l'État qui
diminuerait substantiellement, non seulement du fait de recettes
supplémentaires mais aussi de dépenses en baisse
- b) Des opérateurs de l'État dont les
dépenses augmentent en 2024 mais pour lesquels la tendance serait
maîtrisée en 2025
- c) Les administrations publiques locales : un
déficit stabilisé qui, à terme, devra être
réduit
- d) Les administrations de sécurité
sociale : un excédent bienvenu qui ne doit pas masquer le
déficit des régimes obligatoires de base
- e) Une amélioration du solde public enfin
portée par l'État
- a) Un déficit de l'État qui
diminuerait substantiellement, non seulement du fait de recettes
supplémentaires mais aussi de dépenses en baisse
- 1. Un effort en recettes inévitable
- B. DES EFFORTS À RÉALISER POUR
RETROUVER NOTRE CRÉDIBILITÉ
- A. L'EFFORT PROPOSÉ PASSE À LA FOIS
PAR LES RECETTES ET LES DÉPENSES ET REPOSE ENFIN ESSENTIELLEMENT SUR
L'ÉTAT
- I. MÊLÉE À DES ERREURS DE
PRÉVISION INÉDITES, LA DÉRIVE BUDGÉTAIRE DES
ANNÉES 2023-2024 APPELLE UN REDRESSEMENT DANS L'URGENCE
- DEUXIÈME PARTIE
LE BUDGET DE L'ÉTAT : UNE VOIE ÉTROITE POUR QUITTER LES SOMMETS DE LA DETTE FRANÇAISE ET RETROUVER DE L'OXYGÈNE
- I. LE DÉFICIT BUDGÉTAIRE SE
RÉDUIRAIT DE PRÈS DE 25 MILLIARDS D'EUROS
EN 2025 GRÂCE À DES MESURES EN RECETTES ET EN
DÉPENSES
- A. LA RÉVISION À LA HAUSSE DU
DÉFICIT BUDGÉTAIRE EN COURS D'ANNÉE 2024 NE PEUT PLUS
ÊTRE QUALIFIÉE D'ACCIDENT
- 1. L'écart entre les recettes effectives et
les prévisions affichées pèse lourdement sur le
déficit budgétaire en 2024
- 2. Les dépenses devraient être
légèrement inférieures à la prévision en loi
de finances initiale grâce à un effort dans la seconde
moitié de l'année
- 3. L'État aura donc connu
en 2024 sa cinquième année consécutive de
déficit supérieur à 150 milliards d'euros
- 1. L'écart entre les recettes effectives et
les prévisions affichées pèse lourdement sur le
déficit budgétaire en 2024
- B. LE PROJET DE BUDGET POUR 2025 ENGAGE UN
EFFORT SIGNIFICATIF POUR AMÉLIORER LA SITUATION BUDGÉTAIRE DE
L'ÉTAT
- 1. La réduction du déficit
en 2025 par rapport à 2024 proviendrait d'une
amélioration des recettes, due en partie à des effets
temporaires, et d'un effort important de maîtrise des
dépenses
- 2. La situation des comptes spéciaux
s'améliore, mais celle du compte d'affectation spéciale
« Pensions » demeure préoccupante
- 3. Le Gouvernement a fixé une cible
d'amélioration du solde budgétaire à atteindre à
l'issue des débats parlementaires
- 4. Un niveau réduit de la réserve de
précaution risque de limiter les marges de manoeuvre pour garantir
l'atteinte des objectifs de dépense en exécution
- 5. Le solde budgétaire de l'État
amorcerait une sortie de la période 2020-2024 marquée par un
niveau exceptionnel de déficit budgétaire
- 1. La réduction du déficit
en 2025 par rapport à 2024 proviendrait d'une
amélioration des recettes, due en partie à des effets
temporaires, et d'un effort important de maîtrise des
dépenses
- C. LA CONTRAINTE DE LA DETTE PASSÉE ET DE
SON REFINANCEMENT PÈSERA SUR LES ANNÉES À VENIR
- D. L'AMÉLIORATION DES PRATIQUES
BUDGÉTAIRES EST UN IMPÉRATIF POUR LE RÉTABLISSEMENT DES
COMPTES DE L'ÉTAT
- 1. L'amélioration des estimations de
recettes est nécessaire pour accroître la
prévisibilité des finances de l'État
- 2. Le coût des dépenses fiscales
continue sa progression, malgré une sous-estimation d'environ
10 milliards d'euros liée à un choix
méthodologique récent
- 3. Les reports de crédit devront être
strictement limités afin d'accroître la maîtrise des
dépenses en exécution
- 1. L'amélioration des estimations de
recettes est nécessaire pour accroître la
prévisibilité des finances de l'État
- A. LA RÉVISION À LA HAUSSE DU
DÉFICIT BUDGÉTAIRE EN COURS D'ANNÉE 2024 NE PEUT PLUS
ÊTRE QUALIFIÉE D'ACCIDENT
- II. LES RECETTES DE L'ÉTAT S'ACCROISSENT
EN 2025 DE 11,5 %, DONT UNE PARTIE LIÉE À DES
RESSOURCES TEMPORAIRES
- A. LES RECETTES FISCALES NETTES PROGRESSERAIENT DE
35 MILLIARDS D'EUROS EN 2025, CONTRIBUANT FORTEMENT À
L'AMÉLIORATION DU SOLDE BUDGÉTAIRE
- 1. L'impôt sur les sociétés
connaîtrait une diminution de son produit, illustrant la
volatilité et l'imprévisibilité de cet impôt
- 2. La TVA progresserait de
10,2 milliards d'euros, sous réserve des décisions
à prendre sur le financement de l'audiovisuel public
- 3. L'indexation du barème de l'impôt
sur le revenu permet de préserver le pouvoir d'achat, les très
hauts revenus contribuant par ailleurs à la consolidation des comptes
publics
- 4. La création de contributions
exceptionnelles contribue à la hausse des autres recettes
fiscales
- 1. L'impôt sur les sociétés
connaîtrait une diminution de son produit, illustrant la
volatilité et l'imprévisibilité de cet impôt
- B. LES RECETTES NON FISCALES ET LES
PRÉLÈVEMENTS SUR RECETTES SONT SOUMIS À L'IMPACT DE
L'EMPRUNT EUROPÉEN ET DE SON REMBOURSEMENT
- 1. Les recettes non fiscales seraient en
diminution de 2,8 milliards d'euros par rapport à 2024, en
raison de la baisse du versement européen au titre du plan de relance
- 2. Le prélèvement sur recettes
à destination de l'Union européenne suit une tendance à
l'augmentation sur le long terme, qui pourrait être accentuée pour
rembourser l'emprunt européen
- 1. Les recettes non fiscales seraient en
diminution de 2,8 milliards d'euros par rapport à 2024, en
raison de la baisse du versement européen au titre du plan de relance
- A. LES RECETTES FISCALES NETTES PROGRESSERAIENT DE
35 MILLIARDS D'EUROS EN 2025, CONTRIBUANT FORTEMENT À
L'AMÉLIORATION DU SOLDE BUDGÉTAIRE
- III. L'ANNÉE 2025 DEVRA FAIRE LE
PREMIER PAS VERS LA MAÎTRISE DES DÉPENSES DE L'ÉTAT
- A. PANORAMA DES DÉPENSES DE
L'ÉTAT
- B. LE BUDGET 2025 PRÉVOIT DES MESURES
DE MAÎTRISE DE LA DÉPENSE QUI DEVRONT ÊTRE RENFORCÉES
AU COURS DES DÉBATS PARLEMENTAIRES
- 1. Le projet de loi procède à des
économies ciblées en préservant les missions prioritaires
- 2. Le nouveau Gouvernement met enfin l'accent sur
la maîtrise des dépenses des opérateurs
- 3. Ces économies doivent permettre de clore
la période du « quoi qu'il en coûte »
- 4. Malgré tout, le poids des engagements
passés contraindra les dépenses futures, limitant la marge de
manoeuvre du Gouvernement
- 5. Le programme d'« amortissement de la
dette », maintenu par le projet de loi de finances, devra être
supprimé dans un esprit de clarification de la gestion de la
dette
- 1. Le projet de loi procède à des
économies ciblées en préservant les missions prioritaires
- C. LES EFFECTIFS DE L'ÉTAT ENTAMENT UNE
DÉCRUE DE PLUS DE 2 000 EMPLOIS, EN RUPTURE AVEC LA HAUSSE
IMPORTANTE DE LA PÉRIODE 2017-2024
- 1. Le projet de loi de finances marque une
volonté de réduire les effectifs de l'État de
manière ciblée sur certains ministères, qui devra
être renforcée tout en maintenant une priorité aux
effectifs nécessaires à la mise en oeuvre des lois de
programmation
- 2. Après une hausse quasi-interrompue
depuis dix ans, la masse salariale diminue en euros constants
- 1. Le projet de loi de finances marque une
volonté de réduire les effectifs de l'État de
manière ciblée sur certains ministères, qui devra
être renforcée tout en maintenant une priorité aux
effectifs nécessaires à la mise en oeuvre des lois de
programmation
- A. PANORAMA DES DÉPENSES DE
L'ÉTAT
- I. LE DÉFICIT BUDGÉTAIRE SE
RÉDUIRAIT DE PRÈS DE 25 MILLIARDS D'EUROS
EN 2025 GRÂCE À DES MESURES EN RECETTES ET EN
DÉPENSES
- TRAVAUX DE LA COMMISSION
- I. AUDITION DE MM. ANTOINE ARMAND, MINISTRE DE
L'ÉCONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE, ET LAURENT SAINT-MARTIN,
MINISTRE AUPRÈS DU PREMIER MINISTRE, CHARGÉ DU BUDGET ET DES
COMPTES PUBLICS (11 OCTOBRE 2024)
- II. AUDITION DE M. PIERRE MOSCOVICI,
PRÉSIDENT DU HAUT CONSEIL DES FINANCES PUBLIQUES
(11 OCTOBRE 2024)
- III. AUDITION D'ÉCONOMISTES SUR LES
PERSPECTIVES DE L'ÉCONOMIE FRANÇAISE ET LA SITUATION DES FINANCES
PUBLIQUES (23 OCTOBRE 2024)
- IV. EXAMEN DU RAPPORT
(6 NOVEMBRE 2024)
- I. AUDITION DE MM. ANTOINE ARMAND, MINISTRE DE
L'ÉCONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE, ET LAURENT SAINT-MARTIN,
MINISTRE AUPRÈS DU PREMIER MINISTRE, CHARGÉ DU BUDGET ET DES
COMPTES PUBLICS (11 OCTOBRE 2024)
- LA LOI EN CONSTRUCTION
N° 144 SÉNAT SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025 |
Enregistré à la Présidence du Sénat le 21 novembre 2024 |
RAPPORT GÉNÉRAL FAIT au nom de la commission des finances (1) sur le projet de loi de finances, considéré comme rejeté par l'Assemblée nationale, pour 2025, |
Par M. Jean-François HUSSON, Rapporteur général, Sénateur LE BUDGET DE 2025 ET SON CONTEXTE ÉCONOMIQUE ET FINANCIER |
(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Bruno Belin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Michel Canévet, Emmanuel Capus, Thierry Cozic, Bernard Delcros, Thomas Dossus, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Stéphane Sautarel, Pascal Savoldelli, vice-présidents ; Mmes Marie-Carole Ciuntu, Frédérique Espagnac, MM. Marc Laménie, Hervé Maurey, secrétaires ; MM. Pierre Barros, Arnaud Bazin, Grégory Blanc, Mmes Florence Blatrix Contat, Isabelle Briquet, MM. Vincent Capo-Canellas, Raphaël Daubet, Vincent Delahaye, Vincent Éblé, Rémi Féraud, Stéphane Fouassin, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Raymond Hugonet, Éric Jeansannetas, Christian Klinger, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Victorin Lurel, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Jean-Baptiste Olivier, Olivier Paccaud, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Georges Patient, Jean-François Rapin, Mme Ghislaine Senée, MM. Laurent Somon, Christopher Szczurek, Mme Sylvie Vermeillet, M. Jean-Pierre Vogel. |
Voir les numéros : Assemblée nationale (17ème législ.) : 324, 459, 462, 468, 471, 472, 486, 524, 527, 540 et T.A. 8 Sénat : 143 et 144 à 150 (2024-2025) |
PREMIÈRE PARTIE
UN
REDRESSEMENT MASSIF DES COMPTES PUBLICS, À CONFIRMER POUR RETROUVER
NOTRE CRÉDIBILITÉ BUDGÉTAIRE
I. MÊLÉE À DES ERREURS DE PRÉVISION INÉDITES, LA DÉRIVE BUDGÉTAIRE DES ANNÉES 2023-2024 APPELLE UN REDRESSEMENT DANS L'URGENCE
A. LE DÉRAPAGE INCONTRÔLÉ DES FINANCES PUBLIQUES EN 2023 ET 2024, CONCENTRÉ SUR L'ÉTAT, VA ÉLOIGNER POUR LONGTEMPS LA FRANCE DE L'ÉQUILIBRE BUDGÉTAIRE
1. En 2023 et 2024, le déficit public a été systématiquement et significativement supérieur aux prévisions initiales, témoignant d'erreurs de prévision inédites et d'une gestion budgétaire erratique
Comme il a eu l'occasion de le souligner, le Premier ministre arrivé à Matignon le 5 septembre dernier hérite d'une situation budgétaire « très grave ».
En effet, le déficit public suit une dangereuse pente de dégradation continue depuis 2022, après l'amélioration ayant suivi la crise sanitaire : atteignant 4,7 % du PIB en 2022, il a augmenté en 2023 pour s'élever à un niveau jamais atteint hors période de crise sous la Vème République, à 5,5 % du PIB. Ce constat est déjà obsolète puisque le déficit, en 2024, devrait encore dépasser celui de 2023, avec un niveau de 6,1 % du PIB.
Évolution du solde public entre 2017 et 2024
(en pourcentage du PIB)
Source : commission des finances du Sénat, d'après l'Insee et les prévisions du Gouvernement pour 2024
Les chiffres du déficit ont à chaque fois été largement supérieurs aux prévisions initiales, témoignant d'erreurs de prévision importantes et d'une dérive budgétaire dangereuse. S'agissant de la différence entre la prévision pour 2023 retenue dans les textes financiers adoptés à la fin de cette année et l'exécution, les erreurs ont même été inédites - ainsi qu'a pu le montrer la mission relative à la dégradation des finances publiques1(*).
Différence entre le solde public
prévu en loi de finances
et le solde public
exécuté
(en pourcentage du PIB)
Note : les chiffres de l'exécution sont, pour la période 2017-2023, ceux retenus dans la loi de règlement. Exprimés dans la même base comptable (sauf en 2023) que dans la loi de finances, ils doivent être préférés aux chiffres de l'Insee pour apprécier l'écart entre prévision et exécution. Pour 2024, le chiffre de l' « exécution » est en réalité la prévision 2024 retenue par le PLF 2025. L'écart avec le chiffre de la loi de finances initiales doit également être pondéré par la différence des bases comptables entre la LFI 2024 et le PLF 2025
Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires depuis 2017
Il est intéressant de constater à cet égard que toutes les prévisions officielles, avant celle contenue dans le présent PLF, indiquaient une amélioration du solde entre 2023 et 2024 - en décalage complet avec la réalité -, puis entre 2024 et 2025.
Certes, l'amélioration entre 2024 et 2025 était sous-tendue par un ensemble de réformes qui ne peuvent être reflétées dans le solde « à politique inchangée » pour 2025. Toutefois, force est de constater que les cibles de déficit pour 2025 affichées par le précédent Gouvernement, qu'elles soient de 3,7 %2(*) ou de 4,1 %3(*) du PIB, auraient été extrêmement difficiles, et pour tout dire impossibles, à atteindre grâce aux mesures du projet de loi de finances pour 2025. Venant d'un solde de 6,1 % du PIB, cela aurait supposé un ajustement structurel de 2 % de PIB d'une année sur l'autre - soit un effort de près de 60 milliards d'euros. Comparé au solde « à politique inchangée » envisagé pour 2025, cela aurait supposé de trouver non pas 60 milliards d'euros - comme le défend le Gouvernement - mais au contraire près de 85 milliards d'euros.
Évolution des prévisions
gouvernementales de déficit public
pour les années 2023
à 2024, entre avril 2023 et octobre 2024
(en pourcentage du PIB)
Source : commission des finances d'après les documents budgétaires
En particulier, les précédents Gouvernements ont, semble-t-il, manqué de prudence dans leur préparation des budgets 2023 et 2024, notamment dans leur prévision de recettes.
Si une certaine précocité du cycle d'investissement des collectivités territoriales ainsi qu'un affaissement des droits de mutation à titre onéreux du fait d'un faible nombre de transactions immobilières en réaction à la baisse des taux a contribué à la dégradation du solde des collectivités en 2023, la médiocre qualité de la prévision de recettes de l'État, due à la déstabilisation des conditions normales d'activité à la suite des crises sanitaire, énergétique et inflationniste, ainsi qu'un probable manque de prudence des prévisions, explique celle du solde de l'État4(*).
Pour l'année 2024, l'effet de la dégradation du solde 2023 sur celui de l'année suivante a joué, ainsi que d'autres effets : un dynamisme non anticipé des dépenses de fonctionnement des collectivités, une croissance en valeur plus faible qu'anticipée en raison d'une désinflation rapide, et une croissance spontanée des prélèvements obligatoires encore bien inférieure à celle du PIB.
L'analyse à chaud de l'OFCE :
une
dégradation de la prévision de solde 2024 due à plusieurs
facteurs
Selon l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), l'écart entre la prévision de solde public à - 4,4 % de la loi de finances initiale pour 2024 et sa prévision actuelle à - 6,1 % s'expliquerait par quatre causes principales qu'il a cherché à chiffrer. Selon l'organisme, la dégradation du point de départ - le solde 2023 - explique 0,6 point de la dégradation. L'erreur de prévision de la croissance nominale en explique 0,3 point, le dynamisme des dépenses des collectivités 0,5 point et les effets non anticipés d'élasticité fiscale 0,3 point.
Causes de la dégradation du solde public 2024 par rapport à la prévision initiale
(en points de PIB)
Source : « La croissance à l'épreuve du redressement budgétaire. Perspectives 2024-2025 pour l'économie française », Policy brief n° 137 de l'OFCE, 16 octobre 2024
À cet égard, il faut noter les difficultés persistantes du ministère de l'économie et des finances à bien appréhender l'évolution des recettes fiscales. Ainsi, si l'élasticité des prélèvements obligatoires au PIB avait bien été estimée inférieure à 0,6 dans le PLF 2023, elle s'est finalement élevée à un niveau de 0,4. Préjugeant d'un redressement trop rapide de cette élasticité, le PLF 2024, qui anticipait un déficit de 4,4 % du PIB, prévoyait qu'elle s'élèverait à 1,1. Cette erreur de prévision de l'élasticité, dont la mission la mission relative à la dégradation des finances publiques, réactivée par la commission des finances le 16 octobre 2024, s'attache à comprendre les causes, a été révisée à 0,8 à l'occasion du programme de stabilité pour les années 2024 à 2027 présenté le 17 avril 2024 par le précédent Gouvernement.
Cette dégradation de la situation budgétaire, mêlée à l'instabilité politique suscitée par la dissolution de l'Assemblée nationale décidée par le Président de la République le 9 juin 2024, a contribué à une hausse progressive de l'écart des taux à 10 ans entre la France et l'Allemagne, liée autant à la désaffection pour les titres français qu'à la réorientation de la demande vers les titres allemands5(*).
Évolution de l'écart du taux de l'OAT à 10 ans avec le bund allemand à 10 ans entre mai et novembre 2024
(en points de base)
Source : Bourse italienne
Ainsi, alors que cet écart de taux oscillait, avant la dissolution entre 40 et 60 points de base, celui-ci semble désormais situé, depuis la fin du mois de septembre 2024, dans un corridor situé entre 70 et 80 points de base.
2. Une situation budgétaire sinistrée dont l'État est le principal responsable
En observant l'évolution du solde public par catégorie d'administration publique depuis 2017, il est aisé de s'apercevoir que l'État est le principal responsable non seulement du déficit public mais aussi de sa dérive. Si les divers transferts de l'État vers les collectivités ou les administrations de sécurité sociale viennent nuancer ce constat, il faut rappeler que ces transferts viennent, la plupart du temps en compensation de suppressions de recettes (exonérations ou allègements de cotisations et contributions sociales, suppression de la taxe d'habitation puis de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE)6(*), etc.).
Évolution du solde des différentes catégories d'administrations7(*)
Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires
3. La lente dérive budgétaire fait massivement dévier les comptes publics de la France de leur trajectoire
Cette lente mais certaine dérive des comptes publics n'est pas sans conséquence sur leur trajectoire à moyen terme.
Ainsi, alors que les trajectoires définies à l'article 3 de la loi de programmation des finances publiques (LPFP) pour les années 2023 à 20278(*) et par le programme de stabilité pour les années 2024 à 20279(*) prévoyaient un passage du déficit public sous le seuil des 3 % de PIB10(*) dès 2027, celui-ci ne serait atteint, selon le plan budgétaire et structurel de moyen terme (PSMT) de la France11(*) et malgré l'effort très conséquent qu'il prévoit, qu'en 2029. De même, alors que la trajectoire de la LPFP fixait comme objectif une baisse du ratio dette sur PIB à partir de 2025 et le programme de stabilité 2024-2027 à partir de 2026, celle que s'est donnée le Gouvernement actuel dans le PSMT prévoit une hausse de ce ratio jusqu'en 2027, où il atteindrait 116,5 % du PIB, un niveau jamais atteint en France depuis le milieu des années 1940, au sortir de la Seconde Guerre mondiale12(*).
Évolution des trajectoires du solde public
(graphique n° 1)
et de la dette publique de la France
(graphique n°2)
entre décembre 2023 et octobre
2024
(en pourcentage du PIB)
Source : commission des finances, d'après les documents de programmation des finances publiques
Le Fonds monétaire international, qui a effectué ses prévisions sur la base de la situation prévalant avant la présentation du budget pour 2025 - et donc avant analyse des mesures qu'il contient - anticipe quant à lui, et si rien n'est fait, le déficit s'élèverait encore à 5,9 % du PIB de 2027 à 202913(*). Cela s'explique par l'absence de prise en compte du budget et du PSMT.
Au total, les errements des précédents Gouvernements en matière de gestion des finances publiques contraindront l'action de tous ceux qui seront amenés à diriger le pays à partir d'aujourd'hui et pour de nombreuses années. On ne peut que déplorer qu'il ait fallu attendre le « rappel à l'ordre » des marchés et des règles budgétaires européennes pour redresser la trajectoire.
B. L'AJUSTEMENT PROPOSÉ PAR LE GOUVERNEMENT : UN REDRESSEMENT ATTENDU ET BIENVENU
1. Atteindre l'objectif de déficit de 5 % du PIB en 2025, un besoin impérieux
Dans ces conditions, atteindre l'objectif d'un déficit limité à 5 % du PIB, fixé par le Gouvernement lors du dépôt du projet de loi de finances, apparaît comme un besoin impérieux, tout comme respecter la trajectoire de finances publiques que s'est donnée la France et qu'elle a communiquée à ses partenaires européens.
Aussi massif soit-il, l'effort proposé par le Gouvernement est donc bienvenu et nécessaire.
Tenir l'objectif de déficit à 5 % du PIB est un double impératif : tandis qu'un déficit public trop élevé nécessite de s'endetter trop substantiellement et de supporter le paiement d'une charge de la dette croissante, le réduire est la condition nécessaire pour retrouver des marges de manoeuvre pour investir dans l'avenir et, en cas de crise, se permettre une intervention publique d'une ampleur comparable à celles qui ont pu être menées pour faire face à la crise financière de 2008-2009 et à la crise sanitaire. Par ailleurs, le respect de notre trajectoire est nécessaire pour restaurer la confiance tant de nos concitoyens que des investisseurs qui, de dérapage en dérapage, pourraient être amenés à nous prêter dans des conditions moins avantageuses, ainsi qu'on l'observe déjà depuis juin dernier.
2. Un effort qui nécessitera de changer de posture
L'état des comptes publics suppose que leur rétablissement devienne la priorité politique numéro 1 puisqu'en l'absence de réel redressement au lendemain des crises sanitaire, énergétique et inflationniste, l'action publique se retrouve dans une impasse. Le rétablissement des comptes publics, qui aurait dû être enclenché plus tôt et plus franchement14(*) et faire l'objet d'un travail réfléchi de concertation pour identifier clairement les priorités et envisager un rythme de redressement qui préserve l'activité et l'ambition des politiques publiques, conditionne désormais toute politique future.
Étant donné la gravité de la situation, l'état d'esprit qui doit présider à l'examen du budget 2025 doit donc être celui de la responsabilité et de la détermination, en évitant les lignes rouges. Le choix de la responsabilité pourra aussi exiger de prendre les mesures indispensables au redressement de nos finances publiques, mesures que, pour certaines, la majorité sénatoriale avait pu refuser par le passé lorsque la situation ne l'imposait pas. En somme, il ne faudra pas hésiter à envisager des économies en dépenses au-delà des propositions initiales du Gouvernement, comme l'avait fait le Sénat lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2024, mais pour redresser la barre et reprendre enfin la main sur nos finances publiques, il sera impossible de ne pas consentir, malgré un poids de l'impôt déjà important dans notre pays, de nouvelles recettes fiscales, au moins temporairement.
II. APRÈS UN SEPTENNAT MACRON-LE MAIRE AU BILAN ÉCONOMIQUE CONTRASTÉ, DES PERSPECTIVES DE CROISSANCE EN AMÉLIORATION LIMITÉES PAR L'IMPACT RÉCESSIF D'UN AJUSTEMENT NÉCESSAIRE
A. LE NOUVEAU GOUVERNEMENT EST L'HÉRITIER D'UN BILAN ÉCONOMIQUE CONTRASTÉ DEPUIS 2017
1. Un bilan économique contrasté depuis 2017
Le Gouvernement actuel est l'héritier un bilan économique contrasté depuis 2017, du moins si l'on s'intéresse aux indicateurs que sont la croissance du PIB, le taux de chômage et l'inflation.
a) Une croissance moyenne depuis 2017 et en léger retrait par rapport à nos partenaires européens
La France, du fait de son appartenance à l'Union européenne, semble avoir été pénalisée par une dynamique d'ensemble médiocre. Comme s'en alarme Mario Draghi dans un rapport récent15(*), « la croissance dans l'Union européenne a été lente, du fait d'un affaiblissement de la croissance de la productivité, remettant en question la capacité pour l'Europe d'être à la hauteur de ses ambitions ».
Dans ce contexte, la France semble, au sein de la zone euro, faire un peu moins bien que ses voisins. Ainsi, entre 2017 et 2023, le PIB a crû de 8,4 % en France, mais il augmentait de 10,2 % au niveau de la zone euro16(*).
Si l'on s'intéresse plus précisément à ce qui s'est passé depuis la crise sanitaire, et qu'on compare le PIB prévu en 2024 avec celui enregistré en 2019, il se confirme que la France se situe légèrement en retrait par rapport à la zone euro, qui elle-même est en fort retrait par rapport aux États-Unis. Notre pays fait, en revanche, beaucoup mieux que l'Allemagne, qui semble empêtrée depuis la crise sanitaire dans une forme d'apathie économique.
Écart de PIB par rapport à la fin 2019 de la France et de ses principaux partenaires
Source : OFCE, Policy brief n° 137, « La croissance à l'épreuve du redressement budgétaire. Perspectives 2024-2025 pour l'économie française »
Sur cette période, la croissance de l'activité en France a été inférieure à celle enregistrée en Grèce, aux Pays-Bas, au Portugal, en Belgique, en Espagne et même en Italie. Parmi ces pays, seuls les Pays-Bas et le Portugal enregistraient, comme la France, un déficit d'activité par rapport à une situation « sans crise ».
Si cette reprise de la croissance en Grèce, au Portugal, en Espagne et en Italie peut s'expliquer par un mouvement de rattrapage qu'il faut évidemment saluer17(*), force est de constater qu'il n'en est pas de même aux Pays-Bas et en Belgique. La Norvège, le Danemark, les PECO18(*) et la Suède font également mieux que la France.
Écart de PIB au deuxième trimestre
2024 par rapport à 2019
des principales économies
mondiales
Source : OFCE, Policy brief n° 136, « Passage de relais. Perspectives 2024-2025 pour l'économie mondiale »
b) Un taux de chômage en baisse mais supérieur à la moyenne de la zone euro et qui est la contrepartie de la baisse de la productivité du travail
Cette modération de l'activité en France a une incidence sur le taux de chômage qui, tout en diminuant régulièrement, de 9,4 % en 2017 à 7,3 % en 2023, est resté supérieur sur cette période à celui de la zone euro dans son ensemble. Au deuxième trimestre 2024, il s'élevait toujours à 7,3 % de la population active après avoir atteint 7,5 % au premier trimestre.
Évolution du taux de chômage dans quelques pays de la zone euro de 2017 à 2023
(en % de la population active)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les données d'Eurostat
Il s'agit d'une évolution comparable à celle enregistrée dans la zone euro dans son ensemble, et même un peu moins favorable : en France, le taux de chômage a baissé de 2,1 points entre 2017 et 2023, tandis qu'au niveau de la zone euro cette baisse a été plus franche, puisque le taux de chômage est passé de 9,1 % à 6,6 %, soit une diminution de 2,5 points.
Si le taux de chômage est toujours supérieur à 10 % en Grèce et en Espagne, où la reprise de l'activité n'aura pas suffi sur cette période à effacer les conséquences sur l'emploi de la crise financière et des dettes souveraines, le Portugal a présenté sur toute la période un taux de chômage inférieur à celui de la France. Il n'est pas jusqu'à l'Italie qui présente désormais un taux de chômage inférieur à celui de la France, avec 6,8 % au deuxième trimestre 202419(*).
Les chiffres du chômage, pour satisfaisants qu'ils soient en comparaison avec les niveaux atteints sur la décennie 2010, sont toutefois davantage le reflet de la baisse de la productivité du travail que de l'impact positif des réformes structurelles menées depuis 2017 et qui ne peuvent avoir un effet que sur le long terme. Ainsi, depuis 2019, la productivité du travail en France aurait diminué de 8,5 % par rapport à sa tendance pré-covid, du fait du recours massif à l'apprentissage (qui expliquerait 1,2 point de cette baisse), d'une forte augmentation forte de l'emploi moins qualifié (1,4 point), de la crise sanitaire elle-même (0,4 point) et d'une rétention de main-d'oeuvre (1,8 point)20(*). La révision des comptes nationaux en mai 2024 suggère que cette productivité est un peu moins dégradée que cela, mais qu'elle l'est tout de même fortement (6,1 % selon l'OFCE). Comme l'indiquait Natacha Valla lors de son audition par la commission, « une analyse détaillée de ces contre-performances de productivité permet de constater que les secteurs de la construction, du commerce et de nombreuses branches industrielles ont eu une contribution fortement négative dans ce mouvement ; à l'inverse, les secteurs de la communication, de l'information et de l'agriculture ont plutôt contribué de manière positive ».21(*)
Si l'intégration dans l'emploi de personnes qui en étaient auparavant éloignées est une bonne nouvelle, la baisse de la productivité du travail présente un fort risque de peser sur la compétitivité, les salaires réels et à terme sur la croissance, sauf à augmenter continûment le taux d'emploi, objectif que visent les réformes de l'assurance chômage et des retraites.
c) Une inflation maîtrisée à un prix exorbitant pour les finances publiques
La France a su contenir l'inflation sur la période récente. Ainsi, à la différence du Royaume-Uni, des États-Unis et de l'Allemagne, où le niveau des prix a augmenté de 23 à 25 % en 2024 par rapport à 2019, en France, en Italie et en Espagne, la hausse cumulée était de l'ordre de 18 % à 20 %.
Dans un premier temps, la reprise de l'inflation a été due à une perturbation des chaînes mondiales d'approvisionnement à la suite de la pandémie. La pérennisation et l'amplification de cette inflation en 2022 et 2023 s'explique par la crise énergétique due à l'invasion russe en Ukraine, ayant touché d'abord les approvisionnements en gaz et donc son prix et, compte tenu du fonctionnement du marché européen de l'électricité selon le principe de l'« ordre de mérite », les prix de l'électricité. Entre 2021 et la fin de l'année 2022, le surcroît d'inflation s'explique ainsi principalement par les prix de l'énergie, avant que les prix alimentaires ne prennent le relais.
Contribution à l'inflation de différents facteurs en France entre 2020 et 2023
Source : Quelles sont les causes de l'inflation post-pandémie en France ? Pierre Aldama, Hervé Le Bihan et Claire Le Gall, Bloc-notes Éco n° 363 (Banque de France), 1er août 2024
En France, à la différence de l'Espagne où l'inflation énergétique a été plus maîtrisée du fait, probablement, de sa sortie temporaire du marché européen de l'électricité22(*), la croissance des prix alimentaires a été moins prononcée que chez sa voisine, mais celle du prix des transports, du logement, de l'électricité, du gaz et autres combustibles a été plus forte, malgré l'application de boucliers tarifaires sur l'énergie ayant eu un impact considérable sur les finances publiques puisqu'entre 2021 et 2023, l'ensemble de ces dispositifs ont eu un coût estimé à 85 milliards d'euros23(*).
Contribution des biens et services par
catégorie
à la croissance des prix d'août 2019 à
août 2024
en Allemagne, Espagne, France et Italie
(en points de croissance des prix)
Source : OFCE, Policy brief n° 136, « Passage de relais. Perspectives 2024-2025 pour l'économie mondiale »
2. En 2024, une croissance modérée, portée par le commerce extérieur et le dérapage des comptes publics, mais freinée par l'effet retardé du durcissement de la politique monétaire
La croissance de l'activité, en 2024, s'établirait selon le Gouvernement à 1,1 %, soit le même niveau qu'en 2023. Il s'agit d'une prévision réaliste puisque l'acquis de croissance s'élevait, à l'issue du troisième trimestre 2024, à + 1,1 %24(*). Une stagnation au quatrième trimestre suffirait donc pour atteindre la prévision.
L'Insee prévoit une croissance similaire25(*), de même que l'OFCE26(*) et le consensus des économistes dans sa publication d'octobre 2024.
Il s'agit toutefois d'une prévision de croissance fort inférieure à celle qui était prévue pour le cadrage du PLF pour 2024, puisqu'alors le Gouvernement envisageait une augmentation du PIB de 1,4 %. La commission des finances du Sénat avait alors alerté, sans malheureusement être entendue, sur le caractère particulièrement optimiste de cette prévision et du risque qu'elle faisait courir, par ricochet, à la prévision de déficit public27(*).
De même, la croissance a été portée par des facteurs bien différents de ceux qui étaient initialement prévus, ce qui n'a pas été sans incidence sur le contenu en recettes de la croissance du PIB en 2024. Selon le Gouvernement d'Élisabeth Borne, la croissance devait être portée principalement par une consommation des ménages très dynamique et, dans une moindre mesure, par la consommation et l'investissement des administrations, par l'investissement des entreprises et le commerce extérieur, seul l'investissement des ménages représentant un facteur négatif28(*). Au contraire, la consommation des ménages s'est révélée moins allante que prévue, l'investissement des entreprises en baisse, bien que selon une ampleur moindre que celui des ménages, tandis que la consommation et l'investissement publics ont porté la croissance avec le commerce extérieur.
Cette recomposition de la croissance n'était pas perceptible en début d'année. Cela avait conduit la commission des finances, qui ne pouvait pas saisir, en avril 2024, à quel point l'impulsion budgétaire résultant du dérapage des comptes publics serait importante, à estimer que la prévision de 1 % contenue dans le programme de stabilité et annoncée dès le 18 février 2024 par le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, était optimiste29(*). En somme, les prévisions actualisées de février 2024 ne se sont vérifiées que parce que la dépense publique a fortement progressé.
C'est donc la demande publique, alimentée par un déficit public massif, et le commerce extérieur qui, en 2024, constitueraient les principales sources de croissance. Ainsi, selon les prévisions du Gouvernement, la contribution de la demande publique à la croissance s'élèverait à 0,8 point (contre 0,1 prévu en avril pour le cadrage du programme de stabilité), celle du commerce extérieur à 1,1 point (contre 0,4), mais celle de la demande intérieure privée hors stock à -0,1 point (contre 0,7) et celle de la variation des stocks à -0,6 point (contre -0,2)30(*).
Décomposition de la prévision de croissance du Gouvernement pour 2024
(en point de PIB - base 100 au PIB de l'année 2023 - en volume)
Source : calculs de la commission des finances du Sénat d'après le rapport économique, social et financier du PLF pour 2025 et le plan budgétaire et structurel à moyen terme 2025-2029
En effet, la consommation finale des administrations publiques augmenterait de 2,7 % en 2024 selon le Gouvernement (contre 1,5 % selon l'Insee) et l'investissement public augmenterait de 3 % (contre 2,1 % selon l'Insee). Sans ces hausses significatives contribuant à expliquer un creusement majeur du déficit31(*), la croissance serait par conséquent bien moins élevée, ce qui atteste l'optimisme des prévisions gouvernementales retenues au moment du programme de stabilité.
Le commerce extérieur a également contribué pour une forte part à la croissance en 2024, autant du fait d'une hausse des exportations (+ 2,1 % selon le Gouvernement, + 2 % selon le l'Insee) que d'une baisse marquée et inédite des importations (- 1,1 % selon le Gouvernement et - 1,6 % selon l'Insee), là où elles avaient augmenté (+ 0,7 %) en 2023. La hausse des exportations, moindre qu'en 2023, s'explique par le redécollage du commerce mondial, qui s'est traduit par une hausse de la demande mondiale adressée à la France (+ 0,9 % selon l'Insee et le Gouvernement, contre - 2,1 % en 2023), un regain de parts de marchés (aéronautique, pharmacie, métallurgie) ainsi que le tourisme. La baisse des importations, qui s'explique pour une part par celle des prix des hydrocarbures32(*), concerne essentiellement les produits manufacturés. La contrepartie de cette baisse des importations, et de la forte contribution du commerce extérieur à la croissance qu'elle permet, est un mouvement de déstockage inédit depuis la crise financière de 2009, contribuant à hauteur de - 0,6 point à la croissance du PIB en 2024 (- 0,5 point selon l'Insee).
À la différence des hypothèses du Gouvernement l'an dernier, et malgré des Jeux Olympiques alimentant une hausse de la confiance des ménages, la consommation des ménages s'est avérée peu dynamique, puisqu'elle n'a augmenté que de 0,7 % là où une hausse de 1,8 % était prévue pour le cadrage du PLF pour 202433(*).
En effet, il était alors anticipé une décrue du taux d'épargne en raison du fort reflux de l'inflation.
De fait, l'inflation a diminué : après 5,2 % en 2022 et 4,9 % en 2023, les prévisions actuelles du Gouvernement anticipent, en moyenne annuelle, une baisse à 2,1 % en 2024 de l'indice des prix à la consommation - l'Insee prévoit une inflation de 2 %. Ce reflux est lié à la décrue de la composante énergétique de l'inflation, déjà entamée en 2023, et plus encore à sa composante alimentaire, qui a quasiment disparu à partir du deuxième trimestre de l'année 2024. Selon l'OFCE, le recul des prix de l'énergie constituerait un choc positif sur le PIB de l'ordre de 0,3 point, compensé par le retrait des mesures exceptionnelles de soutien en la matière (- 0,4 point).
Par voie de conséquence, les salaires réels augmenteraient de l'ordre de 0,5 % à 0,6 % en 2024 tandis que stagnation du taux de chômage à un niveau de 7,5 % permettrait au niveau macroéconomique de répercuter pleinement cette hausse des salaires réels dans la demande. Porté par une accélération des prestations (+ 6 % après 4,7 %) et des revenus du patrimoine dynamiques (dividendes et assurance-vie), le pouvoir d'achat progresserait ainsi de 1,8 % selon l'Insee, de 2 % selon le Gouvernement. L'OFCE, qui anticipe une hausse de pouvoir d'achat limitée à 1,7 % estime que la hausse ne serait que de 1,1 % par unité de consommation. Ces regains de salaire réel et de pouvoir d'achat sont toutefois plus lents qu'en Espagne, en Allemagne ou en Italie.
Le reflux de l'inflation n'a toutefois pas été suffisant pour compenser les pertes de pouvoir d'achat des années précédentes liées à l'inflation passée ainsi que la chute de la valeur réelle des patrimoines à compter de 2022. En effet, comme le signale l'OFCE34(*), malgré la hausse des salaires réels en 2024, ceux-ci ne reviendraient qu'en 2025 à leur niveau de 2019, après avoir enregistré un recul de 3 % entre fin 2020 et fin 202435(*).
La conjonction de ces évolutions de moyen terme peut expliquer le maintien du taux d'épargne à des niveaux particulièrement élevés, avoisinant 18 %36(*) du revenu disponible brut - soit une hausse de 1 point par rapport à 2023 - alors même que le Gouvernement anticipait pour 2024 un reflux de ce taux d'épargne37(*).
Si, malgré certains obstacles, la consommation des ménages a augmenté, en revanche, le recul de l'investissement a fortement pesé sur la croissance.
L'investissement des ménages a fait les frais du durcissement rapide de la politique monétaire décidé par la Banque centrale européenne entre juin 2022 et septembre 2023 pour stopper l'inflation, puisqu'il enregistrerait en 2024 une baisse estimée à - 6 % par le Gouvernement (- 5,9 % selon l'Insee). Entre mi-2022 et mi-2024, l'OFCE estime que l'investissement des ménages a amputé le PIB de - 0,9 point.
Par ailleurs, alors que le Gouvernement, pour le cadrage du PLF pour 2024, anticipait un investissement des entreprises certes en ralentissement mais en hausse, la commission des finances estimait que le durcissement de la politique monétaire aurait sans nul doute des effets retardés sur 2024 malgré un assouplissement en cours d'année.
Évolution des taux directeurs de la Banque
centrale européenne
entre 2019 et 2024
(en points de %)
Source : commission des finances du Sénat d'après les données de la BCE
Les faits lui donnent raison puisque l'investissement des entreprises baisserait de 1,7 % en 2024, ce qui représente une diminution très conséquente. Une chute équivalente ou supérieure n'a en effet été observée que sept fois au cours des 50 dernières années38(*).
La France, qui suivait, en matière d'évolution de l'investissement des entreprises, une tendance proche des États-Unis, a ainsi décroché en 2024.
Évolution de l'investissement des
sociétés non financières en France,
en Allemagne et
aux États-Unis entre 2014 et 2024
Source : Rexecode, graphique communiqué par M. Olivier Redoulès
Cette diminution de l'investissement des entreprises s'explique par trois facteurs principaux :
- la hausse considérable du nombre de faillites, due en partie à la hausse des taux mais pouvant aussi se comprendre comme un rattrapage par rapport aux années passées ;
- le fait que les entreprises restantes investissent moins en raison de la hausse du coût du crédit : il existe en effet moins de projets rentables lorsque les taux d'emprunt sont élevés que lorsqu'ils sont faibles ;
- une demande morose liée à un taux d'épargne élevé, comme expliqué précédemment : les entreprises, n'anticipant pas de débouchés importants, ne sont pas incitées à investir.
Évolution du nombre de défaillances
d'entreprises en France
entre décembre 1991 et septembre
2024
Source : Banque de France
Au total, l'OFCE estime ainsi que l'impact de la politique monétaire sur la croissance en 2024 à - 0,6 point.
Le climat d'incertitude politique liée à la dissolution de l'Assemblée nationale décidée le 9 juin 2024 par le Président de la République et à la difficulté qui s'en est suivie de constituer un Gouvernement constitue une explication complémentaire du recul de l'investissement. Ainsi, le climat des affaires a brusquement décroché au cours de l'été, passant de 99 à 94 au cours du mois de juillet, expliquant probablement un certain attentisme de la part des chefs d'entreprise et, par conséquent un retard dans les décisions d'investissement. Il est par la suite revenu à des niveaux plus normaux.
La dissolution de l'Assemblée nationale : un choc d'incertitude affectant l'investissement et le PIB
Dans le cas général de la France, Zakhartchouk (2012) estime qu'un choc d'incertitude défini en retenant les principaux épisodes de volatilité financière39(*) induit une baisse de l'indice de production industrielle de l'ordre de 1 % par rapport à l'absence de choc. Hee Hong, Ke et Nguyen (2024) trouvent des résultats similaires : un choc d'incertitude budgétaire entraîne une contraction de la production industrielle et une hausse du coût de l'endettement pour plusieurs pays, dont la France.
La dissolution de l'Assemblée nationale décidée le 9 juin 2024 par le président de la République et l'absence de majorité claire découlant des élections législatives constitue un tel choc. Face aux incertitudes concernant la politique économique, budgétaire et fiscale, les décisions d'investissement sont moins certaines et les projets sont retardés en attendant d'y voir plus clair, ce qui pèse inévitablement sur l'activité.
L'OFCE et l'Insee, utilisant divers indices d'incertitude politique établis par des économistes40(*), constatent une augmentation forte de l'incertitude politique après l'annonce de la dissolution : au troisième trimestre 2024, il s'établissait à un niveau supérieur de plus de 50 % à sa valeur moyenne observée pendant la XVIème législature.
Dans ce contexte, l'OFCE a développé un modèle permettant d'observer qu'un choc de risque politique a un effet significatif à la baisse sur l'investissement et le PIB et un effet haussier sur le taux d'intérêt de court terme. Avec ce modèle, ils estiment que le choc d'incertitude lié à la dissolution aurait un impact de - 0,1 point sur la croissance en 2024 et de - 0,2 point en 2025, du fait de l'affaiblissement de l'investissement des entreprises.
Source : commission des finances d'après la note de conjoncture de l'Insee du 10 octobre 2024, « La croissance entre pouvoir d'achat et incertitudes », et le Policy Brief n° 137 de l'OFCE du 16 octobre 2024, « La croissance à l'épreuve du redressement budgétaire. Perspectives 2024-2025 pour l'économie française »
Le risque d'une évolution de l'investissement plus dégradée que prévu n'est toutefois pas à écarter dans la mesure où le climat des affaires s'est replié en octobre 2024. Dans l'industrie, il a enregistré en octobre 2024 sa plus forte baisse mensuelle depuis novembre 2008, hors crise sanitaire41(*).
Au total, la croissance résulte donc en 2024 d'effets composites. La politique monétaire restrictive menée entre 2022 et 2023 a fortement pesé sur l'activité, tandis que l'impulsion budgétaire l'a soutenu. La conjonction du recul des prix de l'énergie et du retrait des mesures de soutien a eu un impact presque neutre, tandis que les incertitudes, tant au niveau international que national, ont légèrement grevé la croissance.
Décomposition de la prévision de croissance du PIB pour l'année 2024 de l'OFCE
(en volume et en point de pourcentage)
Source : commission des finances du Sénat, d'après l'OFCE
B. EN 2025, L'EFFORT BUDGÉTAIRE QUI S'IMPOSE AU GOUVERNEMENT AURA UN IMPACT RÉCESSIF QUI POURRAIT ÊTRE SOUS-ESTIMÉ
Pour l'année 2025, le trait marquant principal de la politique économique résidera dans l'inversion du « policy mix », c'est-à-dire de la combinaison entre politiques budgétaire et monétaire.
Alors que l'activité, en 2024, a été soutenue par le dérapage des comptes publics et freinée par les effets retardés du durcissement de la politique monétaire, la tendance pour 2025 serait contraire. Les effets de la détente sur les taux décidée dès juin 2024 par la BCE se feraient pleinement sentir, mais ils seraient contrecarrés par la consolidation budgétaire mise en oeuvre par le Gouvernement.
L'évolution du policy mix en 2024 et 2025 à la lumière du modèle IS-LM
Le modèle IS-LM42(*) permet de se faire une représentation schématique de l'impact combiné des politiques budgétaires et monétaires. Il décrit, d'un côté, l'équilibre sur le marché des biens (IS) et, de l'autre, l'équilibre sur le marché de la monnaie (LM). De façon simplifiée, sur le marché des biens, lorsque le taux d'intérêt diminue, la demande augmente, notamment via un regain d'investissement. Par ailleurs, lorsque la production augmente, l'épargne augmente ce qui tend à faire diminuer le taux d'intérêt. La courbe IS est donc décroissante. Pour des niveaux de taux d'intérêt et de production donnés, une politique budgétaire expansionniste tend à augmenter le PIB (IS se déplace vers la droite). Sur le marché de la monnaie, une hausse de la production pousse les agents à préférer la liquidité de la monnaie et à vendre leurs obligations ce qui entraîne une hausse des taux d'intérêt. La courbe LM est donc croissante. Une politique monétaire expansionniste aboutit à ce que pour un revenu donné, le taux d'intérêt diminue (LM se déplace vers la droite). Le croisement des deux équilibres représente l'état de l'économie à un moment donné.
Développé en 1937 par John Hicks et pensé comme une synthèse entre Keynes et les classiques, il a été retravaillé par la suite par Alvin Hansen. Il représente une économie fermée où les prix sont rigides : en ce sens il s'agit d'une représentation très simplifiée de l'économie, à court terme. « IS-LM simplifie beaucoup les choses et ne peut être pris comme une explication définitive. Mais il a fait ce que les bons modèles économiques sont supposés faire : rendre sensé ce que nous voyons et faire de très utiles précisions sur ce qui pourrait se passer dans des circonstances inhabituelles. Les économistes qui comprennent IS-LM ont fait largement mieux pour suivre notre crise actuelle que ceux qui ne le comprennent pas » déclarait en 2011 Paul Krugman43(*).
On se propose de schématiser les évolutions des politiques monétaires et budgétaires :
Source : commission des finances du Sénat
Depuis la transmission du programme de stabilité pour les années 2024 à 2027, les prévisions de croissance gouvernementales ont évolué. Alors que le Gouvernement précédent anticipait une hausse du PIB de 1,4 % pour 2025, la prévision de croissance actuelle s'élève à 1,1 %.
Selon le Gouvernement, dans un contexte de reflux de l'inflation sous la cible de 2 % soutenant le pouvoir d'achat, celle-ci serait largement soutenue par la consommation des ménages, qui contribuerait à hauteur de 0,7 point à la croissance. Le commerce extérieur continuerait de soutenir l'activité (+ 0,2 point), tandis que l'investissement des entreprises, soutenu par une politique monétaire expansionniste, rebondirait après une année de repli, de même que l'investissement des ménages - composé pour l'essentiel de leurs dépenses immobilières - après trois années de baisse consécutives.
Décomposition de la prévision de croissance du Gouvernement pour 2025
(en point de PIB - base 100 au PIB de l'année 2024 - en volume)
Note : la différence entre la somme et le total est due aux arrondis utilisés pour exprimer l'évolution de chaque poste de la demande dans les documents budgétaires
Source : calculs de la commission des finances du Sénat d'après les documents budgétaires
1. Malgré une stagnation du pouvoir d'achat des ménages, le reflux de l'inflation et la baisse des taux pousseraient le taux d'épargne à la baisse et la consommation à la hausse
Le reflux de l'inflation, qui devrait passer sous les 2 % en 2025, permettrait aux revenus, qu'ils proviennent des salaires ou du patrimoine, de retrouver du pouvoir d'achat et donc de soutenir la consommation. Si certains facteurs, comme le report au 1er juillet de la revalorisation des retraites ou bien encore un risque de contraction de l'emploi, freineraient ce mouvement, ils ne le feraient que de façon limitée en raison de l'épargne accumulée depuis 2020 dont le pouvoir d'achat grimperait du fait de la baisse de l'inflation. Par ailleurs, la baisse des taux signifie que l'épargne est moins rémunératrice : il est, dans ces conditions, plus plausible que l'année dernière que le taux d'épargne diminue et que la consommation s'en trouve renforcée.
Sous l'effet de la politique monétaire restrictive décidée en juin 2022 par la Banque centrale européenne et du recul des prix de l'énergie, auquel le ralentissement de l'activité en Chine n'est pas étranger, l'inflation passerait sous les 2 %, soit la cible que se donne la Banque centrale européenne pour remplir son mandat de stabilité des prix44(*).
La prévision d'inflation du Gouvernement s'élève à 1,8 % en 2025. C'est une prévision un peu élevée : le Consensus des économistes l'évalue à 1,6 %, tandis que, selon l'OFCE, l'indice des prix à la consommation (IPC) n'augmenterait que de 1,5 % en 2025. En retenant l'indicateur de l'IPC harmonisé (entre les membres de la zone euro), la Banque de France estime l'inflation à 1,5 % tandis que le Gouvernement prévoit un IPCH augmentant d'1,9 %. Le mouvement de désinflation serait donc réel et plus marqué que ne l'envisage le Gouvernement.
Alors qu'au début de la crise inflationniste, la hausse des prix était principalement due à un élément étranger au fonctionnement de l'économie européenne, à savoir les prix de l'énergie, la politique monétaire engagée dès la mi-2022 pourrait s'être avérée trop restrictive, et l'assouplissement trop tardif. Dès lors, l'existence d'un risque déflationniste ou bien, du moins, d'une inflation trop faible à partir de 2025 ne saurait être complètement exclue45(*). Le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, a ainsi déclaré à l'occasion de l'annonce de baisse des taux par la BCE d'octobre 2024 que « le risque de manquer durablement notre cible par le bas existe désormais autant que celui de la dépasser »46(*).
Cette faible inflation est toutefois une bonne nouvelle pour le niveau des salaires réels, qui pourrait, par voie de conséquence, augmenter davantage que ne l'anticipe le Gouvernement. Dès lors, si le salaire moyen par tête (SMPT) augmentait de 2,6 % à 2,7 %47(*) en 2025 comme le prévoient la Banque de France ou le Gouvernement, la hausse des salaires réels pourrait être supérieure à celle qui est actuellement anticipée (0,8 %). Si l'OFCE n'anticipe une augmentation du SMPT que de 2,2 %, ses prévisions d'inflation l'amènent à considérer que le SMPT réel serait en augmentation de 0,7 %.
La hausse des salaires réels soutiendrait certes le pouvoir d'achat, mais celui-ci se trouverait comprimé sous l'effet du report de l'indexation des retraites du 1er janvier au 1er juillet, qui entraînerait une réduction des dépenses sociales de 3,6 milliards d'euros et dégraderait le pouvoir d'achat des retraités. L'impact économique de cette mesure dépendra de son paramétrage et en particulier du choix d'en exonérer, ou non, les « petites retraites ».
De même, les mesures de réduction des primes à l'embauche soutenant l'apprentissage contenues dans le budget pourraient conduire à une baisse du nombre d'apprentis, tandis que la réforme des allègements généraux prévue par le PLFSS pour 2025 et censée augmenter les recettes sociales de 4 milliards d'euros, pourrait détruire, selon l'OFCE, 15 000 emplois la première année48(*). Comme l'expliquait Olivier Redoulès lors de son audition par la commission, « la hausse des cotisations va toucher les secteurs intensifs en main d'oeuvre, qui ne disposeront pas nécessairement de la possibilité de la répercuter sur les prix, notamment si leurs clients sont publics »49(*). Encore une fois l'impact économique de cette mesure dépendra largement de son paramétrage entre le SMIC et les salaires plus élevés.
Il faut aussi souligner que le redressement budgétaire devrait éroder la croissance, et contribuer à une hausse du taux de chômage en 202550(*). La réforme des retraites adoptée en 2023, contribuant à court terme à augmenter la population active de 0,6 point sans que la croissance ne soit suffisante pour l'absorber, ne viendrait pas contrecarrer l'impact de l'ajustement sur le chômage. L'OFCE estime ainsi que le taux de chômage s'élèverait à 8 % en 2025. La hausse serait moins marquée selon la Banque de France (7,6 %), dont il convient de remarquer que ses prévisions précèdent le dépôt du projet de loi de finances pour 2025 et ne prennent pas en compte son effet sur l'emploi.
En outre, les revenus du patrimoine ne bénéficieraient plus de la hausse des taux d'intérêt qui a pu les soutenir et ne progresseraient que faiblement.
Les évolutions conjuguées de l'inflation, des salaires, des prestations et de l'emploi entraîneraient une hausse du pouvoir d'achat de l'ordre de 0,8 %, selon le Gouvernement. Se fondant sur des chiffres différents de déflateur de la consommation et de revenu disponible brut, l'OFCE estime que le pouvoir d'achat n'augmenterait que de 0,3 %, et diminuerait même de 0,2 % par unité de consommation.
Au total, il serait réaliste d'anticiper une stagnation du pouvoir d'achat pour l'année 2025.
Il paraît donc paradoxal, de prime abord, d'anticiper une hausse de la consommation des ménages. C'est pourtant la prévision de la Banque de France, du Gouvernement (+ 1,3 %) et de l'OFCE (+ 1,1 %).
En effet, deux facteurs principaux se conjuguent : du fait de la baisse des taux, l'épargne accumulée par les ménages depuis le début de la crise sanitaire est moins rémunératrice. Il peut dès lors devenir plus intéressant de consommer que d'épargner. Par ailleurs, la baisse de l'inflation renforce le pouvoir d'achat de cette sur-épargne accumulée depuis 2020 à hauteur, selon l'OFCE, de 17 points de PIB et dont la valeur réelle s'était dégradée entre 2022 et 2024 en raison de l'inflation.
Bien que les gains de pouvoir d'achat accumulés en 2023 et 2024 soient modestes, ils pourraient porter la consommation en 2025, où les conditions seraient réunies pour entamer l'écoulement de cette sur-épargne.
Toutefois, l'anticipation d'une baisse du taux d'épargne, qui s'élevait à 16,9 % du PIB en 2023 et devrait atteindre 18,1 %51(*) en 2024, constitue un des aléas importants de la prévision.
Évolution trimestrielle du taux
d'épargne entre 2022 et 2024
et comparaison à la moyenne de
2019
(en % du revenu disponible brut)
Source : commission des finances, d'après les données et prévisions de l'Insee (octobre 2024)
Le niveau important d'incertitude, dans un contexte politique national instable, pourrait conduire les ménages à continuer d'épargner pour des motifs de précaution. De même, la désinflation peut avoir un effet paradoxal : plus l'on s'approche de la déflation - dont l'économie française est toutefois encore éloignée -, plus il devient intéressant de reporter ses dépenses de consommation et d'épargner ou de se désendetter52(*). Selon l'OFCE, un taux d'épargne qui se maintiendrait en 2025 au niveau de 2024 aurait un fort effet sur la croissance puisqu'il ferait passer la prévision de 0,8 % à 0,5 %. Une telle stabilisation ne saurait être complètement exclue dans la mesure où, comme le souligne le HCFP dans son avis, la part des ménages estimant qu'il est opportun d'épargner se situait à son plus haut niveau historique en septembre 2024.
Plusieurs arguments plaident toutefois pour un recul du taux d'épargne en 2025.
Dans un exercice de transparence qu'il faut saluer, alors que l'année dernière les hypothèses de diminution du taux d'épargne n'étaient pas étayées par le Gouvernement, le rapport économique, social et financier joint au PLF 2025 et son complément, le plan budgétaire et structurel de moyen terme, expliquent pourquoi le scénario économique intègre une telle baisse en 2025. Ce scénario s'appuie sur le fait que, malgré un fort écart sur la période récente entre l'inflation réelle et l'inflation ressentie qui pourrait expliquer que le reflux de l'inflation enregistré en 2024 ne se soit pas répercuté sur le taux d'épargne, le jugement des ménages sur l'évolution des prix passés se rapproche de sa moyenne historique en septembre 2024. Il faut en effet un certain temps pour que le reflux de l'inflation soit intégré comme la nouvelle tendance de prix dans le comportement des consommateurs et pour ramener à des niveaux plus classiques le fort écart entre inflation réelle et ressentie.
Le niveau d'inflation peut-il suffire à prédire le niveau de consommation ?
La théorie économique n'est pas consensuelle sur les effets de l'inflation sur le niveau de consommation. Une analyse keynésienne indiquerait plutôt qu'une forte inflation pousse les ménages à consommer puisqu'ils anticipent que les salaires qu'ils perçoivent aujourd'hui ne leur permettront pas d'acheter des biens dont les prix seront trop élevés demain. Ce surcroît de demande peut d'ailleurs alimenter une inflation alors devenue auto-entretenue. La déflation, au contraire, pousse à reporter les achats dans l'espoir que le prix des biens sera plus faible demain. Une analyse pigouvienne tend plutôt à considérer que si les prix diminuent, un effet d' « encaisses réelles » tend à augmenter le pouvoir d'achat, tandis que l'inflation dissuade de consommer dans la mesure où ce pouvoir d'achat diminue. Le contexte français actuel de désinflation semble donner la primeur à une analyse pigouvienne, bien que les limites de son analyse, en particulier concernant les effets de la déflation, doivent être soulignés.
Dans le rapport économique, social et financier joint au PLF pour 2025, les services de Bercy cherchent à comprendre pourquoi le taux d'épargne n'a pas reflué autant qu'espéré en 2024. L'explication principale est que, malgré la baisse de l'inflation, les ménages continueraient à ressentir une inflation élevée et à freiner leur consommation en conséquence. En effet, l'inflation ressentie dépasse d'ordinaire d'environ 6 points l'inflation réelle, mais le choc inflationniste récent a creusé cet écart. Par ailleurs, l'inflation ressentie s'ajuste avec retard à la baisse de l'inflation mesurée, le temps que les consommateurs intègrent les nouvelles tendances de prix. Ce phénomène n'est toutefois pas permanent.
D'autres éléments d'explication existent : le revenu disponible brut des ménages est plus soutenu que d'habitude par les revenus de la propriété, moins consommés que les revenus d'activité et davantage touchés par les ménages aisés dont la propension à consommer est faible, ainsi qu'un délai entre le choc sur le revenu disponible brut et la transmission à la consommation. Ainsi, selon les réponses du ministère de l'économie et des finances au rapporteur général, après quatre trimestres, seul un peu plus de la moitié du pouvoir d'achat supplémentaire est consommé.
Un élément d'explication supplémentaire pourrait être que l'inflation n'est pas la même pour tous les paniers de biens, et donc pourrait ne pas être la même pour toutes les catégories de ménages. L'OFCE a montré en 2023 que, si les différences d'expositions à l'inflation étaient peu dépendantes du niveau de vie, au sein de chaque catégorie de niveau de vie, les différences entre ménages pouvaient être importantes. Une note d'analyse de France Stratégie de février 2023 indiquait quant à elle que si on rapporte la hausse du prix d'un panier de biens au revenu des ménages, ses conséquences sont nettement plus fortes pour les ménages pauvres. Pour les 10 % les plus pauvres, le prix du panier analysé a augmenté d'un peu moins de 14 % entre 2017 et 2022, mais cette hausse représente 13 % de leurs ressources. Pour les 10 % les plus riches, la hausse est estimée à 16 %, mais elle correspond à moins de 5 % de leurs ressources. De même, l'éloignement des centres-villes et la dépendance des ménages à l'énergie fossile a pu renforcer l'impact de l'inflation sur leur pouvoir d'achat. La baisse des prix de l'énergie depuis cette année devrait toutefois modérer ce facteur.
Source : PSMT 2025-2029 ; réponses du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie au questionnaire du rapporteur général ; Madec P., Plane M., Sampognaro R. (2023) : « Une analyse des mesures budgétaires et du pouvoir d'achat en France en 2022 et 2023 », OFCE Policy brief n° 112 ; Cusset P. -Y. et Trannoy A. (2023) : « Alimentation, logement, transport : sur qui l'inflation pèse-t-elle le plus ? », note d'analyse n° 119 de France Stratégie
Par ailleurs, la remontée presque ininterrompue du niveau de confiance des ménages depuis la mi-2022 tend à indiquer qu'ils envisagent, davantage que par le passé, de consommer. Les événements de l'été 2024, comme des élections nationales qui sont généralement l'occasion d'un regain d'optimisme ou encore les Jeux Olympiques, y ont contribué. Portée lors de cette période par les ménages modestes53(*) dont la propension à consommer est la plus forte, il y a fort à parier que la hausse de la confiance des ménages se traduirait par une baisse du taux d'épargne et par une reprise de la consommation en 2025.
Évolution du niveau de confiance des ménages entre 2017 et 2024
(indicateur synthétique)
Note de lecture : l'indicateur synthétique de confiance des ménages résume leur opinion sur la situation économique : plus sa valeur est élevée, plus le jugement des ménages sur la situation économique est favorable. L'indicateur décrit la composante commune de 8 soldes d'opinion, dont les mouvements sont corrélés : niveau de vie passé et futur en France, situation financière personnelle passée et future, chômage, opportunité de faire des achats importants, capacité d'épargne actuelle et future.
Source : commission des finances du Sénat d'après les données de l'Insee
2. Les effets de l'assouplissement de la politique monétaire sur l'investissement seraient modérés par l'incertitude et le repli du taux de marge des entreprises
Le Gouvernement anticipe un rebond de l'investissement, tant des entreprises que des ménages, pour l'année 2025. Cette prévision repose sur l'assouplissement de la politique monétaire mené depuis juin 2024 par la Banque centrale européenne. En effet, l'inflation au niveau de la zone euro rejoint la cible de 2 % que s'est donnée la BCE : elle était de 1,7 % en septembre. Ces données ont récemment permis à la présidente de la BCE Christine Lagarde d'affirmer que le « processus de désinflation [était] en bonne voie »54(*). Si le mouvement de baisse des taux a pu être critiqué comme trop tardif, la présidente de la BCE s'en défend en évoquant une ré-augmentation prévue dans les mois qui viennent de l'inflation, un chiffre de 2,7 % hors énergie et alimentation et de 3,9 % dans les services55(*). L'inflation devrait toutefois « revenir au niveau de l'objectif courant 2025 ».
Ces déclarations indiquent que la BCE devrait s'engager sur le chemin de la baisse des taux pour l'année à venir : leur niveau actuel serait inutilement restrictif dans la mesure où l'objectif est, ou est en passe d'être, atteint. La plupart des investisseurs anticipent ainsi, une baisse jusqu'en décembre 202556(*).
Cette baisse du coût du crédit, autant effective qu'anticipée, devrait conduire les entreprises à former plus de projet, à emprunter plus facilement et donc à investir davantage. Il en va de même pour les ménages qui devraient réaliser davantage leurs projets d'achats immobiliers.
Toutefois, les effets de la baisse des taux pourraient ne commencer à jouer que courant 2025. En effet, comme avait eu l'occasion de le souligner la commission des finances dans le cadre de l'examen du PLF pour 2024, l'impact des décisions monétaires sur l'économie se manifeste avec un certain retard57(*), compris entre 12 et 18 mois58(*).
Au total, selon l'OFCE, l'impact de la baisse des taux devrait avoir un effet très positif de l'ordre de + 0,6 point sur l'activité en 2025. Soutenant l'investissement, elle viendrait également favoriser la consommation en diminuant le taux d'épargne.
Les effets de l'incertitude politique nationale joueront en sens contraire et modéreront les effets positifs de cet assouplissement monétaire sur l'investissement selon une ampleur qui reste à observer. Le recul du taux de marge des entreprises, qui passerait selon le Gouvernement de 31,3 % à 30,7 %, atténuerait également ces effets.
Ainsi, la dégradation du climat des affaires observée à l'automne 2024, en particulier dans l'industrie où les soldes d'opinion sur les perspectives personnelles de production et les carnets de commande diminuent fortement, laisse présager une évolution sans doute moins bonne qu'espérée par le Gouvernement des perspectives d'investissement. Concrètement, l'OFCE estime ainsi que le choc de risque politique post-dissolution freinerait l'investissement des sociétés non financières à hauteur de 0,3 point aux premier et deuxième trimestre 2025, puis de 0,7 point et de 1,1 point respectivement aux troisième et quatrième trimestres.
Les faibles perspectives de demande pour l'année 2025, les mesures fiscales visant les grandes entreprises59(*) ainsi que la réduction des allègements généraux à proximité du SMIC pourraient contribuer à cet assombrissement, à tel point que l'OFCE prévoit que la chute de l'investissement des entreprises comme des ménages se poursuivrait (respectivement de - 0,7 % et - 0,9 %). La Banque de France estime également que l'investissement des ménages diminuerait (- 0,7 %) mais est beaucoup plus optimiste sur l'investissement des entreprises (+ 1,2 %), soit l'opposé de l'institut Rexecode (- 1,4 % en 2025).
Dans la mesure où une conjonction d'effets devrait jouer, la hausse de l'investissement des entreprises de 0,7 % prévue par le Gouvernement peut être qualifiée de légèrement optimiste mais pas inatteignable, comme celle qui est prévue du côté des ménages (+ 0,4 %). Le HCFP, dans son avis sur le PLF, estime ainsi que la dynamique récente des permis de construire et des mises en chantiers peut laisser présager une stabilisation de l'investissement des ménages en 2025, malgré la fin du dispositif « Pinel » à compter de 2025 et la réintégration des amortissements dans l'assiette des plus-values immobilières pour les locations meublées non professionnelles60(*).
3. Une situation économique internationale incertaine et contrastée
L'environnement économique proche de la France serait amené à se redresser en 2025, ce qui constitue une bonne nouvelle, puisque les principaux partenaires commerciaux de notre pays sont nos voisins. Une meilleure santé économique chez eux pousserait à la hausse la demande mondiale adressée à la France et, par suite, soutiendrait le commerce extérieur.
Selon les prévisions du Gouvernement, la croissance de la zone euro serait ainsi amenée à augmenter de 0,3 point, passant de 0,5 % en 2024 à 0,8 % en 2025. L'OFCE prévoit même une croissance de 1,2 % dans la zone euro en 202561(*). L'assouplissement monétaire entamé par la Banque centrale porterait l'investissement, tandis que la bonne orientation des marchés du travail soutiendrait la consommation. En Allemagne, la croissance reprendrait du fait de la baisse du taux d'épargne (+ 0,9 % selon le Gouvernement, + 0,8 % selon l'OFCE). En Espagne et en Italie, l'activité serait soutenue par l'accélération des décaissements du plan de relance et de résilience européen (PNRR)62(*).
La croissance mondiale passerait selon le Gouvernement de 3,2 % à 3,4 %, un diagnostic très légèrement plus optimiste que celui du FMI, qui anticipe une stagnation de la croissance à 3,2 % en 2025, ou de la Banque de France, qui estime que la croissance mondiale stagnerait à 3,1 % en 2025 comme en 2024. Pour l'OFCE, la croissance mondiale diminuerait à 3 % en 2025.
La prévision de hausse de la croissance mondiale repose en effet sur l'hypothèse, juste, d'un effet du desserrement monétaire sur l'activité : à part au Japon, où une remontée des taux a été entamée en juillet 2024, les taux ont baissé dans les économies avancées : la Banque d'Angleterre a procédé à une première baisse de ses taux de 25 points de base en août 2024 et a été suivie par la Réserve fédérale des États-Unis en septembre, avec une baisse de 50 points de base.
En revanche l'hypothèse d'une accélération du commerce mondial sous-jacente à la prévision de croissance mondiale du Gouvernement est plus discutable. La direction générale du Trésor admet elle-même l'existence d'un aléa sur cette prévision : selon elle, les tensions géopolitiques « sont susceptibles de perturber le commerce mondial de façon significative ».
Comme en 2024, le contournement de la mer Rouge, sous le coup d'attaques par les rebelles houthis depuis octobre 2023 dans le cadre du retour du conflit israélo-palestinien, pèsera sur le commerce mondial et le rendra plus vulnérable : le passage par le cap de Bonne-Espérance allonge le temps de transport et implique une hausse des coûts de carburant, d'équipage et d'assurance et expose les navires aux conditions météorologiques défavorables qui s'observent dans cette zone.
Le conflit au Moyen-Orient et les risques d'escalades supplémentaires entre Israël et l'Iran pourraient aussi avoir un impact sur les prix de l'énergie. Le chef économiste du FMI, Pierre-Olivier Gourinchas, estime en effet qu'une « escalade des conflits régionaux, notamment au Moyen-Orient, pourrait poser de sérieux risques pour les marchés des matières premières ». Si les tensions entre la Chine et Taïwan accroissent les risques de perturbation de l'approvisionnement en semi-conducteurs dont dépend l'économie mondiale pour la production de la plupart des appareils électroniques, il faut souligner que ces semi-conducteurs constituent en même temps une protection pour Taïwan, la Chine étant elle-même dépendante de son voisin pour son approvisionnement.
Enfin, les risques d'attrition du commerce mondial dans l'hypothèse de l'élection, aux États-Unis, du candidat républicain Donald Trump, sont réels. Celui-ci propose ainsi d'augmenter de 10 à 20 points de pourcentage les droits de douane pour l'ensemble des produits importés - ce qui toucherait directement les produits français - et de 60 points pour ceux provenant de la Chine.
Risques de dégradation du PIB mondial
écart par rapport au scénario de référence du
FMI
Source : FMI
Selon la direction générale du Trésor, la volatilité des marchés financiers et le réchauffement climatique sont également des facteurs de risque notables pour 2025.
Une croissance mondiale moindre qu'espérée représenterait autant de demande en moins adressée à la France par rapport aux prévisions du Gouvernement, qui estiment que la hausse serait de 3,6 % en 2025 (contre + 0,9 % en 2024). Celle-ci dépend toutefois fortement de l'activité chez nos principaux partenaires commerciaux, comme l'Allemagne, l'Italie ou l'Espagne, qui, comme cela a été souligné, se redresse.
Ces constats impliquent que le commerce extérieur pourrait ne pas contribuer à la croissance autant que l'anticipe le Gouvernement, qui prévoit une hausse des exportations de 3,4 %. En particulier, les exportations en biens augmenteraient au même rythme (+ 3,6 %), que la demande mondiale adressée à la France. Il est vrai que la structure des exportations françaises, notamment les livraisons de matériel aéronautique comme Airbus dépendant de contrats déjà conclus, l'expose moins aux variations de conjoncture. Le Gouvernement prévoit une hausse des importations inférieure à celle des exportations, de 2,6 %, à mettre en rapport avec le restockage des entreprises, contribuant à hauteur de 0,1 point à la croissance. Selon le Gouvernement, le commerce extérieur contribuerait ainsi à la croissance à hauteur de 0,2 point en 2025, soit un recul par rapport à 2024. Du fait de prévisions plus pessimistes pour la croissance mondiale, l'OFCE et la Banque de France estiment que le commerce extérieur ne contribuera pas à la croissance française en 2025.
4. L'effort budgétaire qui s'impose au Gouvernement aura un impact récessif
Le trait marquant de l'exercice 2025 est l'ajustement budgétaire proposé par le Gouvernement, sur la base d'un effort significatif en dépenses et en recettes. L'effort structurel demandé pour 2025 s'élève ainsi à 1,4 point de PIB - soit 42 milliards d'euros. Du fait d'une croissance spontanée des recettes dont le Gouvernement estime prudemment qu'elle sera moins élevée que le PIB, mais aussi de l'évolution des recettes hors prélèvements obligatoire, l'ajustement structurel - qui représente la comparaison entre solde structurel prévu pour l'année 2024 et celui envisagé pour 2025 - s'élèverait à 1,1 point de PIB63(*). L'ajustement serait partagé entre 30 milliards d'euros de recettes supplémentaires et, selon le HCFP, 12 milliards d'euros de dépenses en moins.
L'ajustement structurel primaire, qui fait abstraction de l'effet de l'augmentation de la charge de la dette sur l'évolution du solde, est encore plus important et s'élève à 1,4 point de PIB. L'effort structurel primaire représente quant à lui 1,6 point de PIB, soit autour de 48 milliards d'euros64(*).
Ces orientations, rendues nécessaires par la dérive alarmante des comptes publics, aboutiraient à une baisse en volume de la consommation publique de 0,2 % et une baisse de l'investissement public de 0,7 %. Il s'agit d'une évolution significative par rapport aux données sous-jacentes au programme de stabilité 2024-2027, qui retenaient une hausse, en volume, de la consommation publique de 0,7 % et une hausse de l'investissement public de 0,2 %65(*).
La contribution de la demande publique à la croissance du PIB serait ainsi négative, de l'ordre de - 0,1 point. Ces mouvements pèseraient sur l'activité dans la mesure où consommation et investissements publics sont des composantes du PIB66(*).
Malgré sa prise en compte du budget 2025, l'OFCE estime pour sa part que l'ajustement demandé ne fera pas diminuer la consommation et l'investissement publics mais, simplement, les ralentira : la consommation des administrations publiques augmenterait de 0,1 % et l'investissement public de 0,8 %.
Par ailleurs, l'effort budgétaire inévitable demandé par le Gouvernement aura un effet récessif qui pourrait être sous-estimé. L'ajustement pèsera en effet sur les postes de la demande en raison d'un effet multiplicateur, dont le Gouvernement estime, dans le PSMT, qu'il serait « de l'ordre de 0,5, en faisant la somme pondérée des mesures pesant directement sur la demande publique (avec un multiplicateur proche de 1), de mesures de hausses de prélèvements ou de baisses de transferts (multiplicateurs de 0,5 ou inférieur), dont certaines sont ciblées sur les contribuables - ménages et entreprises - ayant une forte capacité contributive, et de mesures de normalisation de la fiscalité de l'énergie, qui n'empêchent pas une baisse des prix au détail en raison de la chute passée des prix de gros (multiplicateur de 0) »67(*).
Cet effet récessif affecterait les différents postes de la demande évoqués plus haut : la baisse de la dépense aurait un impact sur l'investissement public, sur la commande publique et donc sur la production et l'investissement des entreprises. S'agissant de la consommation publique, la masse salariale des fonctionnaires serait contenue - par exemple via une mesure comme l'allongement du délai de carence d'un à trois jours - ce qui tendrait à diminuer la consommation.
L'effet multiplicateur
L'effet multiplicateur, d'abord mis en évidence par Richard Kahn en 1931 s'agissant de l'effet de l'investissement public sur l'emploi, a été généralisé par John Maynard Keynes en 1936. Selon son raisonnement, une augmentation autonome de toute composante de la demande entraîne une augmentation plus que proportionnelle de la production. Ainsi, une hausse de la dépense publique, sous forme par exemple de commande publique, se traduit d'abord par une hausse de même ampleur de la production et entraîne une distribution de revenu équivalente aux ménages. Une part de ce revenu est épargnée, et une autre part est consommée. Pour satisfaire la demande supplémentaire liée à ce surcroît de consommation, les entreprises vont produire davantage. Les entreprises produisant davantage distribuent ensuite ce qu'elles en retirent sous forme de revenus, épargnés et consommés, et ainsi de suite. À la fin du processus, l'augmentation de la production a été supérieure à la dépense initialement engagée. Bien sûr, une fuite vers les importations peut s'observer : le surcroît de consommation peut s'orienter vers les produits importés. L'augmentation du revenu lié à l'augmentation de la production est également taxée, ce qui diminue l'effet multiplicateur.
On peut également exhiber un multiplicateur fiscal, de moindre ampleur, théoriquement, que le multiplicateur de la dépense publique puisque, à la différence de la dépense publique qui est entièrement orientée vers l'économie, une part du surcroît de revenu disponible lié à une baisse d'impôt est épargnée dès le début du processus.
L'effet multiplicateur a toutefois été critiqué en raison de nombreux effets contraires, comme l'équivalence dite « ricardienne », mise en évidence par Robert J. Barro en 1974 et selon laquelle une augmentation de l'endettement destinée à financer une hausse de la dépense publique ou une baisse des impôts se traduirait par une baisse de la consommation, les ménages anticipant une hausse future d'impôts pour rembourser la dette.
Avant la crise financière de 2008, la communauté des économistes avait tendance à penser que les multiplicateurs étaient inférieurs à 1. Dans le contexte de récession et de trappe à liquidité prévalant par la suite, les économistes Blanchard et Leigh ont mis en avant que les multiplicateurs étaient sous-estimés et qu'ils seraient compris entre 0,9 et 1,7. Comment l'ont souligné Creel et ses co-auteurs en 2011, les multiplicateurs varient, en réalité, selon la position dans le cycle. Auerbach et Gorodnichenko estimaient ainsi en 2012 que, en situation de récession, le multiplicateur avoisine 1,5, mais qu'il serait nul en phase d'expansion.
Source : commission des finances du Sénat
L'effet récessif du redressement budgétaire fait dire au HCFP que la prévision de croissance sans ce redressement budgétaire de 1,4 point de PIB s'élèverait plutôt à 1,7 %. L'exercice qu'a mené le HCFP dans son avis sur le projet de loi de finances pour 202568(*) a ainsi consisté à comparer les prévisions de croissance des principaux instituts de conjoncture avec celles, hypothétiques, du Gouvernement si l'ajustement budgétaire envisagé n'était pas mis en oeuvre.
Une telle prévision « avant redressement » paraît un peu optimiste si on la met en rapport avec celles du Consensus des économistes : à partir d'août 2024, et donc bien avant la présentation des mesures de redressement du Gouvernement de Michel Barnier, aucun conjoncturiste n'envisageait en 2025 de croissance supérieure à 1,5 %. Le Consensus des économistes prévoyait ainsi, jusqu'à octobre 2024, une croissance supérieure à 1,1 %, pour atterrir finalement sur une moyenne de 1 % en octobre. On observe toutefois une dégradation des prévisions en octobre puisque la plus pessimiste est de 0,1 %. L'institut Rexecode, dont la commission a entendu le directeur des études, estimait en septembre que la croissance en 2025 s'élèverait à 0,7 %.
Évolution de la prévision de
croissance du PIB en 2025
du Consensus des économistes pour la
France au cours de l'année 2024
(en pourcentage - en volume)
Source : commission des finances du Sénat d'après les prévisions du Consensus de économistes de janvier à octobre 2024 pour 2025
Les prévisions de croissance des conjoncturistes « institutionnels » sont également proches de celle du Gouvernement, ce qui diffère grandement de la prévision gouvernementale sous-jacente au PLF pour 2024, qui était supérieure à toutes les prévisions institutionnelles existantes.
Prévisions institutionnelles de croissance du PIB pour la France en 2025
Source : commission des finances
Toutefois, ces prévisions - y compris celles d'octobre - n'intègrent pas, ou incomplètement, l'impact du redressement budgétaire que se propose de mener à bien le Gouvernement de Michel Barnier. C'est la raison pour laquelle il est difficile d'apprécier le réalisme de la prévision de croissance du Gouvernement en s'appuyant sur celles du Consensus des économistes.
Si on met en rapport la prévision gouvernementale « avant redressement » avec celle de l'OFCE, qui est de 1,6 %, elle semble toutefois raisonnable. En effet, le niveau de 1,7 % « avant redressement », exhibé par le HCFP, est le niveau de croissance qu'attendrait l'économie française sans rétablissement des comptes publics, c'est-à-dire avec un déficit public en 2025 toujours supérieur à 6 % du PIB. La conjugaison d'une telle impulsion budgétaire et d'un assouplissement de la politique monétaire pourrait en effet aboutir à un taux de croissance de cet ordre sans ajustement.
En revanche, l'ampleur de l'effet récessif de l'effort budgétaire pourrait être sous-estimé.
L'OFCE estime ainsi que, là où le « choc » de mesures budgétaires (hors mesures temporaires) avait contribué à hauteur de 0,3 point à la croissance du PIB en 2024, celui-ci devrait la dégrader de l'ordre de 0,8 point en 2025. Autrement dit, en l'absence de ces mesures, la croissance aurait atteint 1,6 %, mais elle se retrouve divisée par deux du fait de l'effort budgétaire envisagé.
Selon l'OFCE, la croissance du PIB atteindrait ainsi non pas 1,1 % en 2025, mais 0,8 %. En partant de la prévision « avant redressement » du Gouvernement s'élevant à 1,7 %, la dégradation de l'activité imputable au redressement ramènerait la croissance du PIB à 0,9 % - ce qui est assez proche du chiffre finalement retenu par le Gouvernement de 1,1 %.
Décomposition de la prévision de croissance du PIB pour l'année 2025 de l'OFCE
(en volume et en point de pourcentage)
Source : commission des finances du Sénat, d'après l'OFCE
Les calculs effectués par Anne-Laure Delatte, entendue par la commission, aboutissent à des conclusions similaires : en utilisant les multiplicateurs du modèle Mesange, elle anticipe un effet récessif de l'ordre de 0,6 point de PIB pour l'année 2025. Comme elle l'a indiqué lors de son audition par la commission des finances, « la réduction des dépenses et la hausse des prélèvements obligatoires auraient pour conséquence une diminution des revenus des ménages, tandis que les carnets de commandes des entreprises seraient indirectement affectés par une moindre consommation des ménages et directement touchés par une diminution de la commande publique. Cet effet augmenterait dans le temps, car la baisse de la demande serait progressive »69(*). Anne-Laure Delatte estime quant à elle qu'en raison de l'impulsion budgétaire et fiscale du PLF la croissance ne serait que de 0,6 %70(*) en 2025.
Son analyse71(*) tient toutefois insuffisamment compte du ciblage des mesures envisagées : le multiplicateur retenu pour déterminer l'impact de la contribution différentielle sur les hauts revenus est le même que celui de l'impôt sur le revenu alors que cette contribution frappera les ménages dont la propension à consommer est la plus faible, tandis que celui qui est retenu pour déterminer l'impact de la surtaxe d'impôt sur les sociétés est le même que pour l'impôt sur les sociétés en général. Il faut souligner également qu'elle partant d'une prévision « avant redressement » différente.
Au total, la prévision du Gouvernement, si elle repose sur des éléments tangibles comme l'approfondissement de l'assouplissement de la politique monétaire, peut paraître légèrement optimiste du fait de l'impact encore incertain des mesures de redressement budgétaire. Il est en effet possible que l'effet récessif du redressement budgétaire qui s'impose au Gouvernement soit sous-estimé par ce dernier, mais selon une ampleur qui resterait mesurée.
Toutefois, à la différence des prévisions de l'année dernière, les hypothèses mobilisées pour déterminer la prévision ne le sont pas excessivement. La commission des finances avait alors observé qu'elles résultaient de la combinaison d'hypothèses toutes favorables, avec des prévisions, pour tous les postes de la demande, dans la fourchette haute des prévisions disponibles. Il en va différemment des prévisions pour le budget 2025.
III. UN AJUSTEMENT NÉCESSAIRE POUR RETROUVER NOTRE CRÉDIBILITÉ ET RESTAURER LA CONFIANCE
A. L'EFFORT PROPOSÉ PASSE À LA FOIS PAR LES RECETTES ET LES DÉPENSES ET REPOSE ENFIN ESSENTIELLEMENT SUR L'ÉTAT
Après un déficit public atteignant 5,5 % du PIB en 2023, celui-ci devrait s'élever, selon le Gouvernement, à 6,1 % du PIB en 2024. C'est dire si le redressement s'impose.
Pour 2025, la cible de déficit du Gouvernement est de 5 % du PIB. Dans l'article liminaire du projet de loi de finances pour 2025, l'équilibre atteint est un déficit de 5,2 % du PIB, les 0,2 % de PIB restant devant advenir par voie d'amendement au cours de l'examen du projet de loi. Ces économies supplémentaires proviennent de l'allongement du délai de carence pour les fonctionnaires, ainsi que de diverses économies supplémentaires sur certaines missions du budget de l'État.
L'effort demandé par le Gouvernement par rapport à l'année 2024 se décompose ainsi.
Indépendamment de l'évolution de la charge de la dette, qui passerait entre 2024 et 2025 de 2,1 % à 2,3 % du PIB72(*), soit une hausse de 0,2 point, l'effort structurel primaire s'élèverait à 1,6 point de PIB73(*), soit un effort hors charge de la dette d'environ 48 milliards d'euros.
Lorsque l'on prend en compte l'augmentation de la charge de la dette, l'effort structurel ne représente plus qu'1,4 point de PIB, soit environ 42 milliards d'euros.
Selon le Gouvernement74(*), la contribution des mesures nouvelles en recettes à cet effort structurel est de 1 point de PIB, soit 30 milliards d'euros, tandis que l'effort en dépense représente 0,4 point de PIB, soit 12 milliards d'euros. L'effort primaire en dépense, c'est-à-dire en ôtant l'impact de l'évolution de la charge de la dette, s'élèverait donc à 0,6 point de PIB, c'est-à-dire environ 18 milliards d'euros.
L'ajustement structurel, qui représente la combinaison de l'effort structurel et de la composante dite « non discrétionnaire » de l'évolution du solde structurel, s'élève à 1,1 point de PIB, soit environ 33 milliards d'euros. La composante non discrétionnaire comprend l'évolution des recettes hors prélèvements obligatoires, qui contribuerait à hauteur de - 0,1 point de PIB à l'ajustement, et l'effet des élasticités fiscales, qui contribuerait à - 0,2 point de PIB. En effet, les prélèvements obligatoires, comme en 2023 et 2024, devraient être amenées à augmenter moins rapidement que le PIB, ce qui induirait une contribution des recettes moins forte que l'évolution du PIB, et donc contribuerait négativement à l'ajustement.
Décomposition de l'effort budgétaire demandé en 2025
(en points de PIB potentiel)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires
On peut estimer que ce qui se situe réellement à la main du Gouvernement est l'effort structurel primaire. Il s'engage ainsi à prendre des mesures nouvelles en recettes censées représenter 30 milliards d'euros supplémentaires, et à prendre des mesures en dépenses représentant 18 milliards d'euros.
Il s'agit d'un calcul fait par rapport aux recettes et dépenses prévues pour 2024, et non pas d'après le tendanciel d'évolution des dépenses retenu par le Gouvernement, qui lui permet d'arriver à un chiffre de 60 milliards d'euros. Ce « tendanciel », défini « à politique inchangée » repose en grande partie sur le constat d'un dérapage des dépenses des collectivités locales en 2024 qui se répercuterait sur 2025.
En tout état de cause, la répartition entre mesures en dépense et mesures en recettes choisie par le Gouvernement semble inexacte, puisque les mesures nouvelles en recettes représentent bien 30 milliards d'euros - 29,5 milliards pour être exact - et non 21,5 milliards d'euros comme retenu pour le tableau synthétique présenté dans le dossier de presse.
1. Un effort en recettes inévitable
a) Une évolution modeste des recettes en 2024 du fait d'une faible élasticité des prélèvements obligatoires au PIB
En 2024, d'après les prévisions du Gouvernement, les recettes publiques devraient s'élever à 1 498,6 milliards d'euros, dont 1 250,1 milliards d'euros de prélèvements obligatoires (PO) nets des crédits d'impôt (dont 2,8 milliards d'euros de PO à destination de l'Union européenne), 19,7 milliards d'euros de crédits d'impôt enregistrés en recettes, et 228,8 milliards d'euros d'autres recettes.
Les recettes publiques totales représentent ainsi 51,3 % du PIB en 2024 contre 51,6 % du PIB en 2023.
Décomposition de l'évolution des recettes publiques entre 2023 et 2024
(en milliards d'euros)
Source : commission des finances du Sénat d'après les réponses du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie au questionnaire du rapporteur général
Par rapport à 2023, les recettes publiques auront en effet progressé de 43,6 milliards d'euros, soit une évolution moins rapide (+ 3 %) que celle du PIB en valeur (+ 3,5 %). Elle provient d'une faible évolution spontanée des prélèvements obligatoires (+ 2,3 %) comparée à celle du PIB, ainsi que des mesures nouvelles venant contrebalancer cet effet, pour 4 milliards d'euros.
Cette faible évolution spontanée résulte d'une élasticité des recettes à l'activité une nouvelle fois significativement inférieur à l'unité, et s'élevant à 0,7, alors qu'elle était estimée à 1,1 dans le projet de loi de finances pour 2024 et révisée à 0,8 dans le programme de stabilité pour 2024 à 2027. Cette faible élasticité s'explique par plusieurs facteurs. Alors que l'élasticité est, sur le long terme, égale à 1, elle s'est trouvée particulièrement élevée en 2021 et 2022. En ce sens, les élasticités observées en 2023 (0,4) et prévue pour 2024 (0,7) apparaissent comme le contrecoup de ces niveaux exceptionnels75(*).
Dans le détail, le Gouvernement indique que la faible élasticité prévue pour 2024 s'explique par une composition de la croissance différente de celle initialement prévue, et tirée davantage par le commerce extérieur que par la consommation, d'où des recettes plus faibles de TVA, par une diminution du salaire moyen par tête réel en 2023 se soldant par des recettes d'impôt sur le revenu plus faibles en 2024, par un bénéficie fiscal peu dynamique en 2023 venant grever le dynamisme des recettes de l'impôt sur les sociétés, des recettes de DMTO en recul du fait de la chute du volume de transaction et de la baisse des prix de l'immobilier, une légère baisse de consommation de carburant affectant les recettes de TICPE et enfin des recettes de DMTG moins dynamiques que l'activité en contrecoup de ce qui a été observé en 2023.
Le retrait des versements européens liés au plan de relance (4,6 milliards d'euros en 2024 contre 5,4 milliards d'euros en 2023) n'aura que peu contribué à freiner la hausse des recettes.
Cette faible évolution spontanée ne serait que peu compensée par des mesures nouvelles en prélèvements obligatoires, puisque celles-ci ne soutiendraient l'évolution des recettes qu'à hauteur de 4 milliards d'euros en 2024 après une baisse de 7 milliards d'euros en 2023. Ces mesures nouvelles en 2024 consistent essentiellement en le retrait du bouclier tarifaire, représentant 4,5 milliards d'euros.
L'atteinte du plafond du Fonds de résolution unique donnerait lieu à une perte de recettes de 3,9 milliards d'euros. Elle s'explique par l'arrêt des contributions des banques au mécanisme, qui a été définitivement abondé en 2023, à hauteur de 78 milliards d'euros. Par ailleurs, alors que du fait d'un prix de l'énergie élevé, certains énergéticiens reversaient à l'État une partie de la différence avec le prix contractuel ce qui constituaient des gains sur charges de service public de l'électricité (SPE)76(*), la baisse des prix de l'énergie a conduit à une baisse de ces gains sur charges de SPE de 2,3 milliards d'euros.
Synthèse des principales mesures nouvelles
en prélèvements obligatoires
ayant un effet sur
l'année 202477(*)
(en milliards d'euros)
Note : l'effet temporaire de la bascule CICE cotisations ainsi que le Fonds de résolution unique ont un effet sur les prélèvements obligatoires mais pas sur le solde public
Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires
En 2024, les recettes et en particulier les prélèvements obligatoires ont donc, une nouvelle fois, augmenté à un rythme bien inférieur au PIB, conduisant à une baisse, par rapport à 2023, du taux de prélèvements obligatoires, qui passerait de 43,2 % à 42,8 % du PIB en 2024, soit le niveau le plus faible depuis 2011. On pourrait se réjouir de cette évolution, synonyme d'un allègement de la pression fiscale sur les Français, si elle avait été voulue et bien organisée. Au lieu de cela, elle est subie. N'ayant pas été suivie d'une réduction des dépenses de même ampleur, elle a abouti à une forte réduction des recettes par rapport à la prévision. En effet, dans le PLF 2024, les recettes publiques étaient censées atteindre 1 511 milliards d'euros. La perte par rapport à la prévision s'élèverait donc à plus de 12 milliards d'euros, soit environ 0,4 % du PIB.
b) Une année 2025 qui serait marquée par une hausse significative des recettes due notamment aux mesures contenues dans le budget
En 2025, l'évolution des recettes publiques, qui s'élèveraient à 1 564,1 milliards d'euros, regagnerait en vigueur (+ 4,4 %) essentiellement du fait des nombreuses nouvelles en prélèvements obligatoire contenues dans le PLF. Les recettes publiques passeraient de 51,6 % du PIB en 2024 à 52 % du PIB en 2025.
Les recettes en prélèvements obligatoires, nettes des crédits d'impôts, atteindraient 1 310,6 milliards d'euros, et les autres recettes 253,5 milliards d'euros.
Décomposition de l'évolution des recettes publiques entre 2024 et 2025
(en milliards d'euros)
Source : commission des finances, d'après les réponses du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie au questionnaire du rapporteur général
L'évolution spontanée des prélèvements obligatoires serait encore, en 2025, légèrement inférieure (+ 2,5 %) à la croissance du PIB en valeur (+ 2,9 %), indiquant une élasticité des prélèvements obligatoires au PIB encore inférieure à 1. Cette prévision de l'élasticité est bien plus prudente que celle qui prévalait l'année dernière (1,1), et qui s'est traduite par une mauvaise surprise à la baisse (0,7) impliquant un niveau de recettes publiques et de solde public bien en deçà de la prévision. Il ne saurait être exclu que l'élasticité prudente retenue pour 2025 se traduise par de « bonnes surprises » à la hausse.
Les mesures nouvelles en prélèvements obligatoires contenues dans le budget 2025 permettraient de compenser ce mouvement à la baisse puisqu'elles s'élèvent à 29,5 milliards d'euros.
Celles qui contribueraient le plus au redressement des finances publiques sont la contribution exceptionnelle sur les grandes entreprises, qui devrait rapporter 8 milliards d'euros en 2025, le reprofilage des allègements généraux pour 4 milliards d'euros et la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus, pour 2 milliards d'euros. Une part des mesures nouvelles en recettes n'est toutefois pas imputable au PLF et au PLFSS pour 2025, comme la poursuite du retrait des boucliers tarifaires la fiscalisation de la prime de partage de la valeur (PPV), ou les mesures de gage relatives à l'industrie verte.
Les mesures nouvelles comprises dans ce PLF constituent un ajustement nécessaire par rapport aux années précédentes pour répondre, dans l'urgence, à la crise profonde que traversent nos finances publiques.
Synthèse des principales mesures nouvelles en prélèvements obligatoires en 2025
(en milliards d'euros)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires
Cette addition de mesures nouvelles en recettes, dont le solde s'élève à 29,5 milliards d'euros et qui représentent donc un effort de près d'1 point de PIB, conduirait à une hausse du taux de prélèvements obligatoires, qui atteindrait 43,6 % du PIB en 2025, ce qui demeurerait encore bien inférieur aux niveaux atteints entre 2012 et 2022, compris entre 43,9 % et 45,3 %.
Évolution du taux de prélèvements obligatoires en France entre 2000 et 2025
(en pourcentage du PIB)
Source : commission des finances, d'après les données de l'Insee et les prévisions du Gouvernement pour 2024 et 2025
2. Un effort en dépenses malgré une hausse de celles-ci en valeur absolue
a) Malgré le gisement d'économies constitué par le retrait d'une grande partie des dépenses exceptionnelles, la dépense publique a crû de 67 milliards d'euros en 2024
Après une diminution en 2023 (- 1 %), la dépense publique, hors crédits d'impôts et à champ constant, augmenterait de 2,1 % en volume en 2024.
En 2024, les dépenses publiques (y compris les crédits d'impôts, atteindraient 1 658 milliards d'euros, en augmentation de 67 milliards d'euros par rapport à 2023. Il s'agit d'une dérive importante (+ 15 milliards d'euros) par rapport aux prévisions envisagées lors de l'examen du PLF pour 2024.
Décomposition de l'évolution des dépenses publiques entre 2023 et 2024
(en milliards d'euros)
Source : commission des finances du Sénat d'après les documents budgétaires, les réponses au questionnaire du rapporteur général et l'avis n° HCFP-2024-3 pour les chiffres des dépenses exceptionnelles et de la charge de la dette
Or cette dérive est intervenue malgré le retrait d'un volume important de dépenses exceptionnelles et malgré l'adoption, en cours d'exécution, d'un décret d'annulation de 10 milliards d'euros78(*). D'une part, la pratique des reports de crédits sur le budget de l'État de 2023 sur 2024, à hauteur de 16 milliards d'euros, a eu pour effet de surcompenser l'effet de ce décret d'annulation. D'autre part, l'évolution des dépenses des collectivités avait été mal anticipée dans la préparation du PLF pour 2024. Le Gouvernement souligne également que l'évolution des prestations vieillesse, soutenues par une revalorisation en 2024 fondée sur la forte inflation de 2023, ainsi que la hausse des dépenses du programme d'investissements d'avenir, ont eu un effet important sur l'évolution de la dépense publique entre 2023 et 2024.
b) En 2025, la dépense publique augmenterait près de deux fois moins qu'en 2024
Le rythme d'augmentation des dépenses refluerait fortement en 2025, avec une évolution en volume limitée à + 0,4 %. Les dépenses enregistreraient ainsi en valeur une augmentation de 36 milliards d'euros (+ 2,2 %), contre 67 milliards d'euros entre 2023 et 2024 (+ 4,2 %). Il s'agit d'une inflexion majeure.
Plus précisément, les dépenses hors crédit d'impôt, mesures exceptionnelles et charge de la dette n'augmenteraient que de 29 milliards d'euros entre 2024 et 2025 (+ 1,9 %), soit près de la moitié de l'évolution enregistrée en entre 2023 et 2024, et un rythme très légèrement supérieur au déflateur du PIB - soit une hausse en volume de 0,2 %. Il s'agit d'une évolution notable puisque le retrait des mesures exceptionnelles, déjà largement supprimées, ne peut plus constituer le même vivier d'économies qu'auparavant. Les dépenses primaires, c'est-à-dire hors charge de la dette, augmenteraient au même rythme (+ 1,7 %) que le déflateur du PIB, ce qui revient à une stabilisation en volume.
Décomposition de l'évolution des dépenses publiques entre 2024 et 2025
(en milliards d'euros)
Source : commission des finances du Sénat d'après les documents budgétaires, les réponses au questionnaire du rapporteur général et l'avis n° HCFP-2024-3 pour les chiffres des dépenses exceptionnelles et de la charge de la dette
Si l'on observe donc pas de recul, en valeur absolue, des dépenses publiques, leur évolution suivrait donc une inflexion très nette en 2025, signe d'un ressaisissement salutaire de nos finances publiques par le Gouvernement.
3. Un effort qui repose enfin essentiellement sur l'État
L'effort demandé pour l'année 2025 reposerait essentiellement sur l'État.
a) Un déficit de l'État qui diminuerait substantiellement, non seulement du fait de recettes supplémentaires mais aussi de dépenses en baisse
En comptabilité nationale et en proportion de la richesse nationale, les dépenses et recettes de l'État évolueraient fortement, dans le sens d'une hausse des recettes, et d'une diminution des dépenses.
Les dépenses passeraient d'environ 598 milliards d'euros à 610 milliards d'euros79(*), tandis que les recettes passeraient d'environ 447 milliards d'euros à 480 milliards d'euros.
Situation du budget de l'État
(en point de PIB)
2024 |
2025 |
|
Dépenses totales de l'État |
20,5 |
20,3 |
Recettes totales de l'État |
15,3 |
16,0 |
Solde de l'État |
- 5,2 |
- 4,380(*) |
Source : commission des finances, recomposition à partir de données des documents budgétaires
En comptabilité nationale, le déficit de l'État, qui s'établirait à 152,9 milliards d'euros en 2024, diminuerait fortement pour atteindre le niveau de 128,7 milliards d'euros en 202581(*).
La diminution de ce déficit est essentiellement due à l'adoption de nombreuses nouvelles recettes - en particulier les contributions exceptionnelles sur les entreprises et les hauts revenus - conjuguée avec l'extinction du bouclier tarifaire sur l'électricité, qui viendraient compenser une évolution spontanée des prélèvements obligatoires encore inférieure au PIB. Dans le détail, les recettes d'impôt sur les sociétés et de TICPE reculeraient, tandis que la TVA augmenterait moins que la croissance et que le rendement de l'impôt sur le revenu augmenterait plus fortement (+ 5,8 % hors mesures nouvelles) du fait de la progression des revenus réels en 2024.
Cet effort de redressement représente une baisse de près de 25 milliards d'euros du déficit public, soit un effort supérieur à celui prévu l'an dernier, alors même que l'extinction des mesures de protection ne représente plus le gisement d'économies qu'elle pouvait constituer et malgré, dans le même temps, une progression de la charge de la dette, qui aggrave le déficit.
L'effort pesant sur l'État, responsable de la majeure partie du déficit, est désormais bien réel.
L'analyse de la situation budgétaire de l'État fait l'objet d'une présentation plus détaillée dans la seconde partie du présent rapport.
b) Des opérateurs de l'État dont les dépenses augmentent en 2024 mais pour lesquels la tendance serait maîtrisée en 2025
Le solde des organismes divers d'administration centrale (ODAC) se maintiendrait, en 2025, à un niveau proche (- 5,4 milliards d'euros) de celui prévu pour 2024 (- 5 milliards d'euros), lequel était en forte dégradation par rapport à 2023 (- 1,5 milliard d'euros) du fait de dépenses en forte hausse.
Alors que les dépenses des ODAC augmentaient de 8,8 milliards d'euros en 2024, en raison notamment de la hausse des dépenses dans le cadre du déploiement du quatrième volet des programmes d'investissements d'avenir (PIA 4) et du plan France 2030 (+ 3,3 milliards d'euros), la hausse devrait demeurer contenue en 2025 (+ 700 millions d'euros). Des économies seraient en effet attendues sur les dépenses de France compétences (- 700 millions d'euros en 2025 après + 1,1 milliard d'euros en 2024 du fait du dynamisme de l'apprentissage), mais elles ne suffiraient pas à compenser la montée en puissance du PIA 4 et de France 2030 (+ 1 milliard d'euros).
Leurs recettes n'avaient pas suivi une augmentation similaire en 2024 (+ 5,3 milliards d'euros), malgré une hausse des dotations de l'État aux PIA, au plan France 2030, à France Compétences, à FranceAgriMer ou encore aux ARS. De même, elles n'évolueraient que de 300 millions d'euros entre 2024 et 2025, principalement en raison de la baisse des dotations aux PIA et au plan France 2030 (- 600 millions d'euros).
Situation des ODAC
(en point de PIB)
2024 |
2025 |
|
Dépenses totales des ODAC |
5 |
4,9 |
Recettes totales des ODAC |
4,8 |
4,7 |
Solde des ODAC |
-0,2 |
-0,2 |
Source : commission des finances du Sénat d'après les documents budgétaires
c) Les administrations publiques locales : un déficit stabilisé qui, à terme, devra être réduit
En 2024, les dépenses des administrations publiques locales devraient fortement progresser et enregistrer une augmentation en valeur de 6,6 %. Elles continueraient d'augmenter en 2025 mais plus faiblement (+ 2 %), ce qui constitue une diminution en pourcentage du PIB. La forte augmentation des dépenses des APUL est principalement portée par les collectivités, du fait d'une hausse des dépenses d'investissement en fin de cycle électoral communal (+ 13,5 % en 2024 hors Société des grands projets, + 14,1 % avec), mais ralentirait en 2025 (+7,5 % hors SGP, +4,7 % avec). Les dépenses de fonctionnement des collectivités locales devraient également significativement augmenter en 2024 (+ 4,6 %) mais ralentir en 2025 (+ 1 %)82(*) du fait de la contribution des APUL à l'effort de redressement des finances publiques. C'est du moins le projet du Gouvernement.
Les recettes n'ont pas connu la même dynamique en 2024 (+ 3,3 %) mais leur évolution en 2025 (+ 1,7 %) permettrait une stabilisation du solde des APUL, en pourcentage du PIB. À titre de l'exemple, les DMTO ont chuté en 2024 (- 13 %) du fait de la baisse du nombre de transactions mais devraient rebondir en 2025 (+ 7,1 %). Des mesures nouvelles, notamment de transferts, permettraient un certain rééquilibrage, comme le transfert des recettes de TICFE engendrées par la fin du bouclier tarifaire.
En 2024, la décorrélation entre recettes et dépenses devrait conduire à une forte dégradation du solde, qui passerait de - 9,9 milliards d'euros en 2023 à - 20,6 milliards d'euros en 2024, essentiellement portée par les collectivités locales, dont le solde passerait de - 5,5 milliards d'euros en 2023 à - 16 milliards d'euros en 2024. Celui-ci se dégraderait encore en 2025 (- 19,3 milliards d'euros), à la différence du solde des ODAL qui, après un creusement de leur déficit en 2024 (- 4,7 milliards d'euros après - 4,4 milliards d'euros en 2023) se rapprocheraient de l'équilibre (- 2,8 milliards d'euros) en 2025, du fait de la SGP, dont les dépenses entament leur décroissance après un pic 2024.
La trésorerie accumulée par les collectivités durant la crise sanitaire est probablement à l'origine du fort niveau d'investissements des collectivités, non anticipé par le ministère de l'économie et des finances. Celui-ci s'expliquerait ainsi notamment par les forts excédents des années passées.
Situation des administrations publiques locales
(en point de PIB)
2024 |
2025 |
|
Dépenses totales des APUL |
11,5 |
11,4 |
Recettes totales des APUL |
10,8 |
10,7 |
Solde des APUL |
- 0,7 |
- 0,7 |
Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires
Si la situation déficitaire des APUL est certainement problématique à court terme, il faut rappeler, comme fait précédemment, que la gestion budgétaire des collectivités a été vertueuse au cours de la décennie écoulée. Un rééquilibrage sera nécessaire sur les prochaines années, mais il est probable qu'il puisse advenir du seul fait du cycle électoral de l'investissement.
Évolution du solde des administrations publiques locales entre 2013 et 2025
Source : commission des finances, d'après les données de l'Insee et les prévisions du Gouvernement pour 2024 et 2025
d) Les administrations de sécurité sociale : un excédent bienvenu qui ne doit pas masquer le déficit des régimes obligatoires de base
En 2025, le solde des ASSO devrait augmenter, après avoir diminué entre 2023 et 2024. En proportion du PIB, les dépenses diminueraient légèrement - malgré une hausse en valeur absolue de près de 20 milliards d'euros - tandis que les recettes se stabiliseraient - traduisant une hausse nette de 25 milliards d'euros.
C'est le seul sous-secteur des administrations publiques à présenter une situation excédentaire.
Situation des administrations de sécurité sociale
(en points de PIB)
2024 |
2025 |
|
Dépenses totales des ASSO |
26,6 |
26,5 |
Recettes totales des ASSO |
26,6 |
26,6 |
Solde des ASSO |
0 |
0,2 |
Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires
En 2024, les comptes des ASSO ont été légèrement déficitaires, à hauteur de 600 millions d'euros, du fait des revalorisations de prestations sociales (notamment les pensions vieillesse de base et complémentaires, mais aussi les prestations familles) pour 2024 calquées sur la forte inflation observée en 2023 et de dépenses de santé dépassant l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) prévu dans la LPFP 2023-2027 de 1,2 milliard d'euros, pour connaître une hausse de 3,3 % par rapport à 2023. Comme souvent, les dépenses de soins de ville, moins bien régulées que les dépenses hospitalières, ont connu un dépassement (+ 0,8 milliard d'euros). Enfin, les indemnisations au titre du chômage ont augmenté de 3,5 % du fait d'un ralentissement de l'emploi, et ce malgré les différentes réformes de l'assurance chômage récentes.
Ce dynamisme des dépenses n'aura pas été corrigé par une évolution des recettes de même ampleur. Les cotisations sociales ont ralenti, comme la masse salariale.
En 2025, les dépenses des ASSO seraient fortement contenues du fait du moindre dynamisme des prestations, s'expliquant en particulier par le report de l'indexation des retraites sur l'inflation du 1er janvier au 1er juillet. Les dépenses de santé seraient également contenues, avec un Ondam augmentant de 2,8 %, grâce notamment à la maîtrise des prix des produits de santé et des volumes, mais également à des économies permises par la hausse du ticket modérateur, supporté désormais par les complémentaires, ceux des assurés qui n'en bénéficient pas devant assumer eux-mêmes cette hausse.
Les recettes seraient soutenues par le reprofilage des allègements généraux, une mesure rendue nécessaire par leur poids financier croissant du fait de phénomènes de trappes à bas salaires. L'allègement des cotisations peut en effet pousser les entreprises à maintenir leur salarié à leur niveau de salaire83(*).
Décomposition du solde des administrations sociales
(en point de PIB)
2024 |
2025 |
|
Régime général et Fonds de solidarité vieillesse (FSV) |
- 0,5 |
- 0,5 |
Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES) |
0,5 |
0,5 |
Fonds de réserve pour les retraites (FRR) |
- 0,1 |
0,0 |
Assurance chômage (Unédic) |
0,0 |
0,1 |
Régimes complémentaires |
0,1 |
0,0 |
ODASS |
0,0 |
0,0 |
Solde des ASSO |
0,0 |
0,2 |
Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires
e) Une amélioration du solde public enfin portée par l'État
Au global, l'effort demandé porte essentiellement sur l'État, dont le solde est amené à diminuer significativement pour permettre la réalisation de l'objectif d'un déficit public de 5 % du PIB en 2025.
En début d'examen du budget, les administrations publiques centrales, comprenant l'État et ses opérateurs, verraient leur solde amélioré de 0,7 point de PIB, contribuant à l'essentiel du redressement. Compte tenu des délais très contraints dans lesquels le Gouvernement de Michel Barnier a dû concevoir ce budget, ce dernier a par ailleurs annoncé dès le dépôt du PLF son intention de déposer en cours d'examen des amendements permettant des économies supplémentaires en dépense. Ces mesures, désormais connues, conduiraient finalement à une amélioration du solde des administrations centrales de 0,2 point de PIB supplémentaires, soit un redressement total de 0,9 point de PIB par rapport à 2024.
Évolution du solde public entre 2023 et
2025
et décomposition par catégorie
d'administration
(en points de PIB)
Source : commission des finances du Sénat, d'après l'article liminaire et les documents budgétaires
B. DES EFFORTS À RÉALISER POUR RETROUVER NOTRE CRÉDIBILITÉ
Ces efforts sont indispensables pour retrouver notre crédibilité, non seulement auprès de nos concitoyens, mais également auprès des investisseurs qui prêtent à la France.
Il est en effet nécessaire d'éviter une nouvelle dégradation de nos finances publiques. Elle supposerait d'emprunter beaucoup plus largement pour couvrir nos dépenses, et dans de moins bonnes conditions, puisque l'incapacité à redresser nos comptes et à respecter notre trajectoire ne pourrait être perçue que négativement par les investisseurs. Le placement de la France en perspectives négatives par deux agences, le 11 octobre par Fitch et le 25 octobre par Moody's, signe qu'elles envisagent à l'avenir de baisser leur notation (AA- pour Fitch et Aa2 pour Moody's) doit, à cet égard nous alerter. Il est urgent d'agir pour éviter de le faire sous encore davantage de contrainte.
La dégradation de nos conditions de financement, d'ailleurs, a déjà commencé, puisque la France se finance à des taux à 10 ans plus élevés, désormais, que le Portugal ou l'Espagne.
Évolution des taux à 10 ans de quatre pays européens en 2024
(en %)
Source : note de conjoncture d'octobre 2024 de l'Insee
Au demeurant, et indépendamment même de la situation de la France, l'environnement dans lequel nous sommes amenés à nous refinancer tend à se dégrader. En effet, le FMI a récemment alerté84(*) sur le niveau atteint par les dettes publiques au niveau mondial, qui dépassent désormais 100 trillions de dollars, soit 93 % du PIB mondial. Elles pourraient en atteindre 100 % en 2030. Or, rien n'indique que l'offre de titres de dette publique ne parvienne à rencontrer durablement une demande satisfaisante, ce qui est susceptible de renforcer la hausse des taux auxquels la France serait amenée à se financer.
Comme le signalait par ailleurs Olivier Redoulès lors de son audition par la commission, « la Chine et les États-Unis accusent des déficits considérables et sollicitent une épargne mondiale qui est elle-même moins excédentaire qu'une dizaine d'années plus tôt : nous sommes structurellement sortis d'un monde où les taux d'intérêt réels étaient négatifs pour aller vers des taux d'intérêt clairement positifs, ce qui modifie la problématique de la consolidation budgétaire. En effet, lorsque les taux d'intérêt réels sont négatifs, la consolidation n'est guère utile à court ou à moyen terme dans la mesure où le ratio de dette publique baisse de manière un peu automatique. Ce n'est cependant plus le cas et nous ne savons pas quand nous sortirons de cette phase caractérisée par des taux positifs ».85(*)
Il est par conséquent devenu vital de redresser nos comptes publics. En effet, une hausse des taux signifierait une hausse de la charge de la dette, alors que celle-ci est déjà amenée à augmenter fortement les années à venir.
Hausse de la charge de la dette prévue entre 2023 et 2028
(en points de PIB)
Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires
Ainsi, même si le Gouvernement respectait la trajectoire de finances publiques qu'il s'est fixé dans le PSMT 2025-2029 et si ses prévisions de croissance s'avéraient justes, la charge de la dette, toutes administrations publiques confondues, pourrait atteindre près de 100 milliards d'euros en 2028.
Évolution de la charge de la dette entre 2020 et 2028
(en milliards d'euros)
Note : à partir de 2024, il s'agit de prévisions. Les données entre 2020 et 2025 proviennent de l'avis du HCFP sur le PLF, et les données de 2025 à 2028 des calculs de la commission des finances, d'après les données de charge de la dette en pourcentage du PIB et les données de croissance en valeur des documents budgétaires
Source : commission des finances, d'après l'avis du HCFP sur le PLF 2025 et les documents budgétaires
Il est d'autant plus urgent de redresser les comptes publics que tout choc de taux, dû par exemple à une défiance accrue des investisseurs, se traduirait par un alourdissement significatif d'une charge de la dette qui absorbe déjà trop de ressources publiques. Le cercle vicieux entre dégradation des conditions de financement et dégradation de la situation des finances publiques qu'a connu la Grèce au début de la décennie 2010 doit, à ce titre, être impérativement évité.
Impact d'un choc de taux de 1 % sur la charge maastrichtienne des obligations assimilables au Trésor (OAT) et des bons à taux fixe (BTF)
(en milliards d'euros)
Source : Agence France Trésor, rapport sur la dette des administrations publiques
Un tel effort est par ailleurs nécessaire rapidement car, chacun le sait, la puissance publique devra à moyen terme trouver les moyens d'investir dans les transitions écologique et énergétique. De tels investissements sont nécessaires - à défaut d'avoir à supporter plus tard une intervention croissante de l'État pour faire face aux crises climatiques qui s'annoncent. Ces investissements imposent un assainissement préalable de la situation budgétaire.
DEUXIÈME
PARTIE
LE BUDGET DE L'ÉTAT : UNE VOIE ÉTROITE POUR
QUITTER LES SOMMETS DE LA DETTE FRANÇAISE ET RETROUVER DE
L'OXYGÈNE
I. LE DÉFICIT BUDGÉTAIRE SE RÉDUIRAIT DE PRÈS DE 25 MILLIARDS D'EUROS EN 2025 GRÂCE À DES MESURES EN RECETTES ET EN DÉPENSES
Le déficit budgétaire de l'État est prévu en 2025 à un niveau de 142,1 milliards d'euros par le présent projet de loi de finances dans sa version initiale, en amélioration de 24,5 milliards d'euros par rapport au déficit prévisionnel révisé de 2024, prévu à 166,6 milliards d'euros.
A. LA RÉVISION À LA HAUSSE DU DÉFICIT BUDGÉTAIRE EN COURS D'ANNÉE 2024 NE PEUT PLUS ÊTRE QUALIFIÉE D'ACCIDENT
Le déficit budgétaire pour l'année courante 2024 est prévu à 166,6 milliards d'euros par le projet de loi de finances pour 2025, supérieur de 19,7 milliards d'euros au déficit de 146,9 milliards d'euros prévu en loi de finances initiale pour 202486(*).
Cette contre-performance s'explique principalement par un niveau de recettes inférieur de 26,0 milliards d'euros à la prévision. Les dépenses seraient légèrement inférieures au niveau prévu, sans que l'on retrouve les conséquences sur les dépenses du décret d'annulation de 10 milliards d'euros du 21 février 202487(*).
Évolution du solde budgétaire en 2024 entre la loi de finances initiale et le solde révisé du projet de loi de finances pour 2025
(en milliards d'euros)
Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires, à partir du texte initial du projet de loi de finances
1. L'écart entre les recettes effectives et les prévisions affichées pèse lourdement sur le déficit budgétaire en 2024
Le niveau des recettes serait inférieur en 2024 de 26,0 milliards d'euros au niveau prévu en loi de finances initiale, ce qui est exceptionnel pour une année qui n'a pas été marquée par un choc inhabituel. En particulier, le principal déterminant des recettes fiscales, qui est la croissance, serait de 1,1 %, soit un niveau certes inférieur mais proche de la prévision initiale de 1,4 %.
Évolution de l'écart entre les prévisions de recettes initiale et révisée
(en milliards d'euros)
Prévision initiale : sous-jacente à la loi de finances initiale de l'année N ; révisée : présentée lors de la présentation du projet de loi de finances pour l'année N+ 1.
Source : commission des finances, à partir des documents budgétaires
Cette chute par rapport à la prévision initiale est, au moins en partie, due au choix par le Gouvernement, dénoncé par la commission des finances en juin dernier88(*), de ne pas prendre en compte, au mois de décembre 2023, les premières informations qui lui remontaient sur le manque de recettes fiscales, qui devait pourtant se répercuter partiellement sur les recettes de l'année suivante sur chacun des grands impôts. Les explications des moindres recettes données dans les documents annexés au projet de loi de finances font d'ailleurs largement référence aux reprises en base 2024 des moindres recettes 2023.
La baisse proviendrait principalement d'un manque à gagner de 14,3 milliards d'euros sur l'impôt sur les sociétés. Le produit de cet impôt avait été estimé à un niveau très élevé de 72,0 milliards d'euros. Comme le rapporteur général l'avait noté en examinant le projet de loi de finances pour 202489(*), cette estimation n'était guère expliquée par les documents budgétaires et sa chute est un contre-coup d'un niveau inférieur à la prévision du bénéfice fiscal 2023.
Le produit de l'impôt sur le revenu serait également inférieur de 5,3 milliards d'euros à la prévision initiale, ce que le Gouvernement explique principalement par l'effet de revenus en 2023 inférieurs au niveau estimé lors de l'élaboration du budget 2024 (baisse du solde payé en 2024 au titre des revenus de 2023, reprise en base des moindres recettes de 2023 sur le prélèvement à la source en 2024) ainsi que par un moindre dynamisme des plus-values mobilières90(*).
Les recettes de taxe sur la valeur ajoutée, elles aussi, seraient inférieures de 4,8 milliards d'euros au niveau anticipé. Les raisons invoquées sont la reprise en base d'un niveau de recettes 2023 inférieur à celui estimé lors de l'élaboration du projet de loi de finances pour 2024, mais aussi une croissance de l'activité jugée moins favorable aux recettes de TVA.
Les autres recettes fiscales nettes, dont la TICPE, seraient inférieures de 1,6 milliard d'euros à la prévision initiale.
S'agissant des recettes non fiscales, elles seraient supérieures de 0,7 milliard d'euros au niveau prévu en loi de finances initiale, principalement à cause d'un surcroît de dividendes et recettes assimilées (+ 1,6 milliard d'euros, dont la moitié en raison de l'excédent du fonds de réserve des retraites des agents de la Banque de France), partiellement compensé par des ventes de biens et de services moindre que prévu (- 0,9 milliard d'euros).
2. Les dépenses devraient être légèrement inférieures à la prévision en loi de finances initiale grâce à un effort dans la seconde moitié de l'année
Les dépenses, sur le périmètre des dépenses de l'État qui mesure celles sur lesquelles le Gouvernement a le plus de prise, devraient, selon l'estimation faite au moment du dépôt du projet de loi de finances pour 2025, être de 488,1 milliards d'euros, soit 3,8 milliards d'euros de moins que l'autorisation en loi de finances initiale.
L'exécution aura toutefois été particulièrement mouvementée puisque ce résultat est atteint alors que lors de la première annonce publique de risque de dégradation du solde au mois de février dernier le Gouvernement a pris un décret d'annulation d'un montant exceptionnel de 10 milliards d'euros.
Le programme de stabilité, présenté à la mi-avril au Parlement et transmis à l'Union européenne, s'est fondé sur un montant de dépenses inférieur de 10 milliards d'euros au montant prévu en loi de finances initiale, soit 481,9 milliards d'euros, ce qui peut surprendre car, peu auparavant, une note de l'administration en date du 2 avril faisait état d'une prévision de dépense de 496,6 milliards d'euros. En effet, le décret d'annulation avait été plus que compensé par le report de 16 milliards d'euros réalisé entre le début du mois de janvier et la mi-mars (même si une partie seulement de cette somme avait vocation à être consommée) et, au-delà, par la nécessité de financer des charges non prévues en loi de finances initiale (notamment des dépenses supplémentaires en faveur de l'Ukraine et en soutien des agriculteurs).
Évolution des estimations de
dépenses de l'État
au cours de l'année 2024
(en milliards d'euros)
Source : commission des finances, à partir des notes de l'administration et des documents budgétaires
Il est vrai que les prévisions du programme de stabilité prenaient en compte la mise en place de réformes tendant à réduire les dépenses, contrairement aux prévisions faites par l'administration, dites « techniques », c'est-à-dire à politique inchangée.
Toutefois, comme en témoigne la prévision encore élevée faite en juillet, la seule mesure mise réellement en place a été l'accroissement de la réserve de précaution par des mesures de surgels, faisant passer celle-ci à un niveau de 16 milliards d'euros en cours d'année, mesure moins forte qu'une annulation car il suffit d'une décision gouvernementale pour remettre les crédits à disposition des responsables de programme.
L'actuel ministre chargé des comptes publics a toutefois indiqué, lors de son audition devant la commission des finances91(*), qu'une fraction de cette réserve serait annulée en loi de finances de fin de gestion ou non consommée, ce qui permettrait, selon la prévision faite à l'occasion du dépôt du présent projet de loi de finances, de limiter la dépense à un niveau de 488,1 milliards d'euros.
3. L'État aura donc connu en 2024 sa cinquième année consécutive de déficit supérieur à 150 milliards d'euros
Le déficit s'établirait donc à 166,6 milliards d'euros en 2024, en très légère diminution de 6,4 milliards d'euros par rapport à 2023.
Les recettes fiscales nettes sont presque stables par rapport à 2023, par la compensation d'effets contraires92(*) et les recettes non fiscales en diminution de 1,7 milliard d'euros, principalement en raison d'un montant moins élevé du versement de l'Union européenne contribuant au financement du plan national de relance et de résilience (PNRR).
L'effet principal est une réduction des dépenses nettes de 8,0 milliards d'euros, dont les documents budgétaires ne donnent pas une décomposition précise. À la fin août 2024, les dépenses nettes de l'État étaient inférieures de 2,0 milliards d'euros à leur niveau de la fin août 2023, par compensation de plusieurs effets, notamment une augmentation de 4,8 milliards d'euros des dépenses de la mission « Défense » et une diminution de 10,4 milliards d'euros, soit 40,0 %, de celles de la mission « Écologie, développement et mobilité durables »93(*). Ces montants ne sont toutefois pas forcément représentatifs de l'évolution annuelle, qui peut dépendre de dépenses importantes en fin d'année.
La variation du solde entre 2023 et 2024
(en milliards d'euros)
Source : commission des finances, à partir des documents budgétaires
En tout état de cause, si ce niveau de déficit se confirme, il ne marquera qu'une amélioration très limitée de la situation budgétaire compte tenu du niveau très élevé qu'il a atteint en 2023, soit 173,0 milliards d'euros, dans un contexte de sortie de crise énergétique qui n'a rien à voir avec le contexte de l'année 2024.
L'État connaîtrait donc en 2024 non seulement sa cinquantième année consécutive de déficit94(*), mais aussi sa cinquième année consécutive de déficit supérieur à 150 milliards d'euros. Depuis 2020, pas moins de 840 milliards d'euros de déficit ont ainsi été accumulés.
B. LE PROJET DE BUDGET POUR 2025 ENGAGE UN EFFORT SIGNIFICATIF POUR AMÉLIORER LA SITUATION BUDGÉTAIRE DE L'ÉTAT
En 2025, le solde budgétaire serait déficitaire de 142,1 milliards d'euros selon le texte initial du projet de loi de finances. Le Gouvernement a toutefois, dans l'exposé général du projet de loi de finances, fixé un objectif de solde à - 135,6 milliards d'euros à la fin des débats parlementaires.
Ce solde est la somme des soldes du budget général, des budgets annexes et des comptes spéciaux.
La construction du solde budgétaire de
l'État
dans le projet de loi de finances pour 2025
(en milliards d'euros)
CAS : comptes d'affectation spéciale. CCF : comptes de concours financiers. CCO-COM : solde des comptes de commerce et des comptes d'opérations monétaires.
Source : commission des finances, à partir du tableau d'équilibre du projet de loi de finances
Pour mémoire, ces dernières années, le déficit a été systématiquement supérieur en exécution à celui présenté dans le projet de loi de finances initiale : l'exécution a ainsi dépassé le projet de loi de finances initiale de 85,0 milliards d'euros en 2020 (déclenchement de la crise sanitaire), de 17,9 milliards d'euros en 2021, de 8,1 milliards d'euros en 2022, de 14,5 milliards d'euros en 2023 et de 22,1 milliards d'euros en 2024 (déficit prévu pour 2024 par le présent projet de loi de finances).
1. La réduction du déficit en 2025 par rapport à 2024 proviendrait d'une amélioration des recettes, due en partie à des effets temporaires, et d'un effort important de maîtrise des dépenses
Le déficit budgétaire de l'État prévu par le projet de loi de finances est en amélioration de 24,5 milliards d'euros par rapport à celui estimé à 166,6 milliards d'euros en 2024.
L'amélioration provient d'un surcroît de recettes attendues de 35,1 milliards d'euros, dont plus de la moitié provient d'effets temporaires ou d'effets de périmètre.
10,0 milliards d'euros sont attendus au titre de deux impositions nouvelles créées à titre temporaire : la contribution différentielle sur les hauts revenus (article 3 du présent projet de loi de finances) et la contribution exceptionnelle sur les bénéfices des grandes entreprises (article 11).
Par ailleurs, la mise en application de la révision de la loi organique du 28 décembre 202195(*) entraîne (article 33) le versement au budget général de plusieurs taxes affectées précédemment à des tiers tels que le fonds national d'aide au logement ou FNAL + 3,0 milliards d'euros), le fonds de solidarité pour le développement ou FSD (+ 0,7 milliard d'euros). L'affectation au Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) d'une part de la taxe sur les installations nucléaires réduit les recettes de 0,2 milliard d'euros, mais la subvention au CEA n'est pas réduite à due concurrence.
En outre, la fin, prévue par le texte initial du projet de loi de finances, de l'affectation d'une fraction de TVA à l'audiovisuel public, compensée par la création d'une mission budgétaire, accroît de 4,0 milliards d'euros aussi bien les recettes de TVA que les dépenses du budget général.
En sens inverse, le dispositif de compensation de la péréquation tarifaire des zones non interconnectées (ZNI) prévu par l'article 7 réduit de 2,8 milliards d'euros les recettes et les dépenses budgétaires.
Au total, l'effet de ces rebudgétisations et débudgétisations peut être estimé à + 4,8 milliards d'euros en recettes et + 5,0 milliards d'euros en dépenses.
S'agissant des impôts existants, la TVA (+ 10,2 milliards d'euros) et l'impôt sur le revenu (+ 5,7 milliards d'euros) seraient également en hausse.
La hausse de la TVA pourrait toutefois être réduite de 4,0 milliards d'euros si une fraction de cet impôt était de nouveau affectée à l'audiovisuel public en cours de discussion du projet de loi de finances, comme c'était le cas en 2024, ce qui nécessite une modification de la loi organique relative aux lois de finances96(*). Cette opération serait neutre pour le solde budgétaire de l'État, car elle aurait pour effet de renoncer à la création de mission « Audiovisuel public », dotée de 4,0 milliards d'euros par le projet de loi de finances. Cela limiterait d'autant la hausse des dépenses nettes du budget général qui, dans le projet de loi de finances, accroît de 11,2 milliards d'euros le déficit budgétaire.
Évolution du solde budgétaire entre 2024 et 2025
(en milliards d'euros)
Source : commission des finances, à partir du projet de loi de finances pour 2025
Les mouvements en recettes et en dépenses sur le budget général sont présentés plus en détail infra.
2. La situation des comptes spéciaux s'améliore, mais celle du compte d'affectation spéciale « Pensions » demeure préoccupante
En 2025, les comptes spéciaux seraient en déficit de 1,7 milliard d'euros, après un déficit de 5,4 milliards d'euros en 2024.
Ce déficit relève pour plus de la moitié de la situation des comptes d'affectation spéciale (CAS) et tout particulièrement de deux d'entre eux.
D'une part, le CAS « Participations financières de l'État » serait à l'équilibre en 2025, contre un déficit de 1,8 milliard d'euros en 2024. Ce déficit en 2024 résulte en fait de l'utilisation de crédits ouverts au cours des années antérieures et reportés sur 2024.
D'autre part, le déficit du CAS « Pensions », estimé à 3,5 milliards d'euros en 2024, ne serait que de 1,1 milliard d'euros en 2025. Cette amélioration résulte du décalage de six mois de l'indexation des pensions, qui ne produira d'effet que le solde 2025, et du relèvement de quatre points du taux des cotisations employeurs pour la fonction publique d'État.
Cette amélioration étant due à un effet temporaire, la situation du CAS « Pensions » demeure préoccupante. Les dépenses suivent en effet une dynamique plus forte que les recettes, engendrant un déficit croissant, qui passerait à 1,6 milliard d'euros en 2026 et 2,0 milliards d'euros en 2027. À cette date, le solde cumulé du CAS « Pensions » deviendrait négatif, ce qui est interdit par l'article 21 de la loi organique relative aux lois de finances. En conséquence, il pourrait être nécessaire, au cours des années à venir, d'augmenter à nouveau le taux des contributions employeur si la hausse des dépenses se poursuit.
Solde annuel et solde cumulé
du compte
d'affectation spéciale « Pensions »
(en milliards d'euros)
Source : commission des finances, à partir des documents budgétaires
Les comptes de concours financiers (CCF) seraient presque équilibrés en 2025 avec un solde négatif de - 0,2 milliard d'euros, le déficit des CCF « Avances aux collectivités territoriales » (- 0,4 milliard d'euros) et « Prêts à des États étrangers » (- 0,5 milliard d'euros) étant partiellement compensé par l'excédent du CCF « Prêts et avances à divers services de l'État » (+ 0,6 milliard d'euros). Ces montants sont faibles par rapport au montant total des recettes des CCF (145,5 milliards d'euros).
Enfin, le solde des comptes de commerce serait négatif de 0,6 milliard d'euros, portant principalement sur le compte de commerce « Soutien financier au commerce extérieur », dont les résultats sont toutefois difficilement prévisibles car ils comprennent la mise en oeuvre de garanties.
3. Le Gouvernement a fixé une cible d'amélioration du solde budgétaire à atteindre à l'issue des débats parlementaires
Le Gouvernement, en raison des circonstances particulières de sa nomination moins de trois semaines avant le dépôt du projet de loi de finances, a fixé des cibles en dépenses et en recettes différentes de celles qui sont inscrites dans le texte même du projet de loi de finances, prévoyant de présenter des amendements tendant à atteindre ces objectifs au cours de la discussion devant le Parlement.
Le solde cible est de - 135,6 milliards d'euros, soit une amélioration de 6,5 milliards d'euros par rapport au solde prévu par le texte initial du projet de loi de finances. Cette amélioration serait obtenue, d'une part, par une diminution de 5,0 milliards d'euros des dépenses du budget général, d'autre part, par un accroissement de 1,5 milliard d'euros des recettes fiscales nettes.
L'exposé général du projet de loi de finances ne donne pas la répartition entre les ministères de la diminution des crédits de 5,0 milliards d'euros, indiquant toutefois que certains ministères - justice, intérieur, logement - devraient voir leurs crédits, à l'inverse, réhaussés.
Le Gouvernement a rendu public, le 28 octobre 2024, un document indiquant la répartition de cet effort qui comprendrait à la fois des mesures structurelles, des réductions de crédit transversales de type « rabot » et des mesures ponctuelles, pour un montant total de 5,2 milliards d'euros.
En premier lieu, des mesures relatives aux arrêts maladie permettraient de réaliser une économie de 444 millions d'euros pour l'État et de 812 millions d'euros pour les autres administrations.
En deuxième lieu, la quasi-totalité des ministères (hors ministères couverts par une loi de programmation et outre-mer) feraient l'objet d'une réduction des crédits transversale calculée en proportion de la réserve de précaution dont ils devraient bénéficier en 2025, pour un montant total de 2,6 milliards d'euros. Certaines politiques feraient en outre, pour 1 milliard d'euros environ, l'objet d'une réduction ciblée des crédits par rapport à ceux prévus par le projet de loi de finances, notamment l'aide publique au développement (baisse supplémentaire de 641 millions d'euros), les dispositifs de soutiens à la mobilité (dont le soutien à la voiture électrique), l'audiovisuel public et le « Pass culture ».
Enfin, des mesures de prélèvements de trésorerie et de baisse de taxes affectées sont prévues à hauteur de 260 millions d'euros pour des opérateurs disposant d'une trésorerie excédentaire.
4. Un niveau réduit de la réserve de précaution risque de limiter les marges de manoeuvre pour garantir l'atteinte des objectifs de dépense en exécution
Le Gouvernement a indiqué que la réduction des dépenses des ministères à décider au cours des débats parlementaires serait équivalente à l'annulation de près de la moitié des crédits mis habituellement en réserve en début de gestion, et pourrait être associée à une réduction du taux de mise en réserve.
Pour mémoire, le taux de mise en réserve, qui était de 6 à 8 % jusqu'en 2017 afin de faciliter la régulation budgétaire en cours d'exécution, a été abaissé à 3 % à partir de 2018 afin, selon les explications données alors par le Gouvernement, de couvrir les seuls aléas de gestion et de mieux responsabiliser les responsables de programme qui sont ainsi libérés de l'incertitude sur le dégel des crédits en cours d'année. Ce taux avait ensuite été légèrement rehaussé, tout en introduisant un taux réduit à 0,5 % pour les programmes portant des prestations sociales97(*) et même de 0 % pour les programmes « Plan de relance » et « Investir pour la France de 2030 ».
Taux de mise en réserve des crédits en début d'année
(en pourcentage des crédits des ministères)
Source : commission des finances, à partir des exposés généraux des projets de loi de finances
Si le taux de mise en réserve prévu à 4 % par le projet de loi de finances était finalement divisé par deux par l'effet des annulations de crédits, il atteindrait donc un niveau particulièrement bas.
Or, la mise en réserve d'une partie des crédits a pour objectif d'assurer en gestion le respect des plafonds de crédits prévus par la loi de finances98(*). En conséquence, le Gouvernement pourrait disposer de marges limitées en exécution, ce qui accroîtrait le risque d'avoir, en cours d'année, à un décret d'avance ou à présenter une loi de finances rectificative.
5. Le solde budgétaire de l'État amorcerait une sortie de la période 2020-2024 marquée par un niveau exceptionnel de déficit budgétaire
Avec un niveau de 142,1 milliards d'euros, voire 135,6 milliards d'euros selon la cible du Gouvernement, le déficit budgétaire serait inférieur à 150 milliards d'euros pour la première fois depuis 2019.
Malgré cette évolution significative, le déficit resterait très élevé, puisqu'il serait encore, en euros constants, à mi-chemin entre les déficits extrêmes connus de 2020 à 2024 et le déficit moyen connu au cours des années antérieures.
Évolution du solde budgétaire de
l'État
en euros constants depuis 2007
(en milliards d'euros de 2025)
Source : commission des finances du Sénat, à partir des documents budgétaires. Actualisation des soldes passés en fonction de l'indice des prix à la consommation hors tabac
En outre, l'atteinte de cet objectif suppose que l'année 2025 ne connaisse pas une série de « mauvaises surprises » comme l'année 2024, dont la loi de finances initiale prévoyait un déficit budgétaire de 146,9 milliards d'euros, proche de celui prévu par le présent projet de loi de finances.
En conséquence, l'année 2025 ne saurait constituer qu'une première étape dans une amélioration continue et importante du solde budgétaire de l'État, indispensable pour ramener le déficit public en-dessous du seuil de 3 % du PIB d'ici à 2029.
En effet, la poursuite de l'accumulation des déficits accroît toujours plus la dette et le coût annuel de son refinancement.
C. LA CONTRAINTE DE LA DETTE PASSÉE ET DE SON REFINANCEMENT PÈSERA SUR LES ANNÉES À VENIR
Le niveau très élevé des émissions de dette provient de la nécessité de combler le niveau excessif des dépenses effectuées au cours de l'année par rapport aux recettes, mais aussi de rembourser les titres de dette arrivés à échéance, ce qui représente une contrainte certaine pour les années à venir.
1. En 2027, la charge de la dette devrait être le premier poste de dépenses de l'État
En 2025, la charge budgétaire de la dette99(*) serait de 54,2 milliards d'euros, en augmentation de 3,6 milliards d'euros par rapport à 2024.
Sur le moyen terme, la charge de la dette a entamé une augmentation importante. Son niveau en 2025 serait supérieur de plus de moitié au niveau bas atteint en 2020.
Évolution de la charge de la dette du budget général
(en milliards d'euros)
Source : commission des finances, à partir des documents budgétaires. Crédits de paiement du programme 117 « Charge de la dette et trésorerie de l'État » exécutés, estimés ou prévus dans la présentation pluriannuelle
La charge de la dette représentera donc en 2025 une dépense supérieure à toutes les missions du budget général100(*), excepté la mission « Enseignement scolaire » (64,5 milliards d'euros), devant la mission « Défense » (50,5 milliards d'euros).
Le montant des intérêts payés aux créanciers de l'État sera ainsi supérieur à la somme des crédits consacrés à la recherche et l'enseignement supérieur (31,1 milliards d'euros), à la police et à la gendarmerie (mission « Sécurités », 17,3 milliards d'euros).
Cette augmentation a vocation à se poursuivre car les nouvelles émissions de titres sont réalisées à un taux supérieur, en moyenne, à celui des titres émis au cours des années 2010 ou au début des années 2020 et arrivant à échéance dans les années à venir. À cet effet taux s'ajoute l'effet volume d'une dette en croissance constante.
Selon la présentation pluriannuelle des crédits inscrite dans le projet annuel de performances de la mission « Engagements financiers de l'État », la charge de la dette serait ainsi de 59,4 milliards d'euros en 2026 et 69,0 milliards d'euros en 2027.
La charge de la dette deviendrait alors la première charge de l'État devant la mission « Enseignement scolaire », dont les crédits sont prévus, hors contributions au CAS Pensions, à un niveau de 65,4 milliards d'euros en 2027 par la loi de programmation des finances publiques101(*).
2. Les émissions de dette atteindront pour la première fois en 2025 un niveau de 300 milliards d'euros
En 2025, le Gouvernement prévoit d'emprunter 300,0 milliards d'euros d'obligations à moyen et long termes.
Le montant annuel des émissions de dette aura donc augmenté de 50 % en six ans, puisqu'il était de 200,0 milliards d'euros en 2019, alors que les prix à la consommation n'ont augmenté que de 17 % pendant cette période et le PIB en valeur de 8,6 %.
Évolution des émissions et des amortissements de dette
(en milliards d'euros)
Source : commission des finances, à partir des projets de loi de finances et de règlement
En revanche, l'augmentation de la dette à court terme serait de 5,0 milliards d'euros seulement, ce qui doit toutefois s'apprécier par rapport au niveau très élevé de cette dette, qui s'est accrue de près de 80 milliards d'euros entre 2019 et 2024102(*).
3. Le remboursement des titres arrivés à échéance nourrira le besoin de financement sur le moyen et long terme
Le besoin de financement, c'est-à-dire en pratique les dettes qui doivent être contractées chaque année, comprend pour l'essentiel le déficit budgétaire de l'année et le renouvellement des titres de dette arrivant à échéance au cours de l'année.
Si le Gouvernement peut mener une action résolue pour réduire le déficit, ce qui se traduit dans le présent projet de loi de finances, le renouvellement des titres de dette arrivant à échéance constitue une contrainte héritée du passé, sur laquelle il ne dispose pas de marge de manoeuvre.
Or, il ressort de l'échéancier des obligations assimilables du Trésor (OAT) déjà émises que le simple remboursement des titres arrivant à échéance créera un socle de besoin de financement de 170 à 230 milliards d'euros chaque année jusqu'en 2029.
Titres de dette déjà émis et arrivant à échéance dans les années 2025 à 2034
(en milliards d'euros)
Source : commission des finances, à partir de l'encours détaillé des OAT publié par l'Agence France Trésor
D. L'AMÉLIORATION DES PRATIQUES BUDGÉTAIRES EST UN IMPÉRATIF POUR LE RÉTABLISSEMENT DES COMPTES DE L'ÉTAT
Face à des évolutions de fond, le Gouvernement précédent a multiplié ces dernières années des pratiques budgétaires contestables ou de pur affichage qui ont nui à la lisibilité du budget.
1. L'amélioration des estimations de recettes est nécessaire pour accroître la prévisibilité des finances de l'État
Les écarts importants, depuis plusieurs années, entre les prévisions de recettes et leur produit finalement constaté appellent à un travail approfondi de réflexion.
Si un surcroît important de recettes en 2020 et 2021 pouvait, après coup, être expliqué par les incertitudes fortes qui ont marqué ces deux années, la même explication n'avait plus cours à la fin 2022 et 2023. Or ces deux années ont encore été marquées par des écarts importants, soit à la hausse, soit à la baisse, entre le montant des recettes fiscales nettes prévues dans la loi de finances rectificative de fin d'année (ou de fin de gestion) et l'exécution. De tels écarts n'étaient pas constatés au cours des années antérieures.
Écart entre les recettes fiscales
prévues
en fin d'année et l'exécution
(en milliards d'euros)
Source : commission des finances, à partir des documents budgétaires
Une meilleure compréhension de ces écarts est l'un des objets de la mission d'information lancée par la commission des finances au mois de mars dernier, et qui poursuit actuellement ses travaux103(*).
L'Inspection générale des finances (IGF), également saisie de cette question, a rendu en juillet 2024 un rapport qui formule de premières analyses et recommandations.
L'IGF indique ainsi que l'élasticité des prélèvements obligatoires a connu en 2023 un niveau de 0,42, niveau le plus faible depuis 2013, voire même depuis 1991. Elle faisait toutefois suite à une élasticité exceptionnellement élevée en 2022, de sorte que l'élasticité sur les deux années 2022 et 2023 est exactement égale à 1, ce qui correspond à l'élasticité généralement constatée sur le long terme.
L'organisation des prévisions de recettes, sur le seul périmètre de l'État, fait intervenir plusieurs administrations : direction générale du Trésor (DG Trésor), direction générale des finances publiques (DGFiP), direction du budget (DB), direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI). Cet exercice supposant une coopération permanente entre ces directions, l'IGF recommande de remettre en place les réunions mensuelles de recettes qui, avant 2020, examinaient les remontées comptables et devraient rassembler DGFiP, DB et DG Trésor. La directrice du budget a indiqué au Président et au rapporteur général que ces réunions avaient été récemment remises en place.
Par ailleurs, les documents rendus publics donnent systématiquement des prévisions de recettes très précises, presque « à l'euro près », ignorant l'incertitude propre à tout exercice de prévision. Il pourrait donc être utile que le Gouvernement communique au Parlement des intervalles de confiance ou des « graphiques de risque », comme le fait l'Office for Budget Responsibility (OBR) au Royaume-Uni. Il serait alors plus aisé de faire la part entre les écarts « normaux » à la prévision et ceux pour lesquels il faut chercher une explication, soit dans un choc externe, soit dans une anomalie des outils de prévision.
L'information donnée au Parlement sur l'exécution budgétaire reste en effet difficile à utiliser. Les situations mensuelles budgétaires comparent l'exécution des recettes au niveau atteint à la même période l'année précédente. Si cette information est intéressante en soi, elle ne permet pas véritablement d'identifier à un niveau fin ce qui est dû aux chocs macroéconomiques et aux erreurs de prévision d'une part, et ce qui relève de l'évolution spontanée (hors chocs) et des mesures nouvelles de l'autre. Un apport important pourrait être d'indiquer, dans les situations mensuelles ou hebdomadaires, la prévision de recettes pour le mois correspondant (ou la semaine correspondante) faite au moment de la loi de finances initiale ou de la dernière prévision, afin d'identifier les écarts à la prévision, plus pertinents que les écarts à l'exécution de l'année précédente.
2. Le coût des dépenses fiscales continue sa progression, malgré une sous-estimation d'environ 10 milliards d'euros liée à un choix méthodologique récent
Les dépenses fiscales sont des dérogations à la norme fiscale instaurées par des dispositions législatives ou réglementaires.
Si certaines sont utiles pour stimuler certains secteurs économiques ou favoriser des comportements contribuant à l'intérêt général, elles rendent la règle fiscale plus complexe et réduisent les recettes d'un montant estimé par le présent projet de loi de finances à 85,1 milliards d'euros en 2025 pour 474 dépenses fiscales.
La notion de dépense fiscale est en effet complexe et mouvante car elle s'apprécie par rapport à une « norme » fiscale qui comporte une marge d'appréciation. L'annexe « Voies et moyens » présente cette « norme » dans son tome 2, permettant de construire une liste de dépenses fiscales. À titre d'exemple, le quotient conjugal et familial est considéré comme une partie intégrante des modalités de calcul de l'impôt sur le revenu, mais le maintien du quotient conjugal pour les contribuables veufs ayant des enfants à charge est classé parmi les dépenses fiscales relatives à cet impôt104(*).
Certaines dépenses fiscales sont ainsi déclassées, représentant parfois un montant important : le régime des sociétés mères et filiales de l'article 216 du code général des impôts (non-imposition, sur option, des produits de participations représentant au moins 5 % du capital d'autres sociétés), autrefois considéré comme dépense fiscale mais déclassé en 2006, représente aujourd'hui un coût de 29 milliards d'euros par an, tandis que le coût du régime d'intégration fiscale de droit commun des résultats des groupes de sociétés françaises, également déclassé en 2006, a un coût de 15 milliards d'euros105(*).
Le coût des dépenses fiscales pèse tout particulièrement sur le rendement de l'impôt sur le revenu.
Répartition du coût des dépenses fiscales par impôt
(en milliards d'euros)
Source : commission des finances, à partir du tome II de l'annexe « Voies et moyens »
En outre, peu de dépenses fiscales font l'objet d'une évaluation. L'ambition d'un grand programme pluriannuel d'évaluation des dépenses fiscales, annoncé dans le projet de loi de finances pour 2020106(*), n'a jamais été réellement mis en oeuvre.
Depuis la révision de la loi organique relative aux lois de finances en date du 28 décembre 2021, le document « Voies et moyens » annexé au projet de loi de finances fait état, dans son tome II, d'un programme d'évaluation de dépenses fiscales qui sera conduit dans l'année.
Devraient être ainsi évalués en 2025 les crédits d'impôt en faveur des entreprises agricoles utilisant le mode de production biologique ou disposant d'une certification d'exploitation HVE (haute valeur environnementale), l'exonération temporaire des plus-values de cession d'un droit de surélévation réalisées par les particuliers en vue de la réalisation de locaux destinés à l'habitation et les taux réduits de TVA rattachés à la mission Culture.
Ce programme demeure bien limité par rapport au nombre élevé des dépenses fiscales et à leur impact sur les ressources de l'État.
Il convient toutefois d'approuver le présent projet de loi de finances en ce que, dans son texte initial, il ne comprend que très peu de dispositions tendant à étendre ou proroger des dépenses fiscales. Il proroge notamment, jusqu'au 31 décembre 2027, le dispositif d'exonérations dans les bassins d'emploi à redynamiser (article 27), étend également le dispositif d'abattement sur les plus-values de cession de titres prévu par l'article 150-0 D ter du CGI aux cessions réalisées au profit de jeunes agriculteurs (article 19). À l'inverse, le projet de loi de finances marque la fin de l'une des dépenses fiscales les plus emblématiques, la réduction d'impôt « Pinel » en faveur de l'investissement locatif intermédiaire, qui existe sous plusieurs formes successives depuis plusieurs décennies. À titre de comparaison, le texte du projet de loi de finances pour 2024 arrivé au Sénat après l'usage de l'article 49, alinéa 3, à l'Assemblée nationale, comprenait 62 mesures d'extensions ou de prorogations de niches fiscales.
Les documents annexés au projet de loi de finances maintiennent toutefois un choix méthodologique contestable fait dans le projet de loi de finances pour 2024.
Revenant sur la pratique admise jusque-là, le précédent Gouvernement a en effet fait le choix de ne comptabiliser les dépenses fiscales relatives à la TVA qu'à hauteur de la part de la TVA revenant à l'État parmi les recettes de TVA nette107(*). Cette modification méthodologique divise par deux le coût affiché des dépenses fiscales liées à la TVA, réduisant artificiellement de 10 milliards d'euros le coût des dépenses fiscales.
Ce choix est contestable en premier lieu parce que les dépenses fiscales en question sont instituées par l'État, qui devrait en conséquence en indiquer le coût complet dans les documents budgétaires.
En second lieu, certaines de ces affectations sont définies en valeur et non en pourcentage108(*) et peuvent donc difficilement être affectées par l'évolution des dépenses fiscales. Même celles qui sont définies en pourcentage, comme les parts de TVA affectées aux administrations de sécurité sociale, font l'objet d'une révision chaque année qui permet le cas échéant de les adapter aux besoins, voire de ponctionner leurs ressources jugées par le Gouvernement excédentaires.
Enfin, l'affectation massive de parts de TVA aux administrations de sécurité sociale et aux collectivités territoriales, voire à l'audiovisuel public, est un phénomène récent et ces administrations ne peuvent donc pas subir le poids des nombreuses dépenses fiscales qui préexistaient à cette affectation.
Au total, ce mode de présentation empêche toute comparaison pluriannuelle rétrospective et trouble la vision que l'on peut avoir du niveau et de l'évolution des dépenses fiscales. Il serait donc souhaitable que le prochain projet de loi de finances revienne à une présentation plus complète du coût des dépenses fiscales portant sur la TVA.
3. Les reports de crédit devront être strictement limités afin d'accroître la maîtrise des dépenses en exécution
Depuis 2020, les Gouvernements successifs ont fait le choix d'autoriser chaque année des reports de crédits d'un montant très élevé. Cette pratique s'est fondée la première année sur l'incertitude liée à la crise sanitaire, tout particulièrement en fin d'année, qui a conduit à ouvrir un montant très élevé de crédits sur le plan d'urgence, crédits qui n'ont finalement été consommés - partiellement - que l'année suivante.
Cette pratique s'est toutefois prolongée les années suivantes, s'étendant progressivement à la mission « Plan de relance » et à un grand nombre de mission de droit commun, sans aucune justification.
Les travaux de la mission d'information constituée au printemps par la commission des finances ont confirmé que les ministères ont ainsi pris l'habitude de conserver d'une année à l'autre un « matelas » de crédits reportés parfois plusieurs années de suite, constituant une poche de budgétisation peu visible et échappant à la fois à l'autorisation parlementaire et à la régulation budgétaire.
À titre d'exemple, le projet annuel de performances de la mission « Plan de relance » indique que cette mission sera financée en 2025 prioritairement par des crédits reportés et non par les crédits, d'un montant très faible, ouverts dans le projet de loi de finances, ce qui pose la question du maintien même de cette mission.
Reports des crédits non consommés vers l'exercice suivant
(en milliards d'euros)
Source : commission des finances, à partir des documents budgétaires
Cette pratique, dénoncée par le rapporteur général depuis plusieurs années, ne satisfait pas aux principes d'annualité et de spécialité budgétaires, car il devient quasiment impossible de comprendre quand et à quelle fin sont utilisés les crédits.
Le ministre chargé des comptes publics a indiqué, en présentant le projet de loi de finances à la commission des finances, que ces reports seraient strictement limités en 2025. La circulaire de la direction du budget relative aux reports de crédits, publiée comme chaque année à la fin du mois d'octobre, traduit cette exigence nouvelle en insistant sur limitation des demandes de reports aux stricts besoins nécessaires, « dans l'optique d'un retour à une situation normalisée »109(*).
Le rapporteur général prend acte et soutient cette volonté affirmée et encourage le Gouvernement à prendre cette direction le plus rapidement possible.
II. LES RECETTES DE L'ÉTAT S'ACCROISSENT EN 2025 DE 11,5 %, DONT UNE PARTIE LIÉE À DES RESSOURCES TEMPORAIRES
Les recettes du budget général de l'État, nettes des remboursements et dégrèvements, seraient en 2024 de 378,2 milliards d'euros, en hausse de 32,3 milliards d'euros par rapport à l'estimation révisée pour 2024, soit + 9,3 % en valeur ou + 7,4 % hors inflation.
Cette hausse doit toutefois s'apprécier après une année 2024 marquée par une chute de 25 milliards d'euros des recettes nettes entre l'estimation en loi de finances initiale et l'estimation révisée présentée à l'occasion du présent projet de loi de finances.
En outre, le niveau de recettes prévu pour 2025 est inférieur de 2,0 % en euros constants à celui atteint en 2022. Sur le moyen terme, les recettes de l'État sont à peu stables hors inflation.
Évolution à moyen terme des recettes
fiscales nettes
et non fiscales de l'État
(en milliards d'euros de 2025)
Source : commission des finances, à partir des documents budgétaires
A. LES RECETTES FISCALES NETTES PROGRESSERAIENT DE 35 MILLIARDS D'EUROS EN 2025, CONTRIBUANT FORTEMENT À L'AMÉLIORATION DU SOLDE BUDGÉTAIRE
Les recettes fiscales nettes seraient en 2025 de 357,6 milliards d'euros, en augmentation de 35,1 milliards d'euros par rapport à 2024, soit une progression de + 10,9 % en valeur ou + 8,9 % hors inflation.
Les principaux facteurs seraient l'évolution spontanée des impôts, malgré un reflux de l'impôt sur les sociétés, mais aussi la création de deux contributions exceptionnelles ainsi que la fin, prévue par le projet de loi de finances dans son texte initial, de l'affectation de TVA au secteur de l'audiovisuel public.
Principaux facteurs d'évolution des
recettes fiscales nettes de l'État
selon le projet de loi de
finances pour 2025
(en milliards d'euros)
FNAL : rebudgétisation des cotisations employeurs affectées au financement des aides au logement.
Source : commission des finances du Sénat, à partir de l'exposé général du projet de loi de finances
En particulier, les mesures nouvelles du présent projet de loi de finances accroissent de 14,7 milliards d'euros les recettes fiscales nettes, selon un tableau accompagnant le tome 1 de l'annexe « Voies et moyens » au projet de loi de finances. Dans le projet de loi de finances pour 2024, les mesures nouvelles n'accroissaient que de 1,3 milliard d'euros les recettes.
Tableau récapitulatif des mesures fiscales
nouvelles
prévues par le présent projet de loi de
finances
(en millions d'euros)
Impôt |
Libellé |
Article du PLF |
Impact en 2025 |
Autres RFN |
Contribution exceptionnelle sur les bénéfices des grandes entreprises |
11 |
8 000 |
Autres RFN |
Contribution différentielle temporaire sur les très hauts revenus |
3 |
2 000 |
Autres RFN |
Hausse des accises sur l'énergie |
7 |
1 600 |
TVA |
Arrêt du taux réduit de TVA sur les abonnements à l'électricité et au gaz |
7 |
1 200 |
Autres RFN |
Suspension de la baisse de CVAE |
15 |
1 104 |
IS |
Taxe exceptionnelle due par les entreprises du fret maritime |
12 |
500 |
Autres RFN |
Malus automobile |
9 |
300 |
TVA |
Hausse des accises sur l'énergie - effet retour TVA |
7 |
220 |
TVA |
Mise en conformité de la TVA sur les chaudières à gaz |
10 |
200 |
Autres RFN |
Fiscalisation des rachats d'actions |
26 |
200 |
IR |
Suppression de niche à l'IR sur les loueurs meublés |
24 |
180 |
IR |
Transformation de la déduction en faveur des stocks de vaches laitières et allaitantes |
18 |
- 46 |
IS |
Suspension de la baisse de CVAE - effet IS |
15 |
- 111 |
IS |
Hausse des accises sur l'énergie - effet retour IS |
7 |
- 220 |
Autres RFN |
Baisse de la TICGN en miroir de réduction de taux réduit TVA |
7 |
- 400 |
Total |
14 727 |
IR : impôt sur le revenu. IS : impôt sur les sociétés. Autres RFN : autres recettes fiscales nettes. TICGN : taxe intérieure de consommation sur le gaz naturel.
Source : commission des finances, à partir du fichier des mesures nouvelles publié par la direction du budget
1. L'impôt sur les sociétés connaîtrait une diminution de son produit, illustrant la volatilité et l'imprévisibilité de cet impôt
Les recettes d'impôt net sur les sociétés sont prévues en 2025 à un niveau de 56,2 milliards d'euros, soit une légère baisse de 1,5 milliard d'euros par rapport à l'estimation révisée pour 2024.
La principale raison donnée à cette baisse110(*) est la diminution du bénéfice fiscal des entreprises en 2024, estimée à - 1,9 %. Cette diminution impacte directement le produit de l'impôt sur les sociétés car celui-ci repose sur des acomptes versés tout au long de l'année, basés sur le bénéfice fiscal de l'exercice précédent, et un solde final payé l'année suivante. La baisse du bénéfice fiscal 2024 se répercute donc sur les acomptes et le solde payés en 2025.
En outre, l'effet de la réforme des allègements généraux, prévue par le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025, viendrait diminuer le rendement de l'impôt sur les sociétés à hauteur de 1 milliard d'euros. Cette baisse est atténuée par la création d'une taxe sur le résultat d'exploitation des sociétés de fret maritime, mise en place par l'article 12 du présent projet de loi de finances afin de contribuer au redressement des comptes publics. Elle devrait générer 0,5 milliard d'euros de recettes en 2025.
Toutefois l'évolution des recettes de l'impôt sur les sociétés est très sensible à la conjoncture économique et peut donc être difficile à prévoir avec précision, comme cela a été expliqué en détail par la mission précitée mise en place au sein de la commission des finances sur la dégradation des comptes publics en 2023.
L'impôt sur les sociétés
L'impôt sur les sociétés (IS) s'applique aux sociétés de capitaux, même si certaines sociétés de personnes peuvent opter pour l'IS.
L'IS est versé selon un système d'acomptes et de solde. En 2024, les sociétés redevables verseront ainsi (hors opérations de contrôle ou remboursements et dégrèvements) :
- d'une part, un solde portant sur l'impôt dû au titre de 2023, ajouté ou soustrait aux acomptes versés cette année-là ;
- d'autre part, quatre acomptes aux mois de mars, juin, septembre et décembre, correspondant à l'impôt dû au titre de 2024, mais calculés d'après le bénéfice fiscal de l'exercice précédent. Cependant, les grandes sociétés ajustent le dernier acompte en fonction de leur résultat fiscal estimé pour l'année en cours (« cinquième acompte ») et les autres sociétés peuvent moduler leurs acomptes lorsque leur bénéfice diminue (« autolimitation »).
Source : commission des finances, à partir du tome I de l'annexe « Voies et moyens »
L'impôt sur les sociétés avait ainsi atteint un niveau exceptionnellement élevé en 2022, année caractérisée par une élasticité très importante du produit de l'impôt à la croissance. Les années suivantes marquent un reflux, encore plus marqué si on le mesure en euros constants et qu'on neutralise l'effet des remboursements de crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE) qui, à partir de l'année 2014, a réduit de manière importante le produit de cet impôt. Cet effet est aujourd'hui quasiment éteint.
L'an passé, des prévisions, qui se sont révélées surévaluées, commençaient à rapprocher le produit de l'impôt sur les sociétés de celui des deux grands impôts - impôt sur le revenu et TVA111(*). La constatation de moins-values importantes en 2023, puis en 2024, ainsi que la prévision actuelle en baisse pour 2025, conduisent à ramener cet impôt à un niveau plus conforme à ce qu'il était au cours des années 2010, si l'on considère qu'il n'est plus diminué par les remboursements de CICE. Le graphique ci-dessous illustre la relative stabilité à moyen terme des recettes d'impôt sur les sociétés depuis 15 ans si l'on prend en compte les effets du CICE.
Produit de l'impôt net sur les sociétés depuis 2012 avec et sans CICE
(en milliards d'euros de 2025 et en pourcentage)
Source : commission des finances, à partir des documents budgétaires
2. La TVA progresserait de 10,2 milliards d'euros, sous réserve des décisions à prendre sur le financement de l'audiovisuel public
En 2025, les recettes de TVA nette de l'État devraient s'établir à 106,2 milliards d'euros, soit une hausse de 10,2 milliards d'euros par rapport à la prévision révisée pour 2024. Cette augmentation significative provient d'une augmentation de la TVA collectée, mais aussi d'évolutions dans la répartition de ce produit entre ses affectataires.
La TVA collectée est affectée, à droit constant, par l'augmentation de la consommation et de l'investissement (évolution spontanée). Si la croissance économique est prévue à un rythme modéré, l'augmentation des emplois taxables devrait générer des recettes supplémentaires.
En outre, la sortie définitive des mesures de soutien face à la crise énergétique, notamment le bouclier tarifaire sur l'électricité, a un impact positif sur les recettes de TVA en 2025. La suppression du bouclier tarifaire entraine une augmentation des prix de l'électricité, ce qui se traduit par une hausse mécanique des recettes de TVA perçues sur ces transactions.
S'agissant de la répartition de cette ressource, l'État ne reçoit qu'environ un tiers de la TVA collectée : celle-ci, d'un montant prévisionnel de 299,9 milliards d'euros en 2025, est réduite de 83,5 milliards d'euros par les remboursements et dégrèvements, puis plus de la moitié du produit net résultant est réparti entre les administrations de sécurité sociale (57,5 milliards d'euros) et les collectivités territoriales (52,5 milliards d'euros).
En effet, de nombreuses parts de TVA ont été affectées à ces administrations depuis une dizaine d'années afin de compenser, grâce à une ressource assez prévisible et dynamique, les conséquences financières de décisions de l'État relatives aux ressources de ces administrations ou la suppression d'une dotation ou d'une imposition locale112(*).
Cette tendance est pour l'instant interrompue. La stabilisation en 2025 des transferts de TVA vers d'autres administrations publiques contribue à augmenter légèrement la part de TVA restant à la disposition de l'État.
Évolution des parts de TVA revenant à chaque catégorie d'administration publique
(en milliards d'euros)
Source : commission des finances, à partir des annexes « Voies et moyens » aux projets de lois de finances
En particulier, l'audiovisuel public, dans le texte initial du projet de loi de finances, ne bénéficierait plus d'une part de TVA. En effet, l'article 2 de la loi organique relative aux lois de finances, dans sa rédaction résultant de la révision de la loi organique en date du 28 décembre 2021113(*), exige à partir de 2025 qu'un organisme bénéficiant d'une affectation de taxe exerce une mission de service public en lien avec cette imposition : or un tel lien n'existe pas pour la TVA et l'audiovisuel public. Cette suppression permet à l'État de récupérer un montant d'environ 4 milliards d'euros de TVA.
Toutefois cette suppression d'affectation pourrait être revue au cours de la discussion du projet de loi de finances. En effet, le Sénat a adopté, le 23 octobre 2024, une proposition de loi organique modifiant la loi organique relative aux lois de finances114(*), qui tend à maintenir la possibilité d'affecter une part de TVA au secteur de l'audiovisuel public. Si cette proposition de loi était promulguée avec cette disposition, le projet de loi de finances pourrait être modifié afin de permettre cette affectation. Les crédits budgétaires prévus sur la nouvelle mission « Audiovisuel public » seraient alors annulés au profit de cette recette affectée, sans effet sur le solde.
Par ailleurs, il ressort d'une note récente de la direction générale des finances publiques (DGFiP)115(*) que les recettes de TVA sont amputées d'un montant de pertes significatif résultant d'erreurs ou d'omissions déclaratives, qu'elles soient volontaires ou pas. Selon cette note, ce manque à gagner serait de 6 à 10 milliards d'euros, soit 4 à 6 % du montant de TVA effectivement collecté. Cette estimation n'inclut pas toutes les erreurs et omissions car les entreprises ne déclarant pas du tout de TVA ne font pas partie de son périmètre et les irrégularités ne sont pas toutes détectées.
3. L'indexation du barème de l'impôt sur le revenu permet de préserver le pouvoir d'achat, les très hauts revenus contribuant par ailleurs à la consolidation des comptes publics
Le produit prévisionnel de l'impôt net sur le revenu est de 93,8 milliards d'euros en 2025, en hausse de 5,7 milliards d'euros par rapport à l'estimation révisée pour 2023 (88,1 milliards d'euros).
L'évolution spontanée, c'est-à-dire à droit constant, est de + 5,8 %, en raison de la croissance de la masse salariale qui nourrit les recettes de prélèvement à la source.
Un débat a eu lieu sur l'opportunité de maintenir, cette année encore, l'indexation du barème sur l'inflation, qui a un coût estimé à 3,7 milliards d'euros116(*). Toutefois l'indexation sur l'inflation est la règle plutôt que l'exception : sur les 45 dernières années, 41 ont connu une revalorisation du barème proche de l'évolution du niveau général des prix, les dernières exceptions remontant aux revenus de 2011 et 2012117(*).
Or, une absence d'indexation, sous l'apparence d'une stabilité de la règle fiscale, aurait correspondu à une absence de prise en compte de l'inflation sur le pouvoir d'achat et aurait eu un impact sur l'ensemble des tranches de revenu soumises à l'impôt sur le revenu.
Le Gouvernement a fait le choix d'une mesure ciblée beaucoup plus spécifiquement sur les hauts revenus en proposant, par l'article 3 du présent projet de loi de finances, l'instauration pour une période de trois ans d'une contribution différentielle sur les hauts revenus. Cette contribution, dont l'objectif affiché est de garantir une imposition minimale de 20 % des plus hauts revenus, s'appliquera aux foyers dont le revenu fiscal de référence dépasse 250 000 euros pour un célibataire et 500 000 euros pour un couple. Le rendement de cette contribution, classée parmi les autres recettes fiscales nettes, est estimé à 2 milliards d'euros en 2025.
Ce choix d'indexer, comme chaque année, le barème de l'impôt sur le revenu sur l'inflation, tout en augmentant à titre temporaire l'imposition des plus hauts revenus, illustre la volonté du gouvernement de concilier protection du pouvoir d'achat des ménages et effort de consolidation budgétaire.
Le produit de l'impôt net sur le revenu l'an prochain est également soutenu, à hauteur de 180 millions d'euros, par la réintégration des amortissements dans l'assiette des plus-values immobilières pour les locations meublées non-professionnelles (article 24 du projet de loi de finances). À l'inverse, la transformation de la déduction en faveur des stocks de vaches laitières et allaitantes réduit les recettes nettes de 46 millions d'euros (article 18). Dans les années à venir, la suppression du dispositif « Pinel » de réduction d'impôt sur le revenu en faveur de l'investissement locatif intermédiaire, devrait réduire progressivement son impact négatif qui est, en 2024 comme en 2025, de 1,5 milliard d'euros118(*).
L'évolution du produit de l'impôt sur le revenu en 2025 s'expliquerait par la croissance des revenus en 2025, qui accroît les ressources du prélèvement à la source de 1,4 milliard d'euros, mais plus encore par les « recouvrements sur exercice courant », c'est-à-dire les recouvrements réalisés en 2025 sur des émissions de rôles réalisées en 2024, qui s'accroissent de 4,9 milliards d'euros, reflétant une prévision de solde important sur l'impôt dû au titre des revenus perçus en 2024 liée notamment à des revenus réels en augmentation en 2024.
Évolution du produit de l'impôt net
sur le revenu en 2025
(en milliards d'euros)
R&D : remboursements et dégrèvements.
Source : commission des finances, à partir du tome I de l'annexe « Voies et moyens » au projet de loi de finances
4. La création de contributions exceptionnelles contribue à la hausse des autres recettes fiscales
Outre les trois « grands » impôts, dont le rendement est supérieur à 50 milliards d'euros, le budget est alimenté par plusieurs dizaines de recettes fiscales diverses, pour un montant total net de 101,3 milliards d'euros, soit 110,5 milliards d'euros de recettes brutes minorées de 9,1 milliards d'euros de remboursements et dégrèvements.
Les principales recettes fiscales brutes hors « grands impôts »
(en milliards d'euros)
TICPE : taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques. TICFE : taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité. TICGN : taxe intérieure de consommation sur le gaz naturel. Les montants sont tous présentés bruts car le montant net n'est indiqué, parmi ces taxes, que pour la TICPE.
Source : commission des finances, à partir des données publiées par la direction du budget avec le projet de loi de finances
S'agissant de la TICPE, elle fait l'objet, comme la TVA, d'une affectation partielle à d'autres administrations. Son montant brut total est prévu à 31,2 milliards d'euros en 2025, contre 31,5 milliards d'euros en 2024. Cette diminution résulterait d'une baisse des consommations.
Le montant de TICPE nette affecté à l'État, avec un niveau de 16,5 milliards d'euros, serait en revanche en hausse de 1,0 milliard d'euros par rapport à 2024, en raison de la diminution de la part affectée à l'Agence de financement des infrastructures de France (AFITF), qui passerait de 2 à 1,3 milliard d'euros, ainsi que de la diminution prévue des remboursements et dégrèvements (- 0,5 milliard d'euros, améliorant d'autant la part versée à l'État).
Évolution de la répartition de la TICPE entre les affectataires
(en milliards d'euros)
R&D et autres : remboursements et dégrèvements et autres affectations, dont Île-de-France Mobilités (0,1 milliard d'euros).
Source : commission des finances, à partir du tome 1 de l'annexe « Voies et moyens »
Parmi les autres recettes fiscales nettes, certaines ont progressé de manière importante depuis une dizaine d'années avec l'affectation à l'État depuis 2018 des prélèvements de solidarité119(*), qui constituent aujourd'hui pour l'État une ressource comparable à la TICPE, ainsi que les droits de mutation à titre gratuit (DMTG)120(*), qui la dépassent.
Évolution du produit des
prélèvements à titre gratuit
et des droits de
mutations à titre gratuit
(en milliards d'euros)
Source : commission des finances, à partir des documents budgétaires
Cette évolution très notable n'est pas encore complètement prise en compte dans les documents budgétaires, qui consacrent une section entière à la TICPE, comme aux trois grands impôts, mais analysent de manière beaucoup plus sommaire les autres recettes fiscales. Il s'agit pourtant d'une évolution structurelle et la Cour des comptes121(*) a noté que la France est au premier rang de l'OCDE pour le poids des DMTG dans le PIB.
Les droits de succession, qui représentent près de 80 % des DMTG, ont plus que doublé entre 2011 et 2023. Les deux déterminants principaux, hors modification législative, sont l'augmentation de la valeur des actifs immobiliers (jusqu'en 2022) et celle des décès ; on peut donc s'attendre à une poursuite de la progression tendancielle de cet impôt avec la forte hausse des décès que prévoit l'Insee dans toutes ses projections122(*).
B. LES RECETTES NON FISCALES ET LES PRÉLÈVEMENTS SUR RECETTES SONT SOUMIS À L'IMPACT DE L'EMPRUNT EUROPÉEN ET DE SON REMBOURSEMENT
1. Les recettes non fiscales seraient en diminution de 2,8 milliards d'euros par rapport à 2024, en raison de la baisse du versement européen au titre du plan de relance
Les recettes non fiscales s'établiraient en 2025 à 20,5 milliards d'euros, en baisse de 2,8 milliards d'euros par rapport à 2024.
Dans cette catégorie sont regroupées des recettes très diverses, telles que les dividendes, les amendes et les produits du domaine de l'État ou ceux résultant de la vente de biens et de services.
De manière générale, elles sont accrues en 2025 par un prélèvement temporaire de 450 millions d'euros sur la trésorerie du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC)123(*). Un tel prélèvement avait déjà été réalisé par l'article 49 de la loi de finances pour 2014, mais le montant avait alors été limité à 90 millions d'euros.
Toutefois, le niveau et l'évolution des recettes non fiscales dépendent pour une part importante, depuis 2022, des versements effectués par l'Union européenne au titre de la facilité pour la reprise et la résilience (FRR), c'est-à-dire pour le co-financement du plan de relance français, à hauteur de 40 milliards d'euros au total.
Évolution des recettes non fiscales depuis 2017
(en milliards d'euros)
Source : commission des finances, à partir des documents budgétaires et des fichiers de données publiés par la direction du budget
En 2025, le versement européen serait de 3,3 milliards d'euros, contre 7,5 milliards d'euros en 2024, soit une diminution de 4,2 milliards d'euros.
Dans la catégorie des dividendes et recettes assimilées, les participations de l'État dans des entreprises non financières auraient un produit de 4,5 milliards d'euros, en hausse de 2,1 milliards d'euros. Cette progression provient notamment des résultats financiers attendus d'EDF. Les autres recettes non fiscales connaissent des évolutions moins importantes entre 2024 et 2025.
2. Le prélèvement sur recettes à destination de l'Union européenne suit une tendance à l'augmentation sur le long terme, qui pourrait être accentuée pour rembourser l'emprunt européen
Les prélèvements sur les recettes (PSR) de l'État s'établiraient en 2025 à 67,5 milliards d'euros, en hausse de 313 millions d'euros par rapport à l'estimation révisée pour 2024.
Cette quasi-stabilité recouvre en fait une diminution de 752 millions d'euros du PSR à destination des collectivités territoriales et, en sens inverse, une augmentation de 1 065 millions d'euros de celui à destination de l'Union européenne.
La hausse importante du PSR à destination de l'Union européenne n'apparaît pas anormale à ce stade de la programmation pluriannuelle 2021-2027 et fait suite à un niveau de prélèvement bas en 2024.
Évolution des prélèvements sur recettes
(en milliards d'euros)
RNB : revenu national brut. Ressource plastique : prélèvement sur les recettes de l'État au titre de la contribution déchets plastiques non recyclés. Compensation TFPB/CFE locaux industriels : prélèvement sur les recettes de l'État au titre de la compensation de la réduction de 50 % des valeurs locatives de taxe foncière sur les propriétés bâties et de cotisation foncière des entreprises des locaux industriels. FCTVA : fonds de compensation de la taxe sur la valeur ajoutée. DGF : dotation globale de fonctionnement.
Source : commission des finances, à partir des documents budgétaires
Sur le long terme, toutefois, ce prélèvement sur recettes suit une tendance à la hausse.
Évolution à long terme du
prélèvement sur recettes
à destination de l'Union
européenne
(en milliards d'euros de 2025)
Source : commission des finances, à partir des documents budgétaires. Montants actualisés selon l'indice des prix hors tabac
Or cette hausse pourrait être accentuée à compter de 2028, en raison de la nécessité de rembourser l'emprunt européen contracté au titre de la facilité pour la reprise et la résilience (FRR).
Ce remboursement, qui participe au co-financement des plans de relance nationaux, devait à l'origine sur la mise en place de ressources propres en application de l'accord interinstitutionnel du 16 décembre 2020124(*). Or aucun accord définitif n'est encore intervenu et la mise en place de ces ressources n'est pas garantie, pas plus que leur rendement. En outre, la hausse des taux d'intérêt va nécessairement renchérir le coût des emprunts réalisés par la Commission européenne.
La Cour des comptes que, en l'absence d'accord, la hausse de la contribution de la France serait de l'ordre de 2,5 milliards d'euros par an à compter de 2028125(*).
Les prélèvements sur recettes à destination des collectivités territoriales, qui regroupent plus de trente prélèvements différents, seraient de 44,2 milliards d'euros, en diminution de 752 millions d'euros.
Si la dotation globale de fonctionnement (DGF) est stable à 27,2 milliards d'euros, le FCTVA serait recentré sur les dépenses d'investissement, avec un taux abaissé (article 30 du projet de loi de finances), d'où une diminution de 352 millions d'euros du PSR associé afin d'associer les collectivités à l'effort de redressement des comptes publics. En revanche, les dotations de soutien à l'investissement local de droit commun sont maintenues à un niveau élevé de 2 milliards d'euros en autorisations d'engagement et 1,8 milliard d'euros en crédits de paiement.
III. L'ANNÉE 2025 DEVRA FAIRE LE PREMIER PAS VERS LA MAÎTRISE DES DÉPENSES DE L'ÉTAT
A. PANORAMA DES DÉPENSES DE L'ÉTAT
Les dépenses de l'État peuvent être appréciées sur plusieurs périmètres.
Les dépenses brutes, c'est-à-dire les crédits de paiement ouverts aux ministres, sont dans le projet de loi de finances pour 2025 de 594,0 milliards d'euros en crédits de paiement sur le budget général, de 2,5 milliards d'euros sur les budgets annexes, de 80,8 milliards d'euros sur les comptes d'affectation spéciale et de 145,7 milliards d'euros sur les comptes de concours financiers126(*).
Les dépenses nettes du budget général, comptabilisées à l'article d'équilibre du budget127(*), s'entendent hors remboursements et dégrèvements d'État128(*). Leur montant est de 451,3 milliards d'euros en projet de loi de finances pour 2025.
Certaines de ces dépenses étant considérées comme contraintes à court terme, il est d'usage de considérer les dépenses des missions du budget général hors remboursements et dégrèvements et hors contributions au compte d'affectation spéciale « Pensions », comme le fait le Gouvernement dans le dossier de presse du projet de loi de finances.
Il apparaît alors que la mission « Enseignement scolaire » est la première mission du budget général, mais qu'elle est suivie de près en 2024 par la mission « Engagements financiers de l'État », qui comprend principalement la charge de la dette et le programme d'amortissement de la dette Covid.
Crédits des missions du budget
général en crédits de paiements,
hors contributions
aux pensions et hors remboursements et dégrèvements
(en milliards d'euros)
Source : commission des finances du Sénat, à partir des données transmises par le Gouvernement
La loi de programmation des finances publiques pour 2023-2027 définit le « périmètre des dépenses de l'État », sur lequel est fixé un objectif de maîtrise des dépenses : crédits du budget général, des budgets annexes et des comptes spéciaux (hors remboursements et dégrèvements, dépenses liées à la dette et participations financières de l'État), montant cumulé des plafonds de taxes affectées à des tiers et prélèvements sur recettes129(*). Sur ce périmètre, le montant des dépenses est de 490 milliards d'euros dans le projet de loi de finances pour 2024, soit une diminution de 2,4 milliards d'euros à champ constant par rapport à la loi de finances pour 2024.
La présentation la plus large de l'effort de l'État en faveur des politiques publiques portées par les missions a été introduite par la révision de la loi organique en date du 28 décembre 2021. L'état F annexé au projet de loi de finances regroupe désormais les moyens globaux alloués à chaque mission, c'est-à-dire qu'aux crédits budgétaires sont ajoutés l'ensemble des moyens contribuant aux politiques publiques visées par la mission : fonds de concours, dépenses fiscales, ressources affectées aux opérateurs, prélèvements sur recettes130(*).
Une telle présentation souligne par exemple l'importance du financement apporté aux collectivités territoriales par l'intermédiaire des prélèvements sur recettes, le rôle majeur des taxes affectées dans le financement des politiques du travail et de l'emploi, des crédits des opérateurs dans la recherche et l'enseignement supérieur, ou encore des dépenses fiscales pour de nombreuses missions.
Moyens globaux alloués aux missions du
budget général,
hors dépenses des comptes
spéciaux et remboursements et dégrèvements
(en milliards d'euros)
Source : commission des finances, à partir de l'état F annexé au projet de loi de finances. Montants hors contributions des comptes spéciaux et hors remboursements et dégrèvements131(*).
B. LE BUDGET 2025 PRÉVOIT DES MESURES DE MAÎTRISE DE LA DÉPENSE QUI DEVRONT ÊTRE RENFORCÉES AU COURS DES DÉBATS PARLEMENTAIRES
1. Le projet de loi procède à des économies ciblées en préservant les missions prioritaires
Sur les 33 missions du budget général (hors mission « Remboursements et dégrèvements »), 11 connaissent une hausse de leurs crédits supérieure à 0,1 milliard d'euros (contre 16 dans le projet de loi de finances pour 2024) et 16 une diminution supérieure à 100 millions d'euros (contre 7 dans le projet de loi de finances pour 2024).
Seules les missions « Défense » et « Écologie, développement et mobilité durables » connaissent une hausse supérieure ou égale à 1 milliard d'euros, alors que c'était le cas de sept missions l'an passé.
Les crédits de la mission « Défense » augmentent ainsi de 3,3 milliards d'euros, conformément à la loi de programmation militaire 2024-2030132(*). De même, les crédits de la mission « Sécurités », en hausse de 0,6 milliard d'euros, contribuent à la mise en oeuvre de la loi de programmation relative aux moyens du ministère de l'intérieur133(*).
En revanche, la trajectoire de hausse des crédits est ralentie pour deux autres missions également couvertes par des lois de programmation : + 0,1 milliard d'euros au lieu de + 0,6 milliard d'euros pour la mission « Justice »134(*), + 0,2 milliard d'euros au lieu de + 0,6 milliard d'euros pour la mission « Recherche et enseignement supérieur » (sur le périmètre de la loi de programmation135(*)). Le Premier ministre s'est toutefois engagé à proposer, en cours de débats, un rehaussement des crédits de la justice.
Ceux de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » progressent notamment parce que la baisse des prix de l'électricité conduit à prévoir une très forte augmentation (+ 4,6 milliards d'euros) du coût du soutien aux énergies renouvelables et au service public de l'énergie. Cette augmentation marque la volonté de maintenir un soutien fort aux politiques portées par cette mission, qui a eu la plus forte progression de crédits parmi les missions du budget général entre 2017 et 2024.
Évolution des crédits des missions
entre la loi de finances initiale pour 2024
et le projet de loi de
finances pour 2025
(en milliards d'euros)
LPR : loi de programmation pour la recherche. Hors LPR : dont aides aux entreprises. FRR : programme temporaire lié au plan de relance136(*). Crédits hors remboursements et dégrèvements, hors contributions directes de l'État au compte d'affectation spéciale « Pensions ». Crédits de la loi de finances initiale pour 2024 au format du projet de loi de finances pour 2025.
Source : commission des finances du Sénat, à partir du dossier de presse
L'augmentation des crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », à périmètre constant137(*), de 0,6 milliard d'euros, s'explique principalement par une augmentation du même montant des crédits consacrés à l'allocation aux adultes handicapés (AAH) et à d'autres aides en faveur des personnes handicapées.
Enfin, la mission « Engagements financiers de l'État » voit ses crédits augmenter de 0,5 milliard d'euros par compensation de plusieurs mouvements : la charge budgétaire de la dette s'accroît de 2,8 milliards d'euros mais le coût des appels en garantie de l'État diminue de 0,9 milliard d'euros et les crédits consacrés au programme d'« amortissement » de la dette Covid sont inférieurs de 1,3 milliard d'euros à ceux de l'année 2024.
La diminution des crédits de la mission « Travail, emploi et administration des ministères sociaux »138(*) de 2,3 milliards d'euros doit s'apprécier après une hausse de 1,7 milliard d'euros en 2024. La diminution porte en particulier sur les crédits consacrés à l'alternance et sur la dotation budgétaire attribuée par l'État à France Compétences.
S'agissant de la mission « Investir pour la France 2030 », la mobilisation de la trésorerie des opérateurs permet de réduire en 2025 les crédits de paiement de 1,9 milliard d'euros, ce qui aurait dû être mieux anticipé comme l'ont fait observer les rapporteurs spéciaux de la mission139(*).
Les crédits de la mission « Aide publique au développement », déjà affectés par le décret d'annulation du 21 février 2024 (- 0,7 milliard d'euros), sont également en baisse de 1,3 milliard d'euros, à périmètre constant140(*). Si les dépenses qui relèvent d'engagements pluriannuels, notamment les contributions internationales, sont préservées, toutes les dépenses discrétionnaires et pilotables sont affectées. Cette baisse pourrait être complétée par une baisse supplémentaire de 0,6 milliard d'euros, selon l'annonce faite par le Gouvernement le 28 octobre 2024.
La diminution des crédits de la mission « Plan de relance » n'a qu'une portée limitée car cette mission est surtout financée par des reports de crédits en 2025. Quant à celle de la mission « Santé », elle est due à la fin du transfert à la Sécurité sociale des crédits attribués par la facilité pour la reprise et la résilience (FRR) dans le cadre du plan de relance européen.
2. Le nouveau Gouvernement met enfin l'accent sur la maîtrise des dépenses des opérateurs
L'an passé, une étude commandée à l'Inspection générale des finances (IGF)141(*) avait fait état une augmentation très importante de la trésorerie des opérateurs : elle atteignait 56,6 milliards d'euros à la fin 2022, contre 33,8 milliards d'euros en 2019, soit une hausse de 22,8 milliards d'euros en 3 ans (+ 67,5 %).
L'IGF identifiait notamment un excédent de trésorerie de 2,5 milliards d'euros sur les opérateurs relevant de plusieurs ministères et recommandait de réduire en conséquence les concours financiers de l'État.
Le précédent ministre de l'économie et des finances, après avoir indiqué sur le fondement de ce rapport que la moitié de cette trésorerie excédentaire serait récupérée dans le budget pour 2024142(*) n'avait proposé aucune mesure en ce sens dans le projet de loi de finances pour 2024.
Or, la maîtrise de la trésorerie des opérateurs n'est pas seulement un enjeu financier : son développement excessif est le signe d'un exercice insuffisant de la tutelle.
La Cour des comptes souligne l'insuffisance du pilotage stratégique des opérateurs143(*). Un opérateur disposant d'une trésorerie excessive peut exercer son activité en sollicitant moins souvent sa tutelle, qui dispose d'une information et d'un contrôle moindres sur son activité. Pourtant un opérateur public n'a généralement pas besoin, contrairement à une entreprise privée indépendante, de disposer d'une trésorerie particulièrement abondante, car l'État peut toujours lui apporter des fonds nouveaux s'il en démontre la nécessité.
Il convient donc d'approuver la volonté du présent Gouvernement de mettre enfin en oeuvre des mesures de maîtrise des dépenses des opérateurs.
Le projet de loi de finances prévoit, dans son article 33, un prélèvement de 450 millions d'euros sur la trésorerie du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), qui atteint plus de 800 millions d'euros. En outre, le projet d'économies supplémentaires présenté le 28 octobre inclut un effort des opérateurs, concernés par l'effort transverse sur les ministères mais aussi, de manière spécifique, par des prélèvements de trésorerie et une baisse de taxe affectée à hauteur de 260 millions d'euros.
Les amendements de réduction des ressources
des opérateurs
présentés par le
Gouvernement
Lors de l'examen du projet de loi de finances par l'Assemblée nationale, le Gouvernement a présenté des amendements tendant à :
- minorer de 60 millions d'euros du plafond d'affectation d'accise sur les énergies à l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) ;
- prélever 130 millions d'euros sur le produit des taxes et redevances perçues par les agences de l'eau ;
- prélever 70 millions d'euros sur les ressources de l'Institut national de la propriété industrielle (INPI).
Source : commission des finances, à partir des amendements déposés par le Gouvernement
3. Ces économies doivent permettre de clore la période du « quoi qu'il en coûte »
Si les économies prévues par le projet de loi de finances se confirmaient en exécution, elles marqueraient une diminution des dépenses nettes de l'État, hors charge de la dette et mission « Audiovisuel public »144(*), de 2,4 %, ce serait très significatif, la diminution des dépenses constatée au cours des années précédentes étant due au retrait progressif des dispositifs exceptionnels mis en place pendant la crise sanitaire.
Les dépenses nettes du budget de l'État sont en effet de 457,4 milliards d'euros, y compris fonds de concours, soit une augmentation de 4,2 milliards d'euros en euros courants mais une diminution de 1,1 % en euros constants, compte tenu d'une prévision d'inflation de 1,8 % en 2025.
En retranchant les crédits consacrés à la charge de la dette (en hausse de 2,7 milliards d'euros145(*)) et ceux de la mission « Audiovisuel public » qui constituent un accroissement de périmètre (4,0 milliards d'euros), les dépenses nettes sont en diminution de 2,5 milliards en euros courants, soit une diminution de 2,4 % en euros constants.
Évolution en volume des dépenses
nettes du budget général,
hors charge de la dette et
Audiovisuel public, en euros constants
(en euros de 2025)
Source : commission des finances, à partir des lois et projets de loi de finances
Dépenses brutes moins remboursements et dégrèvements, hors programmes 117 « Charge de la dette et trésorerie de l'État (crédits évaluatifs) » et 355 « Charge de la dette de SNCF Réseau reprise par l'État (crédits évaluatifs) », actualisés en fonction de l'indice des prix harmonisé hors tabac. Tendance calculée par interpolation linéaire des moyennes sur trois ans calculées en 2012 et en 2018.
Les dépenses repasseraient ainsi, en 2025, en-dessous du niveau que l'on obtiendrait en prolongeant la tendance des années antérieures à la crise sanitaire. L'année 2025 marquerait une rupture avec la période précédente, marquée par une forte hausse des dépenses, qui restait réelle même après la fin de la crise sanitaire.
Il ne pourra cependant s'agir que d'une première étape, car le niveau des dépenses antérieur à la crise sanitaire était déjà très élevé et les transferts de fiscalité décidés depuis une dizaine d'années devraient nécessairement conduire à réaliser des économies sur les dépenses afin de réduire le déficit à un niveau de 3 % en 2029, objectif fixé par le Gouvernement.
4. Malgré tout, le poids des engagements passés contraindra les dépenses futures, limitant la marge de manoeuvre du Gouvernement
La loi organique relative aux lois de finances a instauré un principe de justification des crédits demandés « au premier euro », alors que la loi de finances distinguait auparavant les « services votés » des autorisations nouvelles, ces dernières faisant l'objet d'un examen plus approfondi.
Les dépenses n'en sont pas moins contraintes, ou en tout cas orientées, par de nombreuses rigidités. Il est par exemple presque impossible, sauf modification législative, de piloter réellement des dépenses de guichet telles que les aides personnelles au logement (APL) ou l'allocation aux adultes handicapés (AAH). Les dépenses de personnel, et tout particulièrement celles relatives aux pensions, ne sont, elles aussi, que peu maîtrisables d'une année sur l'autre.
En outre, une série de lois de programmation récentes ont tendu à réduire les marges de manoeuvre de l'État en décidant plusieurs années à l'avance l'augmentation des crédits consacrés à certaines politiques jusqu'en 2027 (justice146(*) et intérieur147(*)) ou 2030 (défense148(*) et recherche149(*)). En application de ces lois, les crédits de ces quatre missions augmenteraient de 19,4 milliards d'euros d'ici à 2029, ce qui accroît d'autant les économies à réaliser sur les autres politiques pour revenir à un ratio de déficit public par rapport au PIB de 3 % d'ici à cette date.
Dépenses supplémentaires
prévues par les
lois de programmation sectorielles par rapport
à 2024
(en milliards d'euros)
Source : calculs commission des finances, à partir des lois de programmation sectorielles
Ces lois constituent toutefois des engagements politiques plus que juridiques : en application du principe d'annualité budgétaire, elles ne peuvent pas s'imposer aux lois de finances postérieures.
En revanche, les restes à payer constituent des engagements juridiques. Ils correspondent aux crédits de paiement qui devraient être ouverts dans les années à venir en application des autorisations d'engagement consommées au cours des années passées. Ils constituent un indice des dépenses futures qu'il sera difficile d'éviter, par exemple des travaux dont le marché a été attribué mais dont l'exécution n'est pas encore terminée.
Le montant global des restes à payer, hors programme 369150(*), est passé de 118,5 milliards d'euros à la fin 2017 à 220,5 milliards d'euros à la fin 2023, soit une augmentation de 86,0 %.
Près de la moitié des restes à payer concernent la mission « Défense », résultant notamment de la mise en oeuvre de la loi de programmation militaire.
Évolution des restes à payer, hors programme 369
(en milliards d'euros)
Source : commission des finances, à partir des réponses au questionnaire du rapporteur général
Certaines missions ont également été créées selon un mode de gestion prévoyant une ouverture importante d'autorisations d'engagement au départ, puis une consommation de crédits de paiement s'étendant sur plusieurs années : Plan de relance (8,6 milliards d'euros de restes à payer) et Investir pour la France de 2030 (36,4 milliards d'euros). S'agissant de la mission « Plan de relance », la comparaison entre le niveau élevé des restes à payer et le niveau très faible des crédits de paiement ouverts par les dernières lois de finances (1,4 milliard d'euros dans la loi de finances initiale pour 2024, 0,2 milliard d'euros dans le présent projet de loi de finances) s'explique par un niveau élevé de crédits reportés qui permet de consommer des crédits bien supérieurs à ceux ouverts dans la loi de finances de l'année.
Quelle que soit la pertinence de ces ouvertures de crédit, dont certaines résultent de lois de programmation, force est de constater que les crédits soumis en principe à l'autorisation parlementaire sont, en pratique, de plus en plus contraints par des engagements passés, qui font échapper de fait le budget à son principe d'annualité.
L'examen des dépenses programmées pour les années à venir confirme l'augmentation tendancielle des dépenses, au-delà de l'inflation.
En application de la révision de la loi organique relative aux lois de finances du 28 décembre 2021, chaque projet annuel de performances présente désormais un échéancier triennal de dépenses pluriannuelles. Il en ressort que les dépenses des missions151(*) augmenteraient de 28,6 milliards d'euros de 2025 à 2027.
Cette augmentation concerne pour plus de la moitié les engagements financiers de l'État, c'est-à-dire principalement la charge de la dette.
Évolution des crédits des missions entre 2024 et 2026
(en milliards d'euros)
Source : commission des finances, à partir du fichier des dépenses pluriannuelles publié par la direction du budget. Seules les variations supérieures à + 700 millions d'euros ou inférieures à - 700 millions d'euros sont représentées.
5. Le programme d'« amortissement de la dette », maintenu par le projet de loi de finances, devra être supprimé dans un esprit de clarification de la gestion de la dette
Le programme 369 « Amortissement de la dette de l'État liée à la covid-19 » de la mission « Engagements financiers de l'État » a ouvert 165 milliards d'euros d'autorisations d'engagement en loi de finances pour 2022, soit le montant estimé de la dette supplémentaire contractée pour lequel ce programme tend à afficher une trajectoire de remboursement.
Ce montant a accru d'autant le montant des restes à payer, car le programme est assorti d'un mécanisme d'ouverture de crédits de paiement calculés chaque année en fonction du niveau de la croissance et d'un scénario de croissance prévisionnelle jusqu'en 2042. À la fin 2024, 150,1 milliards d'euros resteront encore à financer152(*).
Ces crédits sont versés au compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État » à partir duquel est réalisé le versement à la Caisse de la dette publique qui amortit des titres de dette. Ce mécanisme complexe, malgré les apparences, ne réduit en rien la dette de l'État. En fait, il accroît même comptablement son déficit budgétaire, puisqu'il conduit à ouvrir des crédits sur une mission budgétaire. La croissance du déficit, qui entraîne l'émission de titres de dette, est égale au montant des titres de dette annulés par la Caisse de la dette publique. L'effet est nul sur le stock de dette et conduit seulement à accélérer quelque peu le taux de rotation de la dette.
Dès la création de ce programme, le rapporteur général a considéré qu'un tel jeu à somme nulle ne se justifiait pas, la création de ce programme donnant à tort l'illusion qu'il réduisait la dette liée à la crise sanitaire. La Cour des comptes recommande également la suppression de ce programme, qui entretient une confusion entre opérations budgétaires et opérations de financement, sans effets réels sur la trajectoire d'amortissement de la dette de l'État153(*). Il suggère donc au présent Gouvernement d'y mettre enfin un terme.
C. LES EFFECTIFS DE L'ÉTAT ENTAMENT UNE DÉCRUE DE PLUS DE 2 000 EMPLOIS, EN RUPTURE AVEC LA HAUSSE IMPORTANTE DE LA PÉRIODE 2017-2024
1. Le projet de loi de finances marque une volonté de réduire les effectifs de l'État de manière ciblée sur certains ministères, qui devra être renforcée tout en maintenant une priorité aux effectifs nécessaires à la mise en oeuvre des lois de programmation
Dans le projet de loi de finances, les effectifs de l'État sont en diminution de 1 196 équivalents temps plein (ETP), diminution résultant à titre principal d'un schéma d'emplois en nette baisse à l'Éducation nationale (- 2 000 ETP), ainsi qu'au ministère du budget et des comptes publics (- 505 ETP).
Le schéma d'emplois de l'Éducation nationale est particulièrement marqué par une diminution de 3 815 emplois d'enseignants du 1er degré154(*), due à l'évolution de la démographie des élèves, tandis que 2 000 accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH) sont intégrés dans les effectifs.
Les recrutements se poursuivent aux ministères de la justice (+ 619 ETP, dont 305 personnels de surveillance dans les nouveaux établissements pénitentiaires, 125 magistrats de l'ordre judiciaire et 145 emplois dans le greffe) et des armées (+ 630 ETP, dont + 1 906 sur les personnels d'encadrement ou à compétences spécifiques, tandis que les militaires du rang sont en diminution de 519 ETP et les ouvriers de 657 ETP), permettant la poursuite de la mise en oeuvre des lois de programmation.
Évolution des effectifs dans les ministères et leurs opérateurs en 2025
(en équivalent temps-plein)
Source : commission des finances du Sénat, à partir du projet de loi de finances
S'agissant des opérateurs, les emplois diminuent également de 1 006 ETP.
Cette diminution porte notamment sur les opérateurs du ministère en charge du travail à hauteur de - 883 ETP, dont - 500 ETP pour France Travail et - 265 ETP pour l'Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA). Les opérateurs du ministère du Partenariat avec les territoires et décentralisation connaissent également une diminution de - 209 ETP, tandis que la mise en oeuvre de la loi de programmation de la recherche est soutenue par l'augmentation de 294 ETP dans les opérateurs.
Comme l'a indiqué le Gouvernement155(*), cet effort prévu dans le texte initial, compte tenu de la dégradation supplémentaire des comptes publics constatée depuis le mois de septembre, doit être encore renforcé au cours des débats, sur le périmètre de l'État comme des opérateurs.
2. Après une hausse quasi-interrompue depuis dix ans, la masse salariale diminue en euros constants
En 2025, le montant des charges de personnel sur le budget général (crédits de titre 2) serait de 157,1 milliards d'euros, contre 153,5 milliards d'euros en loi de finances initiale pour 2023. Sur ce montant, 50,1 milliards d'euros correspondent aux contributions au compte d'affectation spéciale « Pensions » et 106,9 milliards d'euros à la masse salariale.
La masse salariale est en augmentation de 780 millions d'euros en euros constants par rapport à celle prévue en loi de finances initiale pour 2024 (soit 106,1 milliards d'euros156(*)).
En l'absence de mesure générale importante, la hausse provient à la fois de l'impact sur 2025 des recrutements réalisés en 2024 ou en 2025 (schémas d'emplois), des mesures catégories et du glissement vieillesse-technicité.
Facteurs d'évolution de la masse salariale entre 2024 et 2025
(en milliards d'euros)
GVT : glissement vieillesse-technicité. Hors budgets annexes.
Source : commission des finances, à partir des réponses au questionnaire du rapporteur général
La masse salariale connaîtrait ainsi une diminution de 1,0 % en euros constants, après dix années de hausse quasi-ininterrompue.
Évolution de la masse salariale de l'État en euros constants depuis 2007
(en milliards d'euros de 2025)
Source : commission des finances, à partir des données des rapports sur le budget de l'État, des projets de loi de finances et des réponses aux questionnaires budgétaires. Masse salariale du budget général, hors contributions au compte d'affectation spéciale « Pensions »
La masse salariale est pourvue d'une certaine rigidité pour ce qui concerne les personnes en place, mais l'expérience des années 2007 et suivantes montre qu'il est possible de la faire baisser de manière significative en jouant sur les mouvements de départ et d'arrivée : 400 000 à 500 000 agents civils entrent et sortent de la fonction publics chaque année157(*), ce qui laisse une réelle marge de pilotage si une politique en ce sens est conduite de manière constante sur plusieurs années.
TRAVAUX DE LA COMMISSION
I. AUDITION DE MM. ANTOINE ARMAND, MINISTRE DE L'ÉCONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE, ET LAURENT SAINT-MARTIN, MINISTRE AUPRÈS DU PREMIER MINISTRE, CHARGÉ DU BUDGET ET DES COMPTES PUBLICS (11 OCTOBRE 2024)
Réunie le vendredi 11 octobre 2024 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a entendu MM. Antoine Armand, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, et Laurent Saint-Martin, ministre auprès du Premier ministre, chargé du budget et des comptes publics, sur le projet de loi de finances pour 2025.
M. Claude Raynal, président. - Messieurs les ministres, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, nous avons le plaisir de recevoir ce matin et pour la première fois MM. les ministres Antoine Armand et Laurent Saint-Martin, qui viennent nous présenter le projet de loi de finances (PLF) pour 2025, délibéré hier soir en conseil des ministres. Je vous adresse à l'un comme à l'autre la bienvenue et, pour commencer, mes voeux de réussite. Je vous souhaite aussi bonne chance pour l'examen de ce budget. Sans partager votre ligne politique, je crois que vous en aurez toutefois besoin !
En effet, ce budget a été préparé, si j'ose dire, à la « va-vite », du fait de circonstances que vous ne maîtrisez pas et qui sont essentiellement du ressort du Président de la République. Malgré cette précipitation, il nous parvient avec un important retard, plus d'une semaine après le délai limite de dépôt du PLF prévu par la loi organique relative aux lois de finances (Lolf) au premier mardi d'octobre. Autant de jours en moins pour l'examiner correctement au Parlement.
Si notre réunion porte sur le projet de budget, il vous est permis d'aborder, si vous le souhaitez, le plan budgétaire et structurel de moyen terme (PSMT), sur lequel le président du Haut Conseil des finances publiques (HCFP) est également revenu ce matin puisque cette instance a rendu son avis sur ce plan qui doit être transmis à Bruxelles fin octobre.
En effet, les sujets sont liés, puisque ce budget est la première étape de ce plan budgétaire pluriannuel. Ainsi se fonde-t-il sur un scénario macroéconomique pour 2025 que le Haut Conseil trouve « dans l'ensemble fragile » et assis sur une prévision de croissance « un peu élevée ». Sans doute pourrez-vous apporter des éléments de réponse sur ces points.
Je vous rappelle que cette audition est retransmise sur le site internet du Sénat ainsi que sur les comptes de réseaux sociaux du Sénat.
M. Antoine Armand, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. - Je vous remercie pour vos salutations républicaines et je forme des voeux de réussite pour les prochaines semaines de travail sur ces textes budgétaires, dans des circonstances exceptionnelles et qui nous contraignent toutes et tous. Je suis très heureux, avec mon collègue Laurent Saint-Martin, de pouvoir vous présenter ce PLF pour 2025, répondre à vos questions et ainsi entamer le parcours législatif de ce projet de loi.
De manière préliminaire, je voudrais partager avec vous le sentiment et le constat que notre pays se trouve dans une situation inédite et à un moment pivot. Nous sortons d'une crise sanitaire sans précédent et avons traversé une crise énergétique majeure, tandis que la guerre est aux portes de l'Europe, pesant directement sur le continent et sur notre économie. De la même manière, l'escalade au Proche-Orient et au Moyen-Orient fait peser des risques sur le tissu économique européen.
Dans ce contexte, la croissance européenne subsiste, après avoir été relancée au moyen d'investissements publics massifs. Sur l'ensemble du continent, cette croissance reste néanmoins atone : nos économies sont confrontées à un risque d'affaissement productif qui leur fait courir un risque d'effacement face à l'interventionnisme agressif de nos concurrents, notamment celui de la Chine et des États-Unis. Ce ralentissement devra inspirer un agenda de compétitivité nouveau au niveau européen, car, sans une meilleure coordination de nos politiques macroéconomiques et industrielles, sans une défense ferme et résolue de notre tissu productif et industriel, sans un investissement massif - à la fois privé et public - dans l'industrie et dans les transitions écologique et numérique, les économies européennes risquent d'être condamnées.
Dans ce contexte, la France résiste relativement bien, avec une croissance plus élevée que la moyenne des autres pays de la zone euro. L'Insee vient d'ailleurs de relever de 0,1 point la prévision de croissance pour le quatrième trimestre 2024, avec une croissance estimée à 1,1 % pour cette année. De plus, le chômage de masse n'est plus le fléau que nous avons connu, le taux de chômage étant même proche de son plus bas niveau depuis quarante ans, à 7,3 %. S'y ajoute un nombre d'ouvertures d'usines supérieur à celui du nombre de fermetures depuis 2016, d'où un gain de 130 000 emplois nets dans l'industrie depuis 2017. S'y ajoute le fait que nos exportations augmentent et que notre pays est le plus attractif de la zone euro en matière d'investissements directs étrangers, tandis que l'inflation continue à refluer : supérieure à 4,5 % l'an passé, elle devrait être inférieure à 2 % en 2025.
Nos fondamentaux économiques sont donc solides, grâce à une série de réformes conduites depuis 2017 et à l'action déterminée des gouvernements qui se sont succédé, parmi lesquelles la baisse des impôts de 60 milliards d'euros - moitié pour les ménages, moitié pour les entreprises - ; les réformes du droit du travail et de l'assurance chômage, à la fois pour viser le plein emploi et pour s'assurer que le travail paie mieux ; la réforme des retraites et la progression du taux d'emploi des seniors ; les efforts consentis en faveur de la recherche et de l'enseignement supérieur ; le développement de l'apprentissage, avec, à la clé, un record du nombre d'apprentis dans notre pays. Nous avons également fait voter un certain nombre de lois de transformation et de simplification de l'économie, une dynamique que nos entrepreneurs, quelle que soit la taille de leur société, souhaitent voir poursuivie. Est-ce suffisant ? Évidemment non. Faut-il continuer ? Évidemment oui.
L'économie française résiste, c'est un fait, mais notre dette publique est colossale. En 2024, elle devrait s'établir à 3 300 milliards d'euros, soit près de 113 % du PIB. Cette dette résulte de cinquante budgets nationaux en déséquilibre et d'une dépense publique qui a augmenté quasiment chaque année au cours des dernières décennies ; elle est également la conséquence de la réponse massive que la représentation nationale a souhaité apporter aux crises financière, sanitaire et énergétique.
Cependant, la dette n'est pas uniquement une question financière, elle est aussi une question politique, économique et sociale. Elle représente d'abord un enjeu de souveraineté, car si nous ne pouvons plus nous financer à des taux raisonnables sur les marchés, nous ne pourrons pas continuer de préparer l'avenir et de maîtriser nos déficits. Elle constitue ensuite un enjeu de crédibilité, car nous sommes, je le rappelle, le troisième pays le plus endetté de la zone euro. C'est pourquoi ce budget est le premier d'une série qui vise à repasser, en 2029, sous le seuil des 3 % de déficit, comme l'a annoncé le Premier ministre. Ce seuil n'a rien d'un dogme, mais il nous permettra de stabiliser notre dette et de fixer un horizon de désendettement.
Enfin, la dette est une question économique et sociale. Nous paierons en effet plus de 50 milliards d'euros d'intérêts de la dette cette année et, si rien n'est fait, cette charge de la dette deviendra le premier poste de dépenses de l'État. Concrètement, cela signifie que nous dépenserons plus d'argent pour rembourser les seuls intérêts que pour l'éducation, la sécurité ou le tissu socio-économique : je crois que nul ne peut s'y résoudre.
Une telle situation implique de bousculer nos pratiques et notre façon de dépenser l'argent public, ainsi que d'agir collectivement pour redresser nos comptes.
Le premier objectif de ce budget et de la trajectoire qui l'accompagne, conformément à la volonté du Premier ministre et en lien avec mon collègue Laurent Saint-Martin, consiste à réduire notre déficit et à contenir notre endettement dès cette année. Il s'agit d'une nécessité afin de protéger la signature de la France et d'assurer notre stabilité économique, à un moment où l'ensemble de nos partenaires européens nous regardent avec attention. Les questions budgétaires ont en effet été abordées au cours des réunions de l'Eurogroupe et du conseil Ecofin qui se sont tenues en début de semaine : si les prévisions de nos partenaires se réalisent - nous avons de bonnes raisons de penser que tel sera le cas -, nous serons le seul pays à dépasser les 3 % de déficit à partir de la fin de l'année 2026.
Nous devons donc nous interroger en profondeur sur l'ensemble de nos dépenses publiques : si nous dépensons davantage dans les services publics, les citoyens n'en sont pas plus satisfaits pour autant. Parmi les nombreux leviers que nous aurons à actionner à court et à moyen terme figurent la simplification et la réforme de l'État ; la maîtrise de la dépense de l'État, de la dépense sociale et de la dépense locale ; ainsi que la maîtrise de l'ensemble des emplois publics.
Ce budget doit aussi protéger nos leviers de croissance et de transformation dans un monde où la France a engrangé un cumul de croissance de près de trois points depuis 2019, contre 0,3 % pour une Allemagne qui n'a donc pas pu tirer la croissance au niveau européen. L'effort que nous consentons est important et nous permettra d'atteindre un déficit de 5 % en 2025, un point d'ancrage vital pour notre crédibilité européenne et notre crédibilité sur les marchés, afin de convaincre que nous nous situons bien sur une trajectoire permettant de redresser nos comptes, avec un déficit qui devra être de 3 % d'ici à 2029.
C'est pour cette raison que nous voulons faire porter l'essentiel de cet effort sur la baisse des dépenses plutôt que sur la hausse des prélèvements obligatoires. Ces efforts temporaires doivent être accompagnés de réformes profondes devant permettre d'améliorer l'efficacité de la dépense publique française, qui est la plus élevée de l'Union européenne. Si certaines de ces réformes sont d'ores et déjà inscrites dans ce projet de budget, d'autres devront venir en complément dans les prochaines semaines, afin de montrer que la France continue à améliorer à la fois l'efficacité de sa dépense et son système de soutien à l'emploi et à l'industrie. En liaison avec Guillaume Kasbarian, ministre de la fonction publique, de la simplification et de la transformation de l'action publique, ainsi qu'avec Laurent Saint-Martin, nous engagerons un plan de simplification et de modernisation du service public visant à produire des gains durables d'efficacité tout en maintenant et en améliorant la qualité du service rendu aux usagers.
Je souhaite également que nous puissions améliorer la qualité de nos prévisions et du suivi de nos comptes en y associant l'ensemble de la représentation nationale, un sujet que vous avez soulevé à plusieurs reprises. De nombreuses et légitimes interrogations ont émergé concernant les écarts de prévisions, autant en dépenses qu'en recettes, sur le budget de l'État, dès 2023 et plus encore en 2024 : il faut que toute la transparence soit faite sur ce sujet et que vous puissiez bénéficier de la totalité de l'information.
Une mission de l'Inspection générale des finances (IGF) consacrée aux causes des écarts constatés a rendu ses conclusions cet été : nous devons dès maintenant en tirer les conséquences opérationnelles, et je lancerai un plan d'action interne pour améliorer la qualité et la transparence des prévisions des finances publiques, sur la base des propositions de cette mission et d'un diagnostic actualisé sur les écarts apparus entre prévision et exécution en 2024. Je vous présenterai, à l'occasion d'un point d'étape d'ici à la fin de cette année, le renforcement de ces outils.
Ces diagnostics étant établis, j'en viens à la question des prélèvements, qui revêtiront, j'y insiste, un caractère transitoire, exceptionnel et ciblé, dans un pays qui détient déjà le record mondial du taux de prélèvements obligatoires. Je rappelle que les entreprises ont été fortement soutenues, à la fois face aux crises et dans leur croissance. C'est sur cette base que nous demandons aux plus grandes entreprises - celles dont le chiffre d'affaires est supérieur à 1 milliard d'euros et qui sont bénéficiaires - un complément exceptionnel sur leurs profits en 2025 et en 2026. Ce complément représentera 8 milliards d'euros pour 2025, 4 milliards pour 2026, et concernera 440 groupes. Considérable, cet effort est nécessaire pour atteindre l'ancre de 5 % de déficit dès 2025.
De la même manière, nous devons, en responsabilité, reporter la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), quand bien même nous n'avons pas changé d'avis sur cet impôt de production qui pénalise notre industrie dans la compétition internationale : sa baisse devra donc reprendre dans trois ans. Nous poursuivons également la trajectoire d'évolution du malus automobile, qui permet d'inciter les constructeurs français et étrangers à déployer une offre de véhicules propres. C'est avec ce même objectif de verdissement que nous proposerons par amendement une hausse de la taxe sur les billets d'avion, dont le périmètre inclura les jets privés. L'augmentation sera mesurée, mais il nous paraît normal que ceux qui voyagent beaucoup en avion contribuent davantage aux investissements que nous devons effectuer pour la transition énergétique et écologique.
En conclusion, même si l'outil fiscal nous apparaît nécessaire à court terme pour rétablir nos comptes publics, rester crédibles et préserver notre modèle social, nous conservons une doctrine de soutien ferme à l'activité et une politique de l'offre. Compte tenu du fait que ce budget est perfectible eu égard à ses délais d'élaboration, nous nous engageons à ce que chaque proposition documentée qui viserait à remplacer un euro de fiscalité par un euro d'économies soit instruite et retenue à chaque fois que c'est possible.
Nous sommes à la disposition de la représentation nationale pour améliorer autant que faire se peut ce PLF, dans le cadre d'un débat que nous espérons sincère et constructif.
M. Claude Raynal, président. - En vous écoutant, monsieur le ministre, j'ai eu l'impression d'entendre à nouveau votre prédécesseur, avec ce rappel de réussites très largement contestables et une absence d'explications sur l'état désastreux de nos comptes publics, à un niveau jamais atteint hors période de crise. Le Sénat est cependant prêt à vous éviter un rappel permanent des périodes passées : parlons de l'avenir.
M. Laurent Saint-Martin, ministre auprès du Premier ministre, chargé du budget et des comptes publics. - La présentation de ce budget s'effectue dans un calendrier inédit, avec du retard et les difficultés qui en découlent pour son examen au Parlement.
Avant de présenter le cadre de responsabilité et la méthode que nous entendons suivre, puis de détailler le contenu du budget, j'indique en toute transparence que le Gouvernement portera des propositions complémentaires au cours du débat. Compte tenu des contraintes de temps, et pour le dire de manière assez triviale, tout le texte n'y est pas. Vous remarquerez ainsi la différence entre le solde public visé en 2025 - 5 % - et l'ensemble des mesures en recettes et en dépenses présentes dans le texte. Par voie d'amendements, des compléments seront donc apportés, à la fois sur la baisse de la dépense publique et sur les recettes complémentaires.
S'agissant du cadre de responsabilité et de la méthode que nous vous proposons, je me suis engagé dès ma première audition à l'Assemblée nationale à tenir un discours de vérité, et je le tiens à nouveau devant vous : les deux textes financiers de cet automne, le PLF et le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2025, prévoient un effort de redressement de nos comptes publics à hauteur de 60 milliards d'euros, effort à la fois urgent et inédit par son ampleur. Je considère surtout que cet effort, qui représente deux points de PIB, est nécessaire pour ramener le déficit public à 5 %.
Monsieur le président, vous avez affirmé qu'il ne fallait pas se faire les avocats des gouvernements précédents, mais je crois qu'il ne faut pas non plus s'en faire les procureurs. L'enjeu consiste plutôt à évaluer l'effort financier que nous devons fournir afin de dessiner une nouvelle trajectoire permettant à notre pays de revenir sous le seuil des 3 % de déficit à l'horizon 2029. Cet objectif implique de franchir une première marche - très haute - d'un retour à 5 % de déficit dès 2025, ce qui équivaut à deux points de PIB compte tenu de l'augmentation tendancielle.
Nous devons tous être conscients de cet objectif, même si les voies et moyens pour trouver ces 60 milliards d'euros susciteront des divergences entre les différentes forces politiques, ce qui est tout à fait normal. Rappelons, malgré tout, que nous n'abordons pas ce défi sans élan, puisque les décrets d'annulations de crédits et la préparation des lettres plafonds constituent une base. En tout état de cause, nous ne devons pas compromettre cette trajectoire de réduction des déficits, qui est bien la priorité absolue : à l'intérieur de ce cadre de responsabilité, il existe un espace pour tracer collectivement un chemin et il appartient au Gouvernement de proposer des solutions pour atteindre l'objectif.
Le terme de « lignes rouges » a été très utilisé ces dernières semaines dès lors qu'il est question du budget. Pour ma part, je n'en ai qu'une : à la fin, le quantum d'efforts devra atteindre 60 milliards d'euros. Certains considéreront que cela doit davantage passer par des efforts fiscaux, tandis que d'autres privilégieront les économies budgétaires, dont acte, l'essentiel étant que nous ayons le même cap et partagions le même objectif final.
La proposition du Gouvernement vise à répartir l'effort entre deux tiers d'économies budgétaires et un tiers de nouvelles recettes, par le biais d'une fiscalité dont une bonne partie sera temporaire, exceptionnelle et ciblée. En résumé, nous nous sommes fixé une règle d'or : pour un euro de recettes nouvelles, il doit y avoir deux euros d'économies budgétaires, cette philosophie budgétaire nous semblant à la fois équilibrée, juste et nécessaire. Il n'est en effet pas question de casser les mécanismes qui ont bien fonctionné ces dernières années, à savoir une politique de l'offre, une diminution du chômage et une attractivité retrouvée. Il faudra donc faire preuve de vigilance quant aux effets de la fiscalité et assumer des baisses de dépenses publiques sans pour autant casser ou grever des services publics utiles à nos concitoyens.
L'effort de diminution des dépenses doit d'abord être porté par l'État, qui en assumera la moitié, soit environ 20 milliards d'euros. Plus précisément, 15 milliards d'euros sont déjà inscrits dans les lettres plafonds et 5 milliards d'euros seront ensuite proposés par voie d'amendements, auxquels s'ajoutera un effort de 1,5 milliard d'euros au niveau des opérateurs, là aussi par voie d'amendements. Il n'est en effet pas envisageable d'exiger une contribution de la part des collectivités territoriales sans que l'État montre l'exemple. Nous demandons à ces dernières un effort à hauteur de 5 milliards d'euros, un montant qui nous semble proportionné. Surtout, nous devrons trouver les voies et moyens pour le mener à bien de la manière la plus cohérente par rapport à la réalité des finances locales. Je serai ainsi très attentif à ce que leur hétérogénéité soit prise en considération de la façon la plus fine possible.
En outre, et même si ce n'est pas l'objet de ce texte, nous demanderons également des économies aux administrations de la sécurité sociale, en proposant de limiter à 2,8 % l'évolution de la dépense sociale, à un niveau qui restera de facto bien supérieur au niveau de l'inflation en 2025. Cette précision me permet d'anticiper la question portant sur la « casse sociale » ou sur le ralentissement trop brutal des dépenses sociales : il s'agit d'un nécessaire freinage à la suite d'évolutions trop rapides d'un certain nombre de dépenses, mais en aucun cas d'une cure d'austérité. Au contraire, les dépenses augmenteront, l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) devant ainsi être supérieur d'un point à l'inflation.
Je reviens sur les efforts demandés à l'État, en soulignant que nous voulons faire mieux avec moins, d'où le fait d'assumer la suppression d'aides ayant permis de protéger nos entreprises, nos concitoyens et nos territoires contre les crises successives. Il est bien question de retirer les boucliers tels que ceux qui ont été déployés pour éviter une flambée des factures d'électricité : une fois que l'inflation reflue et que les prix de l'énergie baissent d'autant, nous devons être en capacité d'arrêter de dépenser l'argent du contribuable pour protéger le pouvoir d'achat.
In fine, nous actons dans ce budget la fin du « quoi qu'il en coûte » mis en oeuvre en réponse aux crises sanitaire et inflationniste. Nous devons en outre réajuster les dispositifs de soutien à l'emploi, qu'il s'agisse de l'activité partielle, de l'apprentissage ou des diverses aides à l'emploi, à un moment où le chômage est au plus bas dans notre pays depuis quarante ans, ce dont il faut se féliciter. Un certain nombre de recalibrages de ces aides publiques devra d'ailleurs être mené à la lumière des conclusions de la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares).
Il nous faut également adapter les crédits aux besoins réels. Dans les différents services publics, le nombre des bénéficiaires va en effet évoluer naturellement et nous devrons donc adapter les moyens publics en conséquence, à la fois en crédits et en nombre d'équivalents temps plein (ETP). J'estime qu'il est temps d'abandonner le réflexe manichéen selon lequel un budget en hausse est un bon budget et un budget en baisse un mauvais budget.
Au contraire, un bon budget doit avant tout viser l'efficience de la dépense publique. Par exemple, les dépenses consacrées à l'apprentissage ont triplé pour atteindre environ 16 milliards d'euros depuis 2017, avec des résultats incontestables, mais une bonne gestion doit conduire à les réajuster. De la même manière, il existe trois différents outils d'aide aux véhicules propres, ce qui laisse à penser qu'il existe une marge de rationalisation et de diminution des coûts, même s'il faut poursuivre la démarche de transition.
D'autres rationalisations inscrites dans le PLFSS me semblent aller dans le bon sens, sans pour autant affecter la qualité de l'accès aux soins. Concernant les opérateurs, un esprit de réforme consistant à s'assurer qu'il n'existe pas de doublons me semble de bon aloi, tout comme le fait d'éviter de laisser subsister des trésoreries dormantes.
La réforme structurelle de nos dispositifs doit aussi permettre d'améliorer leurs effets économiques. De ce point de vue, les aides aux entreprises, notamment les allègements généraux de charges, doivent être examinées à l'aune des propositions relatives à la « désmicardisation » issues du rapport d'Antoine Bozio et d'Étienne Wasmer, ainsi qu'en fonction du freinage des aides de l'État qui paraissent nécessaires sur un quantum de près de 80 milliards d'euros d'allègements généraux. J'estime que nous pouvons avoir ce débat sans y voir la « casse » de la politique de l'offre ou de l'emploi dans notre pays.
Toujours au sujet de l'État, il nous faut savoir freiner avec courage certaines politiques publiques dont le coût a progressé trop fortement dans les années récentes par rapport aux moyens de l'État : tel est le cas de l'aide publique au développement (APD), en forte hausse depuis 2017, en vertu d'un engagement pris. Peut-on freiner l'augmentation de cette enveloppe sans qu'il s'agisse d'un reniement ? Je crois que oui.
En matière d'effectifs, il s'agit également de faire mieux avec moins. Là encore, point de rabot ou de coupes aveugles, mais bien une réflexion ligne à ligne en mettant en perspective les effectifs présents dans un certain nombre de ministères et d'opérateurs et le service public rendu. Nous procéderons à des hausses substantielles d'effectifs pour renforcer les fonctions régaliennes - la justice, les armées -, tandis que les effectifs du ministère de l'intérieur seront préservés. D'autres ministères connaîtront des baisses d'effectifs, à commencer par Bercy, tandis que la baisse du nombre de bénéficiaires conduira à une diminution d'effectifs au sein de France Travail.
Nous ne vous présentons donc pas une démarche à l'aveugle ou qui serait uniquement fondée sur le rabot : même si des baisses existent, elles émanent d'abord de réflexions autour de l'efficience de la dépense publique, autour des opérateurs et autour de réductions d'effectifs ne grevant pas la qualité de nos services publics.
En contrepoint, un tiers de l'effort portera sur la fiscalité, d'où une imposition renforcée pour les contribuables les plus fortunés, à qui il paraît légitime de demander une participation à ce redressement collectif des finances publiques.
En conclusion, je tiens à faire preuve de transparence sur les éléments du PLF susceptibles d'évoluer. Par exemple, le garde des sceaux a été clair quant à la nécessité de se rapprocher davantage de la loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice, demande qui paraît tout à fait cohérente avec l'accent mis sur le renforcement des fonctions régaliennes. Dans le domaine de la proximité territoriale, les dotations versées à La Poste et à l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) seront revues et réabondées par voie d'amendement afin d'assurer un maillage territorial plus fin. Nous proposerons également de rehausser les crédits dédiés au financement de notre patrimoine, tandis que la réduction de loyer de solidarité (RLS) sera maintenue en 2025.
En matière fiscale, nous proposerons, comme cela a été annoncé par le Premier ministre, une extension du prêt à taux zéro (PTZ) à l'ensemble du territoire pour tous les primo-accédants, même s'il faudra débattre plus précisément des conditions afin d'évaluer le coût du dispositif.
Enfin, je partage le souhait exprimé par le ministre de l'économie de vous rendre régulièrement compte des informations dont nous disposons sur les prévisions des finances publiques. De la même manière, le suivi des dépenses devra aussi faire l'objet de comptes rendus réguliers auprès de la représentation nationale.
Nous souhaitons sincèrement que ce texte puisse être enrichi, débattu et amendé, car ce budget est - sans doute plus que les autres - un budget de débat, au sein duquel plusieurs voies sont possibles, à l'opposé d'un budget « vertical ». Il convient cependant que nous convenions de la nécessité absolue de redresser nos comptes publics comme préalable à toute modification, car l'avenir de la souveraineté de notre Nation est en jeu quand nous débattons de notre endettement et de nos finances publiques.
M. Claude Raynal, président. - L'ouverture du principe de recettes nouvelles constitue un premier motif de satisfaction. Depuis la crise du covid, beaucoup ici annonçaient cette nécessité à terme et nous sortons enfin de l'hypocrisie, même si ceux qui sont, pour une large part, responsables de la situation actuelle de nos finances publiques osent encore fixer des « lignes rouges » quant à ces recettes nouvelles, pourtant indispensables.
Monsieur le ministre de l'économie, vous avez communiqué au HCFP une première mouture de la trajectoire associée au PSMT, pour l'instant très légère sur le plan de la documentation. Pourrez-vous nous transmettre des éléments plus fournis permettant de mieux comprendre ce PSMT ?
Monsieur le ministre du budget, la notion de « tendanciel » fait apparaître des niveaux variables de déficit et de baisses de dépenses. Pourriez-vous nous éclairer sur cette nouvelle base ?
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Messieurs les ministres, je vous souhaite la bienvenue dans un contexte aussi inédit que difficile.
Monsieur le ministre de l'économie, la France résiste, selon vous. Allons au bout du constat : si la France résiste, nos comptes publics dévissent dangereusement depuis le début de l'année et se dégradent à une vitesse folle. Sur les neuf mois qui se sont écoulés depuis l'adoption du budget pour 2024, le temps politique s'est lui aussi accéléré puisque nous avons connu trois Premiers ministres, ce qui est historique.
Si une feuille de route est possible, tâchons d'en partager les objectifs et, dans la diversité des sensibilités, de tenter de contribuer à tout ou partie de la réussite. Je ne fixe pour ma part aucune ligne rouge : nous ferons tout pour réduire le niveau de nos dépenses publiques, même s'il faudra, pour atteindre un total de 60 milliards d'euros, accepter une part d'effort en recettes qui, je l'espère, sera temporaire. Nous sommes en tout état de cause observés avec encore plus d'attention que par le passé.
Le contexte est également inédit en ce qui concerne les conditions d'examen de la loi de finances. Pour la première fois sous la Ve République, nous aurons en effet à débattre d'amendements susceptibles de modifier considérablement les équilibres du PLF. Une fois encore, nous ferons tout notre possible, car nous n'avons pas le droit de tricher avec les Français et encore moins avec leur argent, car la dépense publique, c'est l'argent des Français.
Vous évoquez un ajustement de 60 milliards d'euros en 2025, c'est-à-dire par rapport au solde public « à politique inchangée ». Ces 60 milliards d'euros ne proviennent pas d'une comparaison avec le solde 2024, mais avec le solde tel qu'il aurait été en 2025 si rien n'avait été fait. Est-ce à dire que le déficit public se serait élevé à 7 % du PIB en 2025, à politique inchangée ?
Ensuite, le ratio dette sur PIB rejoint le niveau atteint en 2020 : sa hausse, pour atteindre 112,9 % du PIB cette année, se poursuivrait l'année prochaine pour parvenir à 114,7 % du PIB. Je veux tout d'abord saluer la sincérité de ces prévisions : à la différence du gouvernement précédent, dont les prévisions changeaient environ tous les deux mois, vous dites la vérité aux Français.
Les conditions de financement de l'État deviennent, quant à elles, problématiques. En 2023 comme cette année, le déficit public a été plus élevé que prévu et, depuis juin dernier, les taux d'emprunt augmentent. On emprunte donc davantage et dans de moins bonnes conditions, tandis que la charge de la dette augmente fortement . Quelles mesures imaginez-vous afin de rompre ce cercle vicieux ?
En 2024, la loi de finances prévoyait un déficit à 4,4 %, tandis que le programme de stabilité anticipait 5,1 %. La prévision est désormais de 6,1 %, voire 6,3 % si l'on en croit une note interne de Bercy. Une partie de ce dérapage vient du fait que le Gouvernement n'a pas souhaité déposer de projet de loi de finances rectificative. Comment peut-on être certain que la prévision sera tenue ? Envisagez-vous de transformer les gels en annulations dans le projet de loi de finances de fin de gestion, ou bien de reporter encore des crédits de 2024 sur 2025 ?
Lorsque nous avons mené une mission flash pour comprendre le dérapage des comptes publics, votre prédécesseur avait trouvé une formule magique, la perfect storm - la tempête exceptionnelle - renvoyant à des erreurs de prévision de l'administration tout en promettant que cela ne se reproduirait plus. Mais la situation se poursuit ! Comprenez donc notre désarroi, notre inquiétude et mon agacement, parce que cela entache le travail du Sénat ; on peut en effet au moins reconnaître notre constance à pointer le risque de dérapage par la poursuite de mesures de crise, dont on paye aujourd'hui très lourdement le prix.
M. Antoine Armand, ministre. - Le PSMT sera présenté mardi prochain en conseil des ministres et fera ensuite l'objet d'une information complète au Parlement. Je puis néanmoins vous en dire quelques mots.
L'objectif est de passer nettement sous les 3 % en 2029, ce qui serait possible du fait de l'évolution des règles budgétaires européennes que nous avons adoptées récemment, et dont la France serait le premier bénéficiaire. Cela correspondrait d'ici là à un ajustement structurel primaire moyen d'un peu plus de 0,7 point de PIB par an, taux supérieur en 2025 et en moyenne annuelle à ce qu'exigent les règles de la Commission européenne telles que nous les interprétons. Ce n'est pas pour faire plaisir à une institution que nous nous désendettons et réduisons notre déficit pour passer sous la barre des 3 % ; nous le faisons pour les raisons que vous avez évoquées. Nous atteindrions en 2028 un point haut de la dette qui se réduirait à partir de cette date.
C'est assez rare pour le noter : l'effort porte d'abord sur les premières années, à rebours de ce qui se fait habituellement... Il faut, dès l'année prochaine, ancrer notre détermination à rétablir les comptes publics.
Monsieur le rapporteur général, nous n'appliquons pas une méthode particulière : les services travaillent sur le tendanciel, c'est-à-dire sur le niveau qu'atteindraient la dépense, les recettes et le déficit en l'absence de mesures. Écartons toute mauvaise interprétation : cela ne signifie pas que le déficit aurait été de 7 % avec le gouvernement précédent ou avec un autre gouvernement ; cela signifie qu'en l'absence de toute mesure le déficit aurait naturellement filé vers 7 %. C'est la preuve que lorsque nos dépenses publiques ont un rythme de croissance plus important que nos recettes, nous ne sommes plus maîtres de nos comptes publics...
M. Pascal Savoldelli. - Oui, c'est le chaos !
M. Antoine Armand, ministre. - Sur l'effet spirale que peut produire une augmentation du coût de la dette, je ne peux que vous rejoindre, surtout avec les chocs de taux d'intérêt que nous avons connus. Vous avez mentionné l'augmentation des écarts de financement avec un certain nombre de pays : nous nous finançons à dix ans - un des taux les plus importants - au même niveau que l'Espagne ; ce n'était pas le cas il y a quelques années. Notre écart avec l'Allemagne s'est accru sensiblement. Cela a un coût direct : à peu près 10 milliards d'euros - autant d'argent en moins pour réduire les déficits ou pour investir.
Les conditions de financement de la dette sont une préoccupation quotidienne du ministère de l'économie et des finances et de l'Agence France Trésor en particulier. Notre dette a une bonne liquidité, une bonne diversification et nous sommes arrivés à 90 % du programme d'émission. Mais cela n'enlève rien au fait que toute absence de signal clair de réduction du déficit public dans le budget adopté viendrait dégrader la confiance des marchés et des institutions dans notre capacité à nous financer durablement, ce qui aurait un impact direct sur notre propre déficit en retour.
Nous devons être transparents sur les prévisions : il y va de la confiance de la population et de la représentation nationale. Il est difficile de faire aujourd'hui le compte rendu exhaustif de tout ce qui s'est passé ; nous pourrons en reparler si vous le souhaitez. À ce stade, je puis vous dire qu'une évolution a pris par surprise les services et d'autres instituts, celle de l'élasticité des recettes à la croissance : notre croissance est visiblement plus pauvre en recettes fiscales que ce que nous pensions.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Pas de perfect storm, donc ! Cela me rassure.
M. Antoine Armand, ministre. - Un autre élément à prendre en compte, c'est notre capacité à nous remettre de la crise covid. Nous avons subi des pertes de PIB et l'élasticité des recettes au PIB a complètement changé. Nous cherchons à prévoir quand nous reviendrons à l'époque d'avant. Dans nos hypothèses sous-jacentes macroéconomiques, nous avons choisi un taux extrêmement prudent, validé par le HCFP. Mais étant donné ce qui s'est passé, je ne peux que vous dire cela avec beaucoup d'humilité et de transparence...
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Nous vous en savons gré.
M. Antoine Armand, ministre. - Ce sont nos estimations à date. Je vous tiendrai informés de notre capacité à mieux analyser et expliquer ce que je viens simplement de décrire et vous associerai à notre réflexion pour la suite.
M. Laurent Saint-Martin, ministre. - S'agissant du tendanciel, les vecteurs d'accélération de la dépense peuvent être l'inflation ou la hausse des taux d'intérêt. Certaines grandes masses sont responsables au premier chef de l'accélération de nos dépenses dites tendancielles : la revalorisation des retraites indexée au 1er janvier, par exemple, a un effet de 10 milliards d'euros, contre 14 milliards au 1er janvier 2024. La charge de la dette représente quasiment une hausse de 10 milliards - sur ce sujet, nous n'avons pas de frein ; d'où l'importance de savoir la refinancer le mieux possible. L'Ondam connaît une accélération de 10 milliards d'euros avant les mesures de freinage.
Même si nous ne parlons pas du PLFSS aujourd'hui, le Ségur de la santé équivaut à 30 milliards d'euros par an, même si je ne juge pas le fond, car cela comprend des revalorisations et des investissements.
Parler en tendanciel de ce quantum de 60 milliards d'euros nous permet d'assumer la technique de freinage nécessaire pour ne pas aller dans le mur, avec des déficits publics qui nous empêcheraient durablement non seulement de redresser nos comptes, et donc de respecter nos engagements, mais qui feraient surtout peser un véritable risque sur le refinancement de notre dette. Nous avons eu au Sénat la semaine dernière un débat sur le financement de la dette : le risque pesant sur la signature est un sujet extrêmement important. La charge de la dette ne doit pas devenir la problématique budgétaire numéro un.
Il faut donc freiner fort et le plus tôt possible pour entamer un processus qui permettra à la France de se désendetter ; nous n'y sommes pas encore : avec 5 % de déficit public l'an prochain, la dette continuera à augmenter. Faisons en sorte que la charge de la dette ne soit pas continuellement le premier poste de dépenses budgétaires.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Nous partageons cet objectif.
M. Laurent Saint-Martin, ministre. - C'est un enjeu majeur de souveraineté. Garder une qualité de signature, c'est aussi extrêmement important. Ce budget ne répond pas à tout : il nous faudra un agenda de réformes de structure. Les spécialistes en valeurs du Trésor (SVT) et les investisseurs qui observent la signature française regardent deux éléments en priorité : les principaux postes de dépenses d'une part - pourquoi notre dépense sociale est-elle supérieure de 5 points de PIB à celle de nos voisins ? Pourquoi la part des pensions est-elle si importante dans notre pays et comment régulons-nous son dérapage financier ? - et les réformes structurelles prévues d'autre part. Le freinage rassurera, mais ne sera pas totalement suffisant.
Monsieur le rapporteur général, oui, il y aura des annulations dans les 16 milliards d'euros de crédits qui ont été surgelés par le précédent gouvernement, mais pas la totalité, car c'est techniquement impossible. Il n'y aura pas de report.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Très bien.
M. Bernard Delcros. - Depuis de longues années, le groupe Union Centriste considère qu'on ne pourra pas redresser les comptes du pays en s'appuyant uniquement sur la réduction des dépenses. Lors du dernier projet de loi de finances, nous avons ainsi déposé de nombreux amendements visant à augmenter les recettes : progressivité différente de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus (CEHR), taxation des rachats d'actions, exit tax, contribution sur les superprofits, arbitrage des dividendes, ou report de la suppression de la CVAE. La plupart ont été adoptés par le Sénat, mais n'ont pas résisté à l'épreuve du 49.3. Vous reprenez un certain nombre de ces propositions ; nous les considérons évidemment de manière positive même si nous devons les examiner dans le détail.
À titre personnel, je ne suis pas complètement fermé à une participation des collectivités, mais sur la base d'une justice territoriale. De la même façon que nous sommes attachés au principe de justice fiscale, il faudrait établir, pour les collectivités, un principe de justice territoriale. Or parmi les trois principales mesures que vous proposez pour atteindre 5 milliards d'euros d'économies, la première est une baisse de deux points du fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA). En effet, la TVA étant payée sur le hors taxe, passer de 16,4 % à 14,8 % équivaut à une baisse de deux points. Une telle baisse uniforme pour toutes les collectivités, quelle que soit leur situation ou leur taille, ne nous paraît pas juste, en particulier pour les plus petites communes. Nous proposerons donc de revoir ce dispositif pour les collectivités concernées.
Vous proposez en outre de réduire l'éligibilité du FCTVA, excluant, par exemple, l'entretien de la voirie ; cela pénalisera encore les plus petites communes, notamment rurales, qui comptent 200 ou 300 habitants, mais ont 60 kilomètres de voirie à entretenir. Il faudra revoir cette mesure.
Par ailleurs, vous prévoyez une augmentation de la dotation globale de fonctionnement (DGF) à hauteur de 320 millions d'euros, comme l'année précédente, fléchée principalement sur la péréquation, une mesure que nous approuvons. Nous approuvons l'article 27 tel qu'il est rédigé.
Enfin, j'évoquerai un dernier point auquel j'attache personnellement beaucoup d'importance, à savoir la suppression de 4 000 postes d'enseignants dans le primaire, une mesure inacceptable en l'état. Certes, la démographie scolaire est en baisse, mais celle-ci n'est pas linéaire : un nombre moindre de quelques élèves dans une classe ne justifie pas sa suppression. Les élus et les acteurs du monde éducatif ont besoin d'avoir une visibilité à trois ans - c'est d'ailleurs inscrit en toutes lettres dans le plan France Ruralités. Je ne refuse pas toute suppression de postes d'enseignants, mais cela ne peut pas suivre une logique comptable.
Mme Vanina Paoli-Gagin. - Quel est votre chiffrage global de l'effort qui est demandé à nos universités ? Pouvez-vous être plus précis sur la non-compensation et l'augmentation du compte d'affectation spéciale (CAS) Pensions ? Quid du rabot sur la recherche ? Au moment où l'Europe est menacée d'un décrochage par rapport aux États empires qui déversent des trillions sur des technologies de rupture comme le quantique, l'intelligence artificielle (IA), les biotechnologies, l'ARN messager, est-ce le moment de faire des coupes ?
M. Pascal Savoldelli. - Merci, messieurs les ministres Renaissance : en vous écoutant j'ai l'impression de revivre la politique antérieure - il faut vous reconnaître cette cohérence.
Vous dites que tout va bien pour l'emploi. Le nombre de contrats de moins d'un mois a explosé de 18 % ; le marché du travail est gangrené par les sous-emplois - emplois occasionnels, uberisation... Vous gagneriez à un peu plus d'humilité, politiquement parlant, bien sûr.
J'ai fait un rapide calcul, mais peut-être me suis-je trompé... Les 30 milliards d'euros de prélèvements obligatoires supplémentaires que vous prévoyez ne porteront pas sur les plus riches, mais sur les autres. La contribution sur les revenus ne concernerait que 0,05 % des ménages, avec une ambition de 2 milliards d'euros. La surimposition des grandes entreprises sur leurs bénéfices ne représenterait que 8 milliards, mais après une baisse de 11 milliards : les bénéfices seront donc moins imposés qu'en 2019 ! Il faut prendre en compte le passif de votre précédente majorité.
Dès lors, qui paiera ? Augmentation des factures d'électricité ; du malus des véhicules neufs ; de la TVA sur les chaudières ; de la taxe sur les billets d'avion ; report de six mois de l'indexation des pensions de retraite sur l'inflation ; baisse de 4,9 milliards d'euros de l'Ondam qui pénalisera les assurés sociaux ; 6,3 milliards d'euros repris aux collectivités territoriales par différents mécanismes dont le plus brutal est l'article 64. Voilà la trajectoire ! Soit je me trompe, soit vous devez assumer ces choix-là.
M. Thomas Dossus. - Je ne rappellerai pas les péripéties qui privent ce budget de légitimité démocratique : vous nous présentez des orientations pour lesquelles personne n'a voté. Dans le dossier de presse, vous prétendez que c'est la hausse des dépenses qui a dégradé nos finances publiques ; je fais une analyse inverse : ce que nous payons aujourd'hui, c'est la note de sept ans de cadeaux fiscaux non compensés.
Vous sacrifiez l'écologie : rabot sur le fonds vert, sur la rénovation, sur les véhicules électriques, saignée dans le budget de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe)... Même l'électricité, pilier de la décarbonation, va être surtaxée. Le plan national d'adaptation dont on aurait tant besoin n'est pas financé. Chacun comprend que la dette financière passe avant la dette écologique.
Il y a une semaine, Michel Barnier nous assurait de sa confiance dans la qualité et l'engagement des enseignantes et des enseignants : 4 000 postes supprimés ! C'est une marque de confiance assez particulière, vous en conviendrez...
Vous attendez de nous 5 milliards d'euros d'économies en veillant à préserver les secteurs concernés par les lois de programmation : vous allez donc bien financer des nouvelles prisons et abonder le budget de l'armée. Mais, comme l'a observé Vanina Paoli-Gagin, en dépit de la loi de programmation de la recherche, il manquera deux tiers des financements prévus.
Notre illustre prédécesseur Victor Hugo disait : « Ouvrir une école, c'est fermer une prison. » Vous faites le choix inverse.
Michel Barnier a indiqué ne pas vouloir faire un budget sans les collectivités, ni contre les collectivités. Quand avez-vous discuté avec elles du coup de rabot de 3 milliards d'euros pour le fonds de précaution ? Dans le Rhône, par exemple, Vénissieux perdra 2,3 millions d'euros, alors que 34 % des habitants sont sous le seuil de pauvreté. Pensez-vous vraiment qu'une telle commune peut se passer de ces crédits pour ses services publics ? Est-ce de cette façon que vous voyez le changement de méthode, de dialogue avec les collectivités ?...
M. Antoine Lefèvre. - À l'inverse de Victor Hugo, je parlerai de la construction de prisons, en tant que rapporteur spécial de la mission « Justice ». J'ai bien entendu la nécessité de rester proche de la loi de programmation. Confirmez-vous que les crédits indiqués pour cette mission, soit 10,2 milliards d'euros, seront augmentés par un amendement gouvernemental à l'Assemblée nationale ?
La remise en cause des lois de programmation sectorielle qui a été évoquée concernera-t-elle les créations d'emplois prévues pour la justice, soit plus de 10 000 ETP jusqu'en 2027 ?
M. Grégory Blanc. - Ma première question porte sur la fiscalité verte et notre infrastructure budgétaire. Vous évoquez des évolutions cette année avec la fin du slogan « stabilité fiscale ». Selon moi, ce dont ont besoin les acteurs, c'est plutôt de visibilité. Des évolutions auront lieu parce que nous sommes dans une phase de transition écologique : le rendement de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) baissera, selon des études, d'un tiers d'ici à 2030 ; il faudra le compenser. Pour donner de la visibilité à l'ensemble des acteurs, comptez-vous, comme cela avait été prévu, créer une loi d'orientation et de programmation sur la transition écologique ?
Deuxième question : je suis très étonné qu'un certain nombre de départements soient concernés, dont le mien, qui ne dégage absolument pas d'épargne, mais qui sera sujet à une ponction de 15 millions d'euros. Cette somme correspond exactement au coût de la prise en charge des 300 enfants qui attendent actuellement une place sur décision de justice. Comment comptez-vous permettre aux départements d'assumer leurs compétences sociales alors qu'ils sont déjà à l'os ?
Troisième et dernière question : nous assistons à une baisse du fonds vert et des dotations aux collectivités. Or ces dernières doivent fournir les deux tiers de l'effort public en matière de transition écologique pour respecter la stratégie nationale bas-carbone (SNBC). Bercy me semble adopter une position quelque peu schizophrène : d'un côté, on affirme que les collectivités disposent de marges de manoeuvre en matière d'endettement ; de l'autre, il leur est reproché d'avoir trop emprunté, notamment pour 2024, considérant cela comme une source de déficit pour notre pays au sens des critères de Maastricht. Je souhaite entendre votre avis sur le discours à tenir à leur endroit, en particulier pour que celles-ci puissent subventionner la transition écologique et investir en ce sens. Doivent-elles s'endetter ou non ?
Mme Nathalie Goulet. - Sur la méthode, votre prédécesseur au budget acceptait de travailler en amont les amendements que nous souhaitions déposer. Qu'en sera-t-il ?
J'attire votre attention sur le faible nombre de dispositifs de lutte contre la fraude fiscale et contre la fraude aux finances publiques en général dans ce budget, sujets sur lesquels je travaille depuis un moment. Concernant les questions de contrôle, simplifier, oui, mais pas à n'importe quel prix. Vous disposez par ailleurs d'une marge de manoeuvre très importante s'agissant du contrôle des rescrits fiscaux et des réductions d'impôts liées aux dons aux associations : la Cour des comptes, dans un référé du 8 décembre 2020, évalue leur coût à 3 milliards d'euros ; l'arbitrage des dividendes représentant, quant à lui, également 3 milliards d'euros. Je forme le voeu que nous puissions travailler avec vos services sur ces sujets, sans doute pas à l'occasion de ce projet de loi de finances, qui va être examiné dans un délai très court, mais sur la durée. Nous devrons faire avancer ces questions qui me semblent essentielles dès lors que l'on demande des efforts à l'ensemble des Français.
M. Laurent Saint-Martin, ministre. - Concernant les collectivités territoriales, je répondrai de manière groupée. Oui, la justice territoriale est essentielle, et la proposition que nous faisons avec Catherine Vautrin, ministre du partenariat avec les territoires et de la décentralisation, est imparfaite, je le dis avec la plus grande humilité. Cependant, nous devons nous accorder sur la nécessité pour les collectivités de contribuer à l'effort. Une fois ce principe posé, le chemin pour y parvenir de manière juste est complexe, car nous sommes confrontés à des écueils partout. Le principe de donner à environ 450 collectivités la possibilité de participer au fonds de précaution dont nous avons proposé la mise en place, avec une gouvernance assurée par les collectivités, présente, certes, l'inconvénient de sanctionner les bons gestionnaires.
M. Olivier Paccaud. - Tout à fait !
M. Laurent Saint-Martin, ministre. - Il est donc loin d'être parfait. À l'inverse, une généralisation de cette contribution conduirait à demander à des collectivités qui n'en ont objectivement pas les moyens, comme les départements, d'y participer, dans un contexte difficile. Face à une telle hétérogénéité des finances locales, la solution idéale n'existe pas. Il faut trouver le meilleur compromis, et nous dialoguerons à ce sujet au cours du débat parlementaire. Je suis personnellement ouvert à ce que les trois dispositifs que nous avons proposés évoluent, sans réserve de principe, en particulier concernant les collectivités. J'ai entendu, et compris, que la baisse de deux points du FCTVA posait un problème sérieux pour de nombreuses collectivités, notamment en matière d'investissement local. Si ce n'est pas la meilleure solution, nous pourrons discuter d'un recours accru à l'écrêtement de la TVA ou de sa dynamique. L'essentiel est de s'accorder sur un cadre de responsabilité vis-à-vis des collectivités.
Une question portait sur les départements. Soyez rassurés concernant le fonds de précaution, au moins une vingtaine de départements en seront exclus : ceux dont la situation, entre la baisse des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) et l'augmentation des dépenses, ne permet pas de contribution. Nous devrons également discuter de la définition des 450 collectivités à même de contribuer à ce fonds. Si vous souhaitez rediscuter du périmètre, nous le ferons volontiers.
Monsieur Delcros, vous avez évoqué l'éducation nationale. Ne prenez pas ma réponse comme uniquement comptable et technocratique, mais partons des faits statistiques, tout en considérant les réalités territoriales. Sur les quatre à cinq dernières années, nous avons connu une baisse démographique de près de 350 000 élèves, et 97 000 en moins sont encore attendus à la prochaine rentrée. En bonne gestion, il est nécessaire de s'interroger sur les recrutements à effectuer en conséquence. Il s'agit simplement d'allouer au mieux les ressources de l'État face aux besoins. Je ne prétends pas que tout va bien, qu'il n'y aurait pas de classes surchargées ou de disparités territoriales, mais, en commission des finances, notre travail commun consiste à faire aboutir un texte octroyant des moyens, ministère par ministère, mission par mission. S'agissant des ETP de l'éducation nationale dédiés aux enseignants, nous devons les examiner à l'aune de la démographie des élèves.
Par ailleurs, nous respectons notre engagement quant aux accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH), avec l'embauche de plus de 2 000 d'entre eux, car c'est une nécessité constatée dans les établissements. Nous répondons ainsi à une réalité, qu'il nous revient également de confronter à la justice territoriale déjà évoquée, j'en conviens très volontiers.
La loi du 24 décembre 2020 de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l'enseignement supérieur n'est pas abandonnée. En toute transparence, la marche prévue pour 2025 ne sera pas respectée, seule la moitié de cette somme sera débloquée dans ce budget. Il s'agit néanmoins d'une augmentation. La mission apparaît en diminution en raison de la baisse des aides aux entreprises ; les crédits afférents à la loi de programmation augmentent encore de 250 millions d'euros - la moitié de la marche initialement proposée. Investir dans l'avenir reste une priorité, comme en témoigne la présence du programme France 2030, qui constitue également un investissement d'avenir nécessaire, malgré des efforts de lissage. La recherche ne connaît donc pas d'abandon, mais une poursuite de l'augmentation de ses moyens, dans le cadre de la loi de programmation que vous avez votée et qui est tout à fait nécessaire.
Monsieur Savoldelli, un effort collectif est nécessaire pour redresser les finances publiques. Toutes les administrations publiques et nombre de nos concitoyens seront mis à contribution, mais à des échelles très différentes. Je ne sais pas d'où vous tirez le chiffre de 0,05 %, son calcul m'intéresse. Selon nos estimations, 0,3 % des foyers pourraient être touchés par cette mesure, laquelle n'est d'ailleurs pas une taxe, mais un filet fiscal : il n'est pas normal que certains très hauts revenus français paient des taux moyens d'imposition de 3 % à 4 %. Nous allons donc mettre en place un seuil de fiscalité minimum sur l'impôt sur le revenu (IR) à 20 %, qui rapportera 2 milliards d'euros. C'est une question de justice fiscale.
Sur l'énergie, vous évoquez des choses très différentes : le retrait du bouclier tarifaire maintiendra néanmoins la baisse de la facture d'électricité pour nos concitoyens qui bénéficient des tarifs réglementés de vente d'électricité (TRVE). Certes, il provoquera une hausse de la taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité (TICFE), mais nous nous engageons à ce que la baisse des prix entraîne une diminution de la facture de 9 % à 10 % pour ceux qui sont au TRVE. C'est très important, car cela rend du pouvoir d'achat aux Français. Vous mentionnez également des mesures de fiscalité verte, comme le malus, qui sont des moyens de lutte contre les niches brunes. Il faut continuer à accompagner la transition écologique par la fiscalité, qui est un moyen d'incitation efficace ; à ce titre, le bonus-malus est une bonne mesure. Cela rejoint d'ailleurs la question d'une éventuelle loi de programmation posée par M. Grégory Blanc, que j'invite à échanger avec la ministre de la transition écologique à ce sujet.
Quant à moi, je me suis engagé à transmettre au Parlement, dans les tout prochains jours, la stratégie pluriannuelle de financement de la transition écologique.
M. Thomas Dossus. - Elle est déjà sortie dans la presse !
M. Laurent Saint-Martin, ministre. - Concernant la justice, nous augmenterons les crédits de la mission par voie d'amendements, c'est nécessaire et cela fait partie des priorités du Gouvernement sur lesquelles les Français nous attendent.
Sur le rapport entre Bercy et les collectivités locales, il faut sortir de la vision que vous évoquez, monsieur Blanc. Je vous rejoins sur un point : nous sommes parfois confrontés à des injonctions contradictoires, entre « investissez plus ! » puis « vous investissez trop ! ». Nous devons parvenir à rebâtir une relation de confiance mutuelle entre l'État - plus que Bercy - et les représentants des collectivités locales, en regardant vers l'avenir pour identifier les besoins en investissement local, en mettant fin aux compétences multiples sur les mêmes sujets et en repensant l'autonomie financière et fiscale, en relation avec l'imposition locale. Ces sujets ne seront pas réglés dans ce PLF, mais je suis ouvert à en débattre, avec la ministre du partenariat avec les territoires et de la décentralisation. C'est le bon moment pour relancer ces réformes.
Deux rapports intéressants sont sortis, les rapports Ravignon et Woerth, qui vont nous servir de base, car leurs conclusions sont très pertinentes. Les rapports du Sénat sur ces sujets sont également importants et vous me trouverez à vos côtés si vous souhaitez aborder la réforme de la décentralisation, qui constitue un véritable sujet de réforme structurelle.
M. Antoine Armand, ministre. - Pour répondre à Mme Goulet, la fraude fiscale et sociale est un enjeu majeur pour tous les défenseurs du pacte républicain. Le texte comprend deux dispositifs : l'un visant à empêcher les détenteurs de bons de souscription de parts de créateur d'entreprise (BSPCE) d'échapper à l'imposition en glissant ces bons, obtenus à titre de rémunération, dans des plans d'épargne ; l'autre concernant la déclaration à l'administration fiscale des opérations sur cryptoactifs, parfois utilisés de manière détournée. Je précise en outre que la trajectoire du malus automobile n'a pas changé : elle est pluriannuelle et a été construite avec les constructeurs pour offrir une visibilité industrielle, compte tenu des changements massifs en jeu.
Concernant la fiscalité et la stratégie pluriannuelle de financement de la transition écologique, je partage la préoccupation exprimée. Bercy a mis en place il y a quelques années un budget vert pour mieux catégoriser les dépenses ; je suis convaincu que nous pouvons aller plus loin, y compris sur la fiscalité, dans les années à venir, grâce aux outils portés par la représentation nationale au Sénat et à l'Assemblée.
Mme Isabelle Briquet. - La situation est particulièrement grave et l'effort doit être justement réparti. Pour autant, la part octroyée aux collectivités n'est pas acceptable en l'état, malgré les compléments que vous avez apportés. Nous en discuterons lors de l'examen du PLF, mais aujourd'hui, les collectivités seraient mises à contribution bien au-delà des 5 milliards d'euros annoncés : avec les prélèvements sur les douzièmes de fiscalité, la baisse de la fraction de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), la diminution du FCTVA, la réduction du fonds vert et la hausse des cotisations à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL), on dépasse déjà allègrement les 8 milliards d'euros.
Mon interrogation porte plus particulièrement sur la mesure prévoyant l'amputation de deux points du FCTVA. Celle-ci pénalisera grandement l'investissement des collectivités, avec des conséquences sur l'investissement local, les entreprises et l'emploi. En outre, elle est d'autant plus contestable qu'elle ne s'appliquera pas uniquement aux investissements à venir, mais également à ceux qui ont déjà été engagés, voire réalisés, compte tenu du décalage. Je souhaite donc obtenir des précisions sur vos intentions en la matière et sur les modalités d'application de cette mesure, si toutefois elle devait être mise en oeuvre.
M. Dominique de Legge. - Monsieur le ministre, permettez-moi une observation, une question et une suggestion. Tout d'abord, je vous le dis franchement, je ne pensais pas que vous reviendriez sur la chance que vous auriez d'hériter d'un tel bilan. Cela ne sert à rien, car personne ne croit véritablement à la qualité dudit bilan, sinon nous ne chercherions pas cet après-midi 60 milliards d'euros et vous n'auriez pas fait ce commentaire sur la difficulté de financer la dette. De plus, l'autosatisfaction conduit aux résultats des élections que nous avons connus. Si nous voulons avancer, si nous souhaitons que ce gouvernement réussisse, il est peut-être préférable de regarder vers l'avenir et de tourner la page du passé. J'espère que vous partagerez cette conviction personnelle et que, un jour, vous la comprendrez.
Concernant les collectivités territoriales, j'avais compris que l'effort serait évalué au prorata de leur importance dans la dépense publique. Sans faire de comptes d'apothicaire, je note que, à ce stade, la part des collectivités territoriales représente 8 % des dépenses alors qu'on leur demande près de 12 % de l'effort. Il me semble qu'un correctif est nécessaire ; à défaut, cela accréditerait la thèse selon laquelle les collectivités seraient plus responsables que l'État de la situation actuelle.
Vous avez évoqué votre volonté d'examiner les amendements et les propositions du Parlement. Cette volonté irait-elle jusqu'à reposer la question de la taxe d'habitation, dont la suppression a coûté 20 milliards d'euros qui n'ont pas été financés autrement que par le déficit public ? Cela permettrait non seulement de trouver 20 milliards, mais aussi de redonner de l'autonomie fiscale aux collectivités qui en ont bien besoin.
Mme Christine Lavarde. - Messieurs les ministres, j'ai entendu votre difficulté à concilier les impératifs de court terme, qui obligent à une augmentation temporaire de la fiscalité pour faire face au mur de la dette, et les réformes structurelles de long terme, qui permettraient d'inverser la trajectoire.
Hier, j'ai parcouru tous les articles du projet de loi de finances et vous ai écouté attentivement ce matin : lorsque vous avez parlé de réformes structurelles, j'ai cru comprendre qu'il s'agissait de la réforme du malus automobile, mais je doute que cela soit à la hauteur des enjeux. En lisant le PLF, la seule réforme un peu structurelle que j'ai identifiée concerne le post-Arenh - le dispositif visant à remplacer l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique - , le reste est constitué de mesures très techniques, certes bien documentées et présentant des exposés des motifs factuels, ce dont je vous félicite. Pour autant, où sont les véritables réformes structurelles ? Si demain nous devions supprimer les cinq interlocuteurs qui s'occupent de la gestion des espaces naturels, par exemple, il faudrait s'y prendre dès aujourd'hui pour n'en avoir plus qu'un seul dans trois ans, avec moins de fonctionnaires et d'instances. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?
Cela m'amène à ma seconde question, celle du plan budgétaire et structurel de moyen terme. Quelle copie allez-vous présenter à l'Union européenne pour justifier votre demande d'ajustement sur une période plus longue, étant donné que ce PLF ne prévoit pas vraiment d'investissements dans les dépenses considérées comme étant des dépenses d'avenir par l'Union européenne - recherche, écologie ou défense ?
Enfin, vous avez indiqué qu'il n'y aurait pas de report de crédit ; or, l'article 51 du PLF en prévoit déjà, au-delà du pourcentage inscrit dans la Lolf, pour huit missions. Comment faites-vous coïncider cet article et vos propos ?
M. Olivier Paccaud. - Monsieur le ministre de l'économie, merci d'avoir voulu nous redonner le sourire avec une peinture idyllique de la situation. « Sur un malentendu, ça peut marcher », aurait dit Jean-Claude Dusse ; c'était la philosophie de Bruno Le Maire. Puissiez-vous en choisir une autre ! J'ai entendu le mot « humilité », il me semble beaucoup plus approprié.
Le ministre Laurent Saint-Martin, quant à lui, a insisté sur la notion de « projet perfectible ». Je dois saluer, en tant que rapporteur spécial des crédits de l'enseignement scolaire, le fait que la ministre et le secrétaire d'État ont déjà pris contact avec moi pour que nous travaillions ensemble. Je forme le voeu que cette volonté d'écoute se concrétise par l'adoption d'amendements et que ce projet reste seulement un projet.
Vous avez évoqué la notion de croissance. Je reviens sur les collectivités territoriales, qui sont des acteurs de la croissance dans nos territoires. En baissant les dotations, comme dans l'Oise, où nous avons réussi depuis des années à dégager des aides aux communes à hauteur de 50 millions d'euros afin de faire travailler le tissu économique local de façon remarquable, n'avez-vous pas peur de gripper l'activité locale ?
Ensuite, le ministre Antoine Armand a évoqué des enjeux de souveraineté au sujet de la dette ; un grand emprunt ne serait-il pas un moyen de retrouver un peu de souveraineté ?
Enfin, la France peut être un paradis fiscal pour des étrangers richissimes, comme les Qataris, avec qui nous avons une convention fiscale depuis longtemps. N'est-il pas temps, en cette période de disette budgétaire, de mettre un terme à ces formidables exonérations ? Cela rapporterait entre 150 et 200 millions d'euros.
M. Vincent Capo-Canellas. - Messieurs les ministres, nous mesurons la difficulté de votre tâche, et de la nôtre, pour aboutir à un PLF permettant de faire face à une situation difficile, dans des délais très contraints. Au vu du dérapage de 2024 et de la situation, il faut travailler sur la crédibilité, car les engagements n'ont pas été tenus jusqu'à présent. Il nous faut donc en retrouver tant vis-à-vis de l'Union européenne que des marchés.
Concernant le niveau de l'ajustement, tendanciel ou structurel, je m'interroge sur l'intérêt d'évoquer 60 milliards d'euros quand, en réalité, les besoins sont moindres. On noircit ainsi la situation et l'effort pour l'opinion, rendant psychologiquement l'objectif plus difficile à atteindre ; cela me semble contre-productif vis-à-vis de tous les acteurs qui font des micro-actions en termes d'économies. Les analystes, eux, voient bien la réalité de l'effort, leur parler de tendance est donc inopérant. Cette communication me paraît mauvaise à tous égards.
Ensuite, des prélèvements augmentent et des exonérations baissent. Nous avons compris que, dans l'urgence, on ne pouvait pas faire autrement. Pour autant, monsieur le ministre de l'économie, vous citez le rapport Bozio-Wasmer et vous profitez de cette mission, dont l'objectif était de « désmicardiser », pour prendre 4 milliards d'euros. Dans vos notes, il est ainsi écrit « dans l'esprit du rapport Bozio-Wasmer, nous prévoyons 4 milliards d'euros d'exonération en moins ». C'est donc une augmentation de la fiscalité. Or ce rapport visait justement à « désmicardiser », en rendant le processus neutre. Comment pouvez-vous affirmer que vous agiriez ainsi dans son esprit ? Ne s'agit-il pas d'un retournement de tendance, dans la mesure où, jusqu'à présent, l'objectif était de baisser le coût du travail ?
Enfin, vous avez parlé d'une augmentation « mesurée » de la taxe de solidarité sur les billets d'avion. Aujourd'hui, les taxes représentent environ 340 millions d'euros sur les billets d'avion ; vous entendez ajouter 1 milliard d'euros, opérant ainsi une multiplication par quatre. Cela constitue-t-il, à vos yeux, une augmentation mesurée ?
Mme Florence Blatrix Contat. - Messieurs les ministres, pour partager les solutions, il faut tout d'abord partager le constat ; comme certains de mes collègues, je voudrais modérer le constat que vous faites concernant une réussite de votre politique de l'offre. Certes, 2 millions d'emplois ont été créés, mais notre taux de chômage est toujours nettement au-dessus de la moyenne européenne, à 7,3 % contre 6 % ; en outre, ces créations d'emplois se sont produites dans un contexte globalement favorable, on les retrouve dans les autres pays, et elles sont en partie liées à des taux d'intérêt très faibles, comme le démontrent les économistes. Ce bilan n'est donc pas seulement celui de votre politique de l'offre. Concernant les investissements directs à l'étranger, nous sommes bien le premier pays en termes d'accueil de projets, mais si l'on mesure les emplois créés par projet, nous sommes troisièmes, et si l'on rapporte ces chiffres à la taille de la France, nous passons en huitième position. Les résultats ne sont donc pas aussi bons que vous le prétendez. Pendant ce temps, les inégalités se sont accrues et le patrimoine des 500 premières fortunes a doublé.
La question est de savoir si l'on maintient cette politique de l'offre, qui est très coûteuse. Se pose alors la question des aides aux entreprises : plusieurs rapports récents, ont posé la question de leur coût et de leur efficacité, notamment s'agissant du crédit d'impôt recherche (CIR). Envisageriez-vous des économies sur ce dernier dispositif ? Doit-on laisser les inégalités s'accroître ? Je distingue un début de souci de justice fiscale, mais il faudrait aller plus loin sur l'imposition des revenus des grandes entreprises, et la rendre pérenne et pas seulement temporaire.
M. Stéphane Sautarel. - Je rejoins les propos du rapporteur général sur la nécessité de travailler à réduire la dépense en allant plus loin que ce qui est proposé et limiter ainsi l'effort fiscal. N'avez-vous pas envisagé d'autres pistes plus approfondies concernant la réduction de la dépense fiscale ? Je ne vois pas beaucoup de propositions dans ce PLF sur ce sujet.
Sur les lois de programmation, vous nous avez fait part de certaines intentions, mais entre le moment de leur adoption et aujourd'hui, notre paradigme a changé à beaucoup de titres. Vous avez évoqué des lignes rouges : les lois de programmation en sont-elles ou est-il possible de réfléchir à leur actualisation ?
Concernant les collectivités, je partage la volonté d'être responsable, même s'il peut paraître injuste de leur demander de contribuer à l'effort. Celui-ci doit, en tout état de cause, être juste. Je m'interroge à ce titre sur le fonds de péréquation et sur ses critères : vingt départements en seront exclus sur la base de critères de fragilité sociale, quid de ceux qui y figurent encore ? J'aimerais que nous puissions travailler sur cette question, car elle pose aujourd'hui de vraies difficultés et va remettre en cause la péréquation horizontale que les départements avaient su organiser. Les niveaux d'épargne brute sont très différents entre les niveaux de collectivité, et les départements méritent que l'on porte sur eux un regard particulier.
Enfin, sur les réformes de structure, j'entends qu'elles sont difficiles à mettre en oeuvre dans l'urgence, mais il en existe au moins une qui pourrait être engagée facilement : la débureaucratisation. Non seulement nous ferions des économies, mais nous gagnerions de l'argent. Ainsi, s'agissant de l'emploi dans l'éducation nationale, si nous devons en supprimer, faisons en sorte que cela ne concerne pas les postes devant les élèves.
M. Raphaël Daubet. - Sur l'APD, mission dont je suis le rapporteur spécial, et qui s'élèverait à 1,3 milliard d'euros, j'étais le premier, avec mon collègue Michel Canévet, à défendre un ajustement de ces crédits, mais je trouve ce chiffre disproportionné, à la fois par rapport aux objectifs que nous fixait la loi du 4 août 2021 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales et au regard des crises géopolitiques dont on sait qu'elles vont multiplier les besoins en la matière.
S'agissant des autres efforts d'optimisation et de gains de productivité, qui comptent pour 6,1 milliards d'euros d'économies, quels ministères ou opérateurs viseront-ils ? Il s'agit tout de même d'un très gros poste de moindres dépenses.
Enfin, sur les dépenses des collectivités locales, le fonds de précaution opérerait, si j'ai bien compris, une sorte de péréquation horizontale, puisqu'une redistribution ultérieure serait mise en oeuvre. Quelles en seront les modalités ? Ce dispositif me rappelle le Fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales (Fpic), dont la visibilité est très contestable, emportant des répercussions sur la lisibilité budgétaire des collectivités, ou, au moins, sur la programmation pluriannuelle de leurs investissements.
M. Laurent Saint-Martin, ministre. - S'agissant des bases du débat concernant les collectivités locales, il convient de distinguer leur part dans la dette, qui s'élève à 8 %, de leur part dans les dépenses publiques, qui atteint 20 %. Ainsi, le taux de 12 % doit être apprécié au regard de la part dans les dépenses publiques et non dans la dette publique. Dans cette perspective, l'effort demandé aux collectivités est proportionnellement moindre, ce qui me semble justifié, compte tenu des circonstances et des éléments précédemment évoqués. La baisse du fonds vert, bien qu'affectant indirectement les collectivités, résulte, quant à elle, d'une décision nécessaire visant à réajuster certains accompagnements publics que nous jugeons essentiels. Toutefois, il ne s'agit pas à proprement parler d'une réduction des dotations de fonctionnement allouées aux collectivités. En revanche, en effet, la CNRACL n'entre pas dans le champ de ces dispositifs.
Concernant les annulations ou reports de crédits, l'article 51 permet effectivement d'énumérer les programmes susceptibles de faire l'objet de reports au-delà du plafonnement. Mon objectif politique, j'y insiste, est d'en limiter autant que possible le recours. C'est pourquoi j'ai indiqué au rapporteur général qu'il conviendrait, dans un souci de bonne gestion, particulièrement en cette période, de privilégier l'annulation de crédits gelés ou, si cela s'avère indispensable en exécution, leur consommation. La limitation des reports demeure un principe directeur qu'il nous faut impérativement maintenir dans le cadre du projet de loi de finances de fin de gestion (PLFG), dont le dépôt est normalement prévu aux alentours du 6 novembre. Nous aurons l'opportunité d'y revenir à cette occasion.
Monsieur Paccaud, il est primordial d'éviter que la baisse des dotations n'engendre un effet récessif au niveau local. C'est précisément la raison pour laquelle ces mesures doivent être mises en oeuvre de manière réfléchie. J'ai été attentif à ce titre aux levées de boucliers concernant notamment le FCTVA.
S'agissant de la révision des exonérations dont peuvent bénéficier les investisseurs internationaux, il s'agit là d'un chemin de crête. Je me refuse à concevoir systématiquement notre politique fiscale dans une logique de retour sur investissement, car ce ne serait pas de bonne politique ; pour autant, il convient de prendre en considération les retombées potentielles en termes d'investissements directs étrangers. Comme l'a souligné Antoine Armand, si la France se hisse depuis cinq ans au premier rang européen en la matière, c'est aussi parce qu'elle a su se doter de certains outils favorisant son attractivité, qu'il convient de ne pas trop abîmer.
S'agissant du rapport Bozio-Wasmer, permettez-moi de revenir sur les ordres de grandeur. La lettre de mission adressée aux deux économistes imposait que leurs propositions soient élaborées à coût constant, ce qui explique leurs conclusions. Cela n'empêche nullement de nourrir des ambitions sur la réforme nécessaire de « désmicardisation » et, conjointement, en matière de participation au redressement des finances publiques. Ces deux objectifs sont parfaitement cumulables, si les proportions sont adéquates. Tout est question de proportions dans ce budget. Après 80 milliards d'euros d'allègements généraux de charges, nécessaires pour l'emploi et la dynamisation de l'économie, mais emportant des effets de bord sur la trappe à bas salaire, nous pouvons envisager, dans un premier temps, la mise en place d'une nouvelle courbe, basée sur les propositions Bozio-Wasmer. Il s'agit bien là d'une réforme de structure. Dans le même temps, il est possible de réduire les aides d'État, car les allègements généraux en font partie, même si vous les percevez comme des hausses de charges. Cela me semble juste et proportionné au regard de l'impératif collectif de redressement des comptes publics.
Je laisserai Antoine Armand s'exprimer sur le sujet du CIR.
Pour ce qui concerne les lois de programmation, il n'y a pas de lignes rouges. Je tiens simplement à souligner que le Gouvernement a des priorités de politique publique qui correspondent aux lois de programmation. D'ailleurs, les investissements d'avenir sont bien présents dans ce budget : le programme France 2030 se poursuit, tout comme les dispositions de la loi de programmation pluriannuelle de la recherche, dont les crédits sont en augmentation, même si les marches ne recouvrent pas exactement celles qui étaient initialement prévues. L'ambition demeure intacte pour ces investissements, lesquels sont simplement ajustés à la réalité de notre situation financière.
Enfin, concernant le fonds de précaution, ses modalités de répartition doivent impérativement être définies en concertation avec les collectivités, sans quoi le dispositif serait voué à l'échec dès le départ. J'ai bien pris note des écueils que vous souhaitez éviter, à l'image de ceux qu'ont rencontrés d'autres fonds de péréquation par le passé.
M. Antoine Armand, ministre. - Concernant la taxe sur les billets d'avion, une partie de ce prélèvement ne concernera pas l'aviation commerciale et son barème est encore en discussion. Je partage votre point de vue quant à la nécessité de déterminer les trajets concernés et de ventiler le dispositif en fonction de la longueur du trajet, afin que celui-ci touche des personnes se déplaçant plus loin, et donc à des occasions différentes.
Vous avez raison de souligner que le cadre du rapport de MM. Bozio et Wasmer diffère de celui du texte initial, qui implique un effort financier supplémentaire. Celui-ci peut être atténué si les entreprises augmentent les salaires à un rythme égal ou supérieur à celui des dernières années, grâce aux allègements de cotisations qui réduisent le coût de ces augmentations salariales, notamment au niveau du Smic. Ce texte est perfectible, et ce sujet est éminemment important pour la compétitivité des entreprises, la politique salariale et le rapprochement du brut et du net pour une meilleure rémunération du travail. Si nous parvenons à faire mieux, à trouver d'autres sources d'économies - j'ai entendu quelques propositions en ce sens aujourd'hui - pour remplacer celles-ci, vous pourrez compter sur notre soutien.
S'agissant des conventions fiscales, je ne répondrai pas sur un pays en particulier. Nous travaillons à leur évolution, mais notre attractivité doit être prise en compte, car dépecer une convention fiscale entraîne une perte de recettes. Certes, l'objectif peut être autre que budgétaire et fiscal, cela peut se discuter.
Quant à l'idée d'un grand emprunt, le financement de la dette ne fait pas partie aujourd'hui des difficultés que nous avons à traiter. Nous nous finançons assez bien, car la dette française se vend correctement. Cela pourrait le devenir si les conditions se dégradaient sérieusement, ce que nous voulons éviter grâce aux économies que nous avons détaillées devant vous aujourd'hui.
Concernant les aides aux entreprises, notamment le CIR, des efforts peuvent être consentis. Nous essayons de le faire avec précaution, car ces dispositifs comptent beaucoup pour la compétitivité et la prévisibilité des stratégies économiques des entreprises. En ce qui concerne le crédit d'impôt recherche, le débat parlementaire va s'ouvrir. De nombreux rapports ont été produits et beaucoup de parlementaires travaillent individuellement sur ce sujet depuis un certain temps. Nous serons très attentifs à leurs propositions. Si des avancées sont possibles, il faut les concrétiser, tout en gardant à l'esprit que la France peine en matière d'attractivité de la recherche. Elle a réussi à maintenir son rang ces dernières années, mais cette position est fragile. Il est donc crucial de préserver un socle fort, et c'est le signal que nous voulons envoyer.
Madame Lavarde, vous avez parfaitement raison : les réformes structurelles et structurantes, qu'il s'agisse du marché du travail, de la simplification, etc., doivent être menées, y compris dans le cadre du dialogue social qui s'ouvre sur la réforme de l'assurance chômage. Je suis profondément convaincu qu'il faut continuer à soutenir d'abord l'activité, ce qui fera l'objet des prochains échanges que nous aurons ici, ainsi que sur ceux qui concerneront le plan d'investissement et de réforme avec la Commission européenne.
Concernant le bilan économique, j'appartiens à une génération politique qui se réjouit pour son pays, sans fierté pour telle ou telle mesure. Je suis persuadé qu'il n'est pas nécessaire d'avoir une étiquette partisane pour se satisfaire d'une baisse du chômage, car cela signifie simplement moins de chômeurs, plus de pouvoir d'achat et plus d'émancipation sociale. Lorsque des progrès ont été réalisés, les reconnaître n'est pas une faiblesse, bien au contraire, c'est une preuve d'ouverture d'esprit. Quant aux petites phrases que j'ai entendues, qui conduisent à considérer que j'agirais avec condescendance et que les satisfecit ne devraient pas être de mon côté, je les laisse à leurs auteurs.
M. Claude Raynal, président. - Merci de cette première rencontre, nous nous reverrons régulièrement au cours de l'examen de ce projet de loi de finances.
II. AUDITION DE M. PIERRE MOSCOVICI, PRÉSIDENT DU HAUT CONSEIL DES FINANCES PUBLIQUES (11 OCTOBRE 2024)
Réunie le vendredi 11 octobre 2024 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a entendu M. Pierre Moscovici, président du Haut Conseil des finances publiques, sur le projet de loi de finances pour 2025.
M. Claude Raynal, président. - Nous recevons ce matin M. Pierre Moscovici en sa qualité de président du Haut Conseil des finances publiques (HCFP), organisme indépendant placé auprès de la Cour des comptes.
En application des dispositions de l'article 61 de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf), le HCFP rend un avis sur les prévisions macroéconomiques qui sous-tendent le projet de loi de finances (PLF) et le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) de l'année, et sur la cohérence de l'article liminaire au regard des orientations pluriannuelles de solde structurel et de dépenses des administrations publiques. Il se prononce également sur le réalisme des prévisions de recettes et de dépenses du PLF.
Alors que la croissance devrait être modérée en 2025, dans un contexte marqué par un assouplissement de la politique monétaire dû au reflux de l'inflation et un regain de tensions au niveau international, votre éclairage, monsieur le président, sur la sincérité et la crédibilité du scénario économique et budgétaire présenté pour l'année à venir nous est précieux. Je signale que le HCFP a également produit un avis sur le plan budgétaire et structurel national de moyen terme (PSMT) de la France, issu des nouvelles règles budgétaires européennes et qui doit être transmis à la Commission avant la fin du mois d'octobre.
Vous estimez que le scénario macroéconomique pour 2025 est, dans l'ensemble, fragile. En effet, une prévision de croissance de 1,1 % paraît difficile à concilier avec un ajustement de 60 milliards d'euros. Par ailleurs, les informations concernant les économies à réaliser vous paraissent insuffisantes et le détail des économies prévues et des hausses de prélèvements attendus, non documenté. De fait, on peine à connaître pour l'instant le niveau de baisse des allègements généraux de cotisation ou le contenu concret des mesures d'économie demandées aux collectivités territoriales.
Sans plus attendre, je vous cède la parole pour revenir sur ces différents points.
M. Pierre Moscovici, président du Haut Conseil des finances publiques. - Merci pour votre accueil. Je me réjouis de revenir aujourd'hui devant votre commission en tant que président du HCFP pour vous présenter les principales conclusions des deux avis que nous avons remis au Gouvernement. Il s'agit de l'avis, traditionnel, relatif au PLF et au PLFSS pour 2025, mais aussi, et c'est nouveau, de l'avis relatif au PSMT à l'horizon de 2031. Conformément à la Lolf, le HCFP a été saisi des prévisions macroéconomiques, mais il a aussi porté une appréciation sur le réalisme des prévisions de recettes et de dépenses du PLF et du PLFSS. Par ailleurs, le Gouvernement a décidé de nous saisir pour avis sur le PSMT introduit par la nouvelle gouvernance économique européenne, qu'il doit présenter à la Commission cet automne.
Je veux d'abord me féliciter que le Gouvernement ait décidé de nous saisir de ce PSMT. Il n'y est pas tenu dans les premières années de mise en oeuvre de cette nouvelle gouvernance, mais il a souhaité - à ma demande - fixer un rendez-vous supplémentaire, de sorte que vous ne serez pas privé de l'avis du HCFP sur les perspectives de moyen terme. Puisque nous rendions un avis sur le programme de stabilité, il est logique que nous le fassions pour le PSMT. Mais je suis au regret de vous dire que les informations transmises par le Gouvernement ne nous permettent pas de juger du réalisme de la trajectoire associée à ce PSMT, car elles sont très insuffisantes. On peut, on doit faire mieux à l'avenir - j'y reviendrai.
J'ai eu l'occasion de le dire devant vous à de multiples reprises, mais à présent que nous connaissons le résultat des courses, je le dis avec gravité : 2024 est une année noire pour les finances publiques. Alors que l'objectif de déficit public prévu dans la loi de finances initiale (LFI) était de 4,4 points de PIB, soit 128 milliards d'euros, ce montant a été porté en avril à 5,1 points de PIB dans le programme de stabilité, et l'année se terminera sans doute avec un déficit de 6,1 points de PIB, soit 180 milliards d'euros. Cela fait quelque temps que je suis dans l'action publique, comme magistrat à la Cour des comptes et, avant cela, dans d'autres fonctions qui m'ont amené plus près de vous dans le passé. Un creusement du déficit de 1,7 % du PIB sur un an, soit 52 milliards d'euros, je ne garde pas le souvenir d'avoir assisté à une chose pareille - d'autant que nous ne sommes pas en période de crise économique ou financière, et que nos partenaires dans l'Union européenne ont connu des évolutions strictement inverses.
Dans ce contexte, le HCFP souligne la nécessité de retenir des hypothèses prudentes en matière de prévision de recettes comme de ralentissement des dépenses, dès lors qu'aucun dispositif robuste n'a été prévu à cet effet. Et nous continuerons pour notre part à jouer, de concert avec le Parlement, à votre service en quelque sorte, un rôle de vigie des finances publiques.
Je rappelle de surcroît, mais cela n'a échappé à personne, que l'année 2024 a été marquée par l'ouverture, en juillet dernier, d'une procédure pour déficit excessif à l'encontre de la France. Concrètement, cette procédure nous oblige à transmettre une trajectoire crédible de désendettement, fondée sur un budget cohérent, dans le cadre du premier PSMT prévu par la nouvelle gouvernance des finances publiques européennes.
Le PSMT qui sera présenté à la Commission européenne se fonde sur une trajectoire plus réaliste que les précédentes. Je suis venu devant vous, à l'époque, présenter les avis du Haut Conseil sur le projet de loi de programmation des finances publiques, puis le programme de stabilité pour les années 2024 à 2027. Je ne me rappelle pas exactement la sémantique qui avait été retenue, mais nous disions il y a un an que la trajectoire du projet de loi de programmation des finances publiques nous semblait manquer de crédibilité. Nous avions même dit, lorsque nous sommes venus présenter l'avis sur le programme de stabilité, que ce document manquait de crédibilité mais aussi de cohérence économique.
Franchement, ces références sont à oublier. Elles sont caduques l'une et l'autre. Je ne vais pas jusqu'à vous proposer, dans le contexte que nous connaissons, d'élaborer une nouvelle loi de programmation des finances publiques. Disons que, désormais, la base est la trajectoire du PSMT, qui est plus raisonnable. En effet, elle décale l'objectif de ramener le déficit public sous 3 points de PIB à l'horizon de 2029 et non plus 2027. Il y a quelques semaines, je vous avais dit qu'il me semblait plus raisonnable de procéder ainsi. Avec un déficit de 6 points de PIB à la fin de 2024, vouloir arriver à 3 points de PIB en 2027 eût été socialement meurtrier, dommageable économiquement, et complexe sur le plan politique.
Il est plus raisonnable de fixer l'échéance à 2029, assurément, mais il y a tout de même une contrepartie : ce scénario, pour être conforme aux règles de gouvernance européennes, suppose que la période d'ajustement budgétaire de la France soit portée à sept ans. Voilà pourquoi le PSMT court jusqu'en 2031. Mais il est crucial que cette trajectoire soit tenue. Nous ne pouvons plus nous permettre que nos trajectoires pluriannuelles des finances publiques deviennent caduques avant leur publication ou dès leur publication, ou en tout cas avant même la première année de leur mise en oeuvre. Ces changements constants de trajectoires et de cibles, sont très dommageable pour la France, je l'ai constaté lorsque j'étais commissaire européen en charge de ces sujets, car ils jettent une ombre sur la crédibilité du pays. Cette trajectoire plus raisonnable, il faut donc la tenir. Et pour cela, il faut prendre des engagements très concrets. Les objectifs du PLF et du PLFSS pour 2025, examinés par le HCFP, sont les premières briques de cette trajectoire.
La fixation d'un objectif de réduction du solde structurel de 1,2 point en 2025 est une inflexion que je juge réelle et bienvenue. En effet, nous avons accumulé un tel niveau de dette, la charge de la dette est si forte, les déficits sont si profonds, qu'il nous faut vraiment revenir sur une trajectoire plus raisonnable. Ce n'est pas une question de soumission aux marchés ou à l'Union européenne, c'est une question de bon sens. La charge de notre dette était de quelque 25 milliards d'euros en 2021. Elle est de 53 milliards d'euros cette année. Si rien n'est fait, elle peut filer allègrement vers les 100 milliards d'euros, ce qui nous placerait dans un état d'impuissance absolue. Nous devons donc marquer ce point d'inflexion. Et il faut que la première marche soit significative, parce que nous sommes à un niveau beaucoup trop élevé.
Après ce bref rappel de la situation, je souhaite revenir sur nos trois messages principaux.
Le premier message porte sur le réalisme des prévisions macroéconomiques. Vous l'avez dit, monsieur le président, le scénario du Gouvernement pour 2024 est dans l'ensemble réaliste, mais celui de 2025 paraît fragile. Et le scénario du PSMT semble plus raisonnable, bien qu'un peu optimiste.
Le deuxième message a trait aux prévisions de recettes et de dépenses. Malgré nos demandes, les informations communiquées au HCFP sont insuffisantes pour apprécier la capacité du Gouvernement à atteindre ses objectifs de hausse des prélèvements obligatoires et de freinage de la dépense pour 2025, qui portent sur des montants très importants. Le Conseil des ministres a adopté le PLF hier. Nous disposerons donc bientôt d'éléments plus précis.
Le troisième message est que nous saluons l'inflexion représentée par la fixation d'un objectif de déficit à 5 points de PIB en 2025, même si un risque élevé, j'y insiste, pèse sur le respect de cette trajectoire. De ce point de vue, les objectifs du PSMT sont plus réalistes.
Le contexte économique international est plutôt incertain. L'économie mondiale a eu ces dernières années à surmonter successivement une pandémie, un choc énergétique, des tensions géopolitiques majeures, mais elle continue de démontrer sa résilience, puisqu'elle croît à un taux de 3 % par an en moyenne, ce qui devrait continuer dans les années à venir. On observe toutefois des modifications importantes dans sa composition, puisque les États-Unis et la Chine devraient quelque peu ralentir alors que la zone euro voit sa croissance redémarrer enfin.
Ce redémarrage, visible depuis le début de 2024, est tiré principalement par le commerce extérieur, ce qui n'est pas sans impact sur les recettes fiscales, alors que la demande intérieure continue de pâtir de la chute de l'investissement, mais avec une conjoncture très contrastée selon les pays. Le paradoxe est que ce sont surtout les pays du Sud, comme l'Espagne, le Portugal, la Grèce ou l'Italie, qui sont en situation favorable, alors que l'Allemagne, qui fut longtemps le principal moteur de la zone euro, est carrément en panne, avec des incertitudes sur sa reprise.
Le redémarrage devrait être plutôt favorisé par le cycle de baisse des taux, qui s'est déjà traduit par une diminution de 50 points de base du taux d'intérêt de la facilité de dépôt de la Banque centrale européenne (BCE). Il y a tout de même des incertitudes assez fortes sur la conjoncture internationale. Nous pouvons citer les tensions géopolitiques ; les conséquences de l'élection présidentielle américaine ; les fragilités, voire les turbulences dans le système commercial multilatéral, qui pourraient être aggravées, justement, par l'élection américaine. Dans la zone euro, les perspectives restent incertaines pour l'économie allemande, qui, connaissant sa deuxième année de récession, annonce une reprise assez forte en 2025, mais sur la base d'un acquis de croissance assez faible. C'est à se demander si, là aussi, la machine à prévisions n'est pas quelque peu déréglée... Enfin, une désinflation plus rapide que prévu aux États-Unis et en zone euro pourrait soutenir le pouvoir d'achat des ménages et favoriser une détente accrue sur les taux.
J'en viens aux observations du HCFP sur les prévisions macroéconomiques du Gouvernement pour la France, à court et moyen terme. Dans le contexte international que je viens d'évoquer, le HCFP considère que le scenario macroéconomique pour 2024 est dans l'ensemble réaliste, mais que celui que le Gouvernement présente pour 2025 comporte des éléments de fragilité. Pour 2024, le Gouvernement prévoit une croissance du PIB de 1,1 point en moyenne annuelle, comparable au chiffre moyen avancé par les prévisionnistes, et que nous jugeons réaliste dans l'ensemble. En revanche, la prévision de croissance pour 2025 nous paraît un peu élevée.
Le Gouvernement vous dira sans doute que ce chiffre de 1,1 point de croissance en 2025 reflète aussi le consensus des économistes. Dans l'absolu, il n'est pas impossible qu'il se réalise. Mais la prévision de croissance du Gouvernement s'éloigne du consensus si on prend en compte - et vous devez le faire - l'orientation restrictive du scénario de finances publiques associé, qui prévoit 1,2 point de PIB d'ajustement structurel. Le multiplicateur keynésien est souvent estimé à 0,5. Cela signifie que nous aurons 0,6 point de croissance en moins. Le chiffre du Gouvernement impliquerait donc que la croissance spontanée de l'économie serait de 1,7 %. Pour le coup, un tel taux n'est ni dans les astres ni dans les chiffres...
Pour compenser ce problème, le Gouvernement fait un certain nombre d'hypothèses qui nous paraissent favorables, même si elles ne sont pas absurdes, comme le recul de l'épargne ou l'augmentation forte de la consommation des agents. À ce stade, les indicateurs avancés ne laissent pas anticiper une telle évolution. Certaines hypothèses ne sont pas injustifiées. Par exemple, la dynamique récente des permis de construire et des mises en chantier peut laisser entrevoir une stabilisation de l'investissement des ménages. D'autres sont quelque peu volontaristes. Un repli du taux d'épargne et une hausse de la consommation sont possibles, mais observons que la part des ménages estimant qu'il est opportun d'épargner a atteint son plus haut niveau historique en septembre. Un léger rebond de l'investissement des entreprises n'est pas à exclure non plus, malgré une forte détérioration du taux de marge - sans parler de la fiscalité. Une forte hausse des exportations est envisageable aussi, tirée par une croissance du commerce mondial, attendue à un niveau supérieur à celui de l'activité mondiale. Après deux années, on n'en a pas observé. Mais les impacts de l'élection américaine, par exemple, ne sont pas évalués. Bref, nous qualifions le taux retenu d'un peu élevé. Or la croissance influe, dans son niveau comme dans sa composition, sur les recettes fiscales attendues.
Pour l'inflation, nous pensons aussi que le chiffre de 1,8 % est un peu élevé au regard du mouvement de désinflation observé depuis le début d'année. Enfin, la croissance de 2,8 % de la masse salariale nous semble un peu optimiste. Elle reflète la prévision d'emploi, en lien avec l'appréciation portée sur le PIB et l'évolution du salaire moyen par tête.
S'agissant du scénario macroéconomique sous-jacent au PSMT, dans la limite des informations extraordinairement lacunaires qui nous ont été transmises, le HCFP ne peut guère se prononcer que sur l'estimation du PIB potentiel, c'est-à-dire la croissance que connaîtrait l'économie en l'absence de choc conjoncturel. Je ne blâme certes pas le Gouvernement pour ce manque d'informations, je le remercie plutôt de nous avoir saisis. Mais la prochaine fois, il faudra tout même que nous soyons mieux informés. Je veux voir dans cette situation le reflet d'une forme d'urgence. Et il est mieux d'avoir été saisi avec des informations lacunaires, que de ne pas avoir été saisi du tout. L'estimation du PIB potentiel, du reste, est importante, car c'est un des chiffres sur lesquels se fondent les règles européennes. Pour le coup, je donne un satisfecit, dans la mesure où le Gouvernement se montre moins volontariste : il prévoit 1,2 % de croissance potentielle entre 2024 et 2028, et un peu moins après - 1 % - ce qui se rapproche de nos estimations. Évidemment, il vaut mieux des hypothèses prudentes que des hypothèses hasardeuses... Le HCFP a également relevé que le scénario de croissance effective était plutôt optimiste.
En somme, toutes ces hypothèses reflètent un peu de volontarisme, mais ce n'est pas comparable à ce qu'on a vu l'année dernière.
J'en viens aux prévisions sur les finances publiques pour 2025. Le scénario du Gouvernement prévoit un solde public effectif de 6,1 points de PIB en 2024 et de 5 points de PIB en 2025. En 2024 - c'est un vrai choc - le déficit public dépassera sans doute de 1,7 point de PIB l'objectif initial, qui était prévu à 4,4 points de PIB. Le Gouvernement prend quelques mesures pour éviter qu'on aille au-delà, mais il n'a pas déposé de projet de loi de finances rectificative (PLFR), ce qui aurait été opportun.
Le HCFP souligne un facteur de risque supplémentaire et une situation inédite. Je me permets d'attirer votre attention sur ce point. Le solde présenté dans l'article liminaire de ce PLF est, non de 5 points, mais de 5,2 points. Cela signifie que certaines des mesures prises en compte dans la prévision de déficit qui, elle, est à 5 points, ne sont pas intégrées à ce stade au PLF que vous allez examiner, mais qu'elles devront être introduites par amendement lors du débat parlementaire, pour un effet additionnel de 0,2 point. Autrement dit, le respect de l'objectif de 5 points dépend de l'adoption, ou non, par les assemblées de tels amendements, ce qui suppose une très grande force de conviction du Gouvernement et une extrême sagesse de la part des parlementaires. Il est vrai que vous nous y avez toujours habitués... Mais je voulais souligner ce hiatus et insister sur le fait que nous devons nous en tenir à un objectif de 5 %.
Le HCFP estime que la prévision de déficit pour 2025 est donc fragile, en raison de l'optimisme, léger mais réel, du scénario macroéconomique et de l'ampleur des mesures à mettre en oeuvre, qui ne sont pas toutes documentées à ce stade.
En 2025, les prévisions de prélèvements obligatoires affichent une hausse de 4,9 milliards d'euros par rapport à 2024. Leur croissance spontanée, de 2,5 %, resterait moins rapide que celle du PIB en valeur. Toutefois, cette prévision apparaît un peu haute, compte tenu du caractère optimiste des prévisions de croissance et d'inflation retenues dans le scénario du Gouvernement. Nous sommes obligés de constater que, ces deux dernières années, la machine à prélever des recettes n'a pas fonctionné. Il faudrait savoir ce qui s'est passé. On a des raisons de penser que ce sera mieux à l'avenir, mais prudence ! Le Gouvernement prévoit aussi dans le PLFSS une hausse de 30 milliards d'euros des recettes grâce à des mesures nouvelles, qui ne sont pas suffisamment évaluées, toutefois.
J'en viens à l'analyse de l'évolution des dépenses publiques prévues dans le PLF et le PLFSS. L'objectif pour 2024 ne sera évidemment pas atteint. C'est une année noire sur le plan des finances publiques, où les dépenses auront augmenté de 2,6 points en volume, soit nettement plus que la hausse de 0,5 % en 2023. Ce qui veut dire que le « quoi qu'il en coûte », en fait, ne s'est jamais arrêté.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - En effet !
M. Pierre Moscovici. - La dépense publique a continué à filer allègrement. La dégradation pour 2024 est de 20,4 milliards d'euros par rapport à la cible du programme de stabilité. Elle s'explique pour moitié par le dynamisme des dépenses des collectivités territoriales, en fonctionnement comme en investissement, et pour moitié par les dépenses de l'État. Quant aux dépenses des administrations sociales, elles sont restées plus proches des prévisions initiales.
Au total, les dépenses publiques hors crédits d'impôt atteindraient 56,8 points de PIB, un niveau supérieur de 3 points à ce qu'il était en 2019, avant la crise sanitaire. C'est un phénomène français que l'on connaît bien : l'effet de cliquet. Une crise arrive, on engage des dépenses massives ; la crise passe, les dépenses certes refluent, mais restent tout de même bien au-dessus de ce qu'elles étaient auparavant ! On continue ainsi d'accumuler des strates de dépenses publiques, d'où une impérieuse nécessité à se poser la question de la qualité de la dépense.
Nous n'avons pas d'autre choix, je le dis avec gravité, que de placer notre endettement et nos déficits sur une trajectoire baissière, notamment via des économies. Pour cela, il faut que des mesures en moindres dépenses soient effectivement mises en oeuvre et documentées. À ce jour, indépendamment du champ administratif concerné, leurs modalités restent peu définies, mais j'espère que le PLF apportera tous les éclaircissements requis - à défaut, le débat s'en chargera. C'est aussi le cas des mécanismes de résilience qui permettraient de contenir la hausse des dépenses de fonctionnement des collectivités territoriales à 0,2 point en volume par rapport à 2024. Une croissance très forte des dépenses des collectivités locales a effectivement été observée, mais elle est aussi due à l'absence de définition concertée de l'évolution de ces dépenses.
Si l'ensemble des économies étaient réalisées, la hausse des dépenses en volume, hors dépenses exceptionnelles de charge de la dette, serait contenue à 0,2 point, soit à un niveau inférieur à 2023. Mais, même ainsi, même ramené à 56,3 points de PIB, le poids des dépenses publiques n'en demeurerait pas moins situé 2,5 points au-dessus de leur niveau d'avant la crise sanitaire.
L'on me demandait ce matin à la radio si ce budget était un budget de rigueur ou d'austérité... Nous pouvons parler de rigueur et, même si le terme est connoté, il n'est jamais mauvais d'être rigoureux - c'est ainsi que nous gérons nos finances personnelles, familiales, entrepreneuriales. En revanche, avec 52 milliards d'euros de déficit en plus, une croissance massive des dépenses publiques et 3 points de déficit de plus qu'avant la crise sanitaire, je considère qu'un effort visant à ramener les dépenses publiques à 56,3 points de PIB peut difficilement être assimilé à de l'austérité. Il s'agit toutefois d'une cible ambitieuse, dont l'atteinte est conditionnée à la mise en oeuvre rapide de mesures d'économies.
Le solde structurel présenté par le Gouvernement s'élève à 4,5 points de PIB en 2025, contre 5,7 points en 2024. Cet ajustement structurel de 1,2 point est supérieur à l'effort de 0,5 point de PIB demandé par la gouvernance économique européenne. Dans la mesure où une procédure pour déficit excessif a été engagée, il faut que la première marche soit élevée. Je suis douloureusement conscient de la difficulté d'un tel exercice, qui n'a été mené qu'une fois au cours des vingt dernières années, en 2012-2013, alors que j'étais ministre des finances publiques. Il faudra en réalité consentir un effort structurel de 1,4 point de PIB, soit 42 milliards d'euros, pour compenser l'impact négatif de la croissance spontanée des prélèvements obligatoires, inférieure à celle du PIB.
J'attire votre attention sur un point qui peut faire l'objet de controverses et dont je ne voudrais pas qu'il soit mal exploité : cet effort repose à 70 % sur des hausses de prélèvements obligatoires, à hauteur de 30 milliards d'euros, soit 1 point de PIB, et à 30 % sur des baisses de la dépense publique, à hauteur de 12 milliards d'euros, soit 0,4 point de PIB. Il s'agit d'une analyse structurelle, quand le Gouvernement, lui, présente la situation en termes tendanciels, c'est-à-dire qu'il suppose que la tendance de croissance - au demeurant catastrophique puisqu'elle s'élève à 2,8 % en 2024 - des dépenses, qui est supérieure à la croissance potentielle comme à la croissance effective, se poursuivrait en 2025. Or cela n'est pas obligatoire et ne peut être apprécié.
Du fait de ce choix méthodologique, l'effort en dépenses affiché par le Gouvernement est considérable - il s'élève à 1,3 point de PIB -, alors qu'il ne réduit le poids des dépenses dans le PIB que de 0,4 point.
Il s'agit de deux modes de calculs différents.
Par ailleurs, la classification des mesures en recettes et en dépenses diffère entre le Gouvernement et le HCFP. Le chiffre de 20 milliards d'euros de prélèvements obligatoires supplémentaires ne tient pas compte de certaines mesures fiscales prises pour 2025, comme une partie de l'augmentation de la taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité (TICFE) ou la réduction des allègements de cotisations d'employeurs. Le Gouvernement les comptabilise. J'estime pour ma part que ce sont des prélèvements obligatoires.
'En prenant en compte cette différence de comptabilisation, l'effort par rapport au tendanciel serait plutôt donc porté à 50 % par une hausse des prélèvements obligatoires et à 50 % par une baisse des dépenses, quand ces proportions sont respectivement de 70 % et 30 % si l'on raisonne en structurel.
Le ratio de dette publique continue à croître très fortement, pour retrouver en 2025 le point haut atteint en 2020 lors de la crise sanitaire, soit 115 points de PIB. Depuis la fin de la crise sanitaire, la dette publique a reculé d'une dizaine de points dans la zone euro. Nous renouons pour notre part avec le point le plus haut de la crise, alors même que nous ne sommes pas en période de crise.
Or chaque euro remboursé pour financer la dette' est un euro de perdu pour les services publics. Avec un tel niveau de dette, on ne peut rien faire. C'est un véritable gâchis. L'année prochaine, la charge de la dette se rapprochera, en valeur, du budget de l'éducation nationale. Elle passera de 53 milliards d'euros cette année à 70 milliards d'euros l'an prochain.
Je me réjouis enfin que le Gouvernement ait saisi le HCFP du plan budgétaire et structurel à moyen terme. Je regrette toutefois que l'information disponible sur la nature des mesures qui sous-tendent la trajectoire soit étique. Il va de soi que dans trois semaines, quand le Gouvernement présentera ce plan à la Commission européenne, il devra documenter de manière bien plus approfondie les mesures qu'il souhaite prendre.
Je relève deux points positifs. Le premier est le décalage de deux ans de la date de retour à un déficit sous le seuil des 3 points de PIB. Le second est le caractère plus raisonnable de la croissance potentielle. Dans l'ensemble, cette nouvelle trajectoire gagne en réalisme. Il importe à présent qu'elle soit documentée et respectée, car l'instabilité nous tue. La Commission européenne étudiera ce plan avec bienveillance, mais aussi avec exigence. Il faudra donc lui fournir une réponse structurelle et structurante.
Si je me suis exprimé devant vous avec gravité, c'est parce que j'ai le sentiment que nous avons perdu le contrôle de nos finances publiques et qu'il nous faut reprendre ce contrôle. Nous sommes désormais le troisième pays le plus endetté de la zone euro en pourcentage du PIB, derrière la Grèce et l'Italie. Nous sommes le premier en termes de volume de dette, celle-ci s'élevant à près de 3 300 milliards d'euros. Nous sommes enfin le pays qui, ayant une dynamique de la dette aussi mauvaise, voit celle-ci continuer de se dégrader. Il nous faut donc replacer la dette sur une trajectoire descendante.
Toutefois, cet effort doit être acceptable socialement et soutenable économiquement. Cela passe par une politique non pas d'austérité, mais de maîtrise, d'amélioration de l'efficience et de la qualité des dépenses. Cette année sera à ce titre probablement une année zéro, mais il nous faudra progresser dans les années à venir. Quoi qu'il en soit, des années exigeantes nous attendent.
M. Claude Raynal, président. - Au-delà de la seule année 2025, le sujet de la trajectoire est fondamental, y compris pour apprécier les mesures qui seront prises pour l'année prochaine. Le document dont vous avez été saisi fait part d'intentions, d'une « trajectoire de principe », sans éléments sérieux pour pouvoir porter une analyse solide. Pensez-vous que le Gouvernement sera en mesure de documenter correctement sa trajectoire, secteur par secteur, dans le délai qui lui est imparti ? Nous devons avoir une visibilité sur cette trajectoire pour pouvoir en discuter.
Par ailleurs, on fait dire ce que l'on veut aux chiffres : il suffit d'aggraver un peu les prévisions de déficit en tendanciel pour que le niveau d'économies projeté dans le budget soit plus fort. Mais restons-nous dans des limites raisonnables ? La note de la direction générale du Trésor (DGT) qui date de cet été prévoyait un déficit public effectif de 6,2 points de PIB en 2025. Or cette prévision est soudainement passée à 7 points, ce qui représenterait un dérapage de près de 90 milliards d'euros par rapport à la prévision contenue dans le dernier programme de stabilité. Qu'en pensez-vous ?
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Les propos que vous avez tenus sont les mêmes que notre commission tient depuis deux ans, et je regrette amèrement que le Gouvernement ait jugé insupportables, et presque déraisonnables les propositions que nous avions formulées lors de l'examen du projet de loi de programmation des finances publiques. Celles-ci auraient permis une inflexion du niveau de dépenses publiques de 37 milliards d'euros sur cinq ans. Nous mesurons aujourd'hui les conséquences de ce refus d'écouter la représentation nationale.
J'entends ce que vous dites sur les différentes mesures de l'effort porté par le PLF, entre tendanciel et structurel mais 'les Français retiennent malheureusement ce qui fait peur. En tout cas, l'ensemble des sénatrices et des sénateurs espèrent avoir un vrai débat sur le projet de loi de finances et retrouver à cette occasion un espace démocratique. Au regard de la situation politique, le Sénat aura un rôle particulier.
La perfect storm qu'avait évoquée devant nous le ministre de l'économie et des finances pour expliquer l'erreur de prévision des hauts fonctionnaires de Bercy fait aujourd'hui figure de tempête permanente. J'estime pour ma part qu'une prévision de déficit initiale de 4,4 points de PIB qui est revue à 6,1 points, voire à 6,3 points en cours d'exercice ne peut pas reposer sur des bases sincères. Les prévisions sur lesquelles se fonde ce PLF vous paraissent-elles plus fiables ?
Par ailleurs, le PSMT dont vous avez été saisi prévoit une augmentation du ratio d'endettement par rapport au PIB jusqu'en 2027. Comment éviter le cercle vicieux par lequel la dégradation de la situation budgétaire et la dégradation des conditions 'd'emprunt s'entretiendraient mutuellement ? Comment échapper à ces mâchoires qui risquent d'entraver les perspectives d'évolution plus favorables des conditions de financement et de redressement de nos comptes publics ?
Si la situation de notre pays est inédite, pour ne pas dire catastrophique, je crois que plus que jamais, nous aurons la faculté, lors du débat parlementaire, de proposer des arbitrages en faveur d'une baisse immédiate de la dépense publique.
M. Pierre Moscovici. - La trajectoire proposée est en tout cas plus raisonnable que celle que prévoit la loi de programmation des finances publiques et que celle qui était avancée par le programme de stabilité, dont le Haut Conseil avait estimé qu'elle manquait de cohérence et de crédibilité. L'objectif de repasser sous le seuil des 3 % de PIB de déficit public en 2027 - nous le disions cet été dans le rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques - paraissait acrobatique, pour ne pas dire improbable. Il est devenu impossible dès lors que la prévision de déficit pour cette année s'est établie à 6,1 points de PIB.
Je ne puis dire si le Gouvernement parviendra à documenter cette trajectoire d'ici à trois semaines, mais ce que je sais, c'est qu'il doit impérativement le faire. Je le redis : pacta sunt servanda, les trajectoires sont faites pour être respectées. Des changements permanents de trajectoire ne sont pas bons. L'année prochaine, je serai sans doute saisi d'un PSMT bien plus documenté.
Le tendanciel repose sur des conventions que nous avons peu d'informations pour apprécier. Quel est le tendanciel sur les dépenses de l'État, la masse salariale ou l'emploi ? On prend en compte des décisions prises comme la revalorisation des médecins généralistes, mais cela n'a pas d'effet massif ! L'on a parfois l'impression que cela relève de calculs faits sur un coin de table, et du prolongement de tendances qui pour catastrophiques qu'elles soient, ne sont pas toujours expliquées. Le dérapage du solde public en 2024 s'explique par plusieurs facteurs : certaines mesures du programme de stabilité qui n'ont pu être mises en oeuvre du fait de la dissolution, des hypothèses volontaristes sur certaines dépenses, des moins-values de recettes. Il faudra faire le partage exact pour savoir précisément ce qu'il s'est passé.
J'ai toutefois la certitude tranquille que le structurel est ce qui reste. C'est une indication plus robuste que celle produite par le Gouvernement. Et j'ai également la certitude que le partage recettes-dépenses affiché n'est pas exact. Je pense que le Gouvernement ne le contestera pas. Le budget de cette année comporte de nombreuses mesures fiscales. Il ne pourra par définition y en avoir autant dans les prochaines années, d'une part parce que certains impôts envisagés sont pluriannuels, et d'autre part parce qu'il y a des limites aux augmentations d'impôt. Si on fait cela deux fois, bonjour les dégâts !
Si je n'ai pas à relater la teneur des discussions au Haut conseil, il se peut que nous ayons pu en débattre les années précédentes, par exemple lorsque la prévision de croissance du Gouvernement s'élevait à +1,4 % alors que le consensus des économistes prévoyait +0,8 %... Nous avions également estimé que les hypothèses du programme de stabilité n'étaient pas cohérentes, ce qui est pour nous une sémantique très rude pour ne pas dire violente ! En revanche la question de la sincérité de ce budget 2025 ne s'est même pas posée au Haut Conseil. Le report de deux ans du retour du déficit en deçà du seuil des 3 % du PIB, la prévision de croissance y compris potentielle raisonnable - mais optimiste, ce qui est un facteur de risque - sont des éléments positifs.
La charge de la dette va continuer à augmenter. Elle pourrait se situer à 2,8 points de PIB en 2027-2028, soit à plus de 90 milliards d'euros, et ce à supposer que les conditions de financement restent convenables. Or celles-ci peuvent se dégrader si notre pays n'est plus jugé crédible. Je n'ai jamais été de ceux qui crient à la faillite ou qui comparent la France à la Grèce. Nous ne sommes pas dans cette situation-là. Nous sommes un pays solide, robuste, avec une économie étendue. Notre dette trouvera donc preneur. Mais nous ne pourrons pas agir avec 90 à 100 milliards d'euros de charge de la dette. C'est vraiment la dépense la plus bête qui soit. Par ailleurs, la charge de la dette renchérit à mesure que nous perdons en crédibilité.
Il nous faut donc agir si nous ne voulons pas passer de l'étranglement à l'asphyxie. Si nous agissons, nous retrouverons des marges.
M. Thierry Cozic. - Je salue l'intervention du Haut Conseil, qui a effectué un travail de qualité en un temps record. Jamais sous la Ve République, un projet de loi de finances n'aura été préparé dans une telle improvisation, alors même que l'urgence appelle des mesures inédites.
Ce texte est un PLF « à trous » comme l'atteste la différence entre les chiffres de déficit - 5,2 % du PIB au début de la discussion mais 5 % espérés à la fin. Depuis quelques années, les prédictions de déficit et de croissance n'ont eu de cesse de plonger les finances publiques dans le rouge. Confirmez-vous que l'effort prévu par le projet de loi de finances pour 2025 est bien de l'ordre de 70 % d'augmentation des recettes et de 30 % de réduction de la dépense publique ?
- Présidence de M. Bernard Delcros, vice-président -
M. Thomas Dossus. - Les différents organismes s'accordent sur une prévision de croissance autour de 1,1 % pour 2025. Or l'impact dépressif de ce budget est évalué par le Gouvernement lui-même à 0,5 point de croissance. Dans ces conditions, comment pouvez-vous qualifier de raisonnable et légèrement optimiste la prévision de croissance sur laquelle se fonde le budget, alors même qu'elle ne tient pas compte de cet impact dépressif ? Compte tenu de la baisse des investissements que les efforts demandés vont emporter, cela ne relève-t-il pas davantage de la science-fiction ?
M. Pascal Savoldelli. - Vous évaluez à 42 milliards d'euros l'effort budgétaire de 60 milliards d'euros que nous annonce le Gouvernement. Cela pose tout de même la question de la sincérité des bases du travail parlementaire. Merci donc de ce moment de vérité !
Vous semblez balayer l'idée d'une responsabilité des marchés financiers ou du programme de stabilité dans la situation de nos finances publiques. Je rappelle, car il importe de tout dire, que le montant des intérêts payés par la France aux marchés financiers est passé de 33,8 milliards d'euros en 2022 à 56 milliards d'euros en 2024 du fait du relèvement du taux directeur de la Banque centrale européenne et de l'inflation.
Au mois de mars dernier, le Sénat avait demandé un projet de loi de finances rectificative afin de débattre des 10 milliards d'euros de coupes effectuées dans le budget de l'État. Nous n'avons pas pu en discuter, nous avons même peiné à identifier ces coupes... Avant d'envisager de nouveaux efforts budgétaires, j'estime qu'il nous faudrait disposer d'une évaluation de leurs effets.
Ce budget suscite de vives inquiétudes dans les domaines de l'éducation, de la santé ou encore parmi les collectivités territoriales. Vous avez fait fort, il faut bien le dire, en proposant la suppression de 100 000 emplois dans les collectivités territoriales d'ici à 2030 ! Quelles seront les conséquences de ce projet de loi de finances, d'après les derniers documents dont on dispose, sur les agents travaillant dans ces secteurs et sur les populations ?
- Présidence de M. Claude Raynal, président -
M. Grégory Blanc. - Je tiens à souligner à mon tour la qualité des travaux du HCFP. Vous avez expliqué, à juste titre, que l'absence de maîtrise des comptes publics était problématique au regard des enjeux de souveraineté. Comme l'a indiqué notre rapporteur général, nous avons sans doute désormais une approche plus réaliste des finances publiques. Ces dernières années, nous avons été bercés par un slogan, celui de la stabilité fiscale, qui était quelque peu éthéré, voire hors sol. J'en veux pour preuve que l'effort d'ajustement reposera, comme vous l'avez indiqué, à hauteur de 70 % sur l'impôt.
En 2024, « année noire » pour les finances publiques selon vos propres termes, les quelques mesures qui ont été prises ont consisté en des gels de crédits ayant affecté les contractuels ou les investissements dans l'écologie et dans les réseaux - trains, numérique, etc. Il n'y a pas eu de réforme structurelle : ni sur la fiscalité ni sur les dépenses de l'État. Il me semble que la maquette budgétaire pour 2025 ne comporte pas non plus de réforme structurelle. En dehors de la réduction des dépenses de l'État de 5 milliards d'euros, qui n'est pas détaillée, l'effort porte de nouveau sur les investissements utiles pour l'avenir, à l'exception des investissements à caractère militaire.
Mme Christine Lavarde. - Dans son avis sur le programme de stabilité, le HCFP avait déploré la qualité de l'information qui lui avait été transmise. La direction générale du Trésor avait émis des alertes dès le mois de janvier sur l'évolution des recettes. Avez-vous eu connaissance de ces éléments ? Pouvez-vous demander à Bercy des documents complémentaires à ceux qui vous sont adressés pour établir vos avis ?
Vous jugez que la trajectoire du PSMT de la France est plus réaliste. Toutefois, pour qu'un État puisse bénéficier par l'Union européenne d'un allongement du délai qui lui est consenti pour revenir à l'équilibre budgétaire, il faut qu'il montre qu'il n'y aura pas de réduction des investissements dans des domaines stratégiques pour l'Europe : la recherche, la défense, l'écologie, etc. Or ce projet de loi de finances contient des coupes significatives dans certains de ces domaines, sur la décarbonation par exemple. En tant qu'ancien commissaire européen, pensez-vous que la Commission européenne acceptera la copie du Gouvernement ?
M. Pierre Moscovici. - Permettez-moi tout d'abord de vous remercier pour vos compliments sur le travail du HCFP. Le Haut Conseil n'est pas la Cour des comptes : il est composé d'une équipe pluraliste d'une quinzaine de personnes, dont les profils sont très divers - des économistes, des membres de la Cour des comptes, mais ils ne sont que quatre, etc. Chacun a ses convictions et apporte son expertise. Les membres sont nommés par des autorités différentes : par le président du Sénat ou par le président de l'Assemblée nationale, par exemple. Certains sont de gauche, d'autres de droite : on peut s'attendre à ce qu'Éric Doligé et Michaël Zemmour ne pensent pas exactement de la même façon, et heureusement. Mais ils se mettent toujours d'accord, car nous procédons par consensus. Notre travail est collectif. Le HCFP, ce n'est pas la Cour des comptes. Il ne se résume pas non plus à son président, qui n'est qu'un animateur. Nous sommes assistés par une petite équipe, qui réalise un travail remarquable de haut niveau, dans des délais toujours très serrés. Nos avis sont adoptés à l'unanimité, à l'issue de débats internes. Ils découlent d'une analyse solide et robuste.
Nous estimons que l'effort budgétaire sera réparti à 70 % sur les impôts et à 30 % sur les dépenses. En tout cas, il nous semble certain que la fiscalité augmentera de 30 milliards d'euros, que l'on raisonne en tendanciel ou en structurel. J'ai dit aussi que l'effort structurel restait devant nous. J'observe d'ailleurs que vos questions portent non pas seulement sur ce budget, mais aussi sur l'avenir.
Vous m'avez interpellé sur la prévision de croissance. Comme je l'ai dit, celle-ci nous paraît un peu élevée. La prévision retenue de 1,1 % du PIB est, certes, conforme au consensus des économistes, mais il s'agit de la croissance ex ante, avant la prise en compte des effets restrictifs d'un budget prévoyant un ajustement structurel de 1,2 point de PIB. Si l'on retient un multiplicateur keynésien de 0,5, alors la croissance sera réduite d'environ 0,6 point. Cela signifie que pour obtenir une croissance finale de 1,1 point de PIB, il faudra que la croissance spontanée soit de 1,7 point. Notre appréciation est toutefois prudente, car tout n'est pas mécanique. Nous avons ainsi constaté les années passées que la croissance française pouvait faire preuve d'une certaine forme de robustesse, et s'avérer finalement meilleure qu'attendu. Certains événements ou aléas peuvent avoir une influence : cette année, par exemple, il y a eu un effet jeux Olympiques. La prévision n'est donc pas une science exacte. Nous ne sommes pas, au HCFP, des optimistes invétérés ; nous disons simplement que la prévision est « un peu élevée », en raison de risques baissiers significatifs liés à l'impact récessif des mesures, mais elle n'est pas impossible à atteindre.
Le général de Gaulle disait que « la politique de la France ne se fait pas à la corbeille ». Certes, mais les marchés existent et quand on doit emprunter 300 milliards d'euros chaque année, il faut tout de même tenir compte de leur avis et de celui des agences de notation ! Nous devons donc veiller à notre crédibilité, pour nous-mêmes et pour l'Union européenne.
Quant à l'euro, il faut bien reconnaître que nous en bénéficions plus que d'autres : s'il n'existait pas, le spread avec l'Allemagne serait certainement plus élevé. Souvenez-vous de la politique du franc fort dans les années 1990 : l'arrimage de notre monnaie au mark avait pour contrepartie que nos taux d'intérêt étaient supérieurs de 5 points à ceux qui s'appliquaient outre-Rhin ! Je comprends vos remarques sur la BCE. Je tiens à préciser toutefois qu'il est normal que les taux soient positifs. L'anomalie, c'est cette parenthèse magique d'une dizaine d'années pendant laquelle les taux étaient négatifs : on a cru alors que plus on s'endettait, plus on gagnait d'argent ; c'est une illusion. La Banque centrale revient progressivement à un régime normal de taux positifs.
La coupe budgétaire de 10 milliards d'euros était presque compensée par des reports de crédits de 2023. Il est certain que si un PLFR avait été adopté à temps, la situation serait quelque peu différente aujourd'hui. Les mesures de freinage ou d'ajustement ont été limitées, et cela a un impact.
En tant que Premier président de la Cour des comptes, je tiens à préciser que la Cour ne propose pas et n'a pas proposé de supprimer 100 000 emplois dans les collectivités locales. Elle n'a même pas proposé de supprimer un seul emploi. On estime cependant qu'il est possible de modifier la gouvernance des collectivités locales. Il serait alors envisageable, à terme, de fonctionner avec 100 000 emplois de moins en 2030, en ne remplaçant pas tous les départs en retraite par exemple. Nous avons aussi publié plusieurs rapports sur le temps de travail dans les collectivités locales, qui reste parfois inférieur aux 35 heures. Une amélioration de la gouvernance permettrait d'aboutir à une baisse du nombre d'emplois en 2030, mais nous ne proposons évidemment pas de supprimer des emplois.
Pour ce qui est des réformes structurelles, ce budget porte les traces de la situation politique que l'on connaît. Le gouvernement précédent a expédié les affaires courantes pendant deux mois. Le nouveau Premier ministre a été nommé le 5 septembre, le Gouvernement a été composé quinze jours après et le projet de loi de finances a été présenté le 10 octobre. Dans ces circonstances, un tel budget est nécessairement marqué du sceau de l'urgence et peut difficilement comporter des réformes structurelles importantes. Cela signifie qu'il faudra réfléchir, à l'avenir, à une meilleure qualité de la dépense publique. Nous devons ramener nos déficits sous la barre des 3 % en cinq ans. Notre effort devra être maintenu, de l'ordre de 20 milliards d'euros par an. Les réformes devront évidemment être structurelles, car il ne sera pas possible de prendre indéfiniment des mesures d'ordre conjoncturel.
En ce qui concerne la qualité de l'information qui nous est transmise, le HCFP est habilité à demander des éléments complémentaires au Gouvernement. Pour ne rien vous cacher, j'ai manifesté, cette fois-ci, une légère mauvaise humeur, car le Gouvernement ne nous a pas fourni un certain nombre de documents, que vous avez d'ailleurs aussi eu du mal à obtenir en tant que parlementaires, et lorsqu'il nous les communiquait, on constatait que les informations figuraient déjà dans la presse le matin... C'est agaçant ! Le respect des institutions est important dans une démocratie. Des progrès peuvent être faits en matière de transparence. Si ce n'est pas le cas, nous serons plus intrusifs.
C'est à vous qu'il revient d'apprécier et d'évaluer les mesures que le Gouvernement propose. Il ne m'appartient pas de me prononcer à la place des parlementaires. La Commission européenne, puis les États membres ensuite, vérifieront si la trajectoire du PSMT est cohérente avec les mesures présentées. Il est clair que le document ne peut pas être présenté en l'état. La Commission ne sera pas contente du tout !
Tout est affaire de choix. Vous avez rappelé les priorités de l'Union européenne, sur la transition écologique notamment. Je ne peux, à titre personnel, que vous rejoindre sur ce point. Nous sommes face à une montagne de dettes et à un mur d'investissement. On ne peut pas ne pas investir dans la transition écologique à l'avenir. Il est certainement possible d'améliorer certains mécanismes. La Cour des comptes avait ainsi publié un rapport sur MaPrimeRénov' voilà quelques années. Toute économie dans le secteur n'est pas illégitime, mais si tous les financements pour la transition écologique baissent, ce sera contre-productif pour l'avenir de la planète et de nos enfants.
M. Vincent Capo-Canellas. - Nous attendons tous les ans avec inquiétude et une certaine gourmandise l'adjectif que vous allez choisir pour qualifier les hypothèses retenues par le budget. « Fragile », avez-vous dit cette fois : voilà qui résume très bien, malheureusement, le budget et la situation politique actuelle. Un autre mot qui revient souvent est celui d'urgence, car le budget a été préparé dans des délais très courts, et il est urgent d'agir compte tenu de la situation financière de notre pays.
De ce projet de loi de finances, on retient surtout le choc fiscal et le risque récessif qu'il comporte. D'autres scénarios étaient-ils possibles ? La hausse de la fiscalité est une solution de facilité pour équilibrer les comptes, mais on n'a pas toujours le choix. N'assiste-t-on pas à une certaine forme de schizophrénie de la part du Gouvernement, qui annonce un choc fiscal sans renoncer pour autant à la politique de l'offre suivie jusque-là avec, pour but, de rétablir la croissance en favorisant le taux d'emploi ? Certains secteurs vont subir l'imposition de nouvelles taxes, toujours qualifiées d'« environnementales ». Ainsi, 2,5 milliards d'euros sont déjà prélevés sur les billets d'avion tous les ans. Il est prévu de prélever 1 milliard supplémentaire. Ne doit-on pas craindre une attrition de la base fiscale et une asphyxie de certains secteurs économiques ?
Ce budget a été improvisé dans l'urgence. Ne faudrait-il pas prévoir un PLFR à tête reposée au début de l'année prochaine, pour mettre en oeuvre des mesures plus structurantes ?
M. Albéric de Montgolfier. - Le HCFP a été créé par une loi organique en application des traités européens, mais le Gouvernement ne tient guère compte de ses avis et de ses prévisions macroéconomiques. Ma question sera un petit peu provocatrice : à quoi servent les avis du Haut Conseil ?
M. Pierre Moscovici. - Vous me permettrez d'être aussi provocateur dans ma réponse !
Mme Nathalie Goulet. -Si je comprends bien, lorsque vous employez l'expression « peu cohérent », votre reproche est violent ; de même, votre « légère mauvaise humeur » est en fait de l'agacement... Pourriez-vous nous fournir un glossaire l'année prochaine ? Je serai moins diplomate que vous en mettant en avant la chaîne d'irresponsabilité qui nous a conduits à la situation actuelle : finalement, personne n'est responsable ; les éléments d'information ne sont pas transmis ; le Parlement est incapable de se faire entendre, etc.
Avec quelques collègues, pour montrer notre agacement, nous avons attaqué devant le Conseil d'État le décret d'annulation de crédits de février, car celui-ci constitue un vrai dol budgétaire. La procédure est toujours en cours.
Quelles seront les conséquences de ce budget sur la signature de la France ? Les agences de notation sont en train de revoir leur position et leur notation. Que pensez-vous également du niveau des engagements hors bilan ? Le texte ne comporte rien sur la lutte contre la fraude et l'évasion fiscale. Ne faudrait-il pas pourtant prendre ces sujets à bras-le-corps ?
M. Raphaël Daubet. - Vous jugez que les prévisions d'inflation du Gouvernement en 2025 sont « un peu élevées » : pourriez-vous nous en dire plus ?
Le poids de la dette nous permet-il encore d'agir ? L'important dans la dette, c'est ce que nous en faisons. Celle-ci nous permet-elle de financer des investissements d'avenir susceptibles d'améliorer notre croissance ?
M. Laurent Somon. - Nous avions eu déjà des déceptions sur les recettes l'an dernier. Cette année le dérapage par rapport aux prévisions initiales est encore plus flagrant, sans que nous ayons d'explications précises. Les montants escomptés pour les nouvelles recettes sont-ils crédibles ou bien vous paraissent-ils optimistes ?
M. Jean-Raymond Hugonet. - Le tableau de l'état des finances publiques que vous nous avez présenté est catastrophique. Nous ne sommes pas surpris : voilà trois ans que nous prêchons dans le désert. La catastrophe était annoncée. L'épargne est surabondante en France. 'Comment pourrait-elle à un moment donné être utilisée ? J'ai l'impression qu'elle est dans l'oeil du cyclone...
M. Stéphane Sautarel. - L'évolution de la dépense publique ne me semble endiguée que de manière très limitée. Vous avez expliqué qu'il ne s'agissait pas d'austérité. Vous avez rappelé les vertus de la rigueur. Mais peut-on parler de rigueur ? Il est aussi peu question de réduire les dépenses fiscales dans ce budget. Avez-vous des éléments sur ce sujet ?
M. Pierre Moscovici. - Un autre scénario est-il possible ? Nous devons absolument reprendre le contrôle de nos finances publiques. C'est le rôle du Parlement, et non du HCFP, de définir les modalités. J'indique toutefois qu'il est crucial d'analyser les dépenses sous le prisme de la qualité. Je ne sais pas si un PLFR sera nécessaire. Tout dépendra de la qualité de l'exécution du budget.
Vous me demandez à quoi sert le Haut Conseil. Mais, au fond, la question est, si j'en juge par certains de vos propos : à quoi servons-nous tous ? Le Parlement comme le Haut Conseil sont des vigies, des garde-fous, des lanceurs d'alerte. Le Parlement est plus que cela, c'est aussi le lieu du débat. Si celui-ci n'a pas lieu ou n'est pas suivi d'effets, on assiste à des dérapages budgétaires. Le Parlement est nécessaire. Le Haut Conseil fait aussi un travail utile, en éclairant les débats, en formulant des avis qui sont écoutés par les Français. Ces derniers ont ainsi pris conscience, ces derniers mois, que notre pays était trop endetté. Les enquêtes d'opinion le montrent bien. Ce changement d'attitude montre que nous finissons par être entendus. Cette voix de la vérité finit par être entendue et a des conséquences démocratiques : un pouvoir qui ne l'écoute pas finit par être sanctionné. Nous participons à la qualité du débat démocratique. On pourrait regretter qu'il ne soit pas meilleur dans notre pays, mais quoi qu'il en soit, nous continuerons à jouer notre rôle.
S'agissant de la signature de la France, le Gouvernement prévoit une hausse des taux d'intérêt, qui passeraient de 3,3 % fin 2024 à 3,6 %. L'écart de taux avec l'Allemagne augmente depuis le mois de mai, même s'il s'est un petit peu réduit à la suite de certaines annonces. C'est bien l'indicateur qu'il faut suivre. Il est donc important d'annoncer des mesures crédibles et de les mettre en oeuvre. Il faut aussi faire preuve de stabilité. Si les chiffres que nous donnons ne cessent d'évoluer, cela finit par poser des problèmes.
Je suis un peu embarrassé pour vous répondre sur la fiscalité, la lutte contre la fraude et l'évasion fiscale parce que cela ne fait pas partie des compétences du Haut Conseil. Notre rôle est de formuler un avis sur le réalisme du scénario macroéconomique et des prévisions de recettes et de dépenses. Nous n'avons pas à nous prononcer sur le détail du budget. C'est le rôle du Parlement.
La prévision d'inflation nous semble un peu élevée au regard du mouvement de désinflation entamé depuis le début de l'année et de la conjoncture internationale. Le Gouvernement a révisé en hausse de 0,1 point par rapport au programme de stabilité ses prévisions d'inflation. Certes, celle-ci sera soutenue par la revalorisation des tarifs médicaux en décembre 2024 et par la hausse du coût du travail au niveau du Smic, mais plusieurs facteurs baissiers existent : en septembre 2024, les prix à la consommation n'ont augmenté, d'après l'Insee, que de 1,2 % sur un an. Tout bien balancé, on estime que les estimations sont « un peu élevées ».
Vous me demandez un glossaire pour traduire les avis du HCFP, mais celui-ci émerge progressivement au fil de nos rapports. Je vous rappelle qu'il s'agit d'une jeune institution. Sa « jurisprudence » est encore récente.
Concernant le sujet de l'endettement, la question essentielle est celle du rapport entre la dette et l'investissement. Un pays qui est trop endetté ne peut plus investir dans quoi que ce soit. Il est complètement ligoté. Je ne suis pas un ayatollah du désendettement. Je suis juste convaincu qu'un État trop endetté est paralysé, impuissant et finalement inutile. Nous avons besoin de retrouver des marges de manoeuvre. C'est une question de souveraineté. Tout euro consacré au remboursement de la dette est un euro perdu pour le service public et pour l'investissement ! Voilà pourquoi il faut la réduire.
Il faudra comprendre comment le dérapage sur les recettes fiscales a pu se produire, afin de corriger ce qui doit l'être. Il ne s'agit pas de remettre en cause telle personne ou telle administration. Quelque chose s'est déréglé en 2023 et en 2024. Les prévisions de recettes se sont révélées profondément erronées. Peut-être faut-il modifier les modèles de prévisions - on peut constater que celles-ci sont désormais trop favorables - ou réévaluer l'appréciation des facteurs influant sur les recettes. Je pense notamment à la composition de la croissance. En tout cas, nous devons comprendre ce qui se passe.
Les estimations de croissance de la TVA nous paraissent crédibles. Nous avons quelques raisons de penser que la dérive par rapport aux prévisions devrait être bien moindre l'an prochain, mais nous ne pouvons pas pour autant en être certains.
La préférence française pour l'épargne ne se dément pas, alors que certains facteurs devraient entraîner sa baisse et favoriser une reprise de la consommation. La composition de la croissance en France a changé : elle est désormais tirée davantage par les exportations que par la consommation intérieure. Cela a des effets sur les recettes de TVA. Cette évolution figure parmi les éléments susceptibles d'expliquer la dégradation des rentrées fiscales. Or la consommation intérieure ne repartira vraiment que le jour où l'épargne commencera à refluer. L'économie française est marquée actuellement par une surépargne.
Vous devriez interroger le Gouvernement sur la répartition entre ce qui relève du tendanciel et ce qui est d'ordre structurel. Même si notre appréciation diffère de celle du Gouvernement, je peux comprendre son raisonnement. Néanmoins, s'il prétend réaliser un ajustement de 60 milliards d'euros, il doit justifier que l'évolution tendancielle des dépenses était bien celle qu'il indique.
En revanche, nous sommes formels sur l'effort structurel : celui-ci repose à 70 % sur les hausses de prélèvements obligatoires et à 30 % sur les dépenses. Quant à l'effort fiscal, il sera davantage de l'ordre de 30 milliards d'euros que de 20 milliards.
La devise de la Cour des comptes est : « Elle rétablit l'ordre par la lumière ». Telle est notre mission. J'espère que ces éléments éclaireront vos débats.
III. AUDITION D'ÉCONOMISTES SUR LES PERSPECTIVES DE L'ÉCONOMIE FRANÇAISE ET LA SITUATION DES FINANCES PUBLIQUES (23 OCTOBRE 2024)
Réunie le mercredi 23 octobre 2024 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a entendu Mme Anne-Laure Delatte, directrice de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), rattachée à l'université Paris Dauphine-PSL (en visioconférence), M. Olivier Redoulès, directeur des études de l'Institut Rexecode, et Mme Natacha Valla, présidente du Conseil national de productivité (CNP).
M. Claude Raynal, président. - Grâce à cette audition commune consacrée aux perspectives économiques de la France et à la situation des finances publiques, nous allons nous pencher sur ce que pensent les économistes du budget pour 2025 qui est soumis à notre examen et sur son impact sur l'économie française. Nous entendons Mme Anne-Laure Delatte, directrice de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), rattachée à l'Université Paris-Dauphine PSL, et qui se trouve en visioconférence ; M. Olivier Redoulès, directeur des études à l'institut Rexecode ; et Mme Natacha Valla, présidente du Conseil national de la productivité (CNP).
Le projet de loi de finances (PLF) pour 2025 est construit sur un ensemble d'hypothèses macroéconomiques formulées par le Gouvernement et sur lesquelles notre commission souhaite bénéficier de vos analyses, après avoir déjà entendu, le 11 octobre dernier, M. Pierre Moscovici en sa qualité de président du Haut Conseil des finances publiques (HCFP).
Pour redresser des finances publiques parvenues à un niveau de dégradation inédit, avec un déficit pour 2024 prévu pour l'instant à 6,1 % du PIB, le Gouvernement envisage dans le cadre du budget pour 2025 un effort structurel de 42 milliards d'euros, répartis entre 30 milliards d'euros de mesures nouvelles en prélèvements obligatoires et 12 milliards d'euros en baisses de dépenses. Cet effort est d'autant plus important que l'évolution spontanée des recettes serait, comme en 2023 et 2024, inférieure à celle du PIB. De ce fait, pour atteindre un ajustement structurel de 1,1 point de PIB - permettant le passage d'un déficit de 6,1 % à 5 % du PIB -, un effort structurel de 1,4 point de PIB, soit de 42 milliards d'euros, est nécessaire. Selon le Gouvernement, qui prend comme référence le « tendanciel » pour 2025, l'effort consenti pour atteindre un déficit de 5 % du PIB serait en réalité de 60 milliards d'euros. Je ne suis pas convaincu qu'il s'agisse de la bonne référence, et je pense même qu'il faut définitivement l'oublier pour clarifier nos débats.
Le Gouvernement prévoit une croissance du PIB de 1,1 % en 2025, alors même que l'ajustement structurel s'élève à 1,1 point de PIB. Selon le HCFP, cela signifie que la prévision de croissance sans cet ajustement serait de 1,7 %. Si l'on retenait comme base de calcul pour la détermination du niveau d'ajustement les 60 milliards d'euros sur lesquels communique le Gouvernement, cela signifierait que la croissance hors ajustement dépasserait les 2 % !
Cette prévision « hors ajustement » est bien plus élevée que la croissance en 2023 et 2024, bien plus élevée aussi que la croissance potentielle et que ce qu'anticipait le consensus des économistes dans sa dernière publication du 7 octobre dernier pour 2025, à savoir 1 %.
En somme, cela signifie ou bien que la prévision de croissance hors ajustement est trop élevée, ou bien que l'impact récessif estimé de l'ajustement envisagé est trop faible. L'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), qui a publié sa note de conjoncture peu de temps après le dépôt du PLF, estime ainsi que la croissance devrait s'élever non pas à 1,1 %, mais à 0,8 % du PIB. Madame Delatte, sans proposer de prévisions de croissance, vous avez vous-même dans un article récent estimé que l'impact récessif de l'ajustement budgétaire serait de - 0,6 point de PIB en 2025 et même de - 1,7 point en 2026.
Nous aimerions connaître votre sentiment à tous les trois sur le sujet.
Nous aimerions également connaître votre analyse du dérapage hors norme du déficit pour l'année 2024.
Enfin, pour déterminer les grandes lignes de son scénario macroéconomique, le Gouvernement a formulé diverses hypothèses. Selon lui, l'assouplissement de la politique monétaire opéré depuis juin dernier par la Banque centrale européenne (BCE) et qui devrait se poursuivre en 2025 permettrait un rebond de l'investissement, après une chute, en 2024, qui n'avait pas été anticipée par le gouvernement Borne et à propos de laquelle la commission des finances alertait pourtant. Par ailleurs, le Gouvernement mise sur une hausse de la consommation des ménages expliquée par le reflux de l'inflation et la baisse du taux d'épargne : une certaine prudence devrait pourtant être de mise en la matière. Le Gouvernement anticipe également une forte hausse des exportations. Que pouvez-vous nous en dire ?
Je vous rappelle que cette audition est retransmise sur le site internet du Sénat et les réseaux sociaux.
Mme Anne-Laure Delatte, directrice de recherche au Centre national de la recherche scientifique, rattachée à l'université Paris Dauphine-PSL. - Je me suis principalement intéressée aux effets macroéconomiques du budget.
Tout d'abord, j'ai examiné le rythme d'ajustement exigé par les règles européennes. Le déficit structurel primaire, c'est-à-dire le déficit qui n'inclut pas le paiement des intérêts, est égal à 3,6 % du PIB, selon les prévisions du PLF pour 2025. Or les règles européennes exigent de réduire le déficit structurel primaire à 0,8 % du PIB. Les nouvelles règles prévoient des garde-fous en matière de déficit et de dette, soit un rythme minimum, avec un ajustement à réaliser en sept ans maximum. Pour respecter tous ces critères, c'est-à-dire faire un effort d'ajustement de l'ordre de 3 points de PIB sur sept ans et respecter le rythme minimum d'ajustement qui correspond aux garde-fous, il faut réaliser un effort structurel autour de 0,6 point de PIB par an, pendant sept ans, ce qui représente un effort d'environ 16 à 19 milliards d'euros par an. Cela a été calculé avec la méthodologie de centre de réflexion Bruegel.
Or le rythme d'ajustement prévu par le PLF pour 2025 n'est pas linéaire : on commence par un effort de 1,4 point de PIB en 2025, soit 42 milliards d'euros, puis entre 0,5 et 0,6 point de PIB par an jusqu'en 2031, pour conclure par un effort de 0,25 point de PIB en 2031.
Ainsi, je fais deux constats : la stratégie française et les exigences européennes sont très différentes. La stratégie française prévoit un effort initial beaucoup plus important qu'exigé, avant un ajustement légèrement moindre que ce qu'exigent les règles pendant plusieurs années notamment en 2031. Cela peut se négocier mais ce n'est pas exactement respectueux de ce que demandent les règles européennes avec leurs garde-fous. À terme, le déficit et la dette sont bien réduits si tout va bien.
Le but de la stratégie française est de réduire le déficit structurel pour dégager des marges de manoeuvre avant toute prochaine crise, d'envoyer un message positif et volontariste aux investisseurs et sans doute, aussi, un signal politique de la part du gouvernement Barnier.
Les risques sont que l'ajustement cumulé est légèrement supérieur à ce qui est nécessaire, entre 2 et 27 milliards d'euros de plus que ce qu'exigent les règles européennes, selon les estimations de l'institut Avant-garde. Le deuxième risque est le coût social des effets récessifs, notamment au regard des suppressions d'emplois à venir. Enfin, le troisième risque est de rater la cible, car les plans d'économies augmentent l'endettement à court terme, du fait des effets récessifs.
J'en viens au paradoxe de l'effet récessif des plans d'économies. Quand les administrations font des économies, elles réduisent la demande dans l'économie, ce qui diminue le PIB. Quand l'État réduit sa dépense ou augmente les prélèvements obligatoires, cela a un effet sur une grande partie des ménages. Un plan d'économies réduit l'activité économique les années suivantes, car, du fait des effets de demande et de revenu, la consommation et l'investissement baissent.
Cela a deux implications. Il existe un effet sur les recettes : moins d'activité entraîne moins de recettes. En raison d'un effet multiplicateur, des économies de dépenses à hauteur de 10 milliards d'euros réduiraient l'activité de 7,8 milliards d'euros l'année suivante. Cela conduit selon mes calculs à une évaporation de recettes de 4,4 milliards d'euros. Ainsi, pour 10 milliards d'euros, le déficit primaire ne baisse que de 5,6 milliards d'euros, alors qu'entretemps 15 000 emplois ont été supprimés.
Le second effet porte sur les ratios : moins d'activité augmente les deux ratios dette/PIB et déficit/PIB. Si le PIB baisse plus vite que la dette et le déficit, les ratios augmentent. Ainsi, si on part d'un déficit de 50 milliards d'euros, r 10 milliards d'euros d'économies de dépenses permettrait au déficit d'atteindre 44 milliards d'euros,. La dette passerait de 1 000 à 1 044 milliards d'euros et le PIB de 1 000 à 1 006 milliards d'euros. Ainsi, le déficit va baisser moins que les économies réalisées, le chômage va augmenter et la dette risque aussi d'augmenter à court terme.
Vous avez fait allusion, monsieur le président, à un article que j'ai publié la semaine dernière. J'ai effectivement estimé les effets macroéconomiques du PLF pour 2025, en ligne avec les prévisions de l'OFCE, en « traduisant » le texte initial du PLF en impulsions budgétaires.
La baisse des dépenses publiques de 12 milliards d'euros - soit 0,4 % du PIB - prévue par le PLF est à mettre en perspective avec des augmentations de prélèvements obligatoires à hauteur de 30 milliards d'euros ; une augmentation de l'impôt sur les sociétés (IS) qui doit rapporter 8,5 milliards d'euros - soit 0,3 % du PIB - ; une réduction des exonérations de cotisations sociales, ce qui correspond à augmentation des cotisations versées par les employeurs à hauteur de 0,1 % du PIB ; une hausse de l'impôt sur le revenu (IR) pour la tranche la plus élevée à hauteur de 0,1 % du PIB, et enfin une augmentation de la taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité (TICFE). Il y a encore d'autres économies dont la nature n'était pas précisée par le Gouvernement au moment du calcul.
Le modèle sur lequel je m'appuie est le modèle macroéconomique de l'économie française développé par le Trésor et l'Insee, dit « Mésange » (modèle économique de simulation et d'analyse générale de l'économie). Ledit modèle permet d'apprécier l'effet multiplicateur que j'évoquais précédemment : lorsque les dépenses sont réduites de 1 euro, le PIB se voit diminué de 78 centimes la première année, cette baisse étant appelée à être plus importante la deuxième année, soit en 2026.
La réduction des dépenses et la hausse des prélèvements obligatoires auraient pour conséquence une diminution des revenus des ménages, tandis que les carnets de commandes des entreprises seraient indirectement affectés par une moindre consommation des ménages et directement touchés par une diminution de la commande publique. Cet effet augmenterait dans le temps, car la baisse de la demande serait progressive. Si je me suis limitée aux deux premières années en raison des incertitudes politiques et de la difficulté de bâtir des projections à cinq ans, le modèle Mésange fait l'hypothèse que les effets des réductions de dépenses, loin de s'estomper, perdureraient et augmenteraient pendant cinq ans.
Pour ce qui est des effets macroéconomiques de l'impulsion budgétaire et fiscale du PLF pour 2025, le PIB augmenterait moins que prévu en 2025, avec une croissance qui ne serait que de 0,6 % pour une prévision de 1,2 %. Par conséquent, les recettes augmenteraient moins que prévu en ne progressant que de 0,3 point par rapport au scénario sans ajustement. Au total, pour 42 milliards d'euros d'économies, 10 milliards d'euros de recettes s'évaporeraient du fait des effets récessifs, d'où une diminution du déficit primaire d'environ 32 milliards d'euros.
En outre, la dette publique passerait de 113 % du PIB à 114,8 % du PIB, alors que les effets récessifs s'accentueraient en 2026, avec une variation du solde primaire qui ne serait pas loin de zéro en raison du ralentissement combiné de l'activité et des recettes. On pourrait continuer l'exercice pour 2026 puisque la stratégie pluriannuelle a déjà été établie. Si on fait un effort structurel de 0,5 point, on baissera de 0,6 ou 0,7 le solde primaire. À chaque fois qu'on fera des économies, on accentuera les effets récessifs. Il faudra donc prêter attention à l'effet récessif des réductions de dépenses.
M. Olivier Redoulès, directeur des études de l'institut Rexecode. - Merci de nous accueillir pour cette table ronde. En première réaction aux propos qui viennent d'être tenus, le modèle Mésange est extrêmement perfectionné et intéressant pour comprendre les effets à court et à moyen terme des différentes mesures fiscales, mais il présente au moins deux limites, à commencer par le fait de ne pas différencier les mesures. Or, quoi que l'on pense des mesures envisagées par le Gouvernement, ce dernier a essayé d'en limiter l'effet sur la conjoncture.
Par ailleurs, Anne-Laure Delatte ne semble pas avoir considéré l'effet positif à attendre sur les taux d'intérêt, le modèle Mésange donnant pourtant des estimations assez fortes de l'impact que pourrait avoir, par exemple, une hausse de 100 points de base des taux d'intérêt. Cette intégration du sujet des taux viendrait minorer assez fortement ce débat sur les effets de court terme : si vous perdez un peu de croissance à court terme, mais gagnez trois points de PIB à moyen terme, la question se posera forcément autrement, à la fois en termes d'activité économique et de recettes.
Sur le plan international, l'Europe reste dans une situation de croissance ralentie par rapport à la Chine et aux États-Unis, les trajectoires de croissance divergeant fortement. Le choc inflationniste semble se réduire, mais peut-être pas aussi fortement que ce que nous pensions, notamment aux États-Unis où les salaires continuent à être relativement dynamiques. Les taux d'intérêt pourraient rester élevés pendant assez longtemps, comme le montrent les mouvements à la hausse et à la baisse des anticipations de marché sur les taux d'intérêt ; parallèlement, la fragmentation du commerce mondial va sans doute au-delà du simple contrecoup du boom post-crise habituellement observé, dans la mesure où l'on observe une divergence entre la trajectoire du PIB mondial et celle du commerce mondial.
La Chine et les États-Unis accusent des déficits considérables et sollicitent une épargne mondiale qui est elle-même moins excédentaire qu'une dizaine d'années plus tôt : nous sommes structurellement sortis d'un monde où les taux d'intérêt réels étaient négatifs pour aller vers des taux d'intérêt clairement positifs, ce qui modifie la problématique de la consolidation budgétaire. En effet, lorsque les taux d'intérêt réels sont négatifs, la consolidation n'est guère utile à court ou à moyen terme dans la mesure où le ratio de dette publique baisse de manière un peu automatique. Ce n'est cependant plus le cas et nous ne savons pas quand nous sortirons de cette phase caractérisée par des taux positifs.
La France suit globalement la trajectoire de PIB moyenne de la zone euro depuis 2019, l'une des situations extrêmes étant celle de l'Allemagne, qui stagne littéralement puisque son PIB se situe exactement au même niveau que fin 2019 : on peut parler pour ce pays d'une demi-décennie perdue. En revanche, la majorité de nos voisins se sont montrés plus dynamiques que nous.
Avant la présentation du budget, l'institut Rexecode avait anticipé une croissance de 0,7 % en 2025, avec une légère diminution de l'emploi liée au redressement de la productivité, une inflation en recul et une légère reprise de la consommation des ménages, tandis que l'investissement productif devait continuer à baisser.
De manière assez étonnante, la demande interne française a été essentiellement soutenue par la dépense publique sur la période récente. En contrepoint, la consommation a été quasiment plate, tandis que l'investissement des entreprises est en repli depuis le milieu de l'année 2023. En matière d'investissement des entreprises, sur la décennie écoulée, la France avait pourtant suivi à peu près la même tendance que les États-Unis, mais l'écart a commencé à se creuser à cette date. À ce sujet, notre enquête menée avec Bpifrance en septembre 2024 montre que la moitié des très petites entreprises (TPE) ainsi que des petites et moyennes entreprises (PME) ont repoussé ou annulé des projets d'investissements et d'embauches en raison des incertitudes politiques.
Notre diagnostic, qui se rapproche de celui du Gouvernement, consiste à dire que la France est assez proche de son potentiel de croissance, avant la consolidation budgétaire - c'est-à-dire que c'est un potentiel qu'on atteint avec un déficit de 6 points de PIB. Notre modèle, calqué sur celui qui est utilisé par la Commission européenne, montre que l'écart de production - qui mesure la différence entre le PIB effectif et son niveau potentiel - est quasiment nul. La croissance du PIB s'établit autour de 1,1 % en 2024, en deçà de l'évaluation elle-même réévaluée à la baisse du Gouvernement, à 1,2 %.
J'en viens au programme d'ajustement lui-même, en rappelant qu'il convient de raisonner par rapport à des « tendances ». Ainsi, la diminution des dépenses à hauteur de 40 milliards d'euros interviendrait dans le cadre d'une tendance très dynamique des dépenses, qui auraient continué à croître en volume. Les prélèvements sont aussi en hausse par rapport à une tendance elle-même dynamique. Il faut aussi rappeler que le montant de 40 milliards d'euros affiché pour les dépenses comprend des diminutions d'allégements, donc des hausses de cotisations, donc de prélèvements obligatoires. D'après nous, l'effort structurel s'élève à environ 45 milliards d'euros, dont 27 milliards d'euros en recettes et 18 milliards d'euros en dépenses. Le calcul du HCFP est différent, mais identifie lui aussi une majorité de recettes.
Sur les 35 milliards d'euros de dépenses prévues, deux tiers ne sont pas connus ou incertains, seuls 12 milliards d'euros étant à peu près sûrs - et encore, l'avis du HCFP montrant que, malgré une annulation de crédits, les crédits reportés permettent de faire progresser la dépense et d'avoir des surprises. De surcroît, l'État n'a pas véritablement la main sur les dépenses des collectivités territoriales : même s'il peut freiner les ressources, il n'est pas certain que l'on aboutisse réellement à des baisses de dépenses. Enfin, 11 milliards d'euros correspondent à des mesures non documentées.
Les prélèvements, quant à eux, touchent majoritairement les entreprises. Si l'on inclut dans le calcul des mesures déjà programmées telles que la fin du bouclier tarifaire, ce sont 85 % - et non pas 70 % - des nouveaux prélèvements qui vont porter sur les entreprises, ce qui pose un vrai problème du point de vue de la croissance à court et à moyen terme.
Deux scénarios sont envisageables. Dans le premier, en intégrant un déficit de 6 % pour être au potentiel de croissance, cela signifie que notre potentiel de croissance soutenable est moindre. Nous pourrions être contraints de nous ajuster sur une trajectoire structurelle de PIB plus basse et vivre une situation équivalente aux pays qui ont connu des bulles immobilières, avec un ajustement venant corriger une phase de dopage de l'économie par le crédit.
Dans un second scénario, plus positif, nous pourrions considérer que ces 6 points de déficit freinent l'économie et qu'une consolidation budgétaire passant par des réformes structurelles pourrait aboutir à une croissance du PIB qui serait supérieure.
Je suis, pour ma part, agnostique s'agissant de ces deux trajectoires, qui dépendront beaucoup de la nature des mesures qui seront choisies. Ces observations nous ramènent à la composition du plan et aux 10 milliards d'euros de hausses de prélèvements qui vont pénaliser la compétitivité. Par exemple, la CVAE est maintenue jusqu'en 2028 alors qu'elle aurait dû être supprimée. Par ailleurs, la surtaxe d'IS, qui revient à un prélèvement sur la capitalisation boursière des entreprises, et la hausse du coût du travail affecteront la rémunération des facteurs de production et enverront un signal aux investisseurs, qui intégreront dans leur calcul de rentabilité une ponction tous les dix ans. Par ailleurs, les principales baisses de dépenses connues - telles que le décalage de la revalorisation des retraites - auront des effets plutôt neutres sur l'activité à moyen terme.
S'agissant de la croissance pour 2025, il existe une importante incertitude sur le niveau des « multiplicateurs budgétaires », un débat qui avait déjà été lancé par Olivier Blanchard en 2013. La situation est cependant très différente de celle de 2013, période de trappe à liquidité durant laquelle les taux d'intérêt étaient bloqués à zéro et qui était marquée par un mouvement de désendettement. Aujourd'hui, la position dans le cycle et la trajectoire baissière des taux d'intérêt réels et nominaux plaident en faveur de multiplicateurs plus faibles ; de plus, la nature des mesures atténue fortement l'effet récessif à court terme. À l'inverse, l'incertitude sur la fiscalité et la capacité productive future fait peser une véritable menace sur l'activité.
La hausse des cotisations va toucher les secteurs intensifs en main d'oeuvre, qui ne disposeront pas nécessairement de la possibilité de la répercuter sur les prix, notamment si leurs clients sont publics. En outre, certaines baisses de dépenses sociales et hausses d'impôts vont toucher des ménages financièrement contraints, tandis que la baisse des dépenses des administrations affectera mécaniquement le PIB. Certaines mesures ne sont pas encore connues.
En conclusion, j'ai le sentiment que le sujet est moins de court que de moyen terme. Il faudra conserver des marges de manoeuvre, car l'effort pourrait s'avérer insuffisant pour tenir la trajectoire. On peut estimer qu'il ne faut pas faire tout l'ajustement en début de période. Dans un monde idéal, on fait des réformes qui soutiennent la croissance, et on ajuste les finances publiques lorsque la situation est bonne. Ces marges n'existent pas en raison d'une inaction passée, à la fois depuis longtemps et sur la période la plus récente : une partie de la surprise sur le déficit n'en était pas vraiment une et tenait au fait que dans les documents du Gouvernement, il y avait 1,5 point de PIB de mesures à déterminer. Un tel niveau sur deux ans pose question. On peut cependant avoir intérêt à accélérer les choses car plus on retarde l'ajustement, plus la dette s'accumule. Or elle est sans doute scrutée de plus près que le déficit par les marchés financiers.
Mme Natacha Valla, présidente du Conseil national de productivité. - Merci de m'avoir invitée pour traiter ce sujet, inscrit à la fois dans l'actualité et dans une problématique de long terme pour notre pays.
J'aborderai plusieurs points, le premier ayant trait aux très forts effets des conditions initiales qui façonnent le débat budgétaire actuel dans notre pays, avec un ratio dette/PIB très élevé et la persistance d'un déficit primaire qui prend, en particulier cette année, des proportions inattendues et préoccupantes. Plus globalement, le Fonds monétaire international (FMI) vient de publier le numéro d'automne du Moniteur des finances publiques, qui évoque un record sans précédent de la dette publique depuis qu'on collecte cette donnée : celle-ci représente désormais 100 trillions de dollars et 93 % du PIB mondial. Au-delà des grands endettés que sont la Chine et les États-Unis, d'autres pays avancés sont concernés, dont le nôtre. Les exercices de soutenabilité de la dette, devenus très sophistiqués et incluant notamment des facteurs liés au passif contingent, sont explosifs quasiment partout, rendant la perspective générale sur l'endettement public assez défavorable. La publication fait également référence au concept de « dette à risque », qui met en perspective les chiffres de la dette avec les facteurs et aléas déjà évoqués : les taux d'intérêt, la croissance, etc.
Le deuxième point renvoie à la problématique de la trajectoire à moyen terme des dépenses, déjà évoquée par le « rapport Arthuis », remis par la commission sur l'avenir des finances publiques. Publié en 2021, ce document reste néanmoins d'actualité, ses annexes fournissant notamment des idées et des recommandations en matière de maîtrise de la trajectoire des dépenses à moyen terme.
La baisse du déficit structurel est un objectif prioritaire par rapport à cet enjeu de soutenabilité de la dette, sans oublier une question de gouvernance de moyen terme puisque la situation française est compliquée, notamment pour ce qui concerne la maîtrise des finances publiques au niveau des collectivités locales. Plus globalement, l'efficacité de la dépense publique doit être débattue : même si je comprends qu'un temps considérable soit consacré à la discussion sur la ventilation des dépenses, il serait essentiel d'en accorder autant à la mesure de leur efficacité.
J'en viens au troisième point, qui porte sur l'arbitrage nécessaire entre, d'une part, le caractère justifié de la dette pour lisser les chocs macroéconomiques dans le temps, notamment à l'occasion de crises ; d'autre part, la capacité à déployer des moyens pour construire la croissance potentielle de demain, elle-même un facteur de premier ordre pour la soutenabilité de la dette.
S'agissant du débat portant sur les multiplicateurs, j'aimerais mettre en avant des travaux moins visibles et relatifs à des multiplicateurs bien plus granulaires. En particulier, quand on ventile l'effet sur la croissance des différents postes de la dépense publique, on constate d'importantes différences. Le multiplicateur de l'investissement est ainsi très régulièrement considéré comme étant supérieur à un. Cela signifie que la réduction des investissements va casser la croissance à court terme. La meilleure raison pour ne pas y procéder est que, en raisonnant sur la ventilation des dépenses, une diminution des investissements affectera la trajectoire de croissance et la croissance potentielle, qui n'est déjà pas fameuse, comme le relevait justement Olivier Redoulès.
J'en viens aux questions de compétitivité et de productivité, en soulignant l'importance d'évaluer l'impact des mesures fiscales pour les performances de notre pays. Concernant la productivité, la France n'est pas dans sa meilleure forme - tout comme l'Allemagne et l'Espagne, certes -, mais se situe à rebours de l'Italie, des États-Unis et du Royaume-Uni, puisque notre productivité par tête et par heure travaillée est encore en deçà des niveaux d'avant la crise covid, soit une faiblesse persistante qui est tout à fait cohérente avec les estimations de croissance potentielle.
Une analyse détaillée de ces contre-performances de productivité permet de constater que les secteurs de la construction, du commerce et de nombreuses branches industrielles ont eu une contribution fortement négative dans ce mouvement ; à l'inverse, les secteurs de la communication, de l'information et de l'agriculture ont plutôt contribué de manière positive.
La ventilation des facteurs conjoncturels autour de cette faiblesse de la croissance de la productivité laisse apparaître que la proportion prise par l'apprentissage - sans critiquer ce dispositif - a eu un impact à court terme sur la croissance de la productivité. En outre, les mesures de soutien adoptées pour faire face à la crise sanitaire et à la crise énergétique ont contribué à maintenir un statu quo qui n'a pas été favorable à la performance en termes de productivité. La fin de ces mesures temporaires devrait générer une dynamique et libérer des équilibres économiques plus spontanés.
J'en termine avec la compétitivité, en rappelant que l'environnement international s'est fortement modifié et que la Chine a perdu des parts de marché dans le commerce mondial, tandis que la position de la France s'est améliorée. Nous gagnons des parts de marché, même si le solde de nos comptes courants reste négatif, la situation de l'Allemagne étant un facteur important pour notre compétitivité relative et notre performance commerciale. De surcroît, nous sommes devenus plus compétitifs sur les prix, le coût du travail ayant diminué en termes relatifs par rapport à nos partenaires commerciaux. En contrepoint, notre compétitivité hors prix ne s'est pas améliorée.
En résumé, la performance de la France sur les marchés mondiaux en matière commerciale et d'attractivité des capitaux et des investissements étrangers constitue l'un des rares facteurs favorables à l'heure actuelle,. J'estime qu'il faut intégrer ces éléments à la réflexion budgétaire et fiscale actuelle : certains de nos voisins se portent moins bien qu'avant et nous pouvons capitaliser sur des mesures qui ont été favorables aux entreprises et, de fait, à la croissance. Je dresse ce constat de façon très agnostique, rappelant simplement que nous avons besoin de la croissance pour assurer la stabilisation de la dette et l'équilibre des comptes publics.
En conclusion, j'attire votre attention sur le fait que la BCE n'est plus là pour acheter notre dette publique, pour la première année pleine. S'agissant du policy mix, le desserrement monétaire qui se dessine avec la diminution des taux d'intérêt peut compenser un resserrement budgétaire, mais restons vigilants par rapport aux facteurs spécifiques à notre pays, en particulier à l'égard de primes de risques qui sont plus élevées que par le passé.
M. Claude Raynal, président. - Merci pour vos trois exposés qui englobent des problématiques et des sujets plus larges que les réponses plus immédiates que nous recherchons dans le cadre du débat sur le PLF pour 2025, même si les conclusions à en tirer sur le plan des décisions politiques à court terme n'ont rien d'évident.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Nous sommes en effet à la recherche d'éclairages et je note que deux des trois économistes ont affiché une position agnostique, ce qui me préoccupe compte tenu de la nature du débat et de l'ampleur des ajustements à effectuer. On a plutôt retrouvé de la compétitivité, mais la productivité ne s'est pas suffisamment rétablie, et finalement nos comptes publics se sont très sensiblement dégradés et le niveau de la dette est inquiétant. D'après le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, que nous avons reçu le 11 octobre, l'économie française a bien résisté, mais à quel prix ?
Lorsque Mme Delatte a indiqué que le freinage de la dépense publique risquait de ralentir la croissance, je n'ai pas pu m'empêcher de penser que nous aurions dû enregistrer une croissance exceptionnelle ces dernières années au regard de l'ampleur des dépenses engagées. Je reste interrogatif.
De manière générale, notre objectif consiste à trouver des solutions pour redresser la situation et permettre au pays de retrouver confiance en lui-même, ce qui représente à mon avis la moitié du chemin.
D'après vous, le taux d'épargne des ménages pourrait-il se maintenir à un niveau élevé, ou au contraire refluer ?
Par ailleurs, le redressement observé sur le plan du commerce extérieur tient-il à des facteurs exogènes, notamment la tendance à la baisse de l'euro, ou à un renforcement de la compétitivité de l'appareil productif français ?
Comment l'accélération du dérapage du déficit public s'explique-t-elle en si peu de temps ?
Enfin, quel regard portez-vous sur la possibilité d'introduire une part de financement hors marchés de la dette publique sous une forme ou une autre ?
Mme Florence Blatrix Contat. - En réalité, trois questions se posent : le montant de l'ajustement budgétaire à réaliser - qui est cadré au niveau européen -, le rythme à suivre et l'identification de ceux qui doivent porter l'effort.
Certes, les entreprises porteraient une large part de l'effort. Mais comment expliquez-vous que la productivité n'ait pas été au rendez-vous ces dernières années, alors que plusieurs allègements de charges ont été octroyés aux entreprises, ainsi que des aides substantielles, notamment via le crédit d'impôt recherche (CIR) ? Une annulation de la politique de l'offre aurait-elle vraiment un effet sur la compétitivité ?
Quel rythme d'ajustement budgétaire faut-il suivre ? Madame Delatte a évoqué un effet de 0,6 point en 2025 et en cumulé 1,5 point en 2026. Les effets récessifs du scénario prévu, impliquant un effort très important la première année, se poursuivront-ils ? Faut-il se caler plutôt sur le calendrier européen ou suivre le rythme prévu par le Gouvernement ?
M. Vincent Capo-Canellas. - Mme Delatte a mentionné un ajustement budgétaire à 42 milliards d'euros, impliquant 30 milliards d'euros de recettes et 12 milliards d'euros de réduction des dépenses publiques. M. Redoulès a évoqué, pour sa part, un ajustement de 45 milliards d'euros, moyennant 27 milliards d'euros de prélèvements supplémentaires et 18 milliards d'euros de réduction des dépenses publiques. Pourquoi de tels écarts ?
Un effort aussi important est-il nécessaire dès la première année ? Le réglage prévu entre l'ajustement budgétaire visé et le maintien de la croissance est-il le bon ? Cette politique pourrait avoir un effet récessif trop important, ce qui condamnerait la suite du processus. Ne faudrait-il pas prévoir un effort moins important la première année, et agir davantage pour réduire les dépenses, si tant est que cela soit possible ?
Les alourdissements de taxes ne risquent-ils pas de pénaliser, par contrecoup, certains secteurs comme le tourisme, par exemple, qui souffrirait des conséquences des hausses des taxes pesant sur le transport aérien ? De même, les mesures envisagées ne risquent-elles pas d'affaiblir les capacités d'investissement des collectivités locales ?
M. Thierry Cozic. - Madame Delatte, où devrait-on porter l'effort pour neutraliser l'impact économique des mesures annoncées : sur les recettes ou sur la réduction des dépenses publiques ?
M. Grégory Blanc. - Le groupe TotalEnergies, qui dispose d'importantes liquidités, vient d'annoncer un rachat massif d'actions en 2024 et 2025. En quoi une augmentation de l'IS sur les plus grandes sociétés pourrait-elle avoir un impact récessif sur l'économie française ?
Par ailleurs, il existe en économie un phénomène connu : ceux qui ont de faibles revenus présentent une plus forte propension à consommer, quand les détenteurs de revenus plus élevés ont davantage tendance à épargner. Or la Banque de France souligne que l'épargne des Français est majoritairement placée aux États-Unis. Qu'en pensez-vous ?
M. Jean-Baptiste Olivier. - Je me méfie toujours des analyses keynésiennes, même si elles s'avèrent parfois pertinentes. Diminuer la dépense aura certes des conséquences sur l'économie. Toutefois, toutes les dépenses ne se valent pas : un euro dépensé n'a pas la même efficacité partout.
Selon le principe du multiplicateur d'investissement, un euro d'investissement produit davantage qu'un euro de PIB. Mais s'agit-il d'investissement privé, public, ou des deux ? L'investissement public produit-il autant que l'investissement privé ?
M. Thomas Dossus. - Le coup de rabot prévu sur les collectivités territoriales, qui réduira leur capacité d'investissement, aura-t-il un impact plus important que d'autres coupes budgétaires sur notre croissance à venir ?
M. Victorin Lurel. - Il me semble que deux visions s'opposent : d'un côté, une politique appuyée sur une dépense publique importante, qui n'a pas généré, comme le rapporteur général le soulignait, la croissance espérée, et, de l'autre, une politique qu'il faut bien qualifier d'austéritaire, aux conséquences sociales considérables.
Madame Delatte, sur quel modèle économique vous êtes-vous appuyée pour décrire les effets récessifs que vous avez exposés ?
Vous avez dit par ailleurs qu'il ne fallait pas prévoir un effort aussi important dès la première année. Le risque est d'avoir un ajustement très récessif qui dure même au-delà de sept ans. Quel est le bon rythme en matière d'ajustement budgétaire ? Aurait-il fallu commencer plus progressivement ? Quelle est la bonne politique économique à suivre pour obtenir des effets économiquement moins coûteux et socialement moins difficiles ?
Mme Natacha Valla. - Le placement de l'épargne européenne et française aux États-Unis est un sujet important, pour la France comme pour l'Europe. Ce ne sont pas vraiment les riches qui achètent des actions américaines. Les banques et les assureurs vont chercher du rendement dans des classes d'actifs peu risquées et peu rémunératrices, en l'occurrence les obligations américaines. Ce phénomène se retrouve clairement dans la balance des paiements. Les Américains ont quant à eux une capacité d'endettement très forte : le dollar est encore la monnaie dominante. Ils consomment une partie de cet argent collecté, mais ils l'investissent aussi à l'étranger dans des classes d'actifs plus risquées et donc plus rentables. Nous avons mené des travaux avec la BCE, qui montrent un dividende de risque, sur ce différentiel de rendement entre l'épargne absorbée par les États-Unis et ensuite réinvestie dans le monde, qui rapporte aux États-Unis entre 2 % et 3 % de rendement par an. Le problème de l'allocation de notre épargne est effectivement central. Plusieurs systèmes ont été envisagés pour y remédier : dans le rapport Draghi, par exemple, ou le rapport Letta sur l'Union des marchés de capitaux.
Le multiplicateur d'investissement est un multiplicateur d'investissements publics agrégés, qui a un effet d'entraînement important pour l'investissement privé. Il n'a donc pas d'effet d'éviction mais plutôt un effet de catalyse. La dépense publique gagne ainsi en efficacité. Je ne militais pas pour préserver l'ensemble des investissements publics en l'état, mais pour revoir la ventilation des dépenses publiques en faveur de l'investissement.
La nécessité de lisser l'effort budgétaire dans le temps peut s'entendre, au vu de l'effet récessif immédiat des politiques envisagées. Cependant, cela fait longtemps que l'on n'a pas entendu parler d'effort dans le pays pour la saine gestion des finances publiques. Il ne faudrait pas non plus brouiller ce signal positif par un ralentissement. Il est vrai néanmoins qu'un arbitrage est à réaliser.
La performance de la France en matière de commerce extérieur est un peu moins mauvaise qu'auparavant du fait notamment de facteurs exogènes, notamment les moindres résultats de l'Allemagne et de la Chine. Toutefois, et même s'il faut avoir du discernement sur les mesures, si nous n'avions pas eu des politiques favorables à l'offre, nous n'aurions pas été en mesure de capter cette opportunité donnée par les circonstances extérieures.
Par ailleurs, le CNP creusera la question du coût du travail.
Enfin, pour ce qui concerne le financement de la dette, il peut être tentant de chercher d'autres sources de financement que les marchés, a fortiori au vu de l'importance de notre épargne. Cela s'est fait dans l'histoire donc tout se regarde. Les marchés restent néanmoins la source de financement à privilégier, tant que l'on parvient à se financer à des taux d'intérêt corrects. Les primes de risque assignées à notre pays, c'est-à-dire le « facteur pays », vont nous le dire, et elles dépendent elles-mêmes du signal qu'on enverra collectivement en tant que pays sur la saine gestion de nos finances.
M. Olivier Redoulès. - L'emploi du terme « agnostique » signifie que l'on a conscience des limites de la science économique et que l'on admet, sur tel ou tel sujet, que l'on ne sait pas répondre : soit par manque de recul, soit en raison de la complexité des mesures mises en place. En ce cas, il vaut mieux miser pour la prudence.
Le taux d'épargne en France est plus élevé que la moyenne européenne, laquelle a augmenté, alors qu'elle a diminué aux États-Unis. Si on exclut les gens les plus financièrement contraints, des mesures qui freineraient les revenus des ménages auraient donc sans doute assez peu d'effet sur la consommation. La grande protection accordée jusqu'à présent aux ménages a d'ailleurs surtout servi l'épargne et moins la consommation, ce qui tend à limiter l'effet multiplicateur de l'épargne à très court terme. Tout dépend toutefois de la façon dont les mesures sont calibrées.
On observe un redressement des indicateurs de parts de marché en matière de commerce extérieur. À titre d'exemple, Airbus avait pris du retard dans la remise en ordre de ses chaînes de production. De bonnes surprises pourraient survenir dans les mois à venir. Il y a une part de rattrapage, mais des améliorations sont aussi survenues en matière de coût du travail dans presque tous les secteurs. Ce n'est toutefois pas forcément le cas dans les secteurs manufacturiers, dans lesquels l'Italie, par exemple, fait des miracles.
Pourquoi le déficit public a-t-il dérapé récemment ? L'avis du HCFP paru en avril 2024 relatif aux prévisions macroéconomiques associées au programme de stabilité pour les années 2024 à 2027 nous conduisait déjà vers un effort d'ajustement budgétaire de 1,5 point de PIB, soit 45 milliards d'euros. Les 15 milliards d'euros restant semblent venir des collectivités, avec des recettes parfois meilleures et parfois pires que prévu.
Le Gouvernement a annoncé un déficit public à 7 % du PIB en 2025 si rien n'est fait. Or cela suppose une dynamique de la dépense publique en volume plus forte que le PIB, soit 2,8 %. Il faut voir comment cette hypothèse a été construite, mais cela peut témoigner d'une forme de prudence de la part du Gouvernement.
Concernant le financement de la dette, je ne crois pas qu'il faille s'attendre à des coûts moins élevés hors marché que sur les marchés. La France accède encore aux marchés dans de bonnes conditions, moyennant un taux d'intérêt à 3 %, soit un taux plus favorable que celui qui était prévu en 2022 dans le projet de loi de programmation des finances publiques 2023-2027. L'augmentation des taux d'intérêt a donc été moindre que prévu. Il y a un peu de spread par rapport à l'Allemagne, mais en termes absolus les taux restent assez faibles.
Le rythme d'ajustement budgétaire annoncé agit comme un signal. Il a également un effet sur la dynamique de la dette. Cependant, il est vrai que la Commission européenne laisse une certaine marge pour étaler l'ajustement sur plusieurs années, à condition de présenter un plan et des réformes crédibles. Il serait donc possible de plaider pour un étalement de l'ajustement sur sept ou huit ans. Cela impliquerait toutefois une poursuite de l'augmentation de la dette. Il faut être prêt à l'assumer et à convaincre les marchés.
J'en viens aux différences de montant relevées dans mon propos par rapport à la présentation d'Anne-Laure Delatte. Le rapport économique, social et financier (RESF) mentionne 30 milliards d'euros de prélèvements, parmi lesquels 3 milliards d'euros concernent les collectivités. Or il ne s'agit pas, à mon sens, de prélèvements, mais de mesures de frein de dépenses. C'est pourquoi j'évoque plutôt une somme de 27 milliards d'euros. On arrive ensuite à la somme de 44 milliards d'euros retenue pour l'ajustement : la partie relative à la réduction de la dépense publique, elle tient compte à la fois de la hausse de l'ordre de 10 milliards d'euros de la charge de la dette et de l'effet de moindre recette spontanée par rapport à ce qu'on pouvait attendre avec une élasticité des prélèvements obligatoires au PIB de 1.
À quelques exceptions près, je ne crois pas par ailleurs que l'augmentation de l'IS ait des effets récessifs. En revanche, à moyen terme, elle peut avoir un effet sur le potentiel de croissance.
Vous avez évoqué le transfert de l'épargne vers les États-Unis. La rentabilité de l'épargne est un sujet important. L'augmentation de l'IS réduira les dividendes ou le patrimoine valorisé des entreprises, ce qui limitera les investissements - même si ce n'est pas sûr à très court terme. De plus, à moyen terme, elle induira un risque sur le rendement attendu. La décision de TotalEnergies de se coter à New York est à comprendre dans ce contexte.
Les collectivités sont en outre l'un des premiers canaux d'investissement public. Le multiplicateur d'investissement dépend beaucoup de la qualité de la dépense et de la gouvernance dans laquelle il s'inscrit. Si la dépense effectuée est tournée vers un vrai projet - qui pourrait être du « fonctionnement », comme l'éducation dont on peut s'interroger s'il s'agit vraiment d'une dépense de cette nature du point de vue de l'économiste -, qui génère un retour sur investissement, son effet peut être très élevé.
Mme Anne-Laure Delatte. - Comme cela a été souligné, l'important effort budgétaire immédiat demandé risque d'avoir un effet récessif. La question se pose donc de savoir quelle est la stratégie à suivre.
Il est nécessaire de réduire le déficit, en raison de nos engagements européens et pour préparer le pays à l'avenir. Plusieurs chocs comme celui de la crise du covid-19 risquent en effet de survenir. Nous devons avoir la capacité de nous endetter pour y faire face. Les organisations internationales, comme le FMI, anticipent d'ailleurs une hausse des dettes publiques pour cette raison.
S'agissant des effets récessifs sur le PIB, ils s'élèveraient à 1,5 point en 2026, La baisse des taux d'intérêt ne suffira pas à compenser cette évolution négative. Et ce constat est fait sans même retenir l'effort de 2026. Or, cette année-là, il faudra continuer à augmenter les prélèvements obligatoires ou trouver de nouvelles dépenses publiques à supprimer.
J'utilise le modèle Mésange développé par l'Insee et la direction générale du Trésor, qui y a par ailleurs également recours. Il est keynésien à court terme, mais ne l'est plus ensuite. La demande joue en effet au départ, avant que l'offre prenne le relais.
Les efforts devraient porter là où les multiplicateurs sont les plus bas. Les économies réalisées devraient avoir le moins d'impact possible sur l'activité. Comme le multiplicateur d'investissement peut être supérieur à 1, toute suppression de dépense d'investissement risque de s'avérer contre-productive, c'est-à-dire qu'on va tellement réduire l'activité que cela finira par réduire davantage les recettes que les économies qui ont été faites. Il ne faut pas non plus agir sur la TVA, qui est payée par l'ensemble des ménages, car cela affecterait les revenus de ceux qui ont la plus grande propension à consommer. En ce sens, augmenter la taxe sur l'électricité n'est pas une bonne idée. Il vaut mieux se tourner vers les ménages percevant les revenus les plus élevés, car ils présentent une plus grande propension à épargner.
L'idée serait donc de chercher les multiplicateurs les plus faibles, dans les multinationales qui optimisent leur fiscalité et chez les hauts patrimoines. Or il est très surprenant de constater que le budget pour 2025 ne prévoit aucune contribution de ces derniers, que ce soit par un impôt sur la fortune ou par un impôt sur les hautes successions. Pourtant, si l'on ponctionne une partie du patrimoine des plus fortunés, cela n'affectera pas leur consommation, car celle-ci est déjà bien inférieure à leurs capacités. Un impôt sur les multinationales et un autre sur les hauts patrimoines pourraient donc être envisagés.
S'agissant de l'impact de certaines mesures sur la compétitivité et l'investissement, le CIR a peu, voire pas d'effet, sur l'investissement. Les exonérations de cotisations sociales accordées au-delà d'un certain seuil n'ont pas d'effet. Il serait donc possible de revenir sur toutes ces mesures sans affecter l'économie.
Le montant issu de l'ensemble de ces prélèvements nouveaux et de ces réductions de dépenses pourrait s'élever à environ 50 milliards d'euros. Je recommanderais de prélever 18 milliards d'euros sur cette somme pour réduire le déficit la première année, et faire de la dépense d'investissement, tournée en particulier vers la transition, qui souffre d'un déficit d'investissement estimé à 30 milliards d'euros par an selon le rapport de Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz.
En réalité, ce PLF m'inquiète surtout en ce qu'il ne prépare pas l'avenir. On essaie de réduire le déficit en coupant des dépenses qui vont affecter la trajectoire de long terme de l'économie française, sans aucunement préparer les Français aux chocs écologiques à venir.
M. Claude Raynal, président. - Merci beaucoup de votre participation.
IV. EXAMEN DU RAPPORT (6 NOVEMBRE 2024)
Réunie le mercredi 6 novembre 2024 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a procédé à l'examen du rapport de M. Jean-François Husson, rapporteur général, sur les principaux éléments de l'équilibre du projet de loi de finances pour 2025.
M. Claude Raynal, président. - En notre nom à tous, je souhaite la bienvenue à Pierre Barros, qui remplace Éric Bocquet.
Nous examinons ce matin les principaux éléments de l'équilibre du projet de loi de finances (PLF) pour 2025.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je vous présente ce matin mon analyse des prévisions macroéconomiques et de l'équilibre général du projet de loi de finances pour 2025, tel qu'il ressort du texte initial déposé par le Gouvernement, puisque le résultat de l'examen de ce texte par l'Assemblée nationale reste très incertain. (Le rapporteur général projette une présentation PowerPoint en complément de son propos.)
Il ne vous aura pas échappé que l'examen du budget pour 2025 s'inscrit dans un contexte très particulier : celui d'une dérive inédite et préoccupante des comptes publics en 2023 et, plus encore, en 2024. J'ai d'ailleurs souhaité vous faire une communication à ce sujet le mois dernier.
Hors période de crise, le déficit de 5,5 % du PIB enregistré en 2023 était le plus élevé de la Ve République : il s'agissait d'une dérive historique. Mais ce chiffre fait désormais pâle figure à côté de celui qui s'annonce pour l'année 2024 : 6,1 % du PIB, soit un niveau maintenant assez proche de celui qui a été enregistré en 2021, à la sortie de la crise sanitaire, ce qui est inacceptable. Si rien n'est fait, les prévisions de l'administration pour 2025 tablent sur un déficit proche de 7 %.
Ce déficit qui s'annonce pour 2024 n'était pas du tout prévu par la loi de finances qui a été adoptée grâce à la procédure prévue à l'alinéa 3 de l'article 49 de la Constitution l'an dernier : il s'agit d'une dérive de l'ordre de 1,7 point de PIB, soit plus de 50 milliards d'euros. Cet écart entre prévision et exécution est tout à fait inhabituel hors période de crise.
Notre mission d'information fera la lumière sur ce qui s'est vraiment passé, après ce constat d'un dérapage en 2024 encore plus massif que celui de 2023. En attendant, si j'insiste sur cet état des lieux, c'est qu'il nous contraint, très fortement, dans nos choix pour le PLF pour 2025 : il s'agit désormais de redresser la barre en urgence.
Sur l'explication de ce dérapage et de sa responsabilité, nous entendrons demain Bruno Le Maire et Thomas Cazenave, avant de recevoir Gabriel Attal vendredi et Élisabeth Borne la semaine prochaine. La prévision de déficit pour 2025 est passée de 4,1 % en avril, lors de l'adoption d'un programme de stabilité (PStab) que nous avions très fortement critiqué, à 6,9 % à politique inchangée en octobre, soit près de 85 milliards d'euros d'écart en six mois.
À chaud, l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) a proposé une première décomposition, assez éclairante, du dérapage constaté en 2024 : d'abord, un effet « base » du dérapage de 2023 sur l'année suivante, que nous avions mis en avant dans nos travaux ; ensuite, une erreur de prévision sur la croissance nominale, car tant la croissance en volume que l'inflation pour 2024 étaient surestimées dans la loi de finances de 2024, ce que nous avions également indiqué très clairement il y a exactement un an lors de ce même exercice s'agissant de la prévision de croissance en volume ; la dynamique non prévue des dépenses des collectivités ; enfin, une élasticité des prélèvements obligatoires au PIB plus faible que prévu.
Je relève donc que quasiment un point de PIB sur le 1,7 point de dégradation était au moins en partie prévisible avant le début de l'année.
Permettez-moi de dire que les collectivités, dont le niveau de dépenses avait été mal anticipé, ne sont donc responsables, en 2024, que d'une petite partie du dérapage des comptes publics par rapport à la prévision.
En tout état de cause, si l'on prend un peu de recul historique en remontant à la première année du premier quinquennat d'Emmanuel Macron, il est évident que l'État est le principal responsable de la dérive des comptes publics - je l'ai déjà dit, mais il est toujours bon de le rappeler.
Malheureusement, la dérive des comptes observée l'an dernier et cette année pèsera fortement sur la trajectoire des finances publiques pour les années à venir, malgré l'effort de redressement proposé par le Gouvernement.
Cette trajectoire, dont j'ai souligné le caractère réaliste la semaine dernière en vous présentant le plan budgétaire et structurel à moyen terme (PSMT) pour les années 2025 à 2029, reflète, en creux, l'absence de crédibilité des trajectoires précédentes, qui voulaient nous faire croire en un redressement « express », sans jamais proposer de mesures pour y parvenir.
En matière de dette publique, il existe un écart majeur entre la loi de programmation des finances publiques (LPFP) 2023-2027 présentée en avril par le précédent gouvernement et le PSMT défini en octobre dernier par le Gouvernement, que l'on ne saurait taxer de laxisme budgétaire.
J'en viens à l'analyse de la situation économique dans laquelle s'inscrit le PLF. Celle-ci est essentielle pour apprécier le réalisme du scénario de finances publiques du Gouvernement.
J'ai tellement entendu le précédent ministre de l'économie expliquer qu'il avait sauvé l'économie française - au prix d'un endettement abyssal - que j'ai voulu y voir plus clair. Au terme de sept ans de politique économique menée par le tandem Macron-Le Maire, je peux malheureusement dire que le bilan est contrasté. En tout cas, celui-ci ne valait pas la dégradation des finances publiques que nous connaissons.
Premier constat : la France a fait un peu moins bien que ses voisins entre 2017 et 2023. Le PIB a crû de 8,4 % dans notre pays, contre 10,2 % au niveau de la zone euro. Or la situation économique de l'Union européenne est elle-même assez moyenne. Comme le souligne Mario Draghi dans son rapport de septembre dernier, « la croissance dans l'Union européenne a été lente, du fait d'un affaiblissement de la croissance de la productivité, remettant en question la capacité pour l'Europe d'être à la hauteur de ses ambitions ».
Si l'on s'intéresse à l'évolution depuis la crise sanitaire, c'est-à-dire depuis la fin 2019, le PIB de la France évolue un peu moins vite que celui de la zone euro. L'activité, en Allemagne, est au point mort, mais en Espagne, au Portugal, en Grèce, et même en Italie, elle est plus dynamique qu'en France. Bien sûr, il s'agit pour certains de ces pays d'un rattrapage par rapport aux années précédentes. Mais tout cela devrait nous pousser à une certaine modestie.
Je dresse le même constat sur le taux de chômage. Je me félicite que celui-ci diminue sans discontinuer depuis 2017 - on note tout de même un regain cette année -, mais ce mouvement est général dans l'ensemble de la zone euro : le taux de chômage y a d'ailleurs décru plus vite qu'en France et lui reste inférieur. Cette diminution semble davantage le reflet de la baisse de la productivité du travail que de l'impact positif des réformes structurelles menées depuis 2017, qui ne peuvent avoir un effet que sur le long terme. Ainsi, depuis 2019, la productivité du travail en France aurait diminué de 8,5 % par rapport à sa tendance avant le covid, du fait du recours massif à l'apprentissage, d'une forte augmentation de l'emploi peu qualifié, de la crise sanitaire elle-même et d'une rétention de main-d'oeuvre.
En réduisant la focale et en se concentrant sur la dynamique récente, la croissance a été portée principalement par la demande publique et par le commerce extérieur en 2024, tandis que le durcissement de la politique monétaire a conduit l'investissement des ménages et des entreprises à baisser.
J'insiste sur un point important : la croissance a été portée par des facteurs bien différents de ceux qui étaient initialement prévus, ce qui n'a pas été sans incidence sur le contenu des recettes de cette croissance.
Finalement, la consommation des ménages s'est révélée moins allante que prévu, avec un taux d'épargne qui n'aura pas reflué : les recettes de TVA s'en trouvent amoindries.
L'investissement des ménages a bien diminué, comme prévu par le gouvernement, mais celui des entreprises également, à la différence des prévisions initiales. J'avais pourtant souligné, l'an dernier, le sérieux risque que faisait peser le resserrement de la politique monétaire sur cette composante de la demande.
Le commerce extérieur aura soutenu la croissance : les exportations ont augmenté, tandis que les importations ont diminué. La contrepartie de cette baisse des importations aura été un mouvement de déstockage inédit des entreprises.
Finalement, la principale composante de la demande en 2024 aura été la consommation et l'investissement publics, c'est-à-dire, en réalité, le dérapage complet du déficit public. Il n'y a pas lieu de se satisfaire de cette situation. Et il est assez cocasse, dans ces conditions, d'entendre les membres du précédent gouvernement se féliciter d'avoir atteint les prévisions de croissance du programme de stabilité 2024-2027.
Pour 2025, la croissance stagnerait à 1,1 %, mais serait davantage portée par la demande intérieure, ce qui générerait davantage de recettes. La demande publique, en revanche, ne contribuerait plus à la croissance du PIB.
Entre 2024 et 2025, le fait marquant réside dans l'inversion du policy mix. En 2024, l'activité a bénéficié d'une forte impulsion budgétaire, mais a été freinée par les effets retardés du resserrement monétaire de la Banque centrale européenne (BCE). En 2025, ce devrait être exactement l'inverse.
A priori, le taux d'épargne, aidé par un reflux de l'inflation et par une amélioration du niveau de confiance des ménages, devrait - enfin ! - légèrement diminuer l'année prochaine, ce qui soutiendrait la consommation.
Comme l'année dernière, cette prévision est sujette à d'importants aléas, qui pourraient pousser la dynamique en sens inverse : je pense au report de l'indexation des retraites, à la hausse probable du chômage, à la réforme des allégements généraux et, de manière générale, à l'instabilité politique dans notre pays.
L'investissement des entreprises pourrait rebondir du fait de l'assouplissement de la politique monétaire engagé par la BCE en juin dernier, qui devrait se poursuivre tout au long de l'année 2025.
Les prévisions du Gouvernement sont toutefois contredites par celles d'instituts comme l'OFCE ou Rexecode. En effet, comme pour la consommation, le niveau élevé d'incertitude pourrait conduire les chefs d'entreprise à faire preuve d'attentisme et à reporter leurs décisions d'investissement. À cet égard, la dégradation spectaculaire du climat des affaires observée dans l'industrie en octobre dernier ne présage rien de bon...
L'une des principales questions est celle de l'impact sur la croissance de l'ajustement budgétaire majeur proposé par le Gouvernement ; j'y reviendrai.
Ainsi, ce dernier prévoit une croissance de 1,1 %. Sans cet ajustement, le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) estime que la croissance s'élèverait à 1,7 %. Il a souligné qu'une telle prévision « avant redressement » était optimiste et, de fait, le consensus des économistes retenait, « avant redressement », une prévision de croissance située plutôt autour de 1,2 à 1,3 %.
Mais, dès avant le dépôt du PLF pour 2025, il était question de mesures de redressement budgétaire qui étaient pour partie intégrées par les conjoncturistes dans leurs prévisions. L'OFCE, qui a réalisé sa prévision après le dépôt du PLF estimait ainsi que, hors impact des mesures budgétaires de redressement prévues par le PLF - c'est-à-dire avec un déficit en 2025 égal à celui de 2024 -, la croissance s'élèverait à 1,6 %. En intégrant le choc budgétaire, leur prévision atteint 0,8 % du PIB.
Au total, il est possible que l'effet récessif du redressement budgétaire qui s'impose au Gouvernement soit sous-estimé par ce dernier, mais selon une ampleur qui resterait mesurée.
Avant d'évoquer les mesures en dépenses et en recettes, je souhaite dire quelques mots sur les perspectives de croissance mondiale. Le Gouvernement prévoit une hausse de la croissance mondiale de 3,2 % en 2024 et de 3,4 % en 2025 et, en conséquence, une hausse de la demande adressée à la France. Un tel optimisme n'est partagé ni par la Banque de France, ni par l'OFCE, ni non plus par le Fonds monétaire international (FMI), qui prévoit une stagnation de la croissance en 2025 par rapport à 2024. En effet, les aléas sont élevés, au lendemain de l'élection américaine : cela pourrait se traduire par une hausse des droits de douane et par un ralentissement, voire une attrition du commerce mondial. Toutefois, les perspectives économiques de l'environnement proche de la France - la zone euro - sont assez bonnes. Or ce sont celles qui comptent le plus pour déterminer la demande adressée à la France.
L'évolution du commerce extérieur demeure incertaine. Comme le prévoit le Gouvernement, celui-ci pourrait continuer de soutenir la croissance l'an prochain, mais dans des proportions moindres que cette année.
J'en viens au contenu du budget et à la trajectoire des finances publiques proposée pour 2025 : le texte trace un chemin nécessaire pour retrouver notre crédibilité, tant vis-à-vis de nos partenaires européens que de nos prêteurs, mais également pour restaurer le lien de confiance qui nous unit aux Français.
L'effort souhaité par le Gouvernement est significatif et pèsera essentiellement sur l'État. Dans sa communication, le Gouvernement a mis en avant un effort de 60 milliards d'euros, qui se décompose ainsi : 40 milliards d'euros au travers de réductions de dépenses - calculées par rapport à un tendanciel - et 20 milliards d'euros par des mesures en recettes.
Je ne suis pas sûr qu'il s'agisse de la bonne façon de présenter les choses. D'abord, la notion de tendanciel, pour utile qu'elle soit pour un ministre afin de savoir sur quel levier jouer pour réduire le déficit, est trop confuse pour apprécier la nature de l'effort. Par ailleurs, les documents budgétaires mettent en avant une autre réalité, celle de l'ajustement et de l'effort à accomplir en 2025 par rapport à 2024, et non par rapport à un tendanciel 2025 qui n'est pas détaillé. Or c'est sous cet angle qu'il convient, à mon avis, de raisonner. Je vous proposerai, à chaque fois, une conversion en milliards d'euros pour rendre les chiffres plus parlants, mais ils ne sont communiqués que sous forme de points de PIB et ne doivent donc pas constituer la véritable référence.
En réalité, l'effort structurel primaire que nous devrons accomplir s'élève à 1,6 % du PIB, soit environ 48 milliards d'euros.
Il se répartit ainsi : des mesures nouvelles en recettes à hauteur de 1 point de PIB, soit environ 30 milliards d'euros, et un effort en dépense de 0,6 point de PIB, soit environ 18 milliards d'euros, auxquels on retranche la hausse de la charge de la dette entre 2024 et 2025, qui s'élève à 0,2 point de PIB, soit 6 milliards d'euros. Une fois la charge de la dette retranchée, l'effort en dépense est de 12 milliards d'euros : c'est le chiffre retenu par le HCFP. Je le rappelle, nous sommes ici en écart entre 2024 et 2025.
La prise en compte d'un tendanciel en dépenses, comme le fait le Gouvernement, conduit à afficher un effort en dépenses supérieur. Ce mode de calcul n'est pas nécessairement erroné. Pour prendre un exemple, la désindexation des retraites sur l'inflation ne produit pas de baisse nette de la dépense publique ; elle constitue pourtant une mesure de freinage de la dépense, qui pèse sur les Français et qui a bien un effet réel. Mais la détermination d'un tendanciel pour l'ensemble de la dépense publique de notre pays est malaisée.
La combinaison des efforts en dépenses et en recettes diminués de la charge de la dette donne un effort structurel à 1,4 point de PIB, qui ne veut toutefois pas dire que le solde public s'améliorera d'autant. En effet, certains effets contrecarrent cette amélioration.
D'une part, l'élasticité des prélèvements obligatoires au PIB sera inférieure à 1, ce qui signifie que les recettes n'augmenteront pas au même rythme que le PIB : malgré 1 % de point de PIB de mesures nouvelles en recettes, celles-ci ne rapporteraient vraiment que 0,8 % point de PIB. D'autre part, l'évolution des recettes hors prélèvements obligatoires retirerait 0,1 point de PIB supplémentaire.
Au total, l'ajustement structurel proposé par le Gouvernement s'élève donc à 1,1 point de PIB, soit environ 33 milliards d'euros.
C'est donc de ce montant que le déficit public serait réduit l'année prochaine. Dans le cas où le texte du Gouvernement, tel qu'amendé par lui, serait adopté, le déficit public passerait de 6,1 % à 5 % du PIB entre 2024 et 2025. L'État serait le plus mis à contribution de cet effort, puisque son déficit passerait de 5,4 % à 4,5 % du PIB. Le solde des collectivités, lui, serait stabilisé, et celui des administrations de sécurité sociale augmenterait légèrement.
Si l'on regarde concrètement l'évolution de la dépense publique toutes administrations publiques confondues, on constate une nette inflexion par rapport à 2024. En 2024, la dépense publique augmenterait de 67 milliards d'euros - en grande partie du fait du retrait de dépenses exceptionnelles - tandis qu'elle n'augmenterait l'an prochain « que » de 36 milliards d'euros, et ce malgré une charge de la dette augmentant davantage et des dépenses exceptionnelles diminuant moins qu'en 2024.
L'effort est donc réel et n'est pas déguisé, puisque les dépenses primaires, hors dépenses exceptionnelles et crédits d'impôt, n'augmenteraient que de 29 milliards d'euros en 2025 là où elles enregistreraient une hausse dépassant 70 milliards d'euros en 2024...
Par ailleurs, les prélèvements obligatoires augmenteraient significativement du fait des mesures nouvelles en recettes ; à cet égard, une partie d'entre elles procède non pas du PLF pour 2025, mais de décisions antérieures, telles que les mesures de gage sur l'industrie verte ou la fiscalisation de la prime de partage de la valeur.
Pour autant, force est de constater que le PLF pour 2025 est fortement pourvoyeur de nouveaux impôts, qui feront passer le taux de prélèvements obligatoires de 42,8 % du PIB en 2024 à 43,6 % du PIB en 2025. Cela reste toutefois bien inférieur aux niveaux enregistrés entre 2012 et 2022, période durant laquelle le taux s'échelonnait entre 43,9 % et 45,3 %.
Je pense qu'il faut donc sérieusement nuancer les critiques portées à ce budget. Oui, ce budget contient des mesures fiscales, mais celles-ci sont exceptionnelles et largement concentrées sur les plus aisés. Oui, ces mesures ne sont pas prises de gaîté de coeur, car la pression fiscale est une réalité dans notre pays. Mais oui, ces mesures sont nécessaires étant donné la gestion calamiteuse des finances publiques des dernières années, l'explosion de la charge de la dette sur laquelle je reviendrai et le début de défiance dont font preuve nos prêteurs.
En effet, depuis la dissolution de l'Assemblée nationale, le taux à 10 ans auquel emprunte la France s'éloigne largement de celui auquel emprunte l'Allemagne. Au début de l'année 2024, l'écart était stable ; depuis juin, il augmente, au point que l'Espagne et le Portugal se financent désormais à des taux plus intéressants que nous. C'est bien pour l'Espagne, qui voit sa bonne gestion récompensée ; l'amélioration des conditions de financement espagnoles joue aussi sa part dans ce phénomène. Pour autant, cette situation doit nous alerter et nécessite des mesures de redressement en urgence pour éviter un renchérissement supplémentaire de notre coût de financement.
En effet, toute augmentation des taux auxquels se finance la France est synonyme d'une hausse future et inévitable de la charge de la dette.
Or celle-ci est déjà très importante et, même avec les mesures de redressement envisagées, elle frôlera les 100 milliards d'euros dès 2028. Je le redis, c'est autant d'argent que nous ne mettrons pas dans des dépenses d'avenir ou dans l'adaptation au changement climatique. Le double défi d'une dette budgétaire et d'une dette climatique est donc très prégnant.
Toute hausse de taux supplémentaire est donc à éviter, car la charge de la dette s'en trouverait également augmentée et notre situation budgétaire encore plus dégradée. Pour préserver notre souveraineté, il faut à tout prix éviter le cercle vicieux qui peut exister entre dégradation de la situation budgétaire et dégradation des conditions d'emprunt.
Après avoir tracé le cadre du paysage budgétaire, je vous propose d'entrer dans le projet de budget de l'État, notamment le chemin qu'il trace pour, enfin, amorcer le redressement des comptes.
Nous devons d'abord voir d'où part ce redressement. Je l'ai dit, durant deux années de suite, alors même qu'aucune crise majeure ne l'expliquait, les comptes de l'État se sont dégradés de manière importante entre la loi de finances initiale et l'exécution ; cette dégradation imprévue a été de 8,1 milliards d'euros en 2023 et de 19,7 milliards d'euros en 2024.
En 2024, le déficit s'établirait donc à 166,6 milliards d'euros, alors que la loi de finances initiale prévoyait un retour en dessous du seuil de 150 milliards d'euros de déficit budgétaire.
Cette situation s'explique tout d'abord par des recettes qui ne correspondent pas du tout au niveau attendu - ou espéré - alors même que l'année n'a pas été marquée par un choc particulier. Or les « mauvaises nouvelles » des années 2009 et 2020 s'expliquaient par la survenance de crises d'une très grande ampleur.
Nous l'avons déjà montré, en 2024, le Gouvernement a décidé de ne pas prendre en compte, lors de l'examen du budget initial, les premières alertes qui lui remontaient, fin 2023, sur la dégradation des comptes et leurs conséquences nécessaires pour 2024. Cela explique en partie pourquoi les recettes initiales ont été autant surestimées dans le projet de loi de finances pour 2024.
Le déficit s'établirait à 142,1 milliards d'euros en 2025, en amélioration de 24,5 milliards d'euros par rapport au déficit de 2024.
Le principal effet consisterait en une amélioration des recettes à hauteur de 35,1 milliards d'euros, résultant de plusieurs leviers, dont la création de deux taxes temporaires pour 10 milliards d'euros. La rebudgétisation de plusieurs taxes, y compris la part de TVA attribuée à l'audiovisuel public qui fait l'objet d'une mission budgétaire dédiée dans le PLF initial, accroît de près de 5 milliards d'euros les recettes, mais aussi les dépenses puisqu'il s'agit de remplacer une taxe affectée par une subvention. Cet élément du budget sera amené à être modifié si la proposition de loi organique portant réforme du financement de l'audiovisuel public arrive à son terme rapidement, ce que j'espère.
L'augmentation de 11,2 milliards d'euros des dépenses s'explique en partie par cet effet de rebudgétisation. Les dépenses diminuent en réalité en euros et à périmètre constants, comme on le verra tout à l'heure.
Les recettes nettes totales du budget général, minorées des prélèvements sur recettes, s'élèvent à 310,6 milliards d'euros, soit 68,8 % seulement des dépenses nettes du budget général : c'est mieux qu'en 2024, année durant laquelle le ratio des ressources sur les dépenses n'est que de 63,3 % seulement, mais l'excès des dépenses sur les recettes demeure considérable et explique le déficit budgétaire.
Pour la première fois depuis le début de la décennie, le déficit budgétaire repasserait en dessous de 150 milliards d'euros. Ce niveau reste très élevé et ne saurait constituer qu'une première étape pour atteindre l'objectif de ramener le déficit en dessous de 3 % de PIB d'ici à 2029.
L'effort sera d'autant plus important que les contraintes héritées du passé sont nombreuses. La dette est plus importante et produit son effet sur la hausse de la charge de la dette. Cette dernière a déjà augmenté de plus de 50 % depuis 2020 : la France paie plus d'intérêts à ses créanciers qu'elle ne consacre de crédits à la recherche et l'enseignement supérieur, à la police et à la gendarmerie. En 2027, la charge de la dette aura quasiment doublé par rapport à 2020 et devrait constituer la première charge du budget de l'État.
Examinons plus en détail les recettes de l'État, qui connaissent des mouvements assez complexes, mais globalement en hausse nette, dans ce projet de loi de finances.
Les recettes du budget général de l'État, nettes des remboursements et dégrèvements, seraient en 2024 de 378,2 milliards d'euros, en hausse de plus de 30 milliards d'euros courants par rapport à l'estimation révisée pour 2024.
Cette augmentation des prélèvements doit toutefois être relativisée dans la mesure où elle fait suite à un creux en 2023 et 2024 : en euros constants, les recettes fiscales nettes restent inférieures à leur niveau de 2022 et même au niveau atteint dans les années 2016 à 2018.
Entre 2024 et 2025, plusieurs effets proviennent de la rebudgétisation de taxes précédemment affectées, qu'il s'agisse de la part de TVA affectée à l'audiovisuel public ou des cotisations employeurs affectées au Fonds national d'aide au logement (Fnal).
L'effet le plus important résulte toutefois de la création de deux nouvelles contributions temporaires.
L'impôt sur les sociétés (IS) connaîtrait une diminution de son produit de 1,5 milliard d'euros en 2025. Cet impôt est toutefois très difficile à prévoir, même si, sur le moyen terme, ses recettes sont relativement stables en euros constants si on les retraite de l'effet lié au crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE).
Les recettes de TVA revenant à l'État seraient en hausse de 10,2 milliards d'euros, mais une partie de cette augmentation - 4 milliards d'euros - provient de la rebudgétisation du financement de l'audiovisuel public, qui pourrait être annulée.
L'impôt sur le revenu connaîtrait, pour sa part, une hausse assez importante de 5,7 milliards d'euros, due en particulier à l'augmentation des revenus en 2024 qui impacte le solde perçu en 2025.
Si le barème de l'impôt sur le revenu est revalorisé comme chaque année, préservant de l'inflation le revenu disponible des classes moyennes, une contribution exceptionnelle est demandée aux plus hauts revenus, pour un produit attendu de 2 milliards d'euros.
Une autre contribution est demandée aux plus grandes entreprises, pour un produit estimé à 8 milliards d'euros. Elle constituera donc l'un des principaux « petits impôts », catégorie dans laquelle on peut classer la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), puisque celle-ci est désormais rejointe par d'autres contributions au produit comparable, notamment les droits de mutation à titre gratuit (DMTG) et les prélèvements de solidarité.
Les recettes non fiscales devraient bénéficier en 2025 d'un bon niveau de dividendes lié aux résultats financiers attendus d'EDF, mais d'un versement européen en baisse au titre de la facilité pour la reprise et la résilience (FRR).
Ce versement européen nourrit depuis quelques années les recettes de l'État, mais il ne faut pas oublier que le plan de relance européen devra être remboursé à partir de 2028. Or, si un panier suffisamment bien fourni de recettes propres n'est pas réuni d'ici là, ce remboursement pourrait peser à hauteur de 2,5 milliards d'euros par an sur la contribution de la France au titre des prélèvements sur recettes (PSR) à destination de l'Union européenne.
Je terminerai ma présentation par l'analyse des dépenses de l'État et de l'effort réel qui est proposé par le présent projet de loi de finances ; chacun d'entre vous doit le constater, à des degrés divers, dans la mission qu'il rapporte.
Le panorama général des missions budgétaires inclut non seulement les crédits budgétaires, mais aussi les dépenses fiscales, les ressources affectées et les prélèvements sur recettes. Il est assez différent de celui qui a été présenté l'an passé.
Certaines politiques publiques importantes, par exemple la politique en faveur de l'emploi ou celles qui sont relatives à l'écologie et aux transports, ou encore à la cohésion des territoires, sont financées autant, voire plus, par des dépenses fiscales et des ressources affectées que par les crédits budgétaires ouverts en loi de finances.
L'évolution des crédits dans le projet de loi de finances pour 2025 est très différente de celle que je vous présentais l'an dernier - seuls des dispositifs de crise voyaient leurs crédits diminuer. Cette fois, l'effort est réel, alors même que n'est pas intégré l'effort supplémentaire de 5 milliards d'euros que le Gouvernement a annoncé et souhaite introduire dans le projet de loi de finances par voie d'amendement.
Les missions « Défense » et « Sécurités » poursuivent leur progression. La mission « Écologie, développement et mobilité durables » voit les coûts du service public de l'électricité augmenter, avec la baisse des prix de l'électricité.
La diminution des moyens consacrés à l'alternance et la baisse de la dotation versée à France Compétences réduisent les crédits de la mission « Travail et emploi ». La mission « Aide publique au développement » est l'une de celles qui contribuent le plus à l'objectif de maîtrise des dépenses.
Le Gouvernement met aussi l'accent sur la maîtrise des dépenses des opérateurs, ce que le précédent gouvernement avait annoncé, mais n'avait pas réalisé. Plusieurs mesures de prélèvements sur des trésoreries surabondantes sont proposées par le texte ; je pense d'ailleurs que nous pourrons aller plus loin en la matière.
L'ensemble de ces mesures conduit le projet de budget à rompre enfin - je le crois et je l'espère - avec la politique du « quoi qu'il en coûte » qui, nécessaire en 2020, a fini par être considéré comme un acquis, voire une addiction dont il est temps de sevrer le budget de l'État. C'étaient non pas les dépenses liées au covid ou à la crise inflationniste qui grevaient encore le budget de l'État, mais des dépenses courantes, sans lien ni avec les crises ni avec les recettes de l'État.
Cet effort devra être poursuivi, et le Gouvernement devra faire face au poids des engagements passés, qui prend plusieurs formes.
Le simple examen des lois de programmation en cours montre que celles-ci ont pour effet d'accroître les dépenses annuelles de plus de 20 milliards d'euros à l'horizon 2029-2030. Seules les moins coûteuses de ces lois de programmation ont été remises en cause, et encore très partiellement, dans le présent projet de loi de finances.
Les restes à payer, c'est-à-dire les engagements passés qui devront être couverts par des dépenses futures, s'élevaient fin 2023 à 219,4 milliards d'euros, dont près de 100 milliards d'euros pour la mission « Défense ». Ils étaient presque deux fois moins élevés en 2017.
L'ensemble de ces contraintes doit pousser certaines missions, selon les documents budgétaires, à connaître une augmentation de leurs moyens plus importante que d'autres dans les années à venir : je pense d'abord à la mission « Engagements financiers de l'État » - j'ai déjà rappelé que la charge de la dette deviendrait dans quelques années la première charge de l'État.
Le constat fait sur les dépenses vaut également pour les emplois. Après une hausse importante de l'emploi public depuis 2017, ce projet de loi de finances prévoit une diminution, certes limitée, de 2 200 emplois sur le périmètre de l'État et de ses opérateurs, mais cela constitue déjà une rupture.
La masse salariale connaîtrait en conséquence une légère diminution en euros constants. Cette diminution, par son ciblage sur certains ministères, permet de poursuivre les recrutements dans les armées et la justice, conformément aux lois de programmation qui les concernent. La diminution de l'emploi dans l'éducation nationale est liée à l'évolution de la démographie des élèves et porte logiquement en priorité sur les classes dont les effectifs sont les premiers à diminuer en nombre.
En conclusion, ce projet de budget élaboré dans des conditions très particulières me laisse un sentiment mitigé. D'une part, il concrétise enfin le redressement que notre commission des finances appelle de ses voeux depuis 2022 ; on ne peut que s'en réjouir. D'autre part, il arrive trop tard : nous devons agir en urgence et prévoir un redressement très massif et des hausses d'impôts importantes que nous aurions préféré éviter. Mais je vais choisir de voir le verre à moitié plein, plutôt que l'inverse.
Je souhaite que notre commission joue pleinement son rôle dans l'examen de ce projet de budget, en s'appuyant sur ses rapporteurs spéciaux. Si nous pouvons renforcer les économies proposées par le Gouvernement et alléger la fiscalité pesant sur les Français, je pense que nous ferons oeuvre utile.
M. Claude Raynal, président. - Cela faisait longtemps que je n'avais pas entendu une tonalité favorable à un PLF dans vos discours, monsieur le rapporteur général. Les choses évoluent...
M. Thierry Cozic. - Merci pour votre présentation.
Il est intéressant de voir comment se déroule l'examen du texte à l'Assemblée nationale : nombre d'amendements ont été votés contre l'avis du Gouvernement. Il est clair que l'attelage du socle commun a prouvé son illégitimité à présenter un budget aux Français, qui d'ailleurs ne s'y trompent pas : 75 % d'entre eux le jugent insatisfaisant.
Le groupe socialiste aborde donc ce budget de manière assez différente par rapport aux années précédentes. Nous nous interrogerons sur la conduite que vous adopterez lors des débats à venir, monsieur le rapporteur général. Vous faites désormais partie du socle commun, qui n'a de commun que le nom, tant Les Républicains, Renaissance, le Modem, Horizons ont déposé la moitié des amendements à l'Assemblée nationale ; 20 % des amendements ont été déposés par les seuls 47 députés Les Républicains. Leur opposition leur a permis d'obtenir l'abandon de la hausse de la taxation sur l'électricité ou du malus automobile.
Certes, nous saluons les quelques hausses d'impôt ciblées : celles-ci rétablissent un peu de justice fiscale. Mais elles sont temporaires, mal ciblées et faibles. Ce budget à trous, bâclé, avec 5 milliards d'euros d'économies toujours manquantes, est surtout celui des échecs. La France va malheureusement payer le prix des choix économiques de ces dernières années, choix que la majorité sénatoriale a soutenus. Vous l'aurez compris, les grands équilibres que vous nous présentez ne nous satisfont pas.
Nous serons très sensibles à un autre équilibre, celui du budget des collectivités territoriales, que le Gouvernement souhaite ponctionner à hauteur de plus de 11 milliards d'euros, alors que, comme nous le savons tous, leur situation est précaire.
Monsieur le rapporteur général, ma question est donc simple : quel sera l'avis de la commission sur les 3 milliards d'euros de ponction sur le fonds de précaution, sur les 1,2 milliard d'euros de plafonnement de la TVA, sur les 800 millions d'euros de réduction du fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA), sur les 5 milliards d'euros en moins pour la transition écologique des collectivités, sur les 2,1 milliards d'euros de désengagement de l'État et enfin sur les 2,5 milliards d'euros d'augmentation des cotisations de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL) ?
M. Vincent Delahaye. - Merci pour ce rapport très complet, qui ne m'apprend pas grand-chose. Toutefois, il éclaire certaines évolutions et contredit certains discours. Ceux qui parlent d'austérité devraient se montrer plus raisonnables : quand la dépense publique augmente de 36 milliards d'euros, on ne peut pas parler d'austérité.
Vous ne serez pas surpris, je pense qu'il faut aller beaucoup plus loin. Nous ne devons pas laisser accroire que les efforts se cantonneront à une année seulement. Les mesures fiscales, importantes, seraient temporaires, nous dit-on. Mais comment serait-ce possible avec un déficit de 142 milliards d'euros ? Nous devons être plus incisifs en matière d'efforts sur les dépenses !
Je remercie le rapporteur général d'avoir torpillé le raisonnement en tendanciel. À cet égard, le déficit estimé à 6,9 % pour 2025, qui sert de base au tendanciel, a-t-il été expertisé par la commission des finances ? Personne ne sait s'il est juste ou non. Il faut raisonner non pas en tendanciel, mais selon la réalité.
L'effort est mal réparti : il porte trop sur l'augmentation de la fiscalité et pas suffisamment sur la réduction des dépenses. Une chose m'inquiète, même si ce n'est pas non plus une surprise : la croissance française était portée par celle de la dépense publique. Or il faudrait que ce soit l'investissement qui la porte, et non la consommation.
Je reste très inquiet. J'ai des doutes sur l'augmentation des recettes de l'impôt sur le revenu, notamment. J'espère que le Gouvernement nous transmettra bientôt des projections documentées.
Nous sommes encore trop optimistes : la situation est loin d'être rétablie. Nous devrons faire des efforts considérables. Nous devrons faire face au désenchantement et aux désillusions de nos compatriotes si nous ne les préparons pas à ce défi.
M. Vincent Capo-Canellas. - J'ai apprécié la conclusion du rapporteur général, qui choisit de voir le verre à moitié plein.
Si j'ai bien compris, les ajustements s'élèvent non pas à 60, mais bien à 40 milliards d'euros. En outre, deux tiers des recettes supplémentaires sont issus de mesures fiscales nouvelles - et non l'inverse, avec des économies. Tels sont les constats que nous devons formuler, malheureusement.
Vous faites preuve de prudence, voire d'optimisme au sujet de la croissance. Vous partez d'une hypothèse à 1,7 % pour aboutir à 1,1 % de croissance ; je ne comprends pas bien si vous la jugez crédible : les justifications de cette analyse reposent sur l'investissement des entreprises. Or l'accroissement de l'imposition sur les sociétés aura des effets très récessifs.
Les dividendes obéissent à des règles basiques : ne pas en verser les années durant lesquelles est instaurée une contribution, annoncée comme temporaire, d'ailleurs.
L'idée d'un sursaut de croissance des dépenses et de la consommation me semble quelque peu contre-intuitive en ce moment, sans parler des conséquences du PLF sur les collectivités territoriales. Le texte n'est pas acceptable et sera à coup sûr modifié par le Sénat. Je rappelle que les collectivités sont à l'origine des deux tiers de l'investissement public : les mesures d'économies proposées par le Gouvernement à leur encontre auront, elles aussi, des effets récessifs.
En outre, une pluie de taxes s'abat sur différents secteurs : alors qu'il paie déjà 2,5 milliards d'euros de taxes, le secteur aérien devra verser 1 milliard d'euros supplémentaire. Il ne faudra pas se plaindre si l'aviation d'affaires ferme ses portes.
En outre, Air France a été soutenue par l'État durant la crise sanitaire et a remboursé ses emprunts - l'État a d'ailleurs gagné de l'argent dans l'opération. Désormais, on remet la tête de l'entreprise sous l'eau en lui imposant 300 millions d'euros de taxes supplémentaires : cela affaiblira notre compétitivité.
Les prévisions ne sont-elles pas trop optimistes ? Il serait très grave de ne pas réussir à atteindre l'objectif d'un déficit à 5 % et de faire une annonce qu'on ne puisse pas tenir, comme cela a déjà pu être le cas précédemment. J'éprouve moi aussi un sentiment mitigé face à ce projet de loi de finances.
M. Jean-François Rapin. - Merci pour ces explications claires.
Nous disposons d'une vision factuelle des dépenses à moyen terme ; en revanche, c'est moins clair pour les recettes. La TICPE rapporte près de 18 milliards d'euros. Comme la consommation de produits fossiles bruts diminuera à l'avenir, anticipe-t-on son extinction progressive ? Cette recette pourrait-elle être compensée si elle venait à disparaître ?
M. Pascal Savoldelli. - Je comprends que le rapporteur général se réjouisse du redressement, puisqu'il équivaut à donner un coup de volant à droite - je n'épiloguerai pas.
Monsieur le rapporteur général, vous comparez l'évolution de l'investissement des entreprises, non seulement entre la France et l'Allemagne - je n'y vois aucun inconvénient -, mais aussi avec les États-Unis. En revanche, vous ne faites plus la comparaison avec ce dernier pays lorsque vous évoquez la question de la dette. Dès lors, pourquoi avoir retenu l'exemple des États-Unis seulement sur la question de l'investissement des entreprises ?
Vous retracez la hausse des prélèvements obligatoires. C'est incontestable, mais quelles sont les recettes réelles, en volume ? En effet, il faut aussi prendre en compte les exonérations, les dégrèvements et les remboursements. Quel est l'impact réel de l'augmentation des prélèvements obligatoires pour les recettes de l'État ?
Pourquoi avez-vous indiqué que le produit net de l'impôt sur les sociétés serait identique, avec et sans le CICE ?
M. Marc Laménie. - Merci pour cette présentation pédagogique.
Ma question porte sur l'évolution des recettes fiscales. Le rapporteur général l'a rappelé à juste titre, la TVA est la première recette de l'État. Comment évoluera le produit de la taxe ?
Les recettes de l'impôt sur le revenu s'établiraient à la hausse, à hauteur de 93 milliards d'euros, tandis que le produit de l'impôt sur les sociétés resterait stable, voire régresserait.
La taxe d'habitation a été supprimée, mais elle est compensée à l'euro près par l'État ; cela représente une somme importante : près de 20 milliards d'euros. Où cette compensation apparaît-elle dans les documents budgétaires ?
M. Albéric de Montgolfier. - Quelle crédibilité peut-on accorder aux estimations des recettes, notamment pour la TVA ? Je pense notamment à la corrélation entre le taux de croissance annoncé, qui est faible, et les recettes de la TVA, qui seront élevées, selon le Gouvernement.
Le produit attendu des recettes fiscales nouvelles n'est-il pas très optimiste ? Par le passé, certaines mesures exceptionnelles n'avaient pas eu le rendement espéré - je pense notamment à la contribution de 75 %, qui n'avait rien rapporté. Les phénomènes d'optimisation existent.
En outre, ces prévisions se fondent sur un comportement inchangé des acteurs économiques, comme si ces derniers n'étaient pas capables de s'adapter face à un changement de situation fiscale. Ne pèche-t-on pas là encore par optimisme ?
Mme Sylvie Vermeillet. - Merci au rapporteur général pour sa présentation.
Ma question porte sur l'évolution de la charge de la dette. Chacun comprend aisément que l'évolution des taux d'intérêt affecte considérablement notre budget. Un graphique évoque une charge de la dette d'un montant de 69,3 milliards d'euros en 2025, contre 54,2 milliards d'euros à une autre page. Pouvez-vous nous apporter des précisions ?
Votre document évoque également l'impact d'un choc de taux de 1 % sur la charge de la dette. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?
M. Jean-Baptiste Olivier. - Sur le graphique des estimations de solde budgétaire, on observe une baisse des dépenses de 5,8 milliards d'euros seulement, malgré une annulation de crédits s'élevant à 10 milliards d'euros. Comment peut-on expliquer cet écart ?
Je salue le sens des responsabilités du Premier ministre, contraint d'assumer des décisions afin de pallier les dérives des précédents gouvernements. Comme le dira sans doute M. Le Maire demain lors de son audition, il a fallu faire face à des crises et, chaque fois, nous avons infantilisé nos concitoyens en leur octroyant des chèques qui leur permettaient de surmonter les difficultés, comme si celles-ci étaient plus importantes chez nous que dans d'autres pays. La gauche était favorable à ces mesures, il est donc difficile pour elle de critiquer la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui.
Ce budget est, à mon sens, équilibré. Il demande des efforts importants aux grandes entreprises et à nos concitoyens les plus favorisés. Toutefois, ces grandes entreprises peuvent décider de quitter le territoire pour optimiser, même de façon temporaire, leurs conditions fiscales. Chaque fois, il y a des emplois à la clé. De ce point de vue, le Gouvernement a pris ses responsabilités.
Il s'agit également d'assumer une diminution des dépenses. Or, chacun trouve une bonne raison de s'opposer aux propositions formulées.
M. Claude Raynal, président. - Monsieur Olivier, vous relevez la responsabilité de la gauche alors que, par exemple, le chèque carburant a été imposé par le groupe Les Républicains de l'Assemblée nationale, contre l'avis de celui du Sénat. L'addition se chiffre à plusieurs milliards d'euros.
M. Arnaud Bazin. - Je souhaite revenir sur un sujet brièvement abordé par le rapporteur général : la baisse de la productivité du travail, de l'ordre de 8,5 % entre 2019 et 2024. Cet élément est essentiel pour comprendre les déséquilibres actuels. Le rapporteur général a évoqué les causes liées aux ressources humaines - le surcroît d'apprentis, le retour au travail de personnels peu qualifiés. On évoque moins la baisse de productivité des investissements. Comment se fait-il qu'une machine achetée en Allemagne soit aujourd'hui plus productive que la même machine achetée en France ? Dans nos travaux ultérieurs, nous devrons regarder de près toutes ces causes qui entraînent une baisse de productivité, car seule la création de richesses nous permettra de remonter la pente.
M. Raphaël Daubet. - Ma première question porte sur les tableaux comparatifs des prévisions de croissance. L'investissement des entreprises, qui contribue à la croissance à hauteur de -0,2 point cette année, doit augmenter en 2025. Or, une des courbes présentées de comparaison avec l'Allemagne et les États-Unis montre plutôt une baisse. Comment l'expliquez-vous ?
Mon autre interrogation porte sur la consommation des ménages. Celle-ci est prévue en forte hausse, de manière à porter la croissance ; cela me paraît risqué. En revanche, je déplore l'abandon du levier de la demande publique qui a pourtant fait ses preuves l'an dernier ; je pense aux dépenses de consommation ainsi qu'aux investissements des administrations.
M. Michel Canévet. - Tous ces éclairages n'apportent pas de réponses à nos inquiétudes qui restent très vives concernant l'évolution de notre situation financière. À cet égard, l'évolution des recettes en 2024 montre une baisse de 26 milliards d'euros par rapport aux prévisions. Sur quels éléments se base-t-on ? Les données sont-elles communiquées par Bercy ? S'agit-il d'estimations de la commission des finances ?
Parmi les évolutions observées, la baisse de l'impôt sur les sociétés, de l'ordre de 14,3 milliards d'euros, est la plus significative. Cela nous conduit à nous interroger sur les perspectives de recettes évoquées par le Gouvernement.
Enfin, concernant les dépenses, si l'on tient compte des évolutions positives et négatives, on se trouve à peu près au même niveau. L'effort est donc relativement limité. Je présume que, dans les chiffres communiqués, ne figurent pas les 5 milliards d'euros d'économies supplémentaires annoncés par le Gouvernement. Ne pensez-vous pas que l'on puisse, dès cette année, réaliser davantage d'économies ?
M. Christian Bilhac. - Votre présentation m'inspire, concernant le budget, l'appréciation que j'entendais au lycée : peut mieux faire. Par exemple, on ne touche pas au financement de centaines d'opérateurs. Par ailleurs, les mesures fiscales seront, à n'en pas douter, bouleversées par les élections de 2027 ; il est donc inutile de se projeter en 2035.
Je souhaite revenir sur le sujet de la TVA nette. D'une mesure à l'autre, l'État s'est privé de 50 % des ressources de la TVA. Je m'interroge également sur la suppression de la taxe d'habitation et sur celle de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Nous sommes nombreux à les critiquer ici, mais là encore on préfère attendre, procrastiner. Pourquoi ne pas rétablir dès maintenant la CVAE, dont la suppression n'était pas réclamée par les entreprises, ainsi que la taxe d'habitation qui permettrait de recréer un lien indispensable entre les citoyens et les communes ?
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - M. Cozic s'interroge sur la légitimité de ceux qui ont accepté de se retrousser les manches, et assumé de former une coalition pour agir. Les élections sont intervenues, d'autres coalitions paraissaient peut-être plus naturelles. Si l'on s'en tient à celle qui avait votre préférence, des voix se sont opposées, à l'intérieur de celle-ci, lorsque des noms ont été proposés. Le Président de la République a fait un choix, en nommant Michel Barnier Premier ministre et, dans une logique qui me paraît implacable, nous nous associons à la coalition. Il faudra clarifier l'état des lieux, comme nous avons essayé de le faire dans le cadre de la mission d'information « flash », de manière que chacun endosse ses responsabilités. De mon point, cette clarification est indispensable pour travailler sereinement.
Une chose est certaine : l'ampleur de la dette et du déficit s'est accentuée lors des deux dernières années. Je ne suis pas de ceux qui pensent se résigner. La France a connu d'autres crises de ce type. À l'heure où des bouleversements géopolitiques et des courants populistes ébranlent le monde, je préfère m'engager pour apporter une contribution au service de mon pays. Je crois que, sans forcément avoir les mêmes idées, nous partageons tous cet état d'esprit. Pendant ce débat, j'espère que nous aurons la possibilité de trouver des voies de convergence, peut-être même encore plus larges que celles qui ont été imaginées.
Vous avez évoqué l'idée d'un socle commun ; pour ma part, je ferai référence au « Club des 5 », puisque cette nouvelle majorité sénatoriale élargie se compose de cinq entités. Chacun avec ses convictions, nous allons nous mettre au travail. Dans notre sensibilité, comme vous le savez, nous ne sommes habituellement pas favorables aux augmentations d'impôts ; mais la situation budgétaire appelle des mesures exceptionnelles. Si des efforts sont nécessaires pour réduire encore les dépenses, il faudra collectivement s'y employer. En baissant le niveau des dépenses, l'effet sera immédiat.
Vous avez évoqué, parmi les potentielles cibles de baisse des dépenses, la question des opérateurs. Il ne s'agit pas de tout casser, mais d'en « faire maigrir » certains et d'en regrouper d'autres, afin de muscler les dispositifs et de les rendre plus efficaces. Je ne doute pas que vous apporterez votre contribution. Il y a peu de temps, les mêmes qui préconisent aujourd'hui de dépenser moins demandaient davantage d'emplois. Chacun doit gérer ses contradictions. Nous sommes dans une situation d'urgence budgétaire, et nos concitoyens attendent de nous que la raison l'emporte.
Monsieur Delahaye, je suis favorable à l'idée d'aller plus loin concernant la baisse des dépenses. Je me souviens avoir été mis en minorité l'an dernier sur des sujets où l'on peinait à avancer. Le Gouvernement, de son côté, est allé assez loin sur le sujet de l'aide publique au développement (APD). Nous devons revoir les dispositifs tout en veillant à ne pas engendrer des difficultés excessives. Il faut le faire avec progressivité, même si cela paraît difficile en trente-cinq jours.
Lorsque j'ai évoqué un possible déficit de 6,9 % en 2025, je reprenais les chiffres de Bercy, à politique inchangée.
Les dépenses primaires, qui ne comprennent pas la charge de la dette, devraient se stabiliser en volume en 2025. C'est l'objectif, et ce serait une première.
La trajectoire du PSMT implique que les ressources fiscales soient, pour une part, temporaires. Les efforts devront être déployés durant plusieurs années, mais la marche la plus haute est celle du PLF pour 2025. La charge de la dette s'avère aujourd'hui trop importante. Si l'on arrive à franchir cette première marche, la tendance à l'effort sera bien intégrée.
M. Capo-Canellas a évoqué le sujet de la croissance économique avant redressement, c'est-à-dire avec un déficit en 2025 du même niveau qu'en 2024, soit 6,1 % du PIB. Un tel déficit serait, comme cette année, synonyme de forte impulsion budgétaire mais celle-ci serait combinée à un assouplissement de la politique monétaire. Dans ces conditions, la croissance serait relativement élevée. La prévision gouvernementale me semble un peu optimiste, mais plus raisonnable que celle de l'an passé.
Entre 2024 et 2025, un effort de plus de 40 milliards d'euros sera demandé, et majoritairement porté par l'augmentation des recettes.
L'objectif consiste à ramener le déficit à 5 % du PIB en 2025. L'effort, surtout, doit être suivi et piloté. Une fois le budget adopté par la représentation nationale, il s'agira de rendre des comptes. L'exercice étant inédit, nos concitoyens devront vérifier, peut-être à un rythme trimestriel, si les orientations votées produisent des effets.
Monsieur Rapin, il n'existe pas de projection de la TICPE à long terme. Tendanciellement, les recettes diminuent. Les recettes de la TICPE s'élevaient à 31,7 milliards d'euros en 2023 ; elles diminueront de 500 millions d'euros en 2025.
Monsieur Savoldelli, en termes d'investissements, les États-Unis envoient un signal à l'échelle de l'économie mondiale. Il n'est donc pas inintéressant de les voir figurer dans notre graphique.
Le total des recettes publiques, établi à 51,6 % du PIB en 2023, passerait à 51,3 % en 2024 et 52 % en 2025. De la même manière, le taux des prélèvements obligatoires, établi à 42,8 % du PIB en 2024, passerait à 43,6 % en 2025.
Concernant l'impôt sur les sociétés, le schéma sans le CICE démontre que, contrairement à ce qu'a pu déclarer l'ancien ministre de l'économie sur la baisse des taux de l'impôt sur les sociétés, les recettes n'augmentent pas et sont assez stables dans le temps. Passé un surcroît temporaire en 2022, l'effet magique s'est évaporé.
M. Laménie a évoqué la réforme de la taxe d'habitation et le financement par la TVA. À ceux qui déplorent des disparitions d'impôts, je précise que nous avons encore le niveau de prélèvements le plus élevé d'Europe. Certains critiquent la décision, mais nous avons été nombreux à voter la suppression de la taxe d'habitation. Remettons-nous dans le contexte de 2017. On mesure aujourd'hui la perte de lien que cette suppression a pu entraîner. Mais je ne crois pas non plus que nos concitoyens aspirent à une augmentation excessive du niveau d'imposition et de taxe.
Concernant l'augmentation de la TVA, l'effet de périmètre s'élève à 4 milliards d'euros. Cette hausse est liée à la rebudgétisation de l'audiovisuel public dans le texte initial. Cette année, pour la première fois depuis longtemps, on a observé un écart par rapport aux prévisions de recettes de TVA. Celui-ci s'explique par l'amélioration de nos échanges commerciaux et, dans le même temps, la baisse de nos importations. Ce double phénomène n'entraîne pas de recettes de TVA sur le territoire national. J'ignore comment les choses vont évoluer, mais, comme je l'ai évoqué précédemment, les échanges économiques actuels laissent entrevoir des tensions.
Madame Vermeillet, la charge de la dette est exprimée, d'une part, concernant toutes les administrations publiques en comptabilité nationale, et, d'autre part, pour le seul État en comptabilité budgétaire. Un autre graphique vise à montrer l'impact d'une hausse de taux sur la charge de la dette. Lors du PLF 2021, le ministre de l'économie de l'époque justifiait le besoin d'emprunter à des taux d'intérêt négatifs, sauf que, si l'on emprunte beaucoup et que les taux remontent comme c'est le cas en ce moment, l'effet cumulatif entraîne une augmentation mécanique de la charge de la dette.
Monsieur Olivier, la baisse des dépenses en 2024 s'avère en effet moindre que l'annulation des 10 milliards d'euros de crédits. Cela s'explique par la réintégration dans le budget de 16 milliards d'euros de reports de crédits. Le Gouvernement supprime, par décret, 10 milliards d'euros de dépenses et, mi-mars, récupère 16 milliards d'euros de crédits non mobilisés en 2023.
La question de la productivité au travail animera nos débats de la semaine prochaine. Nous devons être notamment attentifs à l'investissement privé productif des entreprises. La courbe de l'Allemagne montre, de manière étonnante, un effondrement du niveau d'investissement. En France, le climat politique n'est guère favorable, et il s'agit de veiller à ce que les mesures ne pèsent pas trop sur l'activité économique.
De la même manière, pour les collectivités, nous ferons en sorte de trouver des voies de passage peut-être différentes de celles qui sont envisagées par le Gouvernement pour traverser cette période difficile et tracer des perspectives. Les collectivités portent une part importante de l'investissement public, l'objectif n'est pas de leur casser le moral.
Monsieur Daubet, la baisse des taux de la BCE aide à maintenir la dynamique d'investissement des entreprises. Mais il ne s'agit pas d'une science exacte, et il convient d'agir avec précaution. On observe aujourd'hui des inquiétudes liées à la situation politique. Les entreprises ne se réjouissent pas d'un alourdissement de la fiscalité.
Lors du PLF pour 2024, le gouvernement de l'époque s'était montré peu prudent. Ce dernier prévoyait une élasticité des prélèvements obligatoires de 1,1 ; à l'arrivée, elle fut de 0,7. Pour 2025, le Gouvernement prévoit une élasticité de 0,9, ce qui est plus prudent. Des variables peuvent intervenir sans que nous soyons en mesure de les anticiper.
Nous devons aller plus loin au niveau des dépenses, le Sénat est attendu sur ce sujet. Au regard des différents rapports et missions qui ont produit de nombreux éléments chiffrés, il convient de réduire les dépenses peu productives. Je prends l'exemple des dépenses de formation des personnels enseignants : les montants, inscrits chaque année depuis dix ans au budget, sont largement sous-consommés, ce qui a conduit Olivier Paccaud, notre rapporteur spécial, à proposer une réduction de cette enveloppe. Tel est l'état d'esprit qui doit nous animer.
Les prévisions concernant l'impôt sur les sociétés paraissent raisonnables.
Concernant la baisse des dépenses, je pourrai également citer les opérateurs de France 2030, le service national universel (SNU), l'Agence nationale de la recherche (ANR). Je proposerai également de rejeter les crédits dédiés au plan de relance pour intégrer les programmes de cette mission dans le droit commun.
Sur le financement des collectivités territoriales, je ne crois pas qu'une mesure fiscale prise à la hâte soit une bonne solution. Le rétablissement de la taxe d'habitation et de la CVAE correspond-il à une attente ? De mon point de vue, les collectivités souhaitent surtout retrouver un lien avec leurs habitants, qu'ils soient locataires ou propriétaires, dans la mesure où ceux-ci contribuent à l'animation économique du territoire. Après le budget, nous aurons à débattre de réformes plus structurelles, notamment d'une nouvelle étape de la décentralisation. Le président Gérard Larcher envisage un impôt résidentiel ; le président de notre commission, de son côté, pointe des recettes inadaptées, notamment celle des droits de mutation pour les départements.
L'état d'urgence budgétaire nous impose aujourd'hui des mesures qui produisent des effets - soit des réductions de dépenses, soit des recettes supplémentaires -, afin de passer le gué et d'entamer le redressement par un effort collectif le plus équilibré possible.
M. Claude Raynal, président. - Merci, monsieur le rapporteur général, pour vos réponses. Sans surprise, le débat sur le PLF promet d'être riche au Sénat.
LA LOI EN CONSTRUCTION
Pour naviguer dans les rédactions successives du texte, le tableau synoptique de la loi en construction est disponible sur le site du Sénat à l'adresse suivante :
https://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjlf2025.html
* 1 Voir le rapport d'information n° 685 (2023-2024) du 12 juin 2024 de la mission d'information sur la dégradation des finances publiques depuis 2023, son suivi par l'administration et le Gouvernement et les modalités d'information du Parlement sur la situation économique, budgétaire et financière de la France de M. Jean-François HUSSON : « Dégradation des finances publiques : entre pari et déni ».
* 2 Article 3 de la loi n° 2023-1195 du 18 décembre 2023 de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027.
* 3 Programme de stabilité 2024-2027, présenté le 17 avril 2024 en Conseil des ministres.
* 4 Voir le rapport d'information cité.
* 5 En ce sens, la hausse du spread ne reflète pas uniquement la dégradation des conditions de financement de l'État français.
* 6 Bien que sa suppression complète soit retardée par le présent budget.
* 7 Le total du solde public peut différer de la somme des soldes du fait des erreurs d'arrondis.
* 8 Loi n° 2023-1195 du 18 décembre 2023 de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027.
* 9 Le programme de stabilité a été présenté en conseil des ministres le 17 avril 2024. Le rapporteur général de la commission des finances avait pointé le manque de crédibilité et de cohérence du document dans son rapport d'information n° 559 (2023-2024) déposé le 30 avril 2024 « Programme de stabilité 2024-2027 : chronique d'une dérive budgétaire annoncée ».
* 10 Valeur de référence définie par l'article 1er du protocole n° 12 sur la procédure concernant les déficits excessifs, adopté pour l'application de l'article 126 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne relatif aux déficits publics excessifs.
* 11 Le plan budgétaire et structurel de moyen terme de la France, élaboré en application des nouvelles règles budgétaires européennes adoptées le 29 avril 2024, a été présenté en conseil des ministres le 23 octobre 2024 et transmis à la Commission européenne le 31 octobre 2024.
* 12 Les chiffres sont difficiles d'accès, mais l'on sait que la dette publique française est passée entre 1944 et 1949 d'environ 270 % du PIB à moins de 50 % du PIB (voir le rapport d'information n° 566 (2016-2017) d'Albéric de Montgoflier : « La dette publique de la France : un poids du passé, un défi pour l'avenir » et l'article de Laure Quennouëlle-Corre « Dynamique de la dette publique (1914-2007) » dans le livre L'État des finances publiques en France. Comprendre les dynamiques du long XXème siècle, sous la direction de Fabien Cardoni et Michel Margairaz, 2022.
* 13 Moniteur des finances publiques : Mettre un frein à la dette publique. Fonds monétaire international, octobre 2024.
* 14 Voir le tome 1 du PLF 2023 et PLF 2024, mais aussi le rapport sur le PLPFP 2023-2027.
* 15 The future of European competitiveness - A competitiveness strategy for Europe, 9 septembre 2024.
* 16 On utilise pour ce calcul les données d' Eurostat.
* 17 Ce mouvement de rattrapage devrait se poursuivre en Grèce dans les années à venir, dans la mesure où le PIB y demeure 20 % inférieur à celui d'avant la crise de 2008. Voir Le Monde, 7 octobre 2024 : « La revanche économie de l'Europe du Sud ».
* 18 Pays d'Europe centrale et orientale.
* 19 Données Istat.
* 20 « Comment expliquer les pertes de productivité observées en France depuis la période pré-Covid ? », Bulletin de la Banque de France n° 251/1 - Mars-avril 2024. Antoine Devulder, Thomas Zuber, Bruno Ducoudré et Matthieu Lemoine.
* 21 Audition du 23 octobre 2024 précitée.
* 22 Cette mesure a été négociée par l'Espagne et le Portugal avec la Commission européenne pour une durée comprise entre juin 2022 et décembre 2023, et leur a été accordée du fait de leur isolement géographique, qui implique qu'à la différence de la France ces pays ne sont pas au centre d'interconnexions européennes.
* 23 Rapport d'information n° 779 (2022-2023) de Mme Christine LAVARDE, déposé le 27 juin 2023 : Contrôle budgétaire sur les dispositifs de soutien aux consommateurs d'énergie : l'usine à gaz des aides énergie.
* 24 « Le PIB accélère légèrement au troisième trimestre 2024 (+ 0,4 % après + 0,2 %) ». Insee, Informations rapides - 30 octobre 2024 - n° 269.
* 25 Note de conjoncture de l'Insee : « La croissance entre pouvoir d'achat et incertitudes », 10 octobre 2024.
* 26 OFCE, Policy brief n° 137, « La croissance à l'épreuve du redressement budgétaire. Perspectives 2024-2025 pour l'économie française », 16 octobre 2024.
* 27 Rapport général n° 128 (2023-2024) déposé le 23 novembre 2023 sur le projet de loi de finances pour 2024 de M. Jean-François HUSSON, rapporteur général. Tome 1 : le budget de 2024 et son contexte économique et financier.
* 28 Rapport économique, social et financier accompagnant le projet de loi de finances pour 2024.
* 29 Rapport d'information n° 559 (2023-2024) de M. Jean-François HUSSON, déposé le 30 avril 2024, « Programme de stabilité 2024-2027 : chronique d'une dérive budgétaire annoncée ».
* 30 Les différences de chiffres avec le graphique suivant sont dues aux erreurs d'arrondis : la consommation publique contribuerait à hauteur de 0,649 point à la croissance tandis que l'investissement public contribuerait à hauteur de 0,13 point, soit une somme de 0,78 point.
* 31 Le déficit s'explique également par un niveau de recettes plus faible qu'attendu.
* 32 Selon les prévisions de l'Insee, le prix du pétrole passerait de 82,5 dollars en moyenne en 2023 à 80,6 dollars en moyenne en 2024.
* 33 Rapport économique, sociale et financier accompagnant le projet de loi de finances pour 2024.
* 34 Policy Brief n° 137.
* 35 Insee, note de conjoncture d'octobre.
* 36 17,8 % selon l'OFCE et 17,9 % selon l'Insee pour 2024, 17,9 % pour le deuxième trimestre 2024 selon le Gouvernement.
* 37 Certes, selon le Gouvernement, le taux d'épargne devait passer entre 2023 et 2024 de 18,6 % du RDB à 18,2 % du RDB, soit un niveau encore supérieur au niveau actuel.
* 38 En 1975, 1983, 1992, 1993, 2002, 2009 et 2020.
* 39 Un seuil de 5 % de valeurs mensuelles les plus élevées a été choisi.
* 40 Scott R. Baker, Nicholas Bloom et Steven J. Davis, 2016, « Measuring Economic Policy Uncertainty », The Quaterly Journal of Economics, President and Fellows of Harvard College, Vol. 131(4), p. 1593-1636.
* 41 « En octobre 2024, le climat des affaires dans l'industrie s'obscurcit fortement » - Enquête mensuelle de conjoncture dans l'industrie - octobre 2024. Informations rapides -24 octobre 2024 - n° 260. Insee.
* 42 IS pour « investment-savings » décrit l'équilibre sur le marché des biens ; LM pour « liquidity money » décrit l'équilibre sur le marché de la monnaie.
* 43 « IS-LMentary », The New York Times, 9 octobre 2011, Paul Krugman.
* 44 Depuis juillet 2021, la BCE se donne une cible symétrique autour de 2 %. Auparavant, l'inflation devait être légèrement inférieure à 2 %. Concrètement, cela signifie que si l'inflation s'élève à 2,2 ou 2,3 %, la BCE n'engagera pas d'action pour la faire diminuer, alors qu'elle l'aurait fait auparavant.
* 45 Financial Times, 13 octobre 2024 : « Spectre of low inflation returns to haunt Eurozone policymakers », Olaf Storbeck.
* 46 Déclaration de François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France. « Baisse des taux : le ralentissement de l'inflation se produit plus vite que prévu », mis en ligne le 18 octobre 2024.
* 47 La prévision retenue par le Gouvernement est de 2,7 %.
* 48 L'OFCE estime que la réduction des exonérations de cotisations patronales rapporterait 5,1 milliards d'euros, alors que le Gouvernement avance le chiffre de 4 milliards d'euros - et 4,7 milliards d'euros en rajoutant la réduction de certaines niches sociales. Le nombre de destructions d'emplois imputables directement à cette réforme est donc sans doute surestimé.
* 49 Audition du 23 octobre 2024.
* 50 La loi d'Okun (1962) établit ainsi une relation de causalité de la croissance du PIB vers le chômage, le second diminuant lorsque la première dépasse un certain seuil, suffisant pour absorber la hausse de la population active.
* 51 17,8 % selon l'OFCE à la fin de l'année 2024.
* 52 La théorie de la déflation par la dette, due à Irving Fisher (1933), met en évidence les interactions entre déflation et dette : lorsque les ménages se désendettent, ils ne consomment pas, ce qui alimente la baisse des prix, baisse des prix qui elle-même fait augmenter la valeur réelle des stocks de dette, ce qui pousse les agents à accélérer leur désendettement et à diminuer leur consommation.
* 53 Insee, note de conjoncture d'octobre 2024.
* 54 Conférence de presse du 17 octobre 2024 : déclaration de politique monétaire de Christine Lagarde, présidente de la BCE, et Luis de Guindos, vice-président de la BCE.
* 55 Entretien accordé par Christine Lagarde, présidente de la BCE, à Éric Albert, Philippe Escande et Béatrice Madeline, le 28 octobre 2024 (pour le journal Le Monde).
* 56 Financial Times, 13 octobre 2024, article précité.
* 57 Milton Friedman, « The big lag effect of monetary policy », research paper.
* 58 Christophe Blot et Paul Hubert, « Une analyse de la contribution de la politique monétaire à la croissance économique », Revue de l'OFCE 2018/5 (n° 159).
* 59 Article 11 du projet de loi de finances pour 2025, instaurant une contribution exceptionnelle sur les bénéfices des entreprises.
* 60 Article 24 du projet de loi de finances pour 2025, visant à réintégrer les amortissements admis en déduction dans l'assiette de la plus-value imposable réalisée lors de la cession de locaux ayant fait l'objet d'une location meublée dans le cadre d'une activité exercée à titre non professionnel.
* 61 OFCE Policy Brief n° 136, 16 octobre 2024 : « Passage de relais. Perspectives 2024-2025 pour l'économie mondiale ».
* 62 Trésor-Eco n° 349 - Septembre 2024 : « Perspectives mondiales à l'automne 2024 : entre assouplissement monétaire et tensions géopolitiques ».
* 63 Pour plus de détails, voir la partie suivante.
* 64 Pour une présentation détaillée, voir la partie suivante (III. A).
* 65 Réponses du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie au questionnaire du rapporteur général.
* 66 La comptabilité nationale française mise en place après 1945 a longtemps considéré la puissance publique comme ne contribuant pas au PIB. Les évolutions ultérieures de la comptabilité nationale, et notamment le nouveau système de comptabilité nationale de 1968 adopté sous l'égide de l'ONU et créant la catégorie du PIB non marchand, ont infléchi la comptabilité nationale française à compter de 1976. L'activité des fonctionnaires est ainsi considérée comme productive et contribuant au PIB.
* 67 Plan budgétaire et structurel de moyen terme 2025-2029, p. 60.
* 68 Avis n° HCFP- 2024-3 du 8 octobre 2024 relatif aux projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour l'année 2025.
* 69 Audition du 23 octobre 2024 précitée.
* 70 Audition du 23 octobre 2024 de Mme Anne-Laure Delatte, directrice de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), rattachée à l'université Paris Dauphine-PSL (en visioconférence), M. Olivier Redoulès, directeur des études de l'Institut Rexecode, et Mme Natacha Valla, présidente du Conseil national de productivité (CNP), sur les perspectives de l'économie française et la situation des finances publiques.
* 71 Anne-Laure Delatte : « S'il est adopté tel quel, le budget 2025 coûtera 0,6 point de croissance à la France », Alternatives économiques, 14 octobre 2024.
* 72 PSMT 2025-2029, p. 68.
* 73 PSMT 2025-2029, p. 117.
* 74 Rapport économique, social et financier joint au PLF 2025, p. 59, tableau 2.
* 75 Pour une analyse détaillée s'agissant de l'année 2023, voir le rapport précité de la mission d'information sur la dégradation des finances publiques.
* 76 L'article L. 121-6 du code de l'énergie prévoit que les charges imputables aux missions de service assigné aux opérateurs électriques sont intégralement compensées par l'État et que, lorsque ces missions induisent des recettes, ces dernières sont intégralement reversées à l'État.
* 77 SPE : service public de l'électricité ; CVAE : cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises ; CICE : crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi ; TFPB : taxe foncière sur la propriété bâtie ; PPV : prime de partage de la valeur ; TVS : taxe sur les véhicules de société (remplacée en 2024 par la taxe annuelle sur les émissions de CO2 et la taxe annuelle sur les émissions de polluants atmosphériques) ; AGS : assurance garantie des salaires ; TICGN : taxe intérieure de consommation sur le gaz naturel ; TICFE : taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité.
* 78 Décret n° 2024-124 du 21 février 2024 portant annulation de crédits.
* 79 Ces chiffres sont des recompositions à partir des taux de croissance de la dépense indiqués dans le RESF. En 2024, la croissance en valeur des dépenses de l'État est bien indiquée, mais elle ne figure pas s'agissant de 2025. Malgré une question portant spécifiquement sur ce point, le rapporteur général n'a, étonnamment, pas obtenu de réponse de la part du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie alors qu'il s'agit de toute évidence d'une donnée qui lui est accessible facilement.
* 80 Après examen du budget.
* 81 En comptabilité budgétaire, en raison du traitement différent des crédits d'impôts et de certaines opérations financières, y compris sur intérêts, le déficit est plus élevé en 2024 et 2025.
* 82 Sur le champ toutes APUL, les dépenses de fonctionnement seraient également contenues, la hausse passant de + 4 % en 2024 à + 1 % en 2025.
* 83 Pour l'ensemble de ces mesures, voir le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025.
* 84 Mettre un frein à la dette publique. Moniteur des finances publiques, Fonds monétaire international, octobre 2024.
* 85 Audition du 23 octobre 2024 précitée.
* 86 Loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024.
* 87 Le projet de loi de finances pour 2025 ne donne pas d'explications détaillées sur l'évolution de la dépense en 2024, qui sera présentée dans le projet de loi de fin de gestion.
* 88 Dégradation des finances publiques : entre pari et déni, rapport d'information n° 685 (2023-2024) déposé le 12 juin 2024, présenté par Jean-François Husson, rapporteur, et Claude Raynal, président, au nom de la mission d'information sur la dégradation des finances publiques depuis 2023, son suivi par l'administration et le Gouvernement et les modalités d'information du Parlement sur la situation économique, budgétaire et financière de la France.
* 89 Rapport général n° 128 (2023-2024) sur le projet de loi de finances pour 2024, tome I, présenté par Jean-François Husson, rapporteur général, au nom de la commission des finances, déposé le 21 novembre 2023.
* 90 Annexe Voies et moyens, tome 1, au projet de loi de finances pour 2025.
* 91 Audition d'Antoine Armand, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, et de Laurent Saint-Martin, ministre auprès du Premier ministre, chargé du budget et des comptes publics, devant la commission des finances du Sénat, 11 octobre 2024.
* 92 En particulier, le produit de l'impôt sur les sociétés et celui de la TVA seraient tous deux en augmentation de 0,9 milliard d'euros, estimations qui restent très incertaines à cette période de l'année, alors que celui de la TICPE serait en diminution de 1,3 milliard d'euros.
* 93 Situation mensuelle du budget de l'État, crédits de paiement consommés.
* 94 L'État a connu pour la dernière fois un excédent budgétaire en 1974, d'un montant de 5,8 milliards de francs (soit à peu près, en tenant compte de l'érosion monétaire, 5,2 milliards d'euros de 2023).
* 95 Loi organique n° 2021-1836 du 28 décembre 2021 relative à la modernisation de la gestion des finances publiques.
* 96 Voir infra la présentation des recettes prévisionnelles de TVA.
* 97 Notamment les aides personnelles au logement (APL) et l'allocation aux adultes handicapés (AAH).
* 98 Le 4° bis de l'article 51 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances prévoit qu'est joint au projet de loi de finances de l'année « une présentation des mesures envisagées pour assurer en exécution le respect du plafond global des dépenses du budget général voté par le Parlement, indiquant en particulier, pour les programmes dotés de crédits limitatifs, le taux de mise en réserve prévu pour les crédits ouverts sur le titre des dépenses de personnel et celui prévu pour les crédits ouverts sur les autres titres ».
* 99 Crédits de paiement du programme 117 « Charge de la dette et trésorerie de l'État » de la mission « Engagements financiers de l'État », qui inclut la charge de la dette proprement dite résultant des intérêts d'OAT et de BTF (53,5 milliards d'euros) et la trésorerie (0,7 milliard d'euros). Une présentation complète de la charge de la dette ajouterait à ce montant la charge de la dette de SNCF Réseau reprise par l'État (programme 355), dont le montant est de 692 millions d'euros en 2025.
* 100 Crédits de paiement prévus par le projet de loi de finances pour 2025, hors contributions au compte d'affectation spéciale « Pensions » et hors remboursements et dégrèvements.
* 101 Article 13 de la loi n° 2023-1195 du 18 décembre 2023 de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027.
* 102 Voir le rapport n° 34 (2024-2025), tome I, présenté par Jean-François Husson, rapporteur général, au nom de la commission des finances du Sénat sur le projet de loi relative aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes de l'année 2023, déposé le 16 octobre 2024.
* 103 Commission des finances du Sénat, Mission d'information sur la dégradation des finances publiques depuis 2023, son suivi par l'administration et le Gouvernement et les modalités d'information du Parlement sur la situation économique, budgétaire et financière de la France.
* 104 Dépense fiscale n° 110107, d'un coût de 110 millions d'euros par an.
* 105 Annexe « Voies et moyens », tome II, fichier annexé.
* 106 Ce programme est indiqué aux pages 123 et suivantes de l'évaluation préalable des articles du projet de loi de finances pour 2020.
* 107 Les recettes de TVA et leur répartition entre les différentes catégories d'administrations publiques sont présentées infra.
* 108 Voir par exemple le IV de l' article 8 de la loi de finances initiale pour 2021, qui prévoit le reversement aux régions d'un montant de taxe sur la valeur ajoutée égal au produit de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises perçu en 2020.
* 109 Direction du budget, Reports de crédits 2024 sur 2025, circulaire du 29 octobre 2024.
* 110 Tome I du document « Voies et moyens » annexé au projet de loi de finances pour 2025.
* 111 Lors du dépôt du projet de loi de finances pour 2024, la prévision d'impôt sur les sociétés net était de 61,3 milliards d'euros au titre de 2023 et de 72,2 milliards d'euros pour 2024, en raison d'une forte surestimation du bénéfice fiscal 2023.
* 112 Transferts aux régions en remplacement de leur dotation globale de fonctionnement en 2018, aux départements et au bloc communal dans le cadre de la réforme de la fiscalité locale depuis 2021, à l'ensemble des collectivités pour compenser la suppression progressive, désormais interrompue, de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises.
* 113 Loi organique n° 2021-1836 du 28 décembre 2021 relative à la modernisation de la gestion des finances publiques.
* 114 Proposition de loi organique portant réforme du financement de l'audiovisuel public, présentée par Cédric Vial et plusieurs de ses collègues, dans le texte modifié par la commission des finances sur la proposition de son rapporteur, Jean-Raymond Hugonet.
* 115 Direction générale des finances publiques, Le manque à gagner de TVA en France, DGFiP Analyses n° 07, septembre 2024.
* 116 Évaluation préalable de l'article 2 du projet de loi de finances pour 2025.
* 117 Voir Sylvain Duchesne, Paul Dutronc-Postel et Brice Fabre, Que signifie l'annonce de l'indexation sur l'inflation du barème de l'impôt sur le revenu ?, blog des économistes de l'Institut des politiques publiques (IPP), 26 septembre 2023.
* 118 La réduction d'impôt s'étendant sur une durée maximale de douze ans à compter de l'achèvement du logement, le dispositif « Pinel » continuera, même sans nouvelle souscription, à produire des effets budgétaires jusqu'à la seconde moitié des années 2030.
* 119 Les prélèvements de solidarité prévus par l' article 235 ter du code général des impôts, au taux de 7,5 %, sont assis sur les revenus du patrimoine et sur les produits de placement. Ils résultent de la fusion de plusieurs taxes dans le cadre d'une réorganisation des flux financiers entre l'État et la sécurité sociale réalisée par l'article 26 de la loi n° 2018-1203 du 22 décembre 2018 de financement de la sécurité sociale pour 2019.
* 120 Les droits de mutation à titre gratuit incluent les donations entre vifs (ligne 1705) et les successions (ligne 1706).
* 121 Cour des comptes, Les droits de succession, communication à la commission des finances de l'Assemblée nationale, juin 2024.
* 122 Laurent Toulemon, Élisabeth Algava, Nathalie Blanpain et Gilles Pison, La population française devrait continuer de vieillir d'ici un demi-siècle, Population et sociétés, 2022/2, n° 597,
* 123 Voir le VI de l'article 33 du projet de loi de finances. La recette est enregistrée à l'état A sur la ligne 2698 « Produits divers ».
* 124 Accord interinstitutionnel du 16 décembre 2020 entre le Parlement européen, le Conseil de l'Union européenne et la Commission européenne sur la discipline budgétaire, la coopération en matière budgétaire et la bonne gestion financière, ainsi que sur de nouvelles ressources propres, comportant une feuille de route en vue de la mise en place de nouvelles ressources propres.
* 125 Cour des comptes, note d'exécution budgétaire 2023 relative au prélèvement sur recettes à destination de l'Union européenne.
* 126 Articles 42 à 44 du présent projet de loi de finances.
* 127 Article 41 du présent projet de loi de finances.
* 128 Depuis la révision de la loi organique relative aux lois de finances du 28 décembre 2021, les remboursements et dégrèvements d'impôts locaux sont comptabilisés comme des dépenses et ne sont plus retranchés des dépenses nettes.
* 129 Article 9 de la loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027.
* 130 L'état F inclut également les dépenses des comptes spéciaux concourant aux politiques publiques visées par la mission, ce qui donne une image excessive de certaines dépenses : les avances aux collectivités territoriales, d'un montant de 132,4 milliards d'euros, ne peuvent être considérées comme une véritable dépense de l'État puisqu'elles sont remboursées en cours d'année par le produit des impositions locales. En conséquence les dépenses des comptes spéciaux ne sont pas prises en compte dans la présentation qui suit.
* 131 Les remboursements et dégrèvements sont partiellement pris en compte à travers l'imputation des dépenses fiscales sur les moyens globaux de chaque mission.
* 132 Article 4 de la loi n° 2023-703 du 1er août 2023 relative à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense.
* 133 Loi n° 2023-22 du 24 janvier 2023 d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur.
* 134 Voir la loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027.
* 135 Loi n° 2020-1674 du 24 décembre 2020 de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l'enseignement supérieur.
* 136 Programme 379 « Reversement des recettes de la facilité pour la relance et la résilience (FRR) européenne au titre du volet « Ségur investissement » du plan national de relance et de résilience (PNRR) ».
* 137 Le programme 124 « Conduite et soutien des politiques sanitaires », rattaché jusqu'en 2024 à cette mission, est transféré à la mission « Travail, emploi et administration des ministères sociaux » à compter de 2025.
* 138 Nouvel intitulé de la mission « Travail et emploi ».
* 139 Voir la note de présentation de Thomas Dossus et Laurent Somon, rapporteurs spéciaux, sur les crédits de la mission « Investir pour la France 2030 », présentée le 31 octobre 2024 devant la commission des finances.
* 140 Les crédits du fonds de solidarité pour le développement, auparavant alimenté par une taxe affectée et rattachés à cette mission à compter de 2025, ne sont pas pris en compte dans cette diminution.
* 141 Inspection générale des finances, Analyse du niveau de trésorerie des opérateurs de l'État et du modèle de relations financières entre l'État et ses opérateurs, juillet 2023.
* 142 Bruno Le Maire, France Info, 28 juillet 2023.
* 143 Cour des comptes, Les relations entre l'État et ses opérateurs, rapport demandé par le comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques de l'Assemblée nationale, janvier 2021.
* 144 Les organismes d'audiovisuel public doivent être exclus des comparaisons de moyen terme car ils étaient financés les années précédentes par des recettes affectées et non par les crédits budgétaires que prévoit le présent projet de loi de finances dans son texte initial.
* 145 Crédits des programmes 117 « Charge de la dette et trésorerie de l'État » et 355 « Charge de la dette de SNCF Réseau reprise par l'État » de la mission « Engagements financiers de l'État ».
* 146 Loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027.
* 147 Loi n° 2023-22 du 24 janvier 2023 d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur.
* 148 Loi n° 2023-703 du 1er août 2023 relative à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense.
* 149 Loi n° 2020-1674 du 24 décembre 2020 de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l'enseignement supérieur.
* 150 Les autorisations d'engagement portées par le programme 369 « Amortissement de la dette de l'État liée à la covid-19 » de la mission « Engagements financiers de l'État », qui relèvent comptablement de la catégorie des restes à payer, ne peuvent toutefois être considérées comme de réels engagements au même titre que celles des autres programmes du budget général (voir la section suivante).
* 151 Crédits de paiement ouverts en loi de finances, y compris les remboursements et dégrèvements et les contributions au compte d'affectation spéciale « Pensions ».
* 152 Projet annuel de performances de la mission « Engagements financiers de l'État » annexé au présent projet de loi de finances, échéancier des crédits de paiement.
* 153 Cour des comptes, note d'exécution budgétaire 2023 sur les crédits de la mission « Engagements financiers de l'État ».
* 154 Dont 3 155 sur le programme 140 « Enseignement scolaire public du premier degré » et 660 sur le programme 139 « Enseignement privé du premier et du second degrés ».
* 155 Exposé général du projet de loi de finances.
* 156 Dépenses de personnel hors contribution au CAS Pensions, retraitées.
* 157 Selon le rapport sur la fonction publique, édition 2023, 489 900 agents civils sont entrés dans la fonction publique en 2021 et 473 800 en sont sortis, contre, respectivement, 468 300 et 419 200 en 2020. Ces données n'incluent pas les contrats aidés et les militaires.