- L'ESSENTIEL
- EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE
- EXAMEN EN COMMISSION
- RÈGLES RELATIVES À L'APPLICATION DE
L'ARTICLE 45
DE LA CONSTITUTION ET DE L'ARTICLE 44 BIS, ALINÉA 3,
DU RÈGLEMENT DU SÉNAT (« CAVALIERS »)
- LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
- LA LOI EN CONSTRUCTION
N° 182
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025
Enregistré à la Présidence du Sénat le 4 décembre 2024
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des affaires sociales (1) sur
la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale
après engagement de la procédure accélérée,
visant
à prolonger la
dérogation d'usage
des titres-restaurant
pour tout
produit alimentaire,
Par Mme Marie-Do AESCHLIMANN,
Sénatrice
(1) Cette commission est composée de : M. Philippe Mouiller, président ; Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale ; Mme Pascale Gruny, M. Jean Sol, Mme Annie Le Houerou, MM. Bernard Jomier, Olivier Henno, Xavier Iacovelli, Mmes Cathy Apourceau-Poly, Véronique Guillotin, M. Daniel Chasseing, Mme Raymonde Poncet Monge, vice-présidents ; Mmes Viviane Malet, Annick Petrus, Corinne Imbert, Corinne Féret, Jocelyne Guidez, secrétaires ; Mmes Marie-Do Aeschlimann, Christine Bonfanti-Dossat, Corinne Bourcier, Céline Brulin, M. Laurent Burgoa, Mmes Marion Canalès, Maryse Carrère, Catherine Conconne, Patricia Demas, Chantal Deseyne, Brigitte Devésa, M. Jean-Luc Fichet, Mme Frédérique Gerbaud, M. Khalifé Khalifé, Mmes Florence Lassarade, Marie-Claude Lermytte, Monique Lubin, Brigitte Micouleau, M. Alain Milon, Mmes Laurence Muller-Bronn, Solanges Nadille, Anne-Marie Nédélec, Guylène Pantel, M. François Patriat, Mmes Émilienne Poumirol, Frédérique Puissat, Marie-Pierre Richer, Anne-Sophie Romagny, Laurence Rossignol, Silvana Silvani, Nadia Sollogoub, Anne Souyris, MM. Dominique Théophile, Jean-Marie Vanlerenberghe.
Voir les numéros :
Assemblée nationale (17ème législ.) : |
532, 552 et T.A. 12 |
|
Sénat : |
160 et 183 (2024-2025) |
L'ESSENTIEL
Pour lutter contre la crise inflationniste, le Sénat a introduit dans la loi « pouvoir d'achat » du 16 août 2022 la possibilité d'utiliser les titres-restaurant pour l'achat de produits alimentaires non directement consommables. Cette dérogation initialement prévue jusqu'au 31 décembre 2023, a été prolongée par le législateur jusqu'au 31 décembre 2024.
Réunie le 4 décembre 2024, la commission des affaires sociales a adopté une version amendée de la proposition de loi visant à prolonger une nouvelle fois cette dérogation jusqu'au 31 décembre 2025.
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I. LE TITRE-RESTAURANT : UN AVANTAGE SALARIAL DONT LES ÉVOLUTIONS NE DOIVENT PAS REMETTRE EN CAUSE LA VOCATION
A. UN DISPOSITIF DE FINANCEMENT DU REPAS DES SALARIÉS DONT LE CHAMP D'UTILISATION A AUGMENTÉ
Si des initiatives privées d'employeurs existent depuis le début du XXe siècle, c'est l'ordonnance du 27 septembre 1967 qui constitue le titre-restaurant en avantage social accordé au salarié, et lui accorde à ce titre un régime fiscal et social particulier.
Le titre-restaurant est donc un titre de paiement cofinancé à hauteur de 50 % à 60 % de sa valeur faciale par l'employeur, et il doit permettre l'achat d'un repas par journée travaillée par le salarié dans la limite d'un plafond de 25 euros. L'octroi de titres-restaurant n'est pas obligatoire pour l'employeur sauf dans le cas où une convention collective le prévoit ou dans la situation où l'employeur d'une entreprise de plus de 50 salariés n'est pas en capacité de fournir un emplacement ou un local de restauration.
Afin d'inciter à la mise en place de titres-restaurant, le dispositif bénéficie d'avantages sociaux et fiscaux :
- la contribution de l'employeur à la valeur libératoire du titre-restaurant est exclue de l'assiette des cotisations et contributions sociales ;
- ce complément de rémunération est exonéré de l'impôt sur le revenu, dans la limite d'un plafond revalorisé chaque année.
Les titres-restaurant ne pouvaient initialement être acceptés que par les restaurateurs et hôteliers-restaurateurs, avant de voir son utilisation étendue aux détaillants en fruits et légumes, puis aux commerces assimilés agréés par la Commission nationale des titres-restaurant (CNTR), notamment des commerces de bouche et des grandes et moyennes surfaces.
Contrairement à la prime de panier, les titres-restaurant n'ont qu'une affectation possible : le règlement du repas du salarié. Afin de s'en assurer, le repas acheté au moyen de titres-restaurant est, en principe, composé de préparations alimentaires directement consommables, le cas échéant à réchauffer ou à décongeler, notamment de produits laitiers ; il peut également être composé de fruits et légumes, qu'ils soient ou non directement consommables. A contrario, il ne peut être utilisé pour acheter des boissons alcoolisées.
B. UN ASSOUPLISSEMENT TEMPORAIRE PERMETTANT L'ACHAT DE PRODUITS NON DIRECTEMENT CONSOMMABLES
Si le dispositif n'a pas pour vocation première de soutenir le pouvoir d'achat des salariés, il a été mobilisé à cette fin pour faire face à la forte inflation rencontrée lors des dernières années : + 5,2 % en 2022 et + 4,9 % en 2023.
Le Gouvernement a d'abord choisi de rehausser par décret le plafond d'utilisation des titres-restaurant de 19 euros à 25 euros par jour à compter du 1er octobre 2022, afin de prendre en compte l'appréciation du prix des denrées alimentaires. De même, la loi de finances rectificative du 16 août 2022 a rehaussé le plafond d'exonération de la participation de l'employeur afin de permettre une augmentation de la valeur moyenne des titres.
Lors de la discussion de la loi portant mesures d'urgence en faveur du pouvoir d'achat du 16 août 2022, la rapporteure Frédérique Puissat a proposé d'assouplir les règles qui encadrent l'utilisation du titre-restaurant en l'étendant aux produits alimentaires non directement consommables. Consciente des risques de dilution de la vocation originelle du titre-restaurant, et dans le but de préserver les restaurateurs également frappés par l'inflation, la commission a prévu que cette dérogation demeure temporaire, jusqu'au 31 décembre 2023.
Cette dérogation a par la suite été prorogée par la loi du 26 décembre 2023 jusqu'au 31 décembre 2024, considérant que les motifs qui avaient prévalu à la mise en place de cet assouplissement étaient toujours valables.
II. UNE NOUVELLE PROLONGATION D'UN AN, DANS L'ATTENTE D'UNE RÉFORME PLUS AMBITIEUSE
A. UN ASSOUPLISSEMENT QUI NE DOIT PAS FAIRE L'OBJET D'UNE PÉRENNISATION DANS CES CONDITIONS
Malgré le ralentissement de l'inflation, la flexibilité introduite pour l'achat de denrées non directement consommables reste plébiscitée par les salariés en ce qu'elle peut répondre à des préférences et régimes alimentaires personnels, à la situation des zones rurales où l'offre de restaurant est plus faible ou encore au cas des salariés en télétravail.
Face à ce constat, la proposition des députés Anne-Laure Blin, Jean-Pierre Taite et Pierre Cordier propose de proroger à nouveau la dérogation jusqu'au 31 décembre 2025. L'article unique a fait l'objet, contre l'avis de la rapporteure de l'Assemblée nationale, d'une réécriture lors du passage en commission qui conduisait à pérenniser le dispositif dans le code du travail. Les débats ont séances sont revenus au caractère dérogatoire du dispositif, mais ont souhaité le prolonger jusqu'au 31 décembre 2026.
Les travaux de la CNTR ont, depuis le vote intervenu à l'Assemble nationale, permis d'actualiser les chiffres concernant l'utilisation des titres-restaurant. Il en ressort que la part de marché des restaurateurs diminue au profit des grandes et moyennes surfaces (GMS). Cependant ce constat ne permet pas de statuer sur un effet de causalité avec l'extension des titres-restaurant aux aliments non-directement consommables. En effet les comportements de consommation ont eux-mêmes pu évoluer, et il faut souligner que les aliments non-directement consommables ne représenteraient pas plus de 25 % des achats en GMS à l'aide de titres-restaurant. Par ailleurs, le volume de titres-restaurant émis a augmenté, ce qui explique qu'en valeur absolue le revenu des restaurateurs liés aux titres-restaurant a continué d'augmenter depuis 2022.
Source : CNTR
B. DES ÉVOLUTIONS À ENVISAGER EN CONCERTATION AVEC L'ENSEMBLE DES ACTEURS
Afin de continuer à justifier le coût des exonérations qui y sont adossées, le dispositif du titre-restaurant doit conserver sa vocation originelle en répondant aux besoins des salariés sur leur pause déjeuner, et n'a pas vocation à devenir un « chèque alimentaire ».
Cependant, le dispositif a déjà connu de nombreuses évolutions, concernant tant les commerces éligibles à son utilisation que les produits qu'il permet d'acheter. Aussi, il ne semble pas que le dispositif dérogatoire fasse courir un risque immédiat au régime fiscal et social du titre-restaurant, ni a fortiori au dispositif lui-même.
La rapporteure est convaincue que les évolutions à venir du titre-restaurant ne peuvent se réduire à la question de la pérennisation ou non de l'achat de denrées non-directement consommable, pas plus qu'il n'est souhaitable de prolonger annuellement cette possibilité en multipliant les véhicules législatifs.
Aussi, la rapporteure propose-t-elle de limiter à un an la prolongation de la dérogation d'utilisation, et appelle de ses voeux la mise en place d'une réforme plus ambitieuse, et plusieurs fois repoussée, du titre-restaurant. À son initiative et à cette fin, la commission a adopté l'amendement COM-1.
Cette réforme doit être conduite au plus vite, en consultation avec l'ensemble des parties prenantes (partenaires sociaux, restaurateurs, acteurs de la distribution, CNTR) afin de répondre aux enjeux de la dématérialisation des titres, mais également de la concurrence sur le marché des sociétés émettrices, du niveau des frais et commissions appliqués, ou encore des plafonds à retenir pour la GSM et la restauration.
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Réunie le mercredi 4 décembre 2024 sous la présidence de Philippe Mouiller, la commission des affaires sociales a adopté la proposition de loi modifiée par un amendement limitant à un an la prolongation de la dérogation d'utilisation des titres-restaurant.
EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE
Article
unique
Prolongation jusqu'au 31 décembre 2026 de la
dérogation
d'utilisation des titres-restaurant
Cet article propose de prolonger jusqu'au 31 décembre 2026 le dispositif dérogatoire permettant l'utilisation des titres-restaurant pour acquitter le prix de tout produit alimentaire, qu'il soit ou non directement consommable.
La commission a adopté cet article modifié d'un amendement COM-1 réduisant la durée de cette dérogation jusqu'au 31 décembre 2025.
I - Le dispositif proposé
A. Le titre restaurant, un avantage social ancien pour le salarié, dont l'évolution tend à s'adapter aux usages
1. Le titre-restaurant, un dispositif de financement du repas des salariés dont le champ d'utilisation n'a cessé d'augmenter
a) Un avantage aux salariés cofinancé par l'employeur
Si l'employeur est tenu de longue date1(*) de fournir à ses salariés un emplacement leur permettant de se restaurer2(*) dans de bonnes conditions de santé et de salubrité, aucun texte n'oblige en revanche l'employeur à prendre en charge le repas de ses salariés.
Pour autant, des initiatives privées d'employeurs ont permis de développer des offres de restauration collective3(*). Faute de place, ou pour des considérations économiques, certains employeurs ont également pu développer des accords locaux avec des restaurateurs4(*), mais c'est l'ordonnance du 27 septembre 19675(*) qui constitue le titre-restaurant en avantage social accordé au salarié, et lui accorde à ce titre un régime fiscal et social particulier.
Désormais régi par les articles L. 3262-1 et suivants du code du travail, le titre-restaurant est un « titre spécial de paiement remis par l'employeur aux salariés ». Les titres-restaurant peuvent être émis, sous format papier ou dématérialisé6(*), directement par l'employeur ou par le comité social et économique (CSE). Ils sont cependant le plus souvent émis par une entreprise spécialisée qui les cède à l'employeur contre paiement de leur valeur libératoire et d'une commission.
Le titre-restaurant est cofinancé par l'employeur et par le salarié. La contribution de l'employeur doit être comprise entre 50 % et 60 % de la valeur libératoire des titres7(*).
Chiffres clés au 31 décembre 2023
- Nombre d'employeurs recourant au dispositif : 180 000
- Nombre de salariés bénéficiaires : 5,4 millions
- Nombre de commerces agréés : 234 000
- Valeur faciale totale des titres : 9,4 milliards
- Valeur moyenne du titre : 8,55 euros
- Part de titres non utilisée : entre 0,6 et 0,7 %
Source : CNTR
L'octroi de titres-restaurant n'est pas obligatoire pour
l'employeur, sauf dans le cas où une convention collective ou un accord
d'entreprise le prévoit ou dans la situation où l'employeur d'une
entreprise de plus de
50 salariés n'est pas en capacité
de fournir un emplacement ou un local de restauration8(*). En revanche, si l'employeur
décide de mettre en place des titres-restaurant, il doit en faire
bénéficier tous ses salariés, sauf en application de
critères objectifs et non discriminatoires entre les
salariés9(*).
b) Un régime fiscal et social avantageux
Afin de donner au dispositif un caractère incitatif, le titre restaurant bénéficie d'un régime avantageux pour l'employeur et pour le salarié :
- pour le salarié, le titre-restaurant est considéré comme un complément de rémunération, et bénéficie d'une exonération de l'impôt sur le revenu10(*) dans la limite correspondant à la part de la contribution de l'employeur, soit 7,18 euros par titre-restaurant actuellement. Dans les mêmes conditions et limites, cette contribution de l'employeur est exclue de l'assiette des cotisations sociales, de la CSG et de la CRDS11(*).
- pour l'employeur, la contribution à la valeur libératoire du titre-restaurant est exclue de l'assiette des cotisations et contributions sociales.
Selon la CNTR, l'impact du titre-restaurant pour les finances publiques s'élèverait à 1,5 milliard d'euros.
c) Des modalités d'utilisation qui ont évolué au fil du temps
À la différence de l'indemnité repas, ou prime de panier, les titres-restaurant n'ont qu'une affectation possible : le règlement du repas du salarié. Aussi, un même salarié ne peut recevoir qu'un titre-restaurant par repas compris dans son horaire de travail journalier, et ce titre n'est pas cessible12(*).
· La vocation originelle du titre-restaurant étant de garantir un repas décent au salarié lors de sa pause méridienne, son utilisation était initialement réservée à l'achat d'un repas au restaurant. Cependant son éligibilité a progressivement été étendue, d'abord aux détaillants en fruits et légumes13(*), puis aux commerces assimilés agréés par la Commission nationale des titres-restaurant (CNTR)14(*), notamment des commerces de bouche et des grandes et moyennes surfaces.
L'agrément comme commerce assimilé par la CNTR
L'assimilation à la profession de restaurateur est accordée par la Commission nationale des titres-restaurant (CNTR) qui vérifie le respect par le commerçant des conditions ouvrant droit au remboursement du titre-restaurant. Peuvent ainsi être agréés des commerces offrant des prestations de restauration rapide ou des prestations de type alimentaire à titre principal ou secondaire, notamment les supermarchés, supérettes et épiceries.
· Ce repas peut être composé de préparations alimentaires directement consommables, le cas échéant à réchauffer ou à décongeler, notamment de produits laitiers. Il peut également être composé de fruits et légumes, qu'ils soient ou non directement consommables15(*).
Afin de permettre le contrôle des ventes par les commerces agréés, la CNTR a élaboré une charte avec le secteur de la distribution en vue de définir les produits éligibles au titre-restaurant. Sont ainsi exclus du dispositif les produits alimentaires nécessitant une préparation (farine, pâtes, riz, semoule, viandes et poissons non transformés, produits en nombre, viennoiseries et autres desserts non préparés à base de produits laitiers), les boissons alcoolisées et tous les produits non alimentaires.
La Commission nationale des titres-restaurant
La CNTR est constituée de quatre collèges :
- les représentants des organisations syndicales de salariés (CFDT, CGT, FO, CFE-CGC, CFTC) ;
- les représentants des organisations professionnelles d'employeurs (Medef, CPME, U2P) ;
- six représentants des organisations professionnelles des restaurateurs et commerçants assimilés à la restauration16(*) ;
- les treize sociétés émettrices de titres-restaurant.
La commission dispose d'un conseil d'administration, en charge des affaires générales, composé d'un représentant de chacun des quatre collèges.
La CNTR assure quatre missions principales participant à la régulation du dispositif du titre-restaurant :
- des missions générales : information des acteurs, médiation, études et proposition ;
- un rôle de délivrance des agréments aux commerçants assimilés ;
- un rôle de vérification de l'exercice de la profession de restaurateur ;
- un rôle de contrôle du respect de la réglementation par les sociétés émettrices et par les professionnels acceptant les titres-restaurant.
· Les titres-restaurant font également l'objet de conditions d'utilisation encadrées :
- sauf décision contraire de l'employeur, les titres-restaurant ne sont pas utilisables les dimanches et jours fériés ;
- ils ne peuvent être utilisés que dans le département du lieu de travail des salariés bénéficiaires et les départements limitrophes17(*) ;
- leur utilisation journalière est limitée à un montant maximum fixé par décret. Depuis le 1er octobre 2022, ce plafond journalier est fixé à 25 euros18(*).
2. Un assouplissement dérogatoire pour faire face à l'inflation
a) Une initiative sénatoriale déjà reconduite
Dans le cadre de la discussion au Sénat de la loi « pouvoir d'achat » du 16 août 202219(*), le rapporteur Frédérique Puissat avait proposé, afin de soutenir le pouvoir d'achat des Français face à l'inflation, d'assouplir les règles qui encadrent l'utilisation du titre-restaurant en l'étendant à une plus large gamme de consommations.
À son initiative, cette loi a donc prévu un dispositif dérogatoire permettant d'utiliser, jusqu'au 31 décembre 2023, les titres-restaurant pour l'achat de tout produit alimentaire, qu'il soit ou non directement consommable20(*). Cette dérogation vise par définition les « professionnels assimilés », telles que les détaillants et les supermarchés.
Cette dérogation a par la suite été prorogée par la loi du 26 décembre 202321(*), jusqu'au 31 décembre 2024, considérant que les motifs qui avaient prévalu à la mise en place de cet assouplissement étaient toujours valables.
b) Une évolution dont le bilan demeure contrasté
Depuis la mise en oeuvre de ce dispositif dérogatoire, les travaux de la CNTR ont permis d'actualiser les chiffres concernant l'utilisation des titres-restaurant, et ainsi d'objectiver son effet. Il en ressort que la part de marché des restaurateurs diminue au profit des grandes et moyennes surfaces (GMS) : la part de la grande distribution dans l'utilisation des titres serait passée de 22,4 % en 2022 à 30,8 %, faisant reculer de fait la part restauration de plus de 6 points, à 40,1 % du marché.
Source : CNTR
Cependant ce constat ne permet pas de statuer sur un effet de causalité avec l'extension des titres-restaurant aux aliments non-directement consommables. En effet les comportements de consommation ont eux-mêmes pu évoluer (télétravail, préférences alimentaires, etc.), et il faut souligner que les aliments non-directement consommables ne représenteraient pas plus de 25 % des achats en GMS à l'aide de titres-restaurant. Par ailleurs, le volume de titres-restaurant émis a augmenté, ce qui explique qu'en valeur absolue le revenu des restaurateurs liés aux titres-restaurant continue d'augmenter depuis 2022.
Source : CNTR
B. La proposition de prolonger d'un an le régime dérogatoire
Dans ce contexte, l'article unique de la proposition de loi déposée à l'Assemblée nationale par Mme. Anne-Laure Blin et MM. Jean-Pierre Taite et Pierre Cordier propose une nouvelle prolongation jusqu'au 31 décembre 2025 de ce dispositif.
L'exposé des motifs de ladite loi souligne à la fois la difficulté d'un « retour en arrière (...) alors même que des problématiques de pouvoir d'achat se posent toujours », ainsi que « l'attente importante des salariés français » qui, selon une étude du CNTR de mars 2024, plébiscitent cette flexibilité à plus de 96 %.
II - Les modifications adoptées par l'Assemblée nationale
A. En commission
L'article unique de la présente proposition de loi a fait l'objet, contre l'avis de la rapporteure, d'une réécriture lors de l'examen en commission des affaires économiques. Proposés par l'ancienne ministre en charge de la réforme des titres-restaurants, Mme Olivia Grégoire, et plusieurs de ses collègues, deux amendements ont été adoptés afin :
- de pérenniser l'extension de l'éligibilité aux titres-restaurants des produits non directement consommables en l'inscrivant à l'article L.3262-1 du code du travail, sans date limite ;
- de préciser à l'article L. 3262-5 dudit code que l'utilisation des titres restaurants pouvait être faite dans un autre commerce de distribution alimentaire.
En outre, une demande de rapport relative à une réforme structurelle du titre-restaurant a été adopté à l'initiative du groupe écologiste et social.
B. En séance
Le présent article a été modifié par quatre amendements identiques soutenus par les groupes Modem, Ensemble pour la République, Libertés, indépendants, outre-mer et territoires (Liot) et Socialistes, qui sont revenus sur la pérennisation du dispositif. Ces amendements ne rétablissent pas pour autant le texte initial, puisqu'ils procèdent à la prolongation de la dérogation existante jusqu'au 31 décembre 2026, soit de deux années au lieu d'une.
La demande de rapport introduite lors de l'examen en commission a en outre été supprimée.
L'Assemblée nationale a adopté cet article ainsi modifié.
III - La position de la commission
La rapporteure constate que, la justification initiale de la dérogation ouverte aux produits alimentaires non-directement consommables n'est plus totalement remplie. Même si certains territoires, notamment ultra-marins, sont encore percutés par la problématique de la vie chère, l'inflation ne connaît plus les niveaux rencontrés les années précédents - respectivement + 5,2 % en 2022 et + 4,9 % en 2023.
Par ailleurs, le titre-restaurant n'a pas vocation a devenir un « chèque alimentation » destiné à soutenir le pouvoir d'achat des salariés, pas plus qu'il ne constitue une politique satisfaisante de soutien des restaurateurs face aux difficultés que rencontre la profession.
Cependant il lui semble que l'assouplissement doit être prolongé, car les salariés ne comprendraient pas de se voir retirer cette flexibilité sans évolutions plus globales du titre-restaurant.
Néanmoins, afin d'aboutir à une position équilibrée, la rapporteure propose d'adopter un amendement visant à limiter à une année cette prolongation, comme le texte initial de la proposition de loi le prévoyait. La durée d'un an permet en effet d'éviter une « pérennisation du fait accompli », tout en permettant de travailler à un projet de loi permettant d'éviter la multiplication des véhicules législatifs de prorogation.
La rapporteure appelle ainsi le Gouvernement à procéder à la réforme du titre-restaurant, au terme d'une concertation avec l'ensemble des acteurs. Cette réforme devrait notamment permettre de généraliser la dématérialisation des titres, mais aussi de renforcer de la concurrence sur le marché des sociétés émettrices et de doter de plus de moyens la CNTR afin de multiplier les contrôles de la bonne utilisation des titres.
Dans cette perspective, la rapporteure tient à souligner le courage, et le sérieux des représentants du secteur de la restauration. Durant leur audition, ils ont en effet reconnu que supprimer toute flexibilité à l'utilisation du titre-restaurant ne leur semblait pas souhaitable dans l'intérêt la collectivité. En revanche, ils ont évoqué la possibilité d'introduire un double plafond, afin de différencier le montant maximal de titre-restaurant utilisable entre les denrées alimentaires non directement consommables et la restauration. Cette piste semble intéressante, bien qu'elle puisse soulever des risques sur le plan juridique, notamment au regard du principe constitutionnel d'égalité devant les charges publiques.
La commission a adopté cet article ainsi modifié par l'amendement n° COM-1.
EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 4 décembre 2024, sous la présidence de M. Philippe Mouiller, président, la commission examine le rapport de Mme Marie-Do Aeschlimann, rapporteure sur la proposition de loi (n° 160, 2024-2025) visant à prolonger la dérogation d'usage des titres-restaurant pour tout produit alimentaire.
M. Philippe Mouiller, président. - Notre ordre du jour appelle à présent l'examen du rapport et du texte de la commission sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à prolonger la dérogation d'usage des titres-restaurant pour tout produit alimentaire.
Cette proposition de loi, déposée par les députés Anne-Laure Blin, Jean-Pierre Taite et Pierre Cordier a été adoptée par l'Assemblée nationale le 20 novembre 2024. Il est à noter que le Gouvernement a engagé la procédure accélérée sur cette proposition de loi. Ce texte est inscrit à l'ordre du jour de la séance du jeudi 12 décembre.
Mme Marie-Do Aeschlimann, rapporteure. - La proposition de loi qui nous a été transmise par l'Assemblée nationale, et que nous examinons ce matin, a comme un air de déjà-vu. Il s'agit en effet de prolonger, une nouvelle fois, l'assouplissement temporaire des règles d'utilisation du titre-restaurant, que notre commission avait proposé lors des travaux de la loi portant mesures d'urgence pour protéger le pouvoir d'achat face à l'inflation en 2022. Cette première dérogation, justifiée par les circonstances exceptionnelles du retour d'une inflation forte, a été prolongée d'une nouvelle année par la loi du 26 décembre 2023.
La question qui nous est posée, dans le contexte incertain que nous connaissons tous, est simple : faut-il une nouvelle fois prolonger le dispositif dérogatoire permettant d'acheter avec un titre-restaurant des aliments non directement consommables ? Si oui, pour combien de temps ?
Si des initiatives privées, souvent portées par des employeurs visionnaires, existent depuis le début du XXe siècle, c'est l'ordonnance du 27 septembre 1967 qui donne un cadre légal au titre-restaurant et le dote d'un régime fiscal et social incitatif.
Le titre-restaurant est donc un titre de paiement cofinancé par l'employeur, à hauteur de 50 % à 60 % de sa valeur faciale, et par le salarié, permettant notamment de répondre à la situation des salariés qui ne disposent pas d'un lieu de restauration collective. Qu'il se présente sous format papier ou dématérialisé, il ne s'apparente en aucun cas à un « chèque alimentation », puisqu'il est destiné à l'achat, par le salarié, d'un repas par journée travaillée.
Le respect de cette vocation me semble essentiel, car elle permet de justifier les exonérations sociales et fiscales consenties au dispositif, lesquelles coûtent 1,5 milliard d'euros par an à l'État et à la sécurité sociale.
Par ailleurs, il faut souligner que les titres-restaurant ont évolué. Ils ne pouvaient initialement être acceptés que par les restaurateurs, mais ils ont vu leur utilisation étendue aux détaillants en fruits et légumes, puis aux commerces assimilés agréés par la Commission nationale des titres-restaurant (CNTR). Il s'agit principalement des commerces de bouche et des grandes et moyennes surfaces (GMS), même si l'émergence de commerces en ligne agréés se confirme et doit interpeller.
Contrairement à la prime de panier, les titres-restaurant n'ont qu'une affectation possible : le règlement du repas du salarié. Afin de s'en assurer, le repas acheté au moyen de titres-restaurant doit être, en principe, composé de préparations alimentaires directement consommables. Il peut également être composé de fruits et légumes, qu'ils soient ou non directement consommables, mais ne saurait être utilisé pour acheter des boissons alcoolisées.
D'après la CNTR, en 2024, 180 000 employeurs auraient recours aux titres-restaurant, pour 5,4 millions de bénéficiaires. En 2023, 9,4 milliards d'euros de titres ont été émis par les sociétés en charge de cette opération.
La vocation du titre-restaurant n'est pas de soutenir le pouvoir d'achat des salariés, pas plus qu'il n'est de soutenir les restaurateurs, même si nous ne connaissons que trop bien les difficultés qu'ils rencontrent - inflation sur les denrées et l'énergie, difficultés de recrutement, etc.
Toutefois, le titre-restaurant a de fait été utilisé temporairement pour répondre à la forte inflation rencontrée en 2022 et 2023, faute de meilleur outil.
Ainsi, alors que la valeur moyenne d'un titre-restaurant est de 8,75 euros, le Gouvernement a rehaussé par décret le plafond d'utilisation journalière des titres-restaurant de 19 euros à 25 euros à compter du 1er octobre 2022, ce qui a de facto favorisé l'utilisation des titres en grandes et moyennes surfaces. Le législateur a également rehaussé plusieurs fois le plafond d'exonération de la participation de l'employeur afin d'augmenter indirectement la valeur moyenne des titres.
La dernière évolution vient du Sénat, plus précisément de notre collègue Frédérique Puissat, qui avait proposé de permettre l'achat d'aliments non directement consommables avec des titres-restaurant. Cette dérogation est notamment applicable auprès des commerces assimilés tels que les grandes et moyennes surfaces, et provoque, vous le savez, l'insatisfaction profonde - pour ne pas dire plus ! - des restaurateurs.
Cette colère qui tait son nom aurait pu être relancée par la volonté de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale de pérenniser cette dérogation, contre l'avis de la rapporteure, avant de revenir finalement à une simple prolongation pour deux ans lors de la séance publique.
Depuis le vote de l'Assemblée nationale, la CNTR a communiqué sur une nouvelle étude au sujet de cette dérogation, étude dont il ne nous a pas été permis de disposer dans son intégralité.
Selon ces chiffres, dont je ne connais pas la méthodologie, la part de la grande distribution dans l'utilisation des titres serait passée de 22,4 % en 2022 à 30,8 %, faisant reculer la part restauration de plus de six points, à 40,1 %.
Comparaison n'est pas raison, et cette évolution ne peut être imputée uniquement au dispositif que nous examinons aujourd'hui. D'abord, seuls 25 % des achats réalisés en grande surface au moyen de titres-restaurant concernent des produits non directement consommables. Ensuite, et surtout, cette évolution traduit aussi une volonté des salariés, qui plébiscitent cette évolution à plus de 96 % selon un sondage d'opinion, et qui apprécient la flexibilité ainsi offerte, trouvant parfois en GMS des offres plus proches de leurs régimes alimentaires ou simplement moins chères. Enfin, si la part restauration diminue, le marché des titres-restaurant augmente : in fine, les restaurateurs ont vu leurs revenus liés aux titres-restaurant continuer d'augmenter depuis 2022.
Forts de ces constats, nous devons choisir. Certes, l'inflation n'est plus aussi importante que l'année dernière, même si certains territoires, notamment ultramarins, sont encore percutés par la problématique de la vie chère. Il me semble toutefois que l'assouplissement doit être prolongé, car les salariés ne comprendraient pas de se voir retirer cette flexibilité sans une évolution plus globale du titre-restaurant.
Je vous proposerai néanmoins d'adopter un amendement visant à limiter à une année cette prolongation, conformément au texte initial de la proposition de loi. Prolonger de deux ans reviendrait, de fait, à pérenniser cette dérogation - certains orateurs l'assumaient expressément lors des débats à l'Assemblée nationale. À l'inverse, un délai d'un an permet de se donner les moyens de ne pas se retrouver dans une situation similaire l'an prochain.
Il me paraît en effet indispensable que le Gouvernement procède à la réforme du titre-restaurant via un projet de loi dédié, au terme d'une véritable concertation avec l'ensemble des acteurs. L'avenir du titre-restaurant ne peut se réduire à la question de la pérennisation ou non de l'achat de denrées non directement consommables, pas plus qu'il n'est souhaitable de prolonger annuellement cette possibilité en multipliant les véhicules législatifs. La question de la dématérialisation des titres doit être posée, de même que celle du renforcement de la concurrence sur le marché des sociétés émettrices, ou encore des contrôles et des moyens de la CNTR.
Je tiens dans cette perspective à souligner le courage et le sérieux des représentants du secteur de la restauration. Durant nos auditions, ils ont en effet reconnu que supprimer toute flexibilité à l'utilisation du titre-restaurant ne leur semblait pas souhaitable, dans l'intérêt même de la collectivité. En revanche, et je les rejoins à titre personnel, des solutions doivent être trouvées pour permettre une plus juste utilisation des titres. La possibilité évoquée d'introduire un double plafond, différencié entre les denrées alimentaires non directement consommables et la restauration, me semble une perspective intéressante, même si elle soulève des questions juridiques.
Dans l'immédiat, mes chers collègues, je vous invite à adopter cette proposition de loi, modifiée par l'amendement que je vais vous présenter.
Pour terminer, il me revient de vous proposer un périmètre pour l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution. Je considère que ce périmètre comprend des dispositions relatives à la durée d'un assouplissement dérogatoire des règles d'utilisation des titres restaurants. En revanche, ne me semblent pas présenter de lien, même indirect, avec le texte déposé, et seraient donc considérés comme irrecevables des amendements relatifs aux conditions d'attribution des titres-restaurant, à leur régime fiscal et social ou à la régulation du marché des titres restaurant.
Mme Corinne Bourcier. - La prolongation de la dérogation pour une année permet de répondre aux besoins des salariés, notamment pour les soutenir face à l'inflation. En revanche, sa prolongation pour deux ans s'apparenterait à une pérennisation et ne correspondrait plus à la raison d'être du ticket-restaurant, conçu comme une aide à la restauration des salariés sur leur temps de travail, et non comme un complément de pouvoir d'achat.
Ce dispositif doit s'adapter et se moderniser ; il faut le réformer sans précipitation, après une large concertation. Je souscris donc pleinement à l'amendement de Mme la rapporteure.
Mme Raymonde Poncet Monge. - Je salue également l'amendement de Marie-Do Aeschlimann ; j'allais déposer le même ! L'an dernier, j'avais proposé une prolongation de six mois, le temps de conduire un chantier complet de rénovation du titre-restaurant. Il devait être engagé, mais finalement rien n'a été fait.
En effet, si l'on prolonge encore de deux ans la dérogation, de fait, on la pérennise. Les grandes surfaces ne s'y étaient d'ailleurs pas trompées : elles soutenaient ardemment la prolongation, sachant pertinemment que le dispositif finirait par devenir irréversible. Mais, dans ce cas, quid de l'objet social du ticket-restaurant ?
Vous avez évoqué un coût de 1,5 milliard d'euros pour l'État et la sécurité sociale. Selon moi, il est exclusivement supporté par la sécurité sociale, car le ticket-restaurant fait l'objet d'une exemption d'assiette non compensée. Quoi qu'il en soit, nous devons impérativement nous assurer du respect de son objet social. Sinon, pourquoi prévoir une exonération qui pèse sur les comptes de la sécurité sociale ?
Vous avez raison, le ticket-restaurant n'a été conçu ni pour soutenir le pouvoir d'achat des salariés ni pour soutenir les restaurateurs. Mais, convenons-en, les restaurateurs sont quand même plus proches de l'objet social que les grandes surfaces.
Depuis deux ans, les GMS ont gagné 7,8 points sur un marché de 9 milliards d'euros... À leur échelle, c'est relativement dérisoire, mais cela représente tout de même 0,5 milliard d'euros transférés vers les GMS, et l'on constate qu'elles sont très attachées à ce marché.
Il est donc important de limiter la dérogation à un an et d'engager une étude sur le double plafond, qui, selon moi, devrait refléter le prix moyen d'un repas. Cela permettra aussi de limiter l'emprise des GMS.
Enfin, on dit que les Français sont pour cette dérogation... Mais on voit difficilement comment ils pourraient être contre. Si on leur proposait d'acheter de l'essence avec leurs tickets-restaurant, ils ne diraient pas non !
Mme Annie Le Houerou. - Le Gouvernement n'a pas mis à profit l'année 2024 pour trouver une solution pérenne. Nous le regrettons, et nous devons, le 4 décembre, nous pencher sur un dispositif qui doit prendre fin le 31 décembre...
Le ticket-restaurant ne doit pas devenir une mesure de pouvoir d'achat. Sa vocation est de permettre aux salariés qui n'ont pas accès à un restaurant d'entreprise d'avoir un repas de qualité chaque jour. Le contexte actuel nous oblige à dévoyer l'objet du ticket-restaurant alors que nous devrions indexer les salaires sur l'inflation.
Par ailleurs, le ticket-restaurant contribue à faire vivre les petits commerces et les restaurateurs dans nos territoires.
Nous nous apprêtions à proposer un amendement visant à prolonger la dérogation d'un an, au lieu de deux, en attendant de réelles mesures pour le pouvoir d'achat, ainsi qu'une réflexion sur la possibilité d'élargir le dispositif. Je rappelle en effet que 5 millions de salariés n'ont pas accès aux tickets-restaurant, la moitié travaillant dans des entreprises de moins de 50 salariés. Nous soutenons donc l'amendement de la rapporteure.
Enfin, je me pose une question juridique : si nous ne votons pas conforme le texte issu de l'Assemblée nationale, pourra-t-il s'appliquer au 1er janvier 2025 ?
M. Philippe Mouiller, président. - Si nous ne votons pas le texte conforme, il faudrait idéalement que députés et sénateurs s'entendent en commission mixte paritaire pour l'adopter définitivement avant le 31 décembre.
S'il n'y a plus de gouvernement, il se pourrait que le texte ne puisse pas être adopté avant la fin de l'année, et la dérogation prendrait alors fin au 31 décembre.
M. Xavier Iacovelli. - Je suis très favorable à la prolongation de cette dérogation et je remercie notre collègue Frédérique Puissat d'avoir été à l'initiative de cette proposition il y a quelques années.
Ayant déposé l'an dernier une proposition de loi pour pérenniser le dispositif, je ne voterai pas l'amendement de la rapporteure, mais je voterai la proposition de loi, y compris si cet amendement devait être adopté.
À mes yeux, le titre-restaurant est un droit pour les salariés, et je ne vois pas au nom de quoi l'on dicterait aux salariés ce qu'ils doivent en faire, d'autant que les habitudes de consommation ont changé. Il faut bien entendu limiter l'utilisation des tickets-restaurant à des produits alimentaires, exclure l'alcool et l'électroménager, mais laissons les salariés libres d'acheter des carottes, des plats préparés - même si je les déconseille - ou d'aller manger au restaurant.
Une réforme est nécessaire, le Gouvernement doit enfin se saisir de ce sujet, mais, à titre personnel, je suis favorable à la pérennisation de cette dérogation.
M. Bernard Jomier. - Le rapport de Marie-Do Aeschlimann met bien en évidence la demi-impasse dans laquelle nous sommes engagés. Cette dérogation ne correspond plus à ses objectifs initiaux, mais elle est tellement populaire qu'on ne peut plus la supprimer. C'est la même histoire que pour le dispositif TO-DE (travailleurs occasionnels-demandeurs d'emploi). On prolonge d'année en année, puis on pérennise.
Un point n'a pas été soulevé : ce dispositif tend à faire basculer les salariés d'une alimentation naturelle ou artisanale vers une alimentation ultratransformée. Les études montrent que les salariés n'achètent pas des carottes avec leurs tickets-restaurant. Avant, ils achetaient des sandwichs ou déjeunaient au restaurant. Maintenant, ils s'orientent massivement vers une alimentation ultratransformée en grande surface. Bien sûr, nous n'avons pas à dicter aux gens ce qu'ils doivent manger, mais nous n'avons pas non plus à mettre en place des dispositifs qui encouragent le virage vers ce type d'alimentation.
Il faudrait que cette question fondamentale soit soulevée et que l'on parvienne à recentrer et à améliorer le dispositif à l'avenir.
Mme Nadia Sollogoub. - J'attire aussi votre attention sur les disparités territoriales. Certains salariés disposent de restaurants à proximité, d'autres non.
Les habitudes alimentaires ont évolué, tout comme les façons de travailler. Il est difficile de demander aux télétravailleurs de prendre leur voiture pour aller déjeuner au restaurant. Il convient donc d'engager une réflexion de fond pour clarifier l'objectif et les moyens du ticket-restaurant.
Nous soutiendrons évidemment la proposition de la rapporteure.
Mme Marie-Do Aeschlimann, rapporteure. - Gardons à l'esprit qu'il s'agit d'un dispositif spécifique, qui doit tenir compte des évolutions de la société et de la vie professionnelle, sans oublier sa vocation sociale, qui justifie les exonérations fiscales et sociales qui lui sont attachées.
Je vous remercie de soutenir la prolongation d'un an que je propose. Elle devrait permettre de faciliter la concertation, laquelle me semble indispensable. La ministre Olivia Grégoire devait annoncer une réforme au mois de juin, mais la dissolution nous a renvoyés à la case départ. Nous sommes en effet le 4 décembre, nous avons tout de même pris une semaine d'avance sur notre calendrier, et nous verrons en fonction de l'évolution de la situation politique cet après-midi.
Le marché des titres-restaurant représente seulement 1 % de l'activité des GMS, mais elles y sont très attachées. Le coût pour l'État est de 1,5 milliard d'euros, lié à l'exemption de charges sociales et d'impôt sur le revenu. Il faut veiller à ne pas dévoyer le dispositif, sinon l'avantage fiscal et social attaché à ce dispositif ne se justifierait plus.
Le double plafond, mis en place à la sortie de la crise sanitaire, présente un risque juridique souligné et pour les services de Bercy, en raison de la différence de traitement qu'il instaure. Je suis assez sensible à cette idée, mais il faudra l'examiner de façon approfondie, dans le cadre de la concertation.
J'ai noté les remarques de Nadia Sollogoub sur la spécificité des zones rurales, où les offres de restauration sont en effet limitées. Il faudra trouver un équilibre.
Je remercie Bernard Jomier d'avoir souligné la complexité du sujet, et je me réjouis surtout de constater que vous êtes tous incollables sur les titres-restaurant !
Examen de l'article unique
Mme Marie-Do Aeschlimann, rapporteure. - L'amendement COM-1 vise à réduire à un an la durée de prolongation du régime dérogatoire.
L'amendement COM-1 est adopté.
L'article unique est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Mme Marie-Do Aeschlimann, rapporteure. - L'amendement COM-2, présenté par M. Cambier, vise à inscrire dans la loi le principe d'un plafond quotidien différencié selon que le titre-restaurant est utilisé dans le secteur de la restauration ou dans les GMS.
Cette modification ne pourrait intervenir qu'au terme d'une large concertation. Par ailleurs, la direction des affaires juridiques de Bercy comme le Conseil d'État ont soulevé le risque juridique lié à cette différenciation.
J'émets donc un avis défavorable sur cet amendement.
L'amendement COM-2 n'est pas adopté.
La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.
RÈGLES RELATIVES À L'APPLICATION DE L'ARTICLE
45
DE LA CONSTITUTION ET DE L'ARTICLE 44 BIS, ALINÉA 3,
DU
RÈGLEMENT DU SÉNAT (« CAVALIERS »)
Si le premier alinéa de l'article 45 de la Constitution, depuis la révision du 23 juillet 2008, dispose que « tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu'il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis », le Conseil constitutionnel estime que cette mention a eu pour effet de consolider, dans la Constitution, sa jurisprudence antérieure, reposant en particulier sur « la nécessité pour un amendement de ne pas être dépourvu de tout lien avec l'objet du texte déposé sur le bureau de la première assemblée saisie » 22(*).
De jurisprudence constante et en dépit de la mention du texte « transmis » dans la Constitution, le Conseil constitutionnel apprécie ainsi l'existence du lien par rapport au contenu précis des dispositions du texte initial, déposé sur le bureau de la première assemblée saisie23(*).
Pour les lois ordinaires, le seul critère d'analyse est le lien matériel entre le texte initial et l'amendement, la modification de l'intitulé au cours de la navette restant sans effet sur la présence de « cavaliers » dans le texte24(*). Pour les lois organiques, le Conseil constitutionnel ajoute un second critère : il considère comme un « cavalier » toute disposition organique prise sur un fondement constitutionnel différent de celui sur lequel a été pris le texte initial25(*).
En application des articles 17 bis et 44 bis du Règlement du Sénat, il revient à la commission saisie au fond de se prononcer sur les irrecevabilités résultant de l'article 45 de la Constitution, étant précisé que le Conseil constitutionnel les soulève d'office lorsqu'il est saisi d'un texte de loi avant sa promulgation.
En application du vademecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des Présidents, la commission des affaires sociales a arrêté, lors de sa réunion du mercredi 4 décembre 2024, le périmètre indicatif de la proposition de loi n° 160 (2024-2025) visant à prolonger la dérogation d'usage des titres-restaurant pour tout produit alimentaire.
Elle a considéré que ce périmètre incluait les dispositions relatives à la durée d'un assouplissement dérogatoire des règles d'utilisation des titres-restaurants.
En revanche, la commission a estimé que ne présentaient pas de lien, même indirect, avec le texte déposé, des amendements relatifs :
- aux conditions d'attribution des titres-restaurant ;
- à leur régime fiscal et social ;
- à la régulation du marché des titres-restaurant.
LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
· Direction générale des entreprises
Marie de Boissieu, sous-directrice du commerce, de l'artisanat et de la restauration au service de l'économie de proximité
Antoine Pacheu, chef de projets restauration et commerces de bouche
· Commission nationale des Titres-Restaurants (CNTR)
Emmanuel Maufoux, représentant Youssef Achour, vice-président, représentant des émetteurs
Romain Vidal, trésorier, représentant des restaurateurs et assimilés
Vincent Gallego, secrétaire général par intérim
· Fédération du commerce et de la distribution (FCD)
Philippe Joguet, directeur développement durable, RSE, questions financières
Layla Rahhou, déléguée générale
· Confédération française de l'encadrement-confédération générale des cadres (CFE-CGC)
Jean-Michel Pecorini, chargé de mission CFE-CGC
· Force ouvrière (FO)
M. Yanis Aubert, secrétaire général de l'union départementale FO de Seine-Maritime
· Confédération générale du travail (CGT)
Sandy Penne, responsable syndical
· Confédération française démocratique du travail (CFDT)
Sandrine Lambert, secrétaire confédérale
· Union des métiers et des industries de l'hôtellerie (UMIH)
Franck Chaumes, président de la branche restauration de l'UMIH
Vincent Dollé, directeur du service des affaires économiques, fiscales et des nouvelles technologies
· Audition du groupement des hôtelleries et restaurations de France (GHR)
Romain Vidal, référent titre-restaurant
Franck Trouet, délégué général du GHR
· Edenred France
Ilan Ouanounou, directeur général
Stanislas Bosch-Chomont, directeur des affaires publiques et des médias
· Pluxee France
Céline Guillotin, chief of staff et directrice des affaires publiques
· Swile
Nicolas Palau, directeur juridique et affaires publiques
· Worklife
Benjamin Suchar, founder & CEO
· Benefiz
Christophe Triquet, fondateur
LA LOI EN CONSTRUCTION
Pour naviguer dans les rédactions successives du texte, visualiser les apports de chaque assemblée, comprendre les impacts sur le droit en vigueur, le tableau synoptique de la loi en construction est disponible sur le site du Sénat à l'adresse suivante :
https://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl24-160.html
* 1 Décret du 10 juillet 1913 portant mesures générales de protection et de salubrité applicables à tous les établissements.
* 2 Article R. 4228-23 du code du travail.
* 3 Dès 1897 le Crédit Lyonnais inaugure le premier restaurant d'entreprise privée, sur le modèle de la cantine de la Banque de France créée en 1866.
* 4 Suivant l'exemple des « bons-repas » du docteur Winchdron en Angleterre, les initiatives se multiplient en France durant les années 1950 : le « Crédit Repas » dès 1957, puis le « Chèque-restaurant » en 1962, le « Ticket-Restaurant » en 1963 et enfin le « Chèque Déjeuner » en 1964.
* 5 Ordonnance n° 67-830 du 27 septembre 1967 relative à l'aménagement des conditions du travail en ce qui concerne le régime des conventions collectives, le travail des jeunes et les titres-restaurant.
* 6 Article R. 3262-1 du code du travail.
* 7 Arrêté du 22 décembre 1967 relatif à l'application du décret n° 67-1165 relatif aux titres-restaurant.
* 8 Réponse ministérielle n° 8300 du 27 mai 1964.
* 9 Voir la décision de la Cour de cassation, Soc., Mme Angelier et autres versus ASSEDIC de Belfort Montbéliard et Haute-Saône du 22 janvier 1992 : rien n'interdit à l'employeur de prévoir une tarification différente en fonction de l'éloignement du lieu de travail par rapport au domicile des salariés.
* 10 Article 81 du code général des impôts.
* 11 Art. L. 136-1-1 du code de la sécurité sociale.
* 12 Art. R. 3262-7 du code du travail.
* 13 Article 113 de la loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires.
* 14 Article 2 de la loi n° 2010-874 du 27 juillet 2010 de modernisation de l'agriculture et de la pêche.
* 15 Art. R. 3262-4 du code du travail.
* 16 Union des métiers et des industries de l'hôtellerie (UMIH), Groupement des hôtelleries et restaurations de France (GHR), Groupement national de la restauration (GNR), Boulangers de Paris, Confédération française de la boucherie, boucherie-charcuterie et traiteurs (CFBCT), Saveurs Commerce.
* 17 Art. R. 3262-9 du code du travail.
* 18 Art. R. 3262-10 du code du travail.
* 19 Loi n° 2022-1158 du 16 août 2022 portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat.
* 20 Article 6 de la loi n° 2022-1158 du 16 août 2022.
* 21 Loi n° 2023-1252 du 26 décembre 2023 visant à prolonger en 2024 l'utilisation des titres restaurant pour des achats de produits alimentaires non directement consommables.
* 22 Cf. commentaire de la décision n° 2010-617 DC du 9 novembre 2010 - Loi portant réforme des retraites.
* 23 Cf. par exemple les décisions n° 2015-719 DC du 13 août 2015 - Loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l'Union européenne et n° 2016-738 DC du 10 novembre 2016 - Loi visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias.
* 24 Décision n° 2007-546 DC du 25 janvier 2007 - Loi ratifiant l'ordonnance n° 2005-1040 du 26 août 2005 relative à l'organisation de certaines professions de santé et à la répression de l'usurpation de titres et de l'exercice illégal de ces professions et modifiant le code de la santé publique.
* 25 Décision n° 2020-802 DC du 30 juillet 2020 - Loi organique portant report de l'élection de six sénateurs représentant les Français établis hors de France et des élections partielles pour les députés et les sénateurs représentant les Français établis hors de France.