N° 144 SÉNAT SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025 |
Enregistré à la Présidence du Sénat le 21 novembre 2024 |
RAPPORT GÉNÉRAL FAIT au nom de la commission des finances (1) sur le projet de loi de finances, considéré comme rejeté par l'Assemblée nationale, pour 2025, |
Par M. Jean-François HUSSON, Rapporteur général, Sénateur LES MOYENS DES POLITIQUES PUBLIQUES ET DISPOSITIONS SPÉCIALES (seconde partie de la loi de
finances) ACTION EXTÉRIEURE DE
L'ÉTAT |
Rapporteurs spéciaux : Mme Nathalie GOULET et M. Rémi FÉRAUD |
(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Bruno Belin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Michel Canévet, Emmanuel Capus, Thierry Cozic, Bernard Delcros, Thomas Dossus, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Stéphane Sautarel, Pascal Savoldelli, vice-présidents ; Mmes Marie-Carole Ciuntu, Frédérique Espagnac, MM. Marc Laménie, Hervé Maurey, secrétaires ; MM. Pierre Barros, Arnaud Bazin, Grégory Blanc, Mmes Florence Blatrix Contat, Isabelle Briquet, MM. Vincent Capo-Canellas, Raphaël Daubet, Vincent Delahaye, Vincent Éblé, Rémi Féraud, Stéphane Fouassin, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Raymond Hugonet, Éric Jeansannetas, Christian Klinger, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Victorin Lurel, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Jean-Baptiste Olivier, Olivier Paccaud, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Georges Patient, Jean-François Rapin, Mme Ghislaine Senée, MM. Laurent Somon, Christopher Szczurek, Mme Sylvie Vermeillet, M. Jean-Pierre Vogel. |
Voir les numéros : Assemblée nationale (17ème législ.) : 324, 459, 462, 468, 471, 472, 486, 524, 527, 540 et T.A. 8 Sénat : 143 et 144 à 150 (2024-2025) |
L'ESSENTIEL
I. LE BUDGET 2025 : UN « COUP DE FREIN » DANS L'AUGMENTATION DES MOYENS DE LA DIPLOMATIE
A. DEPUIS LA CRISE SANITAIRE, LA MISSION A BÉNÉFICIÉ DU « RÉARMEMENT » DE LA DIPLOMATIE FRANÇAISE
Fortement mise à contribution dans le cadre du programme « Action publique 2022 » et du plan de réforme des réseaux de l'État et de ses opérateurs à l'étranger, la mission « Action extérieure de l'État » a bénéficié, depuis la crise sanitaire, d'un renforcement sensible de ses moyens.
Au-delà des dépenses de crise destinées à soutenir les Français expatriés, le budget du ministère de l'Europe et des affaires étrangères (MEAE) a été tiré à la hausse, à compter de 2021-2021 par une série d'annonces sectorielles représentant un coût budgétaire conséquent, formant une véritable ébauche de loi de programmation sans consultation du Parlement, dont :
- la stratégie interministérielle d'attractivité universitaire de la France, « Bienvenue en France » (2018), avec un objectif de 500 000 étudiants étrangers en France en 2027 et de doublement des bourses d'études ;
- la stratégie internationale pour la langue française et le plurilinguisme (2018) avec un objectif de doublement du nombre d'élèves accueillis au sein du réseau scolaire français à l'étranger d'ici à 2030 ;
- la « feuille de route de l'influence » (2022), incluant de nombreuses mesures dont l'augmentation des contributions volontaires à l'ONU, le développement des campus français à l'étranger ou le développement des médias français à l'étranger ;
- les « états généraux de la diplomatie » (2023), avec l'annonce d'une hausse de plus de 20 % des crédits du MEAE, visant à atteindre un budget de 8 milliards d'euros en 2027 (soit + 1,3 milliard d'euros) et, d'autre part, la création de 700 nouveaux ETP sur la même période ;
- les « consultations sur l'enseignement français à l'étranger » (2023) qui évoquaient la piste d'une prise en charge par l'État de la politique immobilière de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE).
B. UNE STABILISATION DES CRÉDITS DE LA MISSION DÉCOULANT DAVANTAGE D'UN « RABOT » BUDGÉTAIRE QUE DE MESURES STRUCTURELLES D'ÉCONOMIES
L'exercice 2024 avait ainsi été caractérisé par une hausse des moyens du MEAE, avec une progression de plus de 15 % en AE comme en CP, inédite depuis 2005. Menée dans la précipitation, la ventilation des crédits découlant de cet accroissement soudain n'était pas finalisée au moment de la présentation du budget.
Dès février 2024, confronté à la dégradation des comptes publics, le Gouvernement a annulé, par décret, plus de 174 millions d'euros, en AE comme en CP, sur la mission AEE. De plus, le Gouvernement propose d'annuler 58 millions d'euros en AE et en CP dans le projet de loi de finances de fin de gestion déposé le 6 novembre.
Comparaison du volume de la mission
entre le
projet de loi de finances pour 2025 et l'exercice 2024
(en milliards d'euros et en pourcentage)
Note : les montants prennent en compte le transfert des dépenses de titre 2 du programme 209 de la mission APD vers la mission AEE.
Source : commission des finances d'après les documents budgétaires
Aussi, si le montant des crédits de la mission AEE pour 2025 s'inscrit en baisse par rapport à la loi de finances initiale pour 2024, avec 3,5 milliards d'euros d'autorisations d'engagement (- 4,10 %) comme en crédits de paiement (- 3,91 %), il est stable par rapport à l'exécution anticipée de l'exercice 2024.
Cette stabilisation des crédits de la mission ne traduit aucune mesure structurelle d'économie budgétaire opérée par le ministère de l'Europe et des affaires étrangères. Si la mission se caractérise par le caractère rigide de certaines dépenses (contributions internationales, aides à la scolarisation, dotations aux opérateurs...), cette absence est regrettable.
Les seuls gisements possibles de réduction des dépenses mis en avant par le ministère reposent, d'une part, sur la réduction de la quote-part française dans les grandes organisations internationales et, d'autre part, sur les grands programmes de modernisation de l'administration consulaire.
Évolution des crédits de la mission Action extérieure de l'État
(en millions d'euros - en pourcentage)
LFI 2024 |
PLF 2025 |
Évolution en valeur |
Évolution en pourcentage |
|||||
AE |
CP |
AE |
CP |
AE |
CP |
AE |
CP |
|
105 - Action de la France en Europe et dans le monde |
2 791,5 |
2 789,7 |
2 695,1 |
2 699,6 |
- 96,4 |
- 90 |
- 3,5 % |
- 3,2 % |
151 - Français à l'étranger et affaires consulaires |
165,6 |
165,2 |
156,5 |
156,9 |
- 9,1 |
- 8,3 |
- 5,5 % |
- 5 % |
185 - Diplomatie culturelle et d'influence |
721,2 |
721,2 |
675,9 |
675,9 |
- 45,2 |
- 45,2 |
- 6,3 % |
- 6,3 % |
Mission - Action extérieure de l'État |
3 678,3 |
3 676,1 |
3 527,5 |
3 532,5 |
- 150,74 |
- 143,57 |
- 4,1 % |
- 3,9 % |
Source : commission des finances du Sénat d'après les documents budgétaires
II. LE PROGRAMME 105 : UNE RÉDUCTION DES CRÉDITS DES MOYENS GÉNÉRAUX DU MINISTÈRE QUI DÉCOULE DE LA BAISSE DES CONTRIBUTIONS INTERNATIONALES
A. SANS AUCUNE PROGRAMMATION PLURIANNUELLE, LES DÉPENSES DE PERSONNEL POURSUIVENT LEUR AUGMENTATION
L'exercice 2025 marque une évolution significative de l'architecture budgétaire du programme qui regroupe désormais l'ensemble des dépenses de personnel du MEAE, y compris celles contribuant au programme 209 de la mission APD.
En dépit d'une révision à la baisse des ambitions affichées en 2023, le plafond d'emplois de la mission progresse significativement pour le troisième exercice consécutif avec une augmentation de 75 ETP en 2025. Le total des dépenses de titre 2 s'élève à 1,15 milliard d'euros en 2025 (+ 45 millions).
Malgré une volonté de renforcement de ses moyens humains, le MEAE n'est toujours pas en mesure de fournir un schéma pluriannuel d'affectation des nouveaux ETP.
B. LA BAISSE DES CONTRIBUTIONS INTERNATIONALES, PRINCIPALE ÉCONOMIE DU BUDGET 2025, EST INDÉPENDANTE DE TOUT EFFORT BUDGÉTAIRE
Le programme 105 porte une partie de contributions de la France aux entités multilatérales (16,5 % en 2023) dont la majorité est composée de contributions obligatoires (92 % en 2025). Ces contributions obligatoires découlent d'un engagement de droit international public et sont donc difficiles à remettre en cause.
Pour 2025, le total des contributions du programme 105 devrait diminuer de 9 %, essentiellement en raison d'une baisse du financement des opérations de maintien de la paix de l'ONU. Ce recul s'explique, d'une part, par la diminution de la quote-part française au barème des Nations unies et, d'autre part, par la fin de la MINUSMA.
De même, s'agissant des contributions européennes, la contribution française à la Facilité européenne pour la paix baisse de 40 millions d'euros, ce qui constitue la principale économie du budget 2025.
Si cette baisse des contributions permet de compenser le maintien à un haut niveau d'autres enveloppes, elle ne découle en rien d'un effort budgétaire du MEAE.
Évolution des contributions internationales portées par la France
(en millions d'euros - en pourcentage)
Note : l'abréviation OMP revoie aux opérations de maintien de la paix.
Source : commission des finances d'après les documents budgétaires
C. UNE ÉVALUATION PLUS RÉALISTE DES DÉPENSES D'IMMOBILIER PERMET DE MAINTENIR À UN NIVEAU ÉLEVÉ LES DÉPENSES NUMÉRIQUES ET DE SÉCURITÉ
Par rapport à l'exercice 2024, les dépenses d'entretien et de maintenance à l'étranger devraient reculer de 10 % pour se situer à 94,3 millions d'euros en AE et en CP. Cette baisse résulte d'une rationalisation des dépenses immobilières du ministère prenant en compte la sous-consommation des CP constatée lors des années précédentes.
Proposée l'année dernière par la commission des finances du Sénat, cette évaluation plus réaliste des dépenses immobilières permet au ministère de maintenir à un niveau élevé les dépenses numériques (58 millions d'euros en AE et en CP) et de sécurité (66,7 millions d'euros en AE et 70,1 millions d'euros en CP).
III. LES PROGRAMMES 185 ET 151 : UNE STABILISATION DES MOYENS DE LA COOPÉRATION CULTURELLE, DU RÉSEAU CONSULAIRE ET DE L'ENSEIGNEMENT FRANÇAIS QUI COMPROMET LES OBJECTIFS AFFICHÉS
A. UNE STAGNATION DES MOYENS DE LA COOPÉRATION CULTURELLE ET D'INFLUENCE, QUI INTERROGE NOTRE POLITIQUE D'ATTRACTIVITÉ
Le soutien au réseau de la coopération structurelle fait l'objet d'une sanctuarisation, notamment avec une progression des dotations aux établissements à autonomie financière
La stabilisation du volume des bourses du Gouvernement français au bénéfice des étudiants étrangers à 70,1 millions d'euros aura pour conséquence de réduire le nombre de bourses nouvelles par rapport à l'année 2024, interrompant la trajectoire haussière engagée les années passées. Une partie conséquence de l'enveloppe prévue sera, en effet, utilisée pour financer les engagements pris lors des années précédentes à financer des mobilités couvrant plusieurs années civiles.
B. DES SERVICES CONSULAIRES SOUS PRESSION
La démarche de modernisation des outils du service consulaire, engagée depuis plusieurs années par la direction des Français de l'étranger se poursuit. Toutefois, si les grands projets de modernisation sont présentés comme des viviers d'économies, ils n'ont pas encore porté leurs fruits, à l'image de France consulaire dont les locaux feront l'objet d'un déménagement à Nantes.
De même, si l'instruction des demandes de visas a bénéficié de la hausse des effectifs affectés au programme 151, l'amélioration des procédures d'instruction, recommandée par le rapport de la mission Hermelin n'est pas encore aboutie.
C. LES DOTATIONS ALLOUÉES À L'ENSEIGNEMENT FRANÇAIS À L'ÉTRANGER SONT MISES À CONTRIBUTION
Les dotations allouées à l'enseignement français à l'étranger devraient reculer sur l'exercice 2025.
D'une part, la subvention pour charges de service public versée à l'AEFE se situe à 440,8 millions d'euros (- 14 millions d'euros) pour intégrer le moindre coût de la réforme de ses personnels et la non-consommation d'une enveloppe spécifique. Pour autant, la problématique du financement de l'immobilier de l'agence demeure en suspens, en l'absence de capacité d'emprunt.
D'autre part, l'enveloppe des aides à la scolarisation s'inscrit en baisse par rapport à l'année passée, avec 111,5 millions d'euros en AE=CP (- 5,5 %), du fait d'un recul de 17 % du nombre de boursiers français. La modération de cette enveloppe est compensée par la généralisation de l'aide à la scolarisation des élèves en situation de handicap.
Cette évolution des moyens compromet fortement de l'objectif de doublement du nombre d'élèves accueillis, français comme étrangers, dans le réseau d'ici à 2030.
Évolution du montant de l'enveloppe des
bourses scolaires
et du nombre de boursiers entre 2017 et
2022
Source : commission des finances d'après les documents budgétaires
Réunie le 20 novembre 2024, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission des finances a décidé de proposer au Sénat l'adoption des crédits de la mission tels que modifiés par un amendement de crédits de Mme Nathalie Goulet, rapporteur spécial, minorant de 50 millions d'euros sur des dépenses d'investissement faisant l'objet d'une sous-exécution régulière, d'une part, et sur des enveloppes de crédits d'intervention dont la doctrine de décaissement n'est pas précisée, d'autre part.
Réunie à nouveau le jeudi 21 novembre 2024, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a confirmé définitivement ses votes émis sur toutes les missions, tous les budgets annexes, tous les comptes spéciaux et les articles rattachés aux missions, ainsi que les amendements qu'elle a adoptés, à l'exception des votes émis pour les missions « Culture », « Direction de l'action du Gouvernement », « Enseignement scolaire », « Médias, livre et industries culturelles », « Audiovisuel public », « Recherche et enseignement supérieur », ainsi que des comptes spéciaux qui s'y rattachent.
Au 10 octobre 2023, date limite, en application de l'article 49 de la loi organique relative aux lois de finances, pour le retour des réponses du Gouvernement aux questionnaires budgétaires concernant le présent projet de loi de finances, 0 % des réponses portant sur la mission « Action extérieure de l'État » étaient parvenues aux rapporteurs spéciaux.
I. LES CRÉDITS DE LA MISSION « ACTION EXTÉRIEURE DE L'ÉTAT » : UN BUDGET STABILISÉ QUI MARQUE UN « COUP DE FREIN » À L'AUGMENTATION DES MOYENS DE LA DIPLOMATIE
A. DEPUIS LA CRISE SANITAIRE, LA MISSION A BÉNÉFICIÉ DU « RÉARMEMENT » DE LA DIPLOMATIE FRANÇAISE
1. Après une forte mise à contribution du redressement des finances publiques entre 2018 et 2021, la mission AEE bénéficie, dans un mouvement de balancier budgétaire, d'une hausse sensible de ses moyens
Au cours des années précédant la crise sanitaire, la mission « Action extérieure de l'État » et, plus largement, le ministère de l'Europe et des affaires étrangères, ont été particulièrement sollicités au titre du redressement de nos finances publiques.
Évolution des crédits de la mission depuis 2017
(en milliards d'euros)
Source : commission des finances d'après les documents budgétaires
Des objectifs de réduction des dépenses ont notamment été fixés dans le cadre du programme « Action publique 2022 » (AP2022), élaboré à partir de 2017. S'agissant du Quai d'Orsay, ce programme dit « de transformation de l'État » s'est décliné dans la réforme des réseaux de l'État et de ses opérateurs à l'étranger.
Dans cette perspective, la réunion interministérielle du 25 janvier 2019 a précisé des objectifs chiffrés d'économies budgétaires, à savoir une réduction de la masse salariale de l'ordre de 7,9 % pour l'ensemble des ministères et des opérateurs ayant des effectifs à l'étranger1(*). Cet effort visait une économie de 90 millions d'euros sur la période 2019-2022, portée pour moitié par le ministère de l'Europe et des affaires étrangères, soit 45,1 millions d'euros. Cette réforme s'est accompagnée d'un prolongement du mouvement de rationalisation des postes consulaires.
Sur l'ensemble de la période d'application du programme AP2022, de 2018 à 2021, date de son interruption, les économies réalisées s'élevaient, selon les annexes budgétaires dédiées2(*) :
- à 75 millions d'euros (sur 90 millions d'euros escomptés) pour l'ensemble des ministères et opérateurs concernés ;
- dont 36,4 millions d'euros pour le ministère de l'Europe et des affaires étrangères, reposant sur la suppression de 331 ETP pour une cible de 416 suppressions.
Évolution du schéma d'emploi
du
ministère de l'Europe et des affaires
étrangères
(en équivalents temps plein travaillés)
Source : commission des finances d'après les documents budgétaires
Cependant, la crise sanitaire a conduit, non seulement à une interruption de l'application du programme de réduction des dépenses du MEAE, mais à un retour sur les économies réalisées entre 2018 et 2021. Le ministère de l'Europe et des affaires étrangères est, en effet, apparu à l'occasion de la crise sanitaire, puis de la dégradation du contexte international marqué par le déclenchement de la guerre en Ukraine, comme le « ministère des crises ». Son action, au plus fort de la crise du covid, pour assurer le rapatriement des ressortissants français et européens a été unanimement saluée.
Le Gouvernement a mis fin en 2021 à la mise en oeuvre du programme AP2022. Cette interruption s'est combinée avec la mise en place de mesures budgétaires exceptionnelles, dans le contexte pandémique, pour soutenir les Français résidant à l'étranger les plus démunis et le réseau d'enseignement français à l'étranger.
Au-delà des dépenses de crise, le budget du ministère de l'Europe et des affaires étrangères a été tiré à la hausse, à compter de 2021-2022 par une série d'annonces sectorielles accompagnées d'objectifs représentant un coût budgétaire conséquent. Ces annonces programmatiques, formant une véritable ébauche de loi de programmation de l'action extérieure de l'État, ont ainsi, sans véritable consultation du Parlement, justifié une augmentation des dépenses de la mission.
Parmi ces annonces, peuvent être citées, sans ambition d'exhaustivité aucune :
- la stratégie interministérielle d'attractivité universitaire de la France, « Bienvenue en France »3(*), présentée en 2018, qui fixait comme objectif d'atteindre 500 000 étudiants étrangers en France en 2027 et prévoyait pour cela de doubler le nombre de bourses d'études, soit un objectif de 15 000 bourses ;
- la stratégie internationale pour la langue française et le plurilinguisme, annoncé en mars 2018, avec un objectif de doublement du nombre d'élèves accueillis au sein du réseau scolaire français à l'étranger d'ici à 2030 ;
- la « feuille de route de l'influence », publiée en janvier 20224(*), qui a fixé une pluralité d'objectifs incluant, entre autres, la confirmation du doublement du nombre d'étudiants étrangers en 2027, le développement des campus français à l'étranger, l'augmentation du financement du dispositif des « Jeunes experts associés » de l'ONU, le renforcement des contributions volontaires au système onusien ou le développement des médias français à l'étranger ;
- les « états généraux de la diplomatie », clôturés, en mars 2023, par l'annonce d'une augmentation de 20 % des moyens budgétaires du ministère d'ici à 2027 et d'un accroissement de 700 ETP sur la même période ;
- les « consultations sur l'enseignement français à l'étranger », conclues en juillet 2023, qui évoquaient la piste d'une prise en charge par l'État de la politique immobilière de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE) actuellement financée par les ressources propres de l'agence et de son réseau.
Ces annonces ont culminé avec la conclusion des « états généraux de la diplomatie française » en mars 2023, précités. L'organisation des états généraux a suivi le mouvement social déclenché au sein du MEAE en juin 2022. La grève très suivie des agents du ministère visait non seulement à protester contre la mise en extinction du corps diplomatique mais plus largement à contester les conditions de travail des agents du Quai d'Orsay et l'évolution de l'outil diplomatique.
Les conclusions des états généraux de la diplomatie ont été rendues en mars 2023 sous la forme d'un rapport intitulé « Pour un plan de réarmement de la diplomatie française », qui présente plusieurs pistes d'évolution du ministère de l'Europe et des affaires étrangères concentrées en deux axes.
Un premier axe de réflexion concerne les objectifs et les moyens de la diplomatie française, notamment :
- la nécessité d'une plus grande agilité et d'une plus grande innovation dans la conduite de l'action du ministère, qui repose en particulier sur un plus fort investissement dans l'outil numérique et des méthodes d'organisation plus souple, à l'image du mécanisme d'adaptation « RAPID » (réponse agile aux priorités importantes de la diplomatie) ;
- l'affirmation du rôle de chef de file de l'action extérieure de l'État du ministère de l'Europe et des affaires étrangères ;
- le renforcement de la diplomatie d'influence, fonction stratégique ;
- une coopération avec l'ensemble des acteurs institutionnels, Parlement et collectivités territoriales au premier chef, pour promouvoir l'action extérieure de l'État.
Un second axe de réflexion a porté sur les ressources humaines du Quai d'Orsay et les évolutions du métier de diplomate et propose :
- une refonte de la politique des ressources humaines du ministère, en s'appuyant sur les opportunités de la réforme de la haute fonction publique, en améliorant les perspectives de carrière des agents et en repensant la politique de recrutement et de rémunération ;
- une réforme de la formation au sein du ministère qui devrait essentiellement s'appuyer sur la création d'une académie diplomatique ;
- un renforcement de la promotion des valeurs républicaines au sein du ministère.
À cette occasion, le président de la République a annoncé, dans son discours de clôture, d'une part, une augmentation de plus de 20 % des crédits du MEAE5(*), visant à atteindre un budget de 8 milliards d'euros en 2027 (soit une augmentation de 1,3 milliard d'euros) et, d'autre part, la création de 700 nouveaux ETP sur la même période. La logique sous-tendant cet accroissement budgétaire inédit depuis des années a été explicité par le président de la République dans son discours de clôture : « Certains auraient voulu que nous adaptions, en quelque sorte, nos ambitions à la faiblesse des moyens, ou à leur attrition. Je suis très simplement venu vous dire que j'entends faire le choix contraire : mettre les moyens en conformité avec nos ambitions »6(*).
L'ensemble de ces annonces équivaut par conséquent à revenir sur l'ensemble des efforts budgétaires réalisés entre 2018 et 2022, dans un mouvement de balancier budgétaire qui interroge.
2. Traduisant ce « réarmement » de la diplomatie française, la loi de finances pour 2024 a porté la plus importante hausse du budget du ministère depuis 2005
L'exercice 2024 a été caractérisé par une hausse inédite des moyens du ministère de l'Europe et des affaires étrangères avec des crédits qui ont sensiblement progressé entre 2020 et 2023 (+ 8 % en AE et + 6 % en CP) du fait de l'arrêt du programme AP2022. Pour rappel, les crédits de la mission avaient ainsi augmenté de plus de 15 % en autorisations d'engagement comme en crédits de paiement par rapport à l'exécution 2023. Comme l'avait indiqué le ministère aux rapporteurs spéciaux lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2024, il s'agissait de la plus importante hausse de budget du Quai d'Orsay depuis 2005.
Cet accroissement soudain des moyens de la mission avait d'ailleurs conduit à une budgétisation menée dans la précipitation par les administrations. Dans leur rapport sur les crédits de la mission pour 2024, les rapporteurs spéciaux avaient regretté de constater que la ventilation précise des crédits et des emplois n'ait pas été finalisée au moment de la présentation du budget7(*).
De même, les rapporteurs spéciaux avaient alerté sur un risque de « saupoudrage » des crédits additionnels dès lors que l'ensemble des lignes budgétaires de la mission avaient bénéficié de cette majoration.
* 1 La cible initiale avait été fixée à 10 % de la masse salariale.
* 2 Rapport relatif à la mise en oeuvre et au suivi de la réforme des réseaux de l'État et de ses opérateurs, annexe au projet de loi de finances pour 2023.
* 3 Stratégie interministérielle d'attractivité universitaire de la France, « Bienvenue en France », 2018.
* 4 Ministère de l'Europe et des affaires étrangères, Feuille de route de l'influence, janvier 2022.
* 5 Sur un périmètre élargi, comprenant à la fois la mission « Action extérieure de l'État » et le programme 209 de la mission « Aide publique au développement » également géré par le MEAE.
* 6 Discours du président de la République à l'occasion de la clôture des états généraux de la diplomatie, 16 mars 2023.
* 7 Rapport général n° 128 (2023-2024) fait par Jean-François Husson, rapporteur général, au nom de la commission des finances sur le projet de loi de finances considéré comme adopté par l'Assemblée nationale en application de l'article 49 alinéa 3 de la Constitution, Tome III - Les moyens des politiques publiques et dispositions spéciales, Annexe n° 1 - Action extérieure de l'État par Nathalie Goulet et Rémi Féraud, rapporteurs spéciaux.