II. UNE RÉSOLUTION EUROPÉENNE POUR APPELER AU SOUTIEN PRIORITAIRE DE L'INDUSTRIE EUROPÉENNE DE LA DÉFENSE, DANS LE CADRE INTERGOUVERNEMENTAL PRÉVU PAR LES TRAITÉS

A. UNE NÉGOCIATION QUI ACHOPPE ENCORE SUR L'ESSENTIEL : LES CRITÈRES D'ÉLIGIBILITÉ AUX FONDS DU PROGRAMME

1. Une négociation qui a progressé sous présidence belge puis hongroise

La négociation du règlement a commencé au sein du Conseil, en attendant la mise en place des nouveaux organes du Parlement européen issu des élections de juin dernier. Les échanges avec le secrétariat général aux affaires européennes ont permis de relever quelques points de satisfaction sur l'avancée des négociations sous présidence hongroise. S'agissant des dispositifs relatifs à la sécurité d'approvisionnement, à la remontée d'informations à la Commission, ou à la priorisation des commandes, les demandes de la France devraient être agréées par l'introduction d'un filtre national préservant les compétences des États membres.

Deux points importants, pour garantir le respect du principe de subsidiarité, n'ont cependant pas encore trouvé d'issue :

- d'une part, le régime des projets de défense européens d'intérêt commun, auxquels la Commission se réserve le droit de participer après les avoir recensés. La France insiste pour que leur recensement réponde aux priorités identifiées par les États membres et qu'en toute hypothèse, l'initiative en la matière soit réservée aux États et à l'Agence européenne de défense ;

- d'autre part, la neutralisation du contrôle à l'exportation en régime d'état de crise d'approvisionnement liée à la sécurité. La France a demandé une disposition horizontale visant à préserver le caractère national de ce contrôle, attribut fondamental de sa souveraineté en matière de défense.

2. La principale pierre d'achoppement : les critères d'éligibilité aux fonds du programme EDIP 

La négociation achoppe notamment sur les critères d'éligibilité au fonds du programme. Notre commission soutient la position française considérant que, dès lors que le nouveau programme pour l'industrie européenne de la défense a vocation à être pérenne, il importe que les critères d'éligibilité soient les plus ambitieux possible, afin qu'ils servent véritablement la base industrielle et technologique de défense européenne.

La France plaide ainsi pour un taux minimal de composants des produits de défense soutenus par le programme provenant de l'Union européenne ou de pays associés de 65 % en valeur. Ce critère, issu d'une proposition de 28 industriels européens, à laquelle ne se sont toutefois pas associé certains grands industriels français comme Dassault, semble s'être imposé dans les derniers compromis portés à la connaissance du rapporteur. Seuil retenu par le règlement Edirpa, il constituait certes un minimum minimorum.

Il est en outre indispensable que les fonds du programme soient réservés au soutien de produits de défense dont l'autorité de conception, et non l'autorité de fabrication, est installée dans l'Union européenne ou les pays associés et qui ne font l'objet d'aucune restriction d'usage, afin de permettre aux États membres de demander des modifications ou adaptations rapides des produits en fonction de leurs besoins sans dépendre d'autorisations d'États tiers.

Or sur ce dernier point, la position allemande s'est distancée, début décembre de celle de la France. Le terme d' « autorité de conception » devrait être maintenu dans le texte mais il voisinerait avec une forme d'exception faite aux productions sous licence étrangère. Les entreprises allemandes sont en effet quelques-unes à fabriquer sous licence des produits de défense américains ou israéliens qui concurrencent des produits européens de la même gamme - tel le missile américain Patriot - et dont la dénomination est parfois trompeuse - tel le missile antichar israélien Spike, qui sort de sa ligne de production bavaroise sous l'appellation « Eurospike ». Or il est de notoriété publique que les Etats-Unis effectuent un lobbying intense, à Bruxelles, en faveur de l'assouplissement des critères d'éligibilité8(*).

L'inclusion dans les critères d'éligibilité aux fonds du programme EDIP des fabrications sous licence étrangères irait à l'encontre des objectifs poursuivis, en faisant financer par le contribuable européen la production d'industriels extérieurs à l'Union européenne - majoritairement américains.

La négociation ne pouvant à présent plus aboutir sous présidence hongroise, la recherche du compromis est manifestement repoussée à la présidence polonaise du premier semestre 2025. Cette circonstance rend plus improbable encore le respect par une majorité suffisante de ses partenaires de ce que la France a tracé comme une ligne rouge.


* 8 Voir par exemple « L'intense lobbying américain pour torpiller le programme de défense européen » dans La Lettre, le 4 décembre 2024, ou encore « Défense européenne : comment Berlin a lâché Paris pour Washington » dans Le Point, le 12 décembre 2024.

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