B. LES OBSERVATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL

1. L'autonomie des universités, jusqu'à quel point ? L'expérience décevante des COMP

En LFI pour 2023, 35 millions d'euros étaient prévus pour la mise en place expérimentale des contrats d'objectifs, de moyens et de performance (COMP) avec certaines universités. Ces contrats devraient à terme être généralisés en trois vagues en se substituant au dialogue stratégique et de gestion.

La première vague des COMP a concerné 17 contrats pour 34 établissements, pour une allocation prévisionnelle de plus de 110 millions d'euros sur trois ans.

Les contrats d'objectifs ne donnent pas lieu à des financements spécifiques au PLF 2025. Les moyens consacrés à la troisième vague devraient donc être de l'ordre de 100 millions d'euros. Au total, 130 établissements auront bénéficié d'un COMP.

Sur le papier, cette initiative était essentiellement positive. L'idée semblait être intéressante et allait dans le sens d'une meilleure prise en compte de la performance des universités tout en reconnaissant leur autonomie. Les universités en accueillaient favorablement le principe.

La réalité du dispositif est plus nuancée. Les COMP ne concernent qu'environ 0,8 % de la SCSP des universités, de sorte que ce montant est très peu incitatif et ne s'apparente en aucun cas à un véritable financement à la performance.

Les universités mettent en avant l'utilisation d'indicateurs figés qui font des COMP, contrairement à leur objectif initial, un outil peu flexible et loin d'être « sur-mesure ». Par ailleurs, l'étape de contractualisation est consommatrice de temps, rendant le processus peu rentable pour les établissements du fait de la faiblesse des montants engagés.

Les COMP devaient être en outre appelés à prendre une nouvelle ampleur avec « l'acte II de l'autonomie » annoncé par le président de la République lors de son discours du 7 décembre 2023 sur l'avenir de la recherche.

Cette séquence doit se dérouler en deux temps. La première est le lancement début 2024 d'une expérimentation au sein de neuf établissements, qui doit se prolonger jusqu'en 2025.

Ces établissements pilotes, choisis sur la base du volontariat, sont : Aix-Marseille Université ; Université de Pau et de Pays de l'Adour ; Université de Bordeaux ; Université de Rennes ; Université de Perpignan ; Université Paris-Panthéon-Assas ; Sorbonne université ; École centrale de Lyon et Université de Haute-Alsace. Les établissements pilotes pourraient contractualiser sur le déploiement des mesures qu'elles identifieront à l'issue de la période d'expérimentation, par un avenant à leur COMP.

La deuxième étape doit éventuellement être le dépôt d'un projet de loi spécifique.

L'acte II de l'autonomie ne trouve pas de traduction budgétaire directe dans le PLF pour 2025. Le ministère indique cependant que « la démarche évaluative actuellement en cours se poursuit et n'est, à ce stade, pas remise en cause ».

Les différents travaux de contrôle menés récemment par le rapporteur spécial sur les financements liés à la loi ORE5(*) ou à la performance de la commande publique dans les universités6(*) ne peuvent qu'inciter à la prudence Si l'autonomie est plus que jamais souhaitable en matière pédagogique, ces travaux récents ont pu démontrer, faute notamment d'outils informatiques adéquats, la faiblesse du pilotage effectué par le ministère. Il est à craindre que le renforcement de l'autonomie, autre que pédagogique, des universités, face à un État n'ayant pas les moyens de contrôler l'utilisation des crédits qu'il alloue, n'accroisse les lacunes constatées.

2. Une massification rapide de l'apprentissage dans l'enseignement supérieur

Le nombre d'apprentis dans l'enseignement supérieur a atteint 635 900 étudiants pour l'année scolaire 2023-2024.

La trajectoire du nombre d'apprentis dans l'enseignement supérieur est vertigineuse. Le ministère de l'enseignement supérieur constate en septembre 2024 une hausse de 10 % en un an et de 33 % en deux ans7(*). Le nombre d'apprentis étudiant dans le supérieur avait déjà augmenté de 78 % entre 2020 et 2022.

Au cours des dix dernières années, le nombre d'étudiants apprentis est passé de 139 000 à 636 000, ce qui correspond à une hausse de 360 % et à près d'un demi-million d'apprentis supplémentaires. Le pic de nouveaux apprentis a été atteint lors de la crise sanitaire, entre 2020 et 2021 lorsqu'ont été mises en place lors de la crise sanitaire des aides exceptionnelles accordées aux entreprises embauchant un apprenti. Elles ont été maintenues ensuite (6 000 euros d'aide annuelle sont versés aux entreprises pour l'embauche d'un apprenti majeur depuis janvier 2023).

Évolution du nombre d'apprentis
dans l'enseignement supérieur depuis 2012

(en nombre d'apprentis)

Source : commission des finances d'après les données du ministère de l'enseignement supérieur

Les apprentis représentaient en 2025 environ un quart des étudiants de l'enseignement supérieur. S'ils sont logiquement plus nombreux dans les licences professionnelles et les filières de techniciens supérieurs, 32 % des étudiants en école de commerce et 18 % des étudiants en école d'ingénieurs étaient en apprentissage en 2023.

Part des apprentis dans les grandes filières
de l'enseignement supérieur en 2023

(en %)

Source : commission des finances d'après les réponses au questionnaire budgétaire

Par ailleurs, le nombre d'apprentis croît rapidement dans les filières universitaires générales. Ainsi, le nombre d'apprentis en licence générale ou en master a augmenté de 70 points entre 2020 et 2023.

Dans la plupart des formations, les apprentis sont le plus souvent issus de familles relativement aisées. Toutefois, dans certaines filières, l'apprentissage permet d'augmenter la proportion d'étudiants dont les parents sont employés ou ouvriers. Dans les formations d'ingénieur, 40 % des apprentis ont des parents cadres (contre 57 % des étudiants scolaires) et 23 % des parents employés ou ouvriers (contre seulement 14 % des scolaires). Dans les écoles de commerce, 38 % des apprentis ont des parents cadres et 26 % des parents employés ou ouvriers, contre respectivement 54 % et 13 % chez les étudiants « scolaires ».

Toutefois, d'après les données du ministère, en termes de profession et catégorie socio-professionnelle (PCS) des parents, les différences d'origine sociale sont faibles entre les apprentis et les étudiants « scolaires » préparant un DUT/BUT, une licence professionnelle ou un master.

Catégorie socio-professionnelle des étudiants dans les grandes filières
de l'enseignement supérieur - comparaison apprentis et non apprentis

(en %)

Source : commission des finances d'après les données du ministère de l'enseignement supérieur

Les établissements d'enseignement supérieur se sont pour la plupart rapidement adaptés en développant une offre de formation en apprentissage. À titre d'exemple, lors de son audition par le rapporteur spécial, le directeur de l'Institut d'études politiques de Strasbourg a indiqué avoir ouvert 5 formations en apprentissage en cinq ans, parallèlement à une augmentation d'apprentis de 200 % depuis 2019.

En 2014, seules 1 800 formations en apprentissage étaient proposées sur APB. En 2018, ce chiffre était monté à 2 600 formations. En 2024, plus de 10 000 formations en apprentissage étaient proposées sur Parcoursup, soit 1 000 de plus qu'en 2023. Cette progression est notamment très sensible dans les champs BTS et certificats de spécialisation qui représentent plus de 90 % de l'offre en apprentissage sur Parcoursup.

L'apprentissage constitue le plus souvent un atout pour les étudiants, ainsi qu'une solution sur le plan économique à la poursuite de leurs études.

Cependant, le développement de l'apprentissage constitue en quelque sorte une forme d'externalisation du financement de l'enseignement supérieur hors de la mission « Recherche et enseignement supérieur ». Le coût total de l'apprentissage dans l'enseignement supérieur s'élève à près de 4 milliards d'euros en 2023.

Afin d'objectiver le différentiel éventuel entre les charges pédagogiques et d'accompagnement déclarées à France compétences par les CFA et les coûts complets réels des établissements, une enquête annuelle est réalisée par la DGESIP depuis fin 2021. D'après la DGESIP, 55 % des formations ont des coûts complets non couverts par les niveaux de prise en charge du contrat d'apprentissage (NPEC).

Notons par ailleurs que l'apprentissage a pour conséquence de diminuer d'autant le nombre d'étudiants pouvant potentiellement bénéficier d'une bourse sur critères sociaux, dans la mesure où les apprentis ne peuvent être boursiers. Le développement de l'apprentissage contribue donc en partie à expliquer la stabilité des crédits du programme 231.

3. Des modèles intéressants : les instituts d'études politiques

Les 11 instituts d'études politiques (IEP) se caractérisent par une grande diversité de statuts. 7 d'entre eux sont des établissements administratifs, trois autres sont des structures intégrées à une université et ne sont donc pas autonomes dans leur financement, et enfin l'IEP de Paris est un grand établissement qui dispose d'un statut particulier.

Une diversité de statut des IEP

Établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel (EPSCP)

Établissements publics administratifs (EPA)

Composantes d'université

Paris

Aix, Bordeaux, Grenoble, Lille, Lyon, Rennes et Toulouse

Strasbourg, Saint-Germain-en-Laye, Fontainebleau

Source : commission des finances

Ces établissements se caractérisent par un nombre réduit d'étudiants (entre 1 000 et 3 000 étudiants hors IEP de Paris qui accueille 14 800 étudiants), quoiqu'en hausse constante (+ 20 % en 6 ans pour Bordeaux ; + 21 % depuis 2019 pour Toulouse, + 4 % depuis 2021 pour Strasbourg).

Si les IEP sont associés à une image élitiste, ils accueillent un taux d'étudiants boursiers similaire à la moyenne de l'enseignement supérieur (environ 30 % des étudiants d'IEP sont des boursiers, jusqu'à 36,4 % de boursiers à Grenoble).

Les financements de l'État en direction des IEP sont en progression : la subvention pour charges de service public (SCSP) versée aux 7 IEP - EPA a augmenté de 37,5 % entre 2019 et 2023. Elle ne représente pourtant qu'une part limitée des ressources des établissements : 37 % du budget de l'IEP de Lyon, 27 % de celui de Bordeaux, 39 % pour Aix-en-Provence.

Le cas de l'IEP de Paris est spécifique, dans la mesure où il est géré administrativement et financièrement par la Fondation nationale des sciences politiques (FNSP) qui est une fondation privée reconnue d'utilité publique (la fondation recevant par ailleurs des financements de l'État à hauteur de 2,5 millions d'euros en 2024). La SCSP versée à Sciences-Po Paris s'élève à 76 millions d'euros en 2023.

Les IEP se caractérisent en effet par un taux important de ressources propres (entre 65 % et 70 % de leurs ressources), lié aux montants des droits d'inscriptions plus élevés que dans les universités. Ces données sont identiques pour Sciences-Po Paris. Dans le cas des IEP correspondant à des composantes des universités, les ressources propres représentent une part croissante du budget : Sciences Po Saint-Germain-en-Laye s'autofinance pour environ la moitié de son budget. La part prise par les IEP dans le financement est croissante : + 118 % entre 2018 et 2024 pour Saint-Germain-en-Laye. L'IEP de Strasbourg a ainsi indiqué au rapporteur spécial que les dotations de fonctionnement de l'université ont diminué sur la période de 86 %.

Par ailleurs, les recettes propres des IEP se caractérisent par leur dynamisme : elles ont progressé de 16,3 % entre 2019 et 2023. Cette hausse découle en partie d'une hausse des droits d'inscription (+ 12 % entre 2019 et 2023, jusqu'à + 30 % sur la même période pour Sciences-Po Paris), qui représentent eux-mêmes plus d'un tiers des recettes propres des établissements.

L'ensemble des IEP a pour particularité de moduler les droits d'inscription en fonction du revenu des étudiants, dans la plupart des cas suivant un modèle par tranche basé sur le coefficient familial plafonné pour les plus hauts revenus. À titre d'exemple, à St-Germain-en-Laye à la rentrée 2024, 8 % des étudiants payaient le montant le plus élevé, soit 5 034 euros. Une part importante des étudiants sont exonérés de droits d'inscription : à l'IEP de Toulouse, cette proportion atteint 43 % des étudiants.

Le rapporteur spécial considère que ce modèle, qui met les étudiants à contribution à raison de leurs facultés, doit constituer une piste de réflexion y compris pour les universités. Leurs recettes propres sont très limitées par le maintien de droits d'inscription identiques pour tous les étudiants, ce qui peut apparaître in fine comme un système injuste.

La réforme des droits d'inscription à l'IEP de Rennes, une augmentation des ressources propres plus juste et plus progressive

L'IEP de Rennes a modifié pour la rentrée 2024 son système de modulation des droits d'inscription.

Le système par tranches (11 tranches), en vigueur depuis de nombreuses années et jusqu'au mois de juin 2024, bien que progressif, souffrait de défauts, en particulier du fait d'importants effets de seuil.

L'IEP a donc mis en place un système intégralement progressif, sur le même principe que l'impôt sur le revenu des personnes physiques. Désormais chaque élève acquitte un droit unique, personnalisé en fonction de son quotient familial. Pour les étudiants dont le quotient familial est supérieur à 50 000 euros, les frais de scolarité sont plafonnés à 8 000 euros par an au lieu de 4 131 euros.

La moyenne des droits d'inscription après la réforme est de 1 600 euros par élève (la médiane se situant à 1 045 euros). Les élèves boursiers d'État (33 % des étudiants) restent exonérés des droits de scolarité.

La réforme devrait permettre d'augmenter les ressources propres de l'établissement de 450 000 euros. Cette hausse se fait au bénéfice des 25 % d'élèves non boursiers, ayant les quotients familiaux les plus faibles, dont les droits d'inscription ont diminué. Le plafonnement des droits permet également de limiter le taux d'effort pour les étudiants ayant les quotients familiaux les plus élevés.

Source : commission des finances d'après l'IEP de Rennes

S'agissant de la situation financière de ces établissements, elle était qualifiée de « confortable » par le ministère jusqu'à peu : de 2019 à 2022, les excédents comptables étaient en moyenne supérieurs à 4 millions d'euros. Ainsi, en 2022, les fonds de roulement globaux atteignaient 31,9 millions d'euros, soit 298 jours de charges décaissables. Au terme du même exercice, la trésorerie globale des 7 IEP-EPA était de 38,3 millions d'euros, soit 341 jours.

La hausse des dépenses, consécutive notamment à la croissance de la masse salariale du fait des revalorisations du point d'indice, ainsi qu'à l'inflation, a cependant érodé cette situation favorable. Trois IEP ont présenté des pertes comptables en 2023 et le ministère indique que « les prévisions 2024 anticipent des pertes comptables généralisées, pour un total de 4,3 millions d'euros. La capacité d'autofinancement serait négative à l'issue de l'exercice et obligerait les établissements à puiser sur leurs réserves pour financer leurs investissements ».

S'agissant de Sciences-Po Paris, sa capacité d'autofinancement est de l'ordre de 15 millions d'euros, ce qui a nécessité un prélèvement sur le fonds de roulement de 48 millions d'euros en 2023. Le ministère considère néanmoins le niveau de fonds de roulement comme « satisfaisant », puisqu'il représente 53 jours de charges décaissables.


* 5 Orientation et réussite des étudiants : ouvrir la boîte noire des financements, rapport n° 790 déposé au nom de la commission des finances, juin 2023.

* 6 Efficacité de la commande publique dans l'enseignement supérieur, rapport d'information n° 726 (2023-2024) déposé au nom de la commission des finances, juillet 2024.

* 7 L'apprentissage dans l'enseignement supérieur en 2023, note du SIES, septembre 2024.

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