II. LES PRINCIPALES OBSERVATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL

A. UNE RÉORGANISATION DES INSTANCES DE CONSEIL ET D'ÉVALUATION DONT LES EFFETS DEMEURENT TRÈS INCERTAINS

1. La future fusion entre le Haut-Commissariat au Plan et France Stratégie devra s'accompagner d'une réflexion sur les missions et l'organisation de la nouvelle structure

Dans sa déclaration de politique générale9(*), prononcée le 1er octobre dernier, le nouveau Premier ministre a annoncé, comme exemple de rationalisation de structures administratives dans le cadre du redressement des finances publiques, la prochaine fusion du Haut-Commissariat au Plan (HCP) et du Commissariat général à la stratégie et à la prospective, dénommé France Stratégie.

Si les compétences des deux organismes concernés en matière d'orientation stratégique et de prospective peuvent se recouper, leurs moyens budgétaires et humains sont, de fait, de dimensions très différentes.

Mis en place sous sa forme actuelle en 201310(*) et lointain successeur historique du Commissariat général au Plan, France Stratégie assume des fonctions de prospective, de stratégie et d'évaluation des politiques publiques. Cette instance comptait 135 ETP à fin 2023 et bénéficiait d'une dotation budgétaire de 23,1 millions d'euros pour 2024.

Missions de France Stratégie

Le Commissariat général apporte son concours au Gouvernement pour la détermination des grandes orientations de l'avenir de la nation et des objectifs à moyen et long terme de son développement économique, social, culturel et environnemental ainsi que pour la préparation des réformes décidées par les pouvoirs publics. Par ses méthodes de travail, notamment l'association des partenaires sociaux et des autres parties intéressées, il favorise la concertation, l'élaboration d'analyses et de scénarios partagés et la large participation de l'ensemble de la société française à la réflexion sur l'avenir.

À cet effet, le commissariat général :

1° Conduit des travaux de prospective permettant d'éclairer les pouvoirs publics sur les trajectoires possibles à moyen et long terme pour la France, compte tenu des évolutions prévisibles de la société et de l'environnement européen et international ;

2° Conduit des études stratégiques permettant d'éclairer l'action du Gouvernement et la préparation des réformes, notamment par une analyse du contexte de la décision et de son impact prévisible à court et moyen terme ;

3° Participe à l'évaluation des politiques publiques ;

4° Constitue un centre de ressources en matière de recensement et d'évaluation des pratiques de concertation et de débat public, recherche de nouvelles pratiques de nature à améliorer l'association des parties intéressées et peut organiser, à la demande du Premier ministre, des concertations ou débats publics ;

5° Recense et fait connaître les expériences conduites à l'étranger ou au niveau territorial de nature à enrichir la réflexion sur les réformes utiles à la France et les voies et moyens de les conduire.

Le Commissariat général peut en outre se voir confier des missions spécifiques en lien avec ses domaines d'expertise. Il peut prêter son concours à l'élaboration d'études confiées par le Président de la République ou le Premier ministre à une personnalité ou à une commission. Il peut apporter un appui méthodologique aux administrations et au secrétariat général du Gouvernement pour l'élaboration des études d'impact des projets de loi. Il peut également assurer la coordination de travaux de prospective sectoriels, notamment en matière de métiers et de qualifications.

Source : décret n° 2013-333 du 22 avril 2013 portant création du Commissariat général à la stratégie et à la prospective

Le HCP constitue une institution beaucoup plus récente. Créé en septembre 202011(*), le HCP procède de la volonté, affichée par l'exécutif, de renouer avec une démarche de réflexion et de planification sur le long terme, après le choc de la première vague de l'épidémie de covid-19 au printemps 2020. Dans ce cadre, le Haut-commissariat a été chargé d'une mission très étendue en théorie, consistant à « animer et coordonner les travaux de planification et de réflexion prospective conduits pour le compte de l'État ».

Avec 14 ETPT en 2023 et un budget de 1,9 million d'euros en 2024, le HCP dispose de ressources modestes, dix fois inférieures à celles de France Stratégie, qui s'expliquent par son rôle d'animation et de coordination12(*).

Missions du HCP aux termes de l'article 1er du décret du 1er septembre 2020

« Il est institué un haut-commissaire au plan, chargé d'animer et de coordonner les travaux de planification et de réflexion prospective conduits pour le compte de l'État et d'éclairer les choix des pouvoirs publics au regard des enjeux démographiques, économiques, sociaux, environnementaux, sanitaires, technologiques et culturels. »

Source : Décret n° 2020-1101 du 1er septembre 2020 instituant un Haut-commissaire au Plan

Dans son rapport de contrôle budgétaire sur le HCP13(*), le rapporteur spécial a émis plusieurs critiques à l'égard de cet organisme, mettant en évidence « une navigation sans boussole » et plus particulièrement :

le risque de doublons et de chevauchements de compétences avec d'autres organes administratifs chargés de missions de planification et de réflexion prospective, dont France Stratégie ;

une organisation et un statut spécifiques, marqués par une forte personnalisation du mandat de Haut-Commissaire et un cumul de fonctions très atypique (le Haut-Commissaire exerçant parallèlement les mandats de maire de la ville de Pau et de président d'un parti politique) ;

- une contribution très mitigée à l'élaboration des politiques publiques, résultant de choix de sujets étonnants (aucune publication sur les enjeux du numérique en quatre ans de travaux), d'une réflexion centrée sur le moyen terme et d'une planification embryonnaire.

Dans une logique de rationalisation des compétences, le rapport de contrôle recommandait de distinguer :

- d'une part, la responsabilité de la réflexion prospective, réservée au HCP ;

- d'autre part, celle de la planification des ressources physiques et financières, assumée par le Secrétariat général à la planification écologique (SGPE) ;

- enfin, celle de l'évaluation des politiques publiques, dévolue à France Stratégie.

Avec la fusion entre le HCP et France Stratégie, c'est donc une autre voie qui a été suivie par le Gouvernement, qui va plus loin que la recommandation initiale du rapporteur spécial.

Pour autant, si le rapporteur reconnaît la valeur d'exemple de cette mesure de regroupement de structures, il ressort de ses échanges en audition avec la direction des services administratifs et financiers (DSAF) du Premier ministre que les économies budgétaires associées à cette fusion devraient demeurer très limitées, compte tenu des dimensions modestes du HCP.

Par ailleurs, alors que la possible nomination de l'actuel Haut-Commissaire au Plan à la direction de l'organisme fusionné est évoquée dans la presse14(*), le rapporteur spécial réitère sa recommandation de structurer davantage la programmation des travaux en soumettant les décisions du Haut-Commissaire à l'avis consultatif préalable d'un collège restreint, réuni annuellement, composé de personnalités qualifiées dans les domaines scientifique, technologique, économique, sociologique et géopolitique15(*).

2. La séparation entre le Secrétariat général à la planification écologique et le cabinet du Premier ministre permet de clarifier le statut administratif de cet organe

Créé en juillet 202216(*), le Secrétariat général à la planification écologique (SGPE) a été chargé d'assurer la cohérence et le suivi des politiques à visée écologique, d'initier et de cadrer la mobilisation des ministères et parties prenantes, de coordonner toutes les négociations et enfin de mesurer la performance des actions menées.

Alors que les effectifs du SGPE avaient connu une montée en puissance continue entre 2022 et 2024, pour former une équipe de 25 ETP, le PLF 2025 marque une inflexion avec une baisse de - 1 ETP, correspondant à la participation des services du Premier ministre à l'effort de maîtrise des dépenses publiques.

En deux ans de travaux, l'activité du SGPE s'est traduite par les contributions suivantes :

- sur le volet de la décarbonation, un plan à horizon 2030 a été endossé par le Président de la République en septembre 2023 à l'issue d'un Conseil de planification écologique. Ce plan détaille les trajectoires de décarbonation secteur par secteur, ces trajectoires étant crédibilisées par des leviers concrets et quantifiés à mettre en oeuvre dans chacun des secteurs (bâtiment, énergie, industrie, transports, agriculture) ;

l'élaboration de premiers textes tels que le projet de loi industrie verte, adopté à l'automne 202317(*), ou la Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), mise en consultation en novembre 2023 ;

- sur le volet de la préservation des ressources, la Stratégie nationale pour la biodiversité a été mise en consultation puis adoptée en novembre 2023 ;

- en termes de moyens, la loi de finances 2024 intégrait une hausse sans précédent des crédits alloués à la transition écologique (10 milliards d'euros d'AE et 7 milliards d'euros de CP supplémentaires). Cependant, ces moyens ont été fortement revus à la baisse dans le cadre du décret d'annulation du 21 février 202418(*) (2,1 milliards d'euros d'AE et 2,2 milliards d'euros de CP annulés sur la mission « Écologie, développement et mobilité durables ») et devraient connaître de nouvelles réductions dans le cadre du PLF 202519(*).

À la suite du Conseil de planification écologique de septembre 2023, les travaux du SGPE ont visé à assurer la territorialisation et le suivi de la mise en oeuvre des actions décidées dans le cadre du plan de décarbonation. Depuis l'automne 2023, le SGPE s'est notamment investi dans les domaines suivants :

l'accélération de l'engagement des parties prenantes, et en premier lieu des collectivités avec la territorialisation et le lancement des COP régionales ;

- le suivi de la mise en oeuvre des décisions prises, avec un processus de suivi exhaustif piloté par le SGPE : la première réunion interministérielle de suivi, sous le pilotage du Secrétaire général de l'Élysée avec le directeur de cabinet de Matignon, a eu lieu en décembre 2023 sur le secteur du bâtiment, puis une seconde réunion s'est tenue en mars 2024 sur le secteur des transports, tous les secteurs ayant été traités à l'été 2024 ;

- le lancement de la consultation d'une feuille de route « Numérique et données ».

Pour autant, le rôle du SGPE a connu une évolution importante avec la nomination du nouveau Gouvernement en septembre dernier. Alors que le Secrétaire général à la planification écologique assumait également la responsabilité de chef du pôle écologie du cabinet du Premier ministre, la nouvelle organisation gouvernementale s'est traduite par le retrait de la fonction de membre de cabinet pour le SGPE.

Dans ce contexte, la capacité d'impulsion et d'arbitrage interministériel du SGPE pourrait être limitée, en attestent les orientations budgétaires concernant la planification écologique inscrites dans le PLF 2025.

Cependant, le rapporteur spécial considère ce détachement du SGPE du cabinet du Premier ministre comme une évolution opportune, permettant de distinguer plus clairement les responsabilités administratives et les responsabilités politiques en matière environnementale.


* 9 Déclaration de politique générale de M. Michel Barnier, Premier ministre, sur la feuille de route gouvernementale en matière de niveau de vie, de logement, de sécurité et d'immigration, ainsi que sur la réduction des dettes budgétaire et écologique, à l'Assemblée nationale le 1er octobre 2024.

* 10 Décret n° 2013-333 du 22 avril 2013 portant création du Commissariat général à la stratégie et à la prospective.

* 11 Décret n° 2020-1101 du 1er septembre 2020 instituant un Haut-commissaire au Plan.

* 12 À noter que le HCP disposait, en vertu du décret du 1er septembre 2023, du concours de France Stratégie.

* 13 Rapport d'information n° 764 (2023-2024) de M. Christopher SZCZUREK, au nom de la commission des finances du Sénat, sur le Haut-Commissariat au Plan, septembre 2024.

* 14 Voir Libération du 2 octobre 2024, « Le Haut-Commissariat au plan fusionné avec France Stratégie... mais toujours avec François Bayrou ? » ; Le Figaro du 3 octobre 2024, « Pour François Bayrou, une promotion surprise à la tête d'un « super » haut-commissariat au Plan ».

* 15 Rapport d'information n° 764 (2023-2024) de M. Christopher SZCZUREK, précité.

* 16 Décret n° 2022-990 du 7 juillet 2022 relatif au secrétariat général à la planification écologique.

* 17 Loi n° 2023-973 du 23 octobre 2023 relative à l'industrie verte.

* 18 Décret n° 2024-124 du 21 février 2024 portant annulation de crédits.

* 19 Voir le projet annuel de performances de la mission « Écologie, développement et mobilité durables », annexé au projet de loi de finances pour 2025.

Partager cette page