- AVANT-PROPOS
- I. UNE PRISE EN COMPTE INSUFFISANTE DES
RÉGIONS ULTRAPÉRIPHÉRIQUES (RUP) MALGRÉ UNE BASE
JURIDIQUE CLAIRE ET UNE DIVERSITÉ D'INSTRUMENTS POUR SOUTENIR LEUR
INTEGRATION ET LEUR COOPÉRATION RÉGIONALES
- A. LA RECONNAISSANCE DU STATUT DES RUP
- B. DES INSTRUMENTS PUISSANTS MAIS INSUFFISAMMENT
COORDONNÉS
- 1. Les « stratégies »
de la Commission européenne à l'égard des RUP
- 2. L'évaluation à mi-parcours de la
stratégie pour les RUP : un bilan contrasté
- 3. Le rôle clé des fonds de la
politique de cohésion
- 4. Un outil majeur de coopération
régionale : INTERREG
- 5. L'instrument NDICI, géré par la DG
INTPA
- 6. La stratégie « Global
Gateway » paraît souffrir d'une insuffisante
lisibilité
- 1. Les « stratégies »
de la Commission européenne à l'égard des RUP
- A. LA RECONNAISSANCE DU STATUT DES RUP
- II. UNE PROPOSITION UTILE POUR MIEUX COORDONNER,
SOUTENIR DANS LA DURÉE ET ACCOMPAGNER LES INSTRUMENTS EXISTANTS EN
CRÉANT UNE VÉRITABLE POLITIQUE DE VOISINAGE
ULTRAPÉRIPHÉRIQUE
- I. UNE PRISE EN COMPTE INSUFFISANTE DES
RÉGIONS ULTRAPÉRIPHÉRIQUES (RUP) MALGRÉ UNE BASE
JURIDIQUE CLAIRE ET UNE DIVERSITÉ D'INSTRUMENTS POUR SOUTENIR LEUR
INTEGRATION ET LEUR COOPÉRATION RÉGIONALES
- EXAMEN EN COMMISSION
- PROPOSITION DE RÉSOLUTION
EUROPÉENNE
- LA RÉSOLUTION EN CONSTRUCTION
- LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
N° 376
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025
Enregistré à la Présidence du Sénat le 19 février 2025
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des affaires européennes (1) sur la proposition de résolution européenne en application de l'article 73 quinquies du Règlement, sur l'intégration régionale des régions ultrapériphériques (RUP) de l'Union européenne,
Par MM. Jean-François RAPIN et Georges PATIENT,
Sénateurs
(1) Cette commission est composée de : M. Jean-François Rapin, président ; MM. Alain Cadec, Cyril Pellevat, André Reichardt, Mme Gisèle Jourda, MM. Didier Marie, Claude Kern, Mme Catherine Morin-Desailly, M. Georges Patient, Mme Cathy Apourceau-Poly, M. Louis Vogel, Mme Mathilde Ollivier, M. Ahmed Laouedj, vice-présidents ; Mme Marta de Cidrac, M. Daniel Gremillet, Mmes Florence Blatrix Contat, Amel Gacquerre, secrétaires ; MM. Pascal Allizard, Jean-Michel Arnaud, François Bonneau, Mmes Valérie Boyer, Sophie Briante Guillemont, M. Pierre Cuypers, Mmes Karine Daniel, Brigitte Devésa, MM. Jacques Fernique, Christophe-André Frassa, Mmes Pascale Gruny, Nadège Havet, MM. Olivier Henno, Bernard Jomier, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Ronan Le Gleut, Mme Audrey Linkenheld, MM. Vincent Louault, Louis-Jean de Nicolaÿ, Teva Rohfritsch, Mmes Elsa Schalck, Silvana Silvani, M. Michaël Weber.
Voir les numéros :
Sénat : |
248 et 377 (2024-2025) |
AVANT-PROPOS
Mesdames, Messieurs,
Mme Micheline Jacques, présidente de la délégation sénatoriale aux outre-mer, a déposé, avec MM. Christian Cambon, Stéphane Demilly et Georges Patient, membres de ladite délégation, une proposition de résolution européenne sur l'intégration régionale des régions ultrapériphériques (RUP) de l'Union européenne.
Le dépôt de ce texte fait suite à la présentation, devant la commission des affaires européennes, le 6 novembre dernier, d'un rapport d'information de la délégation aux outre-mer sur la coopération et l'intégration régionales des outre-mer dans le bassin de l'océan Indien1(*), publié par les auteurs de la présente proposition.
Cette proposition de résolution européenne s'inscrit dans la continuité des actions portées par la délégation sénatoriale aux outre-mer et intervient à un moment opportun, alors que la Commission européenne commence à tracer les perspectives du prochain cadre financier pluriannuel (CFP) de l'Union européenne pour la période 2028-2034, tout en évaluant à mi-parcours l'exécution du CFP en cours, pour la période 2021-2027.
Le présent texte correspond au souci constant de la commission des affaires européennes de mieux faire prendre en compte les RUP par les institutions et politiques européennes, ainsi que les pays et territoires d'outre-mer (PTOM), dont la dimension stratégique dans le contexte géopolitique mondial doit être souligné.
I. UNE PRISE EN COMPTE INSUFFISANTE DES RÉGIONS ULTRAPÉRIPHÉRIQUES (RUP) MALGRÉ UNE BASE JURIDIQUE CLAIRE ET UNE DIVERSITÉ D'INSTRUMENTS POUR SOUTENIR LEUR INTEGRATION ET LEUR COOPÉRATION RÉGIONALES
A. LA RECONNAISSANCE DU STATUT DES RUP
1. Le statut particulier des RUP est reconnu par l'article 349 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne
Le traité d'Amsterdam du 1er mai 1999 ayant posé le fondement juridique des régions ultrapériphériques, c'est le traité de Lisbonne du 1er décembre 2009, qui les a pleinement intégrées au marché intérieur et à l'ordre juridique de l'Union européenne (UE), avec un statut particulier.
Au sein de l'Union européenne, la Guyane, la Guadeloupe, Saint-Martin, la Martinique, La Réunion, Mayotte, les Canaries2(*), les Açores et Madère3(*) bénéficient du statut de régions ultrapériphériques (RUP).
Les RUP font partie intégrante de l'Union européenne et sont assujetties au droit communautaire, au même titre que les autres régions européennes.
Toutefois, leur statut leur ouvre la possibilité d'un traitement différencié dans l'application du droit de l'Union, depuis l'entrée en vigueur du traité d'Amsterdam en 1999.
Ce statut est reconnu par l'article 349 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) qui ouvre la possibilité d'adapter les règles européennes pour ces territoires aux caractéristiques particulières : éloignement, insularité, climat, faible superficie et dépendance économique vis-à-vis d'un nombre limité de produits, le tout entraînant des surcoûts.
Les dispositions spécifiques en faveur des RUP couvrent aujourd'hui la politique régionale, la politique agricole commune, la politique commune de la pêche et le régime applicable aux aides d'État.
Le champ de l'article 349 est vaste et permet aux institutions européennes d'agir résolument en faveur des RUP, en reconnaissant leurs spécificités, sur le fondement de cette base juridique.
L'article 349 du TFUE : texte intégral
Compte tenu de la situation économique et sociale structurelle de la Guadeloupe, de la Guyane française, de la Martinique, de la Réunion, de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin, des Açores, de Madère et des îles Canaries, qui est aggravée par leur éloignement, l'insularité, leur faible superficie, le relief et le climat difficiles, leur dépendance économique vis-à-vis d'un petit nombre de produits, facteurs dont la permanence et la combinaison nuisent gravement à leur développement, le Conseil, sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen, arrête des mesures spécifiques visant, en particulier, à fixer les conditions de l'application des traités à ces régions, y compris les politiques communes. Lorsque les mesures spécifiques en question sont adoptées par le Conseil conformément à une procédure législative spéciale, il statue également sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen.
Les mesures visées au premier alinéa portent notamment sur les politiques douanières et commerciales, la politique fiscale, les zones franches, les politiques dans les domaines de l'agriculture et de la pêche, les conditions d'approvisionnement en matières premières et en biens de consommation de première nécessité, les aides d'État, et les conditions d'accès aux fonds structurels et aux programmes horizontaux de l'Union.
Le Conseil arrête les mesures visées au premier alinéa en tenant compte des caractéristiques et contraintes particulières des régions ultrapériphériques sans nuire à l'intégrité et à la cohérence de l'ordre juridique de l'Union, y compris le marché intérieur et les politiques communes.
L'on peut noter d'emblée que les RUP françaises présentent trois spécificités majeures par rapport aux RUP espagnoles ou portugaises : leur répartition, leur diversité et leur très grand éloignement du continent européen.
En effet, Mayotte et la Réunion se trouvent respectivement à 8 000 km et 9 108 km de l'Hexagone.
La Guyane, d'une superficie de 83 534 km², bordée par l'Océan Atlantique sur 320 km environ, forme le plus vaste des départements français (16 % du territoire de l'Hexagone), équivalent à la surface du Portugal. Cayenne se trouve à 7 070 km de Paris.
La Guadeloupe couvre quelque 1 628 km² à environ 7 000 km de la France métropolitaine, 140 km de la Martinique et 2 000 km des États-Unis d'Amérique. La Martinique se trouve à 6 900 km de Paris et 3 150 km de New-York. Quant à l'île de Saint-Martin, à 6 712 km de Paris, mesurant 15 km dans sa plus grande longueur et 13 km dans sa plus grande largeur, elle est partagée en deux : une partie néerlandaise au sud (34 km²) et une partie française au nord (56 km²). Y coexistent quatre langues officielles (l'anglais, le français, l'espagnol et le néerlandais).
Cette diversité et cet éloignement peuvent néanmoins être valorisés, grâce notamment aux mesures spécifiques préconisées par la présente proposition.
2. Les pays et territoires d'outre-mer (PTOM) et l'Union européenne
Contrairement aux régions ultrapériphériques, les pays et territoires d'outre-mer (PTOM) ne font pas partie intégrante de l'Union européenne, mais ils bénéficient d'un régime d'association.
Le droit de l'Union ne leur est donc pas applicable, mais ils sont éligibles à de nombreux programmes horizontaux de l'Union et bénéficient d'un instrument de financement dédié, au sein du budget général de l'Union européenne, dans l'actuel cadre financier pluriannuel 2021-2027.
Depuis le départ du Royaume-Uni, les PTOM sont au nombre de 13 et liés à trois États membres : le Danemark4(*), les Pays-Bas5(*) et la France.
Les PTOM français sont la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française, Saint-Pierre-et-Miquelon, Saint-Barthélemy, les Terres australes et antarctiques française (TAAF) et Wallis-et-Futuna.
3. La coopération régionale : un atout de taille pour l'UE et pour les RUP
Les RUP et les PTOM représentent un atout considérable pour l'Union européenne, à l'heure où la dimension géopolitique de son action prend de plus en plus d'importance.
Or le rapport d'information de la délégation sénatoriale aux outre-mer précité documente précisément le constat ancien, et malheureusement constant, que nos outre-mer ont relativement peu de relations et d'échanges avec leur environnement régional, par rapport à ce que permettrait l'article 349 du TFUE.
La présente proposition tend donc à tirer parti des potentialités de l'article 349 du TFUE pour dessiner un cadre juridique ad hoc pour ces territoires au service d'une stratégie de développement et de rayonnement régional.
Les progrès de la coopération régionale peuvent être un levier déterminant de cette stratégie.
En effet, le rapport d'information précité montre, à titre d'exemple éloquent, que les importations en provenance des pays de la commission de l'océan Indien (COI), la principale organisation régionale de la zone, représentent seulement 0,7 % des importations de La Réunion et 7 % de ses exportations. L'Hexagone et l'Europe sont prédominants, et c'est encore plus marqué pour le trafic de marchandises par conteneurs.
Cet état de fait, qui concerne aussi les mobilités - avec trop peu de liaisons régionales -, les investissements ou le tourisme, est désormais perçu comme un frein au développement.
Ce constat vaut pour l'ensemble des RUP.
Les auteurs de la proposition de résolution considèrent à juste titre qu'une meilleure intégration ou insertion régionale serait porteuse de solutions pour répondre aux défis des outre-mer :
- la lutte contre la vie chère grâce à un approvisionnement régional ;
- le développement économique en ouvrant de nouveaux marchés ;
- la mobilité en facilitant les déplacements et la connectivité avec des hubs régionaux ;
- mais aussi la lutte contre les trafics qui menacent de plus en plus la stabilité de ces territoires.
B. DES INSTRUMENTS PUISSANTS MAIS INSUFFISAMMENT COORDONNÉS
1. Les « stratégies » de la Commission européenne à l'égard des RUP
La Commission européenne publie tous les cinq ans des documents de « stratégies » relatives aux RUP, l'ensemble des thématiques les concernant étant alors couvertes dans un document programmatique.
Un document de ce type, intitulé « Un partenariat stratégique renouvelé et renforcé avec les régions ultrapériphériques de l'Union européenne », avait ainsi été publié en octobre 20176(*), puis évalué à mi-parcours en 20207(*).
Le 3 mai 2022, la Commission européenne a adopté une nouvelle communication relative aux RUP, intitulée « Donner la priorité aux citoyens, assurer une croissance durable et inclusive, libérer le potentiel des régions ultrapériphériques de l'Union »8(*). En s'appuyant sur cette communication, le Conseil a adopté, pendant la présidence française du Conseil de l'Union européenne et pour la première fois, des conclusions entièrement consacrées aux RUP9(*).
Dans ces conclusions, le Conseil se félicitait « de l'initiative de la Commission visant à recenser les domaines clés de coopération par bassin » et invitait les États membres concernés à promouvoir la coopération dans ces domaines entre les régions ultrapériphériques et les pays et territoires d'outre-mer, ainsi qu'avec les pays tiers.
Et de souligner « l'importance que revêtent les régions ultrapériphériques pour les relations extérieures de l'UE, car elles permettent de faire rayonner les intérêts et les valeurs de l'UE dans leurs zones géographiques » et « l'importance qu'il y a à mieux intégrer les régions ultrapériphériques aux projets de coopération multilatérale ».
Enfin, la Commission était expressément invitée « à préserver les intérêts des régions ultrapériphériques, notamment dans le cadre de négociations commerciales avec des pays tiers ».
La présente proposition fait largement écho à cette stratégie, censée encore prévaloir aujourd'hui, avec des résultats contrastés.
2. L'évaluation à mi-parcours de la stratégie pour les RUP : un bilan contrasté
La Commission européenne a publié le 3 octobre dernier un rapport sur la mise en oeuvre de la stratégie de 202210(*).
Celui-ci souligne que depuis 2019, la Commission a pris en compte les spécificités des régions ultrapériphériques dans une centaine de politiques, d'actes législatifs et de programmes de l'UE. Il reconnaît que la stratégie de 2022 « affiche un niveau d'ambition plus élevé que les stratégies précédentes, avec un champ d'application plus large ».
C'est aussi la raison pour laquelle aucun « paquet RUP » ni « stratégie » n'est inscrit au programme de travail de la Commission européenne pour 2025, qui recense les initiatives et priorités nouvelles de la Commission.
On peut le regretter, tout en attirant l'attention sur la consultation publique que ne devrait pas manquer d'ouvrir prochainement la Commission européenne, dans le cadre de l'évaluation à mi-parcours de cette stratégie, concomitante avec celles des principaux fonds régionaux, mentionnée dans le programme de travail pour cette année, dans la perspective de la préparation du prochain CFP. Il est essentiel que les acteurs concernés, institutionnels, politiques, administratifs, économiques et représentants de la société civile des RUP, participent massivement à cette consultation en ligne, qui devrait être pilotée par la direction générale de la politique régionale et urbaine (DG REGIO).
C'est en effet celle-ci qui a la main sur les principaux fonds structurels, qui jouent un rôle majeur outre-mer.
3. Le rôle clé des fonds de la politique de cohésion
Le rapport de la Commission précité montre que les fonds de la politique de cohésion jouent un rôle clé dans le soutien aux régions ultrapériphériques.
Dans le cadre du Fonds européen de développement régional (FEDER), du Fonds de cohésion et du Fonds social européen plus (FSE+), ces régions bénéficient des taux de cofinancement les plus élevés, d'une allocation spécifique supplémentaire et d'exceptions pour des investissements tels que ceux concernant les ports, les aéroports et le traitement des déchets résiduels.
Ainsi, dans le cadre du budget de l'UE pour la période 2021-2027, la Commission a affecté au total 16 milliards d'euros aux régions ultrapériphériques au titre des fonds de la politique de cohésion, de l'agriculture et de la pêche, soit une augmentation notable par rapport aux 13 milliards d'euros de la période 2014-2020.
Toutefois, le rapport de la Commission constate que des « défis majeurs subsistent en ce qui concerne les conditions de vie, les perspectives et le développement » dans les régions ultrapériphériques. Comme le souligne le neuvième rapport sur la cohésion11(*), la plupart de ces régions souffrent encore d'un faible PIB par habitant (inférieur à 75 % de la moyenne de l'UE), de disparités économiques, d'un taux de chômage plus élevé (en particulier chez les jeunes) et d'un niveau d'instruction plus faible.
Mayotte, qui est devenue la dernière région ultrapériphérique en 2014, est la région la plus pauvre de l'UE, avec un PIB par habitant inférieur à 30 % de la moyenne européenne.
La plupart de ces régions sont également confrontées à des défis démographiques, tels que le vieillissement de la population et l'exode des jeunes.
Néanmoins, la Commission estime que « la mise en oeuvre de la communication de 2022 est en constante progression » et affiche des « progrès significatifs » accomplis dans le cadre de « nombreuses politiques, fonds, programmes et outils de l'UE ».
4. Un outil majeur de coopération régionale : INTERREG
La Commission a renforcé la dimension extérieure des programmes Interreg 2021-202712(*) pour les régions ultrapériphériques en prévoyant que les projets devraient associer au moins un pays partenaire voisin et/ou PTOM.
Au cours de la période 2014-2020, les RUP ont développé plusieurs projets Interreg pour relever des défis communs, par exemple la lutte contre les sargasses, un système de prévention et de gestion des risques, intégrant un protocole d'intervention d'urgence en cas de catastrophes régionales, mais aussi la protection de la biodiversité, les transports et la santé.
Ces projets se poursuivent dans le cadre des programmes 2021- 2027, qui consacrent plus de 19 millions d'euros notamment à l'adaptation au changement climatique, avec le programme PIROI dans l'océan Indien13(*), qui avait, dès avant le passage dévastateur du cyclone Chido, mené 67 opérations d'urgence et porté assistance à deux millions de personnes.
Parmi d'autres réalisations régionales remarquables obtenues grâce à Interreg, on peut souligner :
- le projet FORMA'TERRA, qui favorise les échanges dans la formation agricole entre La Réunion, Maurice, Madagascar et les Seychelles ;
- et le projet SARG'COOP, qui encadre la coopération de l'ensemble des territoires caribéens dans leur combat contre les sargasses.
Le programme Interreg, géré par la DG REGIO, est l'outil financier incontournable de la coopération régionale : 63 millions d'euros pour 2021-2027 sur le seul programme dédié à l'océan Indien et 10 millions d'euros pour le programme du canal du Mozambique. Quant au bassin Caraïbe, il a bénéficié de 67 millions d'euros et l'Amazonie, de 19 millions d'euros. Sans Interreg, la coopération régionale ne serait pas financée.
Au total, 329 millions d'euros seraient affectés au voisinage des RUP par cet instrument pour le présent CFP, avec un taux de programmation qui pourrait être amélioré, celle-ci ayant démarré assez lentement : ce taux serait de 27 % pour l'océan Indien et n'aurait pas encore démarré pour le programme concernant le canal du Mozambique. Après avoir fait face aux urgences dues aux réponses pressantes à apporter aux dévastations du cyclone Chido, il est espéré que la programmation démarre rapidement et atteigne sa vitesse de croisière.
Le taux d'exécution pour le programme Interreg au titre du précédent CFP 2014-2020 est considéré dans la plupart des cas comme « très satisfaisant » par les services de la Commission, soit 100 % en Amazonie, 87 % pour l'océan Indien et 83 % pour les Caraïbes. Une exception regrettable est à signaler pour Mayotte où 10 millions d'euros n'auraient pas été utilisés.
Il faut espérer que la dévolution du rôle d'autorité de gestion au Conseil départemental pour le FEDER lors du présent CFP entraînera également une meilleure utilisation du potentiel INTERREG.
5. L'instrument NDICI, géré par la DG INTPA
Le nouvel instrument européen pour le voisinage, le développement et la coopération internationale, dit « NDICI », est géré par la direction générale de la Commission européenne chargée des partenariats internationaux, dite « DG INTPA ».
Ainsi, ses crédits alimentent les projets portés par la commission de l'océan Indien (COI), majoritairement financée par l'Union européenne.
Grâce à ce financement, 87 millions d'euros ont été versés sur la période 2018-2022 pour créer et développer des projets très concrets dans le bassin de l'océan Indien, par exemple visant à renforcer la sécurité ou lutter contre la pêche illégale.
Cet instrument intervient en complément de l'aide bilatérale très importante de la France et de l'Union européenne. Dans le bassin de l'océan Indien, l'île Maurice, Madagascar, les Comores ou la Tanzanie en sont particulièrement bénéficiaires.
Son degré de coordination avec les actions financées par les fonds de cohésion et notamment Interreg, gérés par la DG REGIO, paraît nettement perfectible.
6. La stratégie « Global Gateway » paraît souffrir d'une insuffisante lisibilité
Cette stratégie de « connectivité » au sens large, lancée par la Commission européenne dès 2021, et censée couvrir au niveau mondial pas moins de 300 milliards d'euros d'investissements dans le présent CFP, a été conçue au départ par la présidente de la Commission, Mme von der Leyen, comme une réponse européenne aux « nouvelles routes de la soie » chinoises.
Elle est également gérée par la DG INTPA, mais il semble que les projets d'investissements labellisés « Global Gateway » dans les zones régionales des RUP ne soient destinataires que d'un montant assez faible par rapport à l'enveloppe globale. La Commission européenne ne s'engage que sur de grands projets multibailleurs pour favoriser un effet de levier, en associant le secteur privé.
Les cinq objectifs de Global Gateway
1°) Dans le domaine du numérique :
Déploiement de réseaux d'infrastructures numériques (câbles sous-marins) ;
Mise en commun de bases d'échanges de données et de coopération dans le domaine de l'IA ;
Assistance européenne dans la protection des données et la cybersécurité.
2°) Climat et énergie :
Soutien à la transition vers la production d'énergie propres ;
Soutien à l'intégration énergétique régionale, à l'interconnexion ;
3°) Transports :
Investissements dans des infrastructures d'échelle mondiale ;
Aide à la diversification des chaînes d'approvisionnement.
4°) Santé :
Là aussi, soutien aux chaînes d'approvisionnement par exemple pour les vaccins ;
Contribution de l'Autorité de préparation et de réaction en cas d'urgence sanitaire (HERA).
5°) Éducation et recherche :
Investissements dans les outils numériques d'apprentissage ;
Facilitation de la mobilité des étudiants.
La lutte contre les sargasses ou les projets de corridor vert maritime en bénéficient, parmi d'autres projets orientés vers la résilience des régions concernées à l'égard des changements climatiques.
Exemples de projets « Global Gateway »
1°) Dans les Caraïbes
Faire face à la menace des sargasses
Investissements dans les énergies géothermiques, solaires et éolienne
2°) Dans le bassin Pacifique
Soutien financier à l'Alliance Bleue-Verte pour le Pacifique : jusqu'à 20 millions d'euros mobilisés pour aider la région à faire face aux effets du dérèglement climatique et pour la résilience.
3°) Dans le bassin de l'océan Indien
Soutien financier aux zones rurales de Madagascar pour la mise en place de réseaux électriques, en coopération avec l'AFD pour un montant total de 36 millions d'euros.
Toutefois, l'approche « équipe Europe » mise en avant par la Commission semble perfectible, notamment quant à la coordination de ses services avec les actions du Service européen d'Action extérieure (SEAE), qui dépend de la Haute Représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, vice-présidente de la Commission européenne, chargée de coordonner et mettre en oeuvre la politique étrangère et de sécurité de l'UE.
C'est à ce déficit de coordination et de vision d'ensemble que la présente proposition entend opportunément apporter une réponse
II. UNE PROPOSITION UTILE POUR MIEUX COORDONNER, SOUTENIR DANS LA DURÉE ET ACCOMPAGNER LES INSTRUMENTS EXISTANTS EN CRÉANT UNE VÉRITABLE POLITIQUE DE VOISINAGE ULTRAPÉRIPHÉRIQUE
A. UN TEXTE QUI VISE À RÉPONDRE AUX DIFFICULTÉS QUI INHIBENT ET COMPLIQUENT L'INSERTION RÉGIONALE DES OUTRE-MER.
1. Lever les freins et réduire les asymétries des accords de coopération régionale
Le premier obstacle à l'insertion régionale des RUP, repéré quasi-unanimement, porte sur les accords de partenariat économique (APE) négociés par l'Union européenne avec les pays ACP (Afrique - Caraïbes - Pacifique). La non-prise en compte des intérêts des outre-mer, et des RUP en particulier, est pointée. Les vulnérabilités des économies ultramarines sont oubliées et ces accords exposent les outre-mer à une concurrence accrue.
Les accords les plus asymétriques sont dénommés « négativistes », ce qui signifie que la RUP concernée ne peut pas exporter dans le territoire voisin, alors que l'inverse est possible.
De tels accords asymétriques existent partout, y compris dans l'océan Indien. Ainsi, les droits de douane que doit payer La Réunion pour exporter sont extrêmement et délibérément prohibitifs, afin de favoriser le développement des États voisins. En sens inverse, les importations vers La Réunion ou Mayotte sont exonérées de droits de douane.
Les accords prévoient souvent des clauses de sauvegarde, mais celles-ci demeurent complexes à activer et provisoires. Des clauses miroirs sont parfois demandées, notamment en matière de normes environnementales ou sanitaires. Mais le principe de simple équivalence offre une garantie partielle.
2. Intégrer les RUP au processus décisionnel européen
Les auteurs de la proposition visent à remédier au constat que les outre-mer sont le plus souvent absents ou en retrait du processus décisionnel européen.
Les négociations ACP-UE n'intègrent pas de groupe de travail RUP. La conférence des présidents des RUP plaide depuis de nombreuses années pour y remédier, en particulier depuis les premiers APE en 2000.
Une résolution du Parlement européen demandait en 2021 à la Commission européenne de « s'assurer que les RUP bénéficient pleinement des accords internationaux conclus entre l'Union et les pays tiers en créant une task force « Conséquence de la politique commerciale sur les RUP » qui associerait de manière effective les RUP, y compris les représentants des filières RUP »14(*).
Malgré cette résolution, dans sa communication du 3 mai 2022, la Commission européenne tendait à renvoyer aux États membres le soin d'associer les RUP lors de l'élaboration de leur position sur les accords commerciaux.
L'exemple de la signature de l'APE avec la zone Afrique australe est fréquemment cité par les acteurs économiques réunionnais qui n'ont pas été associés aux négociations.
Récemment, les autorités locales réunionnaises et mahoraises ont découvert tardivement les négociations entre l'Union européenne et Madagascar pour relever le taux de nicotine toléré dans la vanille de Madagascar pour pouvoir entrer sur le marché européen.
La proposition invite à progresser. Quand la volonté politique existe, elle porte ses fruits. Ainsi, c'est à l'initiative du Sénat, qu'une résolution européenne de 2016 avait permis d'alerter sur les effets destructeurs sur la filière des sucres spéciaux réunionnais d'un accord de libre-échange avec le Vietnam. Ensuite, l'accord final avec l'UE avait contingenté les exportations vers l'UE.
Pour que les RUP cessent d'être tenues à l'écart des projets d'accords commerciaux de l'Union, il conviendrait de rendre obligatoires les études d'impact de ces projets sur les RUP et d'y associer ces derniers dès l'ouverture des négociations.
L'article 349 du TFUE justifie que les RUP aient une place à part dans l'architecture des négociations et ne soient pas traités comme un acteur ordinaire de la société civile. Il faut enfin imaginer la possibilité de conclure des accords commerciaux régionaux sur-mesure.
3. Un paquet législatif pour adapter les normes européennes aux spécificités des RUP
Lors de la présentation du rapport d'information précité de la délégation sénatoriale aux outre-mer, le co-auteur de la proposition Georges Patient a souligné que « les outre-mer sont des bulles de droit européen au milieu d'océans régis par des traditions juridiques très différentes. »
Le droit européen protège, bien souvent, mais il isole également, alimentant ainsi le lien de dépendance à l'égard de la métropole et de l'Europe. Un des effets collatéraux est le renchérissement des coûts d'approvisionnement.
Ce qui a heureusement été fait pour les matériaux de construction - avant même que l'extrême urgence s'impose à Mayotte - doit pouvoir être reproduit.
Le règlement (UE) 2024/3110 du Parlement européen et du Conseil du 27 novembre 2024 établissant des conditions harmonisées de commercialisation pour les produits de construction et abrogeant le règlement (UE) 305/2011, publié au Journal officiel de l'Union européenne le 18 décembre 2024, laisse en effet aux États membres la faculté d'exempter leurs RUP du respect du marquage CE au profit d'un marquage local.
Il y a ainsi une vraie prise en compte des réalités locales :
- les produits de construction mis sur le marché dans les RUP sont souvent importés des pays voisins et ne sont donc pas soumis aux exigences du droit de l'Union européenne ;
- soumettre ces produits de construction aux normes européennes représente un coût disproportionné pour les entreprises ;
- les produits de construction fabriqués dans les RUP circulent difficilement vers les autres États membres compte tenu de l'éloignement.
Une telle adaptation devrait pouvoir s'appliquer à d'autres secteurs, par exemple en matière de transfert des déchets pour permettre le développement de filières de traitement des déchets à l'échelon régional15(*). De même, en matière agro-alimentaire, certaines normes européennes pourraient être assouplies pour faciliter les échanges intra-régionaux.
Une telle adaptation peut être obtenue par l'adoption d'un « paquet législatif RUP » proposé par le présent texte. L'objectif serait de passer en revue les différentes législations européennes qui créent des obstacles réglementaires à l'insertion économique des RUP dans leur environnement, en tenant le plus grand compte des remontées de terrain des acteurs politiques, économiques et sociaux.
Ce travail transversal aboutirait à la présentation d'un paquet de directives et règlements portant « diverses dispositions relatives aux RUP », en vue de lever les freins à leur développement économique endogène.
B. CRÉER UNE VÉRITABLE POLITIQUE EUROPÉENNE DE VOISINAGE ULTRAPÉRIPHÉRIQUE POUR FAVORISER ET COORDONNER L'INSERTION RÉGIONALE DES RUP
1. Une coordination nécessaire, au-delà de l'approche « équipe Europe »
Pour compléter développer de manière coordonnée l'insertion régionale des RUP, entre les divers « silos » administratifs de la Commission européenne, du SEAE et des États membres, dans le cadre d'une vision d'ensemble européenne, il apparaît nécessaire d'aller plus loin que l'approche Team Europe.
Certes, le rapport précité de la délégation sénatoriale aux outre-mer sur le bassin Indien montre que des projets conjoints ont été construits aux Comores, à Madagascar - réunissant la France, l'Allemagne et l'Union européenne - ou au Mozambique en matière d'éducation - réunissant l'Union européenne, la Banque européenne d'investissement (BEI) et onze États membres.
L'objectif est évidemment d'éviter la dispersion et la cohérence des actions conduites par l'Union européenne et les États membres sur un même territoire.
Pour autant, une vision d'ensemble manque encore.
Dans le bassin océan Indien, les Comores, Madagascar, ou Maurice pourraient être intéressés par une nouvelle relation privilégiée avec l'Union européenne, en lien étroit avec La Réunion et Mayotte, portes d'entrée de l'Union européenne.
Dès le 26 mai 2004, la Commission européenne avait publié une communication intitulée « un partenariat renforcé pour les régions ultrapériphériques », qui prévoyait, dans son troisième objectif, un plan d'action pour le grand voisinage, à partir des RUP.
2. Une politique de « grand voisinage » stratégique pour l'Union européenne et pour les RUP
Pour remédier aux défauts de coordination persistants et organiser institutionnellement cette vision d'ensemble, nécessaire, de la coopération régionale et de leur insertion régionale des RUP, la proposition de résolution propose de créer enfin une véritable politique de voisinage ultrapériphérique (PEVu).
Par analogie avec la politique européenne de voisinage (PEV), que l'Union européenne a développée pour encadrer les relations entre l'Union européenne et 16 pays qui lui sont proches géographiquement, elle viserait à établir un espace de prospérité et de bon voisinage. Cette PEV se limite aujourd'hui aux bordures Est - le partenariat oriental - et Sud - Union pour la Méditerranée - de l'UE.
Une PEVu contribuerait à changer le regard sur les RUP, en faisant prendre pleinement conscience à l'Union européenne que les RUP font bien partie de son territoire et que les relations avec les pays voisins des RUP doivent être vues sous ce prisme.
Ainsi, les outre-mer français de l'océan Indien, Mayotte et La Réunion, ne sont pas encore assez perçus par l'UE comme les deux seuls pôles européens au coeur d'un espace stratégique non européen.
Les politiques extérieures de l'Union ne prenant en compte qu'insuffisamment cette réalité géostratégique, une telle politique serait à même de développer les synergies entre les différents programmes, notamment NDICI et les programmes Interreg. Elle impliquerait de systématiser les études d'impact, encore si souvent absentes, pour tout projet concernant les RUP et contribuerait à donner à l'article 349 toute sa portée.
3. Les amendements proposés pour compléter la proposition de résolution européenne
Compte tenu de cette analyse, les rapporteurs considèrent que la présente proposition de résolution européenne est tout à fait pertinente et opportune.
Ils proposent plusieurs amendements afin de tenir compte, en particulier, des auditions listées en annexe et de l'urgence concernant Mayotte :
- plusieurs amendements de forme complètent et réagencent les visas, en cohérence avec l'objet principal de la proposition de résolution européenne, consistant à créer une politique de voisinage ultrapériphérique, afin de faire référence à l'ensemble des articles des traités concernant les RUP, y compris ceux relatifs à la politique commerciale et à la politique extérieure de l'UE ; sont également mentionnées des communications de la Commission européenne congruentes avec l'objet de la proposition, dont celle sur son dernier programme de travail annuel, ainsi que la résolution européenne adoptée par le Sénat le 25 février 2023 sur la gestion des déchets dans les outre-mer, et la loi tout récemment adoptée à l'unanimité au Sénat sur Mayotte ; il est enfin fait référence au règlement européen RESTORE permettant d'anticiper les financements des fonds européens structurels en cas de catastrophe naturelle, applicable à Mayotte ;
- quelques amendements concernent les considérants : deux sont d'ordre rédactionnel et l'un attire l'attention sur les progrès attendus sur les études d'impact sur les décisions et textes concernant les RUP ;
- d'autres amendements, enfin modifient le dispositif : un est purement rédactionnel et un autre clarifie la rédaction afin de mettre à jour le souhait initial des auteurs de voir élaborer un « paquet RUP » avec la récente publication du programme de travail de la Commission susvisé ; les deux autres tendent, d'une part, à impliquer la Haute Représentante et son service, le SEAE, dans la nécessaire coordination avec les directions générales de la Commission ; d'autre part, à demander que le règlement RESTORE soit appliqué d'urgence à Mayotte.
La position définie par la présente proposition de résolution européenne en faveur de la reconnaissance de l'insertion régionale et du rôle géopolitique des RUP nécessitera en tout état de cause un suivi attentif, de concert entre la commission des affaires européennes et la délégation sénatoriale aux outre-mer, auprès des institutions de l'Union européenne, en particulier la Commission et le SEAE.
EXAMEN EN COMMISSION
La commission des affaires européennes, réunie le 19 février 2025, a engagé le débat suivant :
M. Jean-François Rapin, président et rapporteur. - Mes chers collègues, nous nous réunissons ce midi pour examiner le rapport que Georges Patient et moi vous présentons sur la proposition de résolution européenne sur l'intégration régionale des régions ultrapériphériques (RUP) de l'Union européenne.
Cette proposition de résolution européenne a été présentée par la présidente Micheline Jacques et nos collègues Georges Patient, Christian Cambon et Stéphane Demilly.
Elle s'inscrit dans une étroite relation entre la délégation aux outre-mer et la commission des affaires européennes, puisqu'elle est le prolongement d'une réunion au cours de laquelle le rapport d'information de la délégation sur la coopération et l'intégration régionales des outre-mer dans le bassin de l'océan Indien avait été présenté devant notre commission.
Nos outre-mer ont besoin de faire entendre leur voix à Bruxelles et nous travaillons conjointement ! Nous prévoyons ainsi un déplacement conjoint à Bruxelles le 22 mai.
Je laisse la parole à Georges Patient.
M. Georges Patient, rapporteur. - Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, chers collègues, nous avons déposé cette proposition de résolution européenne avec Mme Micheline Jacques, présidente de la délégation sénatoriale aux outre-mer, ainsi que MM. Christian Cambon et Stéphane Demilly, à la suite de la présentation, devant notre commission, le 6 novembre dernier, du rapport d'information de la délégation aux outre-mer sur la coopération et l'intégration régionales des outre-mer dans le bassin de l'océan Indien, des mêmes auteurs.
Vous avez bien voulu nous suggérer, Monsieur le Président, cher Jean-François, cette démarche, à un moment opportun : en effet, la Commission européenne désormais installée, commence, dans le cadre de son programme de travail, que nous examinerons prochainement dans cette commission, à tracer les perspectives du prochain cadre financier pluriannuel (CFP) de l'Union européenne pour la période 2028-2034, tout en évaluant à mi-parcours l'exécution du CFP en cours, pour la période 2021-2027.
Nous sommes partis du constat de la prise en compte insuffisante des outre-mer, et des RUP en particulier, par l'Union européenne. Au sein de l'Union européenne, vous le savez, la Guyane, la Guadeloupe, Saint Martin, la Martinique, La Réunion, Mayotte, les Canaries, les Açores et Madère bénéficient du statut de régions ultrapériphériques (RUP).
Les RUP font partie intégrante de l'Union européenne et sont assujetties au droit communautaire, au même titre que les autres régions européennes.
Toutefois, leur statut, reconnu par le fameux article 349 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) ouvre la possibilité d'adapter les règles européennes aux caractéristiques particulières de ces territoires.
Nous les avons déjà exposées ici mais je les rappelle : éloignement, insularité, climat, faible superficie et dépendance économique vis-à-vis d'un nombre limité de produits, le tout entraînant des surcoûts. Il est à noter que deux de ces critères ne s'appliquent pas à la Guyane : l'insularité et la faible superficie.
Les dispositions spécifiques en faveur des RUP couvrent aujourd'hui la politique régionale, la politique agricole commune, la politique commune de la pêche et le régime applicable aux aides d'État. Mais le champ de l'article 349 est vaste et permet aux institutions européennes d'agir résolument en faveur des RUP, dans bien des domaines.
Or il est une dimension qui nous a paru éminemment stratégique, à la fois pour nos outre-mer et pour l'Union européenne, particulièrement au regard de l'évolution géopolitique actuelle, c'est l'insertion régionale des RUP.
La présente proposition tend donc à tirer parti des potentialités de l'article 349 du TFUE pour dessiner un cadre juridique ad hoc pour ces territoires au service d'une véritable stratégie de développement et de rayonnement régional.
En ce qui concerne les RUP, les auteurs de la proposition de résolution considèrent à juste titre qu'une meilleure intégration ou insertion régionale serait porteuse de solutions pour répondre aux défis des outremers.
Je citerai quatre défis :
- la lutte contre la vie chère grâce à un approvisionnement régional ;
- le développement économique en ouvrant de nouveaux marchés ;
- la mobilité en facilitant les déplacements et la connectivité avec des hubs régionaux ;
- mais aussi la lutte contre les trafics qui menacent de plus en plus la stabilité de ces territoires.
Certes, les interlocuteurs de la Commission européenne, que nous avons pu auditionner, ont eu à coeur de faire valoir les documents de « stratégies » relatives aux RUP, publiés tous les cinq ans et qui servent de feuilles de route à l'action de l'Union européenne dans nos outre-mer.
La dernière en date commence à dater, précisément, car elle remonte au 3 mai 2022... Elle est intitulée : « Donner la priorité aux citoyens, assurer une croissance durable et inclusive, libérer le potentiel des régions ultrapériphériques de l'Union ». C'est sur la base de cette communication que le Conseil européen, sous présidence française, a adopté, pour la première fois, des conclusions entièrement consacrées aux RUP.
Dans ces conclusions, le Conseil se félicitait « de l'initiative de la Commission visant à recenser les domaines clés de coopération par bassin » et invitait les États membres concernés à promouvoir la coopération dans ces domaines entre les régions ultrapériphériques et les pays et territoires d'outre-mer, ainsi qu'avec les pays tiers.
Et de souligner « l'importance que revêtent les régions ultrapériphériques pour les relations extérieures de l'UE, car elles permettent de faire rayonner les intérêts et les valeurs de l'UE dans leurs zones géographiques » et « l'importance qu'il y a à mieux intégrer les régions ultrapériphériques aux projets de coopération multilatérale ».
Enfin, la Commission était expressément invitée « à préserver les intérêts des régions ultrapériphériques, notamment dans le cadre de négociations commerciales avec des pays tiers ». Nous ne saurions mieux dire...
Mais, le rapport de la Commission publié le 3 octobre dernier sur sa mise en oeuvre reconnaît que cette stratégie de 2022 « affiche un niveau d'ambition plus élevé que les stratégies précédentes, avec un champ d'application plus large ».
Cela justifierait qu'aucun « paquet RUP » ne soit hélas inscrit au programme de travail de la Commission européenne pour 2025, qui recense les initiatives et priorités nouvelles de la Commission. Pour nous, cela rend urgent la programmation d'un tel « paquet », que nous préconisons.
Nous attirons également l'attention sur la consultation publique que ne devrait pas manquer d'ouvrir prochainement la Commission européenne, dans le cadre de l'évaluation à mi-parcours de cette stratégie, concomitante avec celles des principaux fonds régionaux, mentionnée dans le programme de travail pour cette année, dans la perspective de la préparation du prochain CFP. Il est essentiel que les acteurs concernés, institutionnels, politiques, administratifs, économiques et représentants de la société civile des RUP, participent massivement à cette consultation en ligne, qui devrait être pilotée par la direction générale de la politique régionale et urbaine (DG REGIO).
C'est en effet ce service, sous la responsabilité du vice-président exécutif de la Commission, qui a la main sur les principaux fonds structurels, en particulier le Fonds européen de développement régional (FEDER), le Fonds de cohésion et le Fonds social européen plus (FSE+).
Pour la période 2021-2027, 16 milliards d'euros ont été affectés aux régions ultrapériphériques au titre des fonds de la politique de cohésion, de l'agriculture et de la pêche, soit une augmentation notable par rapport aux 13 milliards d'euros de la période 2014-2020.
La Commission européenne elle-même constate que des « défis majeurs subsistent en ce qui concerne les conditions de vie, les perspectives et le développement » dans les régions ultrapériphériques. Comme le souligne le neuvième rapport sur la cohésion, la plupart de ces régions souffrent encore d'un faible PIB par habitant (inférieur à 75 % de la moyenne de l'UE), de disparités économiques, d'un taux de chômage plus élevé (en particulier chez les jeunes) et d'un niveau d'instruction plus faible. Mayotte demeure la région la plus pauvre de l'UE, avec un PIB par habitant inférieur à 30 % de la moyenne européenne.
L'autre programme majeur pour l'insertion régionale des RUP est Interreg, géré par un autre secteur de la Commission européenne, la Direction générale des partenariats internationaux, dite DG INTPA, en jargon bruxellois, sous la responsabilité du commissaire européen tchèque Jozef Sikela.
Interreg est l'outil financier incontournable de la coopération régionale : 63 millions d'euros pour 2021-2027 sur le seul programme dédié à l'océan Indien et 10 millions d'euros pour le programme du canal du Mozambique. Quant au bassin Caraïbe, il a bénéficié de 67 millions d'euros et l'Amazonie, de 19 millions d'euros. Sans Interreg, la coopération régionale ne serait pas financée.
Au total, 329 millions d'euros seraient affectés au voisinage des RUP par cet instrument pour le présent CFP, avec un taux de programmation qui pourrait être amélioré, celle-ci ayant démarré assez lentement : ce taux serait de 27 % pour l'océan Indien et n'aurait pas encore démarré pour le programme concernant le canal du Mozambique. Après avoir fait face aux urgences dues aux réponses pressantes à apporter aux dévastations du cyclone Chido, il est espéré que la programmation démarre rapidement et atteigne sa vitesse de croisière.
Le taux d'exécution pour le programme Interreg au titre du précédent CFP 2014-2020 était pourtant « très satisfaisant » : soit 100 % en Amazonie, 87 % pour l'océan Indien et 83 % pour les Caraïbes. Une exception regrettable est à signaler pour Mayotte où 10 millions d'euros n'auraient pas été utilisés. Espérons que la prise en charge du Feder par le conseil départemental comme autorité de gestion améliorera les choses, ce dont nous ne doutons pas.
M. Jean-François Rapin, président et rapporteur. - Autre instrument très important, également géré par le secteur de la Commission européenne en charge des partenariats internationaux : l'instrument européen pour le voisinage, le développement et la coopération internationale, dit « NDICI ».
Nous vous renvoyons à notre rapport pour les chiffres, mais son degré de coordination avec les actions financées par les fonds de cohésion et notamment Interreg, gérés par la DG REGIO, nous paraît nettement perfectible.
Autre « stratégie » qui paraît souffrir d'une insuffisante lisibilité, « Global Gateway », stratégie dite de « connectivité ». Lancée en fanfare par la présidente de la Commission européenne en 2021, comme une réponse européenne aux « nouvelles routes de la soie » chinoises, ce n'est ni un projet, ni un programme, ni une action, ni un fonds, mais une « stratégie », justement, autant dire un label qui vient habiller des programmes et projets existants, censément pour favoriser la levée de fonds privés en complément, dans une approche « multi-bailleurs ».
Même si la lutte contre les sargasses ou les projets de corridor vert maritime en bénéficient, parmi d'autres projets orientés vers la résilience des régions concernées à l'égard des changements climatiques, il semble que les projets d'investissements labellisés « Global Gateway » dans les zones régionales des RUP ne soient destinataires que d'un montant assez faible par rapport à l'enveloppe globale annoncée, d'un montant qui paraît faramineux, de 300 milliards d'euros sur l'ensemble du CFP.
Là encore, un effort de coordination nous semble indispensable, notamment avec le Service européen pour l'Action extérieure (SEAE), qui dépend de la Haute Représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, vice-présidente de la Commission européenne.
En effet, c'est à ce déficit de coordination et de vision d'ensemble que la présente proposition entend apporter une réponse qui nous a paru opportune.
Le premier obstacle à l'insertion régionale des RUP qu'elle propose de lever, porte sur les accords de partenariat économique (APE) négociés par l'Union européenne avec les pays ACP (Afrique - Caraïbes Pacifique). Ces accords exposent nos outre-mer à une concurrence accrue.
Les négociations ACP-UE n'intègrent pas de groupe de travail RUP. La conférence des présidents des RUP plaide depuis de nombreuses années pour y remédier, ainsi que le Parlement européen depuis une résolution de 2021. La Commission européenne, de son côté, renvoie vers les États membres.
Pour que les RUP cessent d'être tenues à l'écart des projets d'accords commerciaux de l'Union, il conviendrait de rendre obligatoires les études d'impact de ces projets sur les RUP et d'y associer ces derniers dès l'ouverture des négociations.
L'article 349 du TFUE justifie que les RUP aient une place à part dans l'architecture des négociations et ne soient pas traités comme un acteur ordinaire de la société civile. Il faudrait enfin imaginer la possibilité de conclure des accords commerciaux régionaux sur-mesure.
Le droit européen protège, bien souvent, mais il isole également, entravant souvent la régionalisation des échanges économiques. Un des effets collatéraux est le renchérissement des coûts d'approvisionnement.
L'allègement des normes européennes qui a heureusement été acquis pour les matériaux de construction - avant même que l'extrême urgence s'impose à Mayotte - doit pouvoir être reproduit.
Une telle adaptation devrait pouvoir s'appliquer à d'autres secteurs, par exemple en matière de transfert des déchets pour permettre le développement de filières de traitement des déchets à l'échelon régional, dans la lignée de la résolution européenne sur la gestion des déchets dans les outre-mer, que nous avions adoptée ici en 2023 sur le rapport de Marta de Cidrac et Gisèle Jourda. De même, en matière agro-alimentaire, certaines normes européennes pourraient être assouplies pour faciliter les échanges intra-régionaux.
Une telle adaptation peut être obtenue par l'adoption du « paquet législatif RUP » que vient de mentionner Georges Patient. L'objectif est clair : passer en revue les différentes législations européennes qui créent des obstacles réglementaires à l'insertion économique des RUP dans leur environnement, en tenant le plus grand compte des remontées de terrain des acteurs politiques, économiques et sociaux.
Ce travail transversal doit être mené de concert avec la proposition phare de ce texte. Pour remédier au fonctionnement en silos que nous avons observé, et qui explique selon nous une partie des difficultés constatées par nos collègues de la délégation aux outre-mer, nous proposons la création d'une véritable politique européenne de voisinage ultrapériphérique, une politique de « grand voisinage », stratégique pour l'Union européenne et pour nos outre-mer.
Ceux-ci ne sont en effet pas encore suffisamment perçus comme autant de pôles européens stratégiques, au coeur d'espaces géopolitiques non européens. Dans la reconfiguration actuelle des rapports de puissances que nous observons à l'échelle du monde, qui ne date pas de l'élection du président américain, car elle découle au fond d'une lente évolution, c'est essentiel, et pour l'Europe, et pour nos territoires et régions d'outre-mer.
Compte tenu de ces observations, nous proposons quelques amendements au projet initial.
Outre les modifications rédactionnelles ou de pure forme, qui complètent et réagencent notamment l'ordre des visas, il nous a paru utile de mentionner la loi tout récemment adoptée à l'unanimité au Sénat sur Mayotte, ainsi que le règlement européen RESTORE permettant d'anticiper les financements des fonds européens structurels en cas de catastrophe naturelle, également applicable à Mayotte.
Nous avons ajouté également un paragraphe sur les progrès attendus sur les études d'impact sur les décisions et textes concernant les RUP.
Un autre complément tend à impliquer la Haute représentante et son service, le SEAE, dans la nécessaire coordination avec les directions générales de la Commission.
Nous demandons enfin que le règlement RESTORE puisse être appliqué d'urgence pour la reconstruction de Mayotte. Une réflexion sera ensuite nécessaire, sur la nécessité d'agir dans l'urgence, mais aussi sur l'importance de conserver l'aspect structurel des fonds européens. Il faut pouvoir articuler ces deux dimensions. Ce sera utile dans le cadre de la préparation du prochain CFP.
Cette proposition devra être suivie attentivement. Auprès du Gouvernement, d'abord, le cabinet de M. Valls n'ayant pas répondu à notre demande d'audition, mais il est vrai qu'il y a tant à faire ! Auprès de la Commission européenne et du Parlement européen, ensuite : c'est le sens du déplacement conjoint que nous entendons mener, le 22 mai prochain, avec la délégation aux outre-mer. Pour les sensibiliser dès à présent, nous vous proposons également un avis politique, qui reprend les principales dispositions de cette proposition, à l'attention de la Commission européenne. Je rappelle que la proposition de résolution européenne s'adresse au Gouvernement, et que l'avis politique s'adresse à la Commission européenne et au Parlement européen. Avez-vous des observations ?
M. Jacques Fernique. - Je suis tout à fait d'accord avec les points développés par la résolution. Passer en revue les différentes législations européennes pour pointer tous les obstacles réglementaires à l'insertion économique des régions ultrapériphériques dans l'environnement est effectivement nécessaire. Le droit européen protège, mais il isole aussi.
L'idée que les cofinancements soient mieux orientés, que les crédits européens aillent davantage vers les projets de coopération régionale, c'est très bien. La création d'une véritable politique de voisinage ultrapériphérique pour changer le regard sur les RUP est effectivement une bonne idée. L'amendement qui consiste à prendre en compte l'urgence pour Mayotte est effectivement tout à fait pertinent.
M. Jean-François Rapin, président et rapporteur. - Il était effectivement important d'intégrer dans le texte la situation de Mayotte, et en particulier la mobilisation du programme « RESTORE », parce que c'est un nouveau programme. Il va être utilisé pour Mayotte, certes. Il a été utilisé pour Valence en particulier, au moment des grandes inondations. Il a d'ailleurs été établi pour cela. Je crois que ce programme pourra faciliter la reconstruction dans ces territoires. Nous avons également pointé du doigt un sujet sur l'utilisation des crédits Interreg, notamment pour Mayotte, où il faut une véritable volonté nationale, mais aussi du territoire, afin de pouvoir mobiliser ces crédits. J'espère en tout cas qu'ils seront davantage mobilisés qu'ils ne l'étaient jusqu'à présent.
Quoi qu'il en soit, comptez sur moi pour défendre ce sujet au niveau européen. Comme je vous l'avais indiqué, ma prise de parole à Varsovie, lors de la réunion de la COSAC des présidents, avait abordé cet enjeu.
Je crois qu'il faut que l'Union considère aujourd'hui que les outre-mer, ce n'est pas uniquement le sujet de la France, voire un peu de l'Espagne et un peu du Portugal. C'est un vrai sujet européen. Ce sont des territoires européens. Il faut les traiter comme tels, encore plus aujourd'hui, au regard de la configuration géopolitique et de la nécessaire autonomie stratégique que nous défendons tous.
Mme Marta de Cidrac. - Je trouve que cette proposition de résolution va tout à fait dans le bon sens. Je voudrais remercier les rapporteurs pour leur travail. J'ai simplement une interrogation concernant l'alinéa 40, puisqu'on dit qu'on souhaite à cette fin évidemment que « soient incités à travailler conjointement ». Je me demande si le terme « inciter » exprime une intention suffisamment forte. Ne pourrait-on pas donner plus de force à cette idée, que je trouve par ailleurs très bonne sur le fond ?
M. Jean-François Rapin, président et rapporteur. - On peut enlever la notion d'incitation. Le niveau supérieur, c'est la formulation d'exigences à l'égard de la Haute représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité et du SEAE. J'y suis moins favorable. On pourrait donc écrire : « souhaite à cette fin que la Haute Représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité et le Service européen d'action extérieure (SEAE) travaillent conjointement » avec les commissaires concernés.
M. Georges Patient, rapporteur. - Cette rédaction me convient.
M. Didier Marie. - Connaît-on le montant des fonds de cohésion affectés aux territoires ultrapériphériques ? Ce montant est-il satisfaisant ?
M. Jean-François Rapin, président et rapporteur. - Le montant est d'environ 16 milliards d'euros sur le dernier CFP, contre 13 milliards sur le précédent, mais je pense que ces fonds ne sont pas complètement utilisés, tout comme les fonds Interreg. Même s'il y a des champions d'utilisation des fonds - je pense à La Réunion, par exemple, qui parvient bien à utiliser les fonds mobilisables. S'agissant des fonds Interreg, le taux d'exécution 2014-2020 était de 83 %.
Je pointais le territoire de Mayotte, parce que, justement, c'est peut-être celui qui a le plus besoin de ces fonds. Or on a perdu 10 millions d'euros de fonds Interreg, qui étaient utilisables mais n'ont pas été utilisés. Nous n'avons cependant pas réussi à savoir s'ils étaient réellement perdus ou s'ils seraient réinjectés dans le programme de la période suivante. La Commission européenne ne nous a pas répondu clairement sur ce point. Quoi qu'il en soit, nous pourrions faire mieux en termes d'utilisation de ces fonds. Nous ne disposons pas encore des derniers chiffres, mais il semblerait que l'on s'oriente sur un taux d'utilisation de 50 % des fonds Interreg pour la prochaine période, d'après les chiffres qui nous ont été donnés par la DG REGIO.
Sur Mayotte, nous avons essayé de creuser un peu la question et de demander pourquoi 10 millions d'euros n'ont pas été utilisés. On nous indique qu'il n'y a pas eu beaucoup de sollicitations de la préfecture. Sauf que ce sont des fonds Interreg, ce n'est donc pas forcément le préfet qui est concerné. Je pense donc que c'est davantage dû à un manque de projets, peut-être à quelques manques d'initiative, et aussi à la peur de la part à abonder en crédits territoriaux, bien sûr.
M. Georges Patient, rapporteur. - Pour les fonds de cohésion, ce sont les collectivités qui sont maîtresses d'oeuvre et très souvent, elles n'ont pas l'ingénierie suffisante. Pour Mayotte, c'est encore plus difficile. On aboutit donc effectivement à une sous-consommation des crédits. Mais les utilisations dépendent également des différentes collectivités. Comme le président Rapin l'a dit, La Réunion a un bon taux de consommation de ces fonds, la Guadeloupe aussi, tandis qu'à Mayotte et en Guyane, le taux de consommation n'est pas très élevé.
M. Jean-François Rapin, président et rapporteur. - Je pense qu'il y a une connaissance parfaite de tous ces sujets par l'administration - heureusement, me direz-vous - avec, je crois, une volonté de bien faire. Par exemple, la représentation permanente de la France à Bruxelles n'a pas pléthore d'agents qui s'occupent de l'outre-mer, mais je les ai trouvés très pointus lorsque nous les avons auditionnés. La Commission européenne dispose elle aussi d'une très bonne connaissance de ces sujets, mais nous indique toujours qu'il n'y a aucun problème lorsque nous en discutons avec elle. Or, bien évidemment, il y a des problèmes, notamment concernant les études d'impact ! Elles sont réalisées, certes, mais seulement une fois que la Commission a été sollicitée sur le sujet.
L'État français, au travers de la représentation permanente, fait le travail en demandant à la Commission européenne de prendre en compte en amont les spécificités des outre-mer. Jusqu'à présent, ces spécificités sont toujours prises en compte en bout de chaîne. Or, il n'est pas facile de revenir sur le sujet une fois qu'un trilogue a été effectué ou d'intégrer un dispositif en cours de trilogue. Il est plus aisé de le faire quand le sujet a été évoqué préalablement.
M. Georges Patient, rapporteur. - Le problème vient aussi du fait du manque de visibilité des RUP dans la globalité de l'Europe. Il faut quand même dire qu'il n'y a que trois États qui ont des RUP : la France, l'Espagne et le Portugal. Pour les autres États, quand on leur parle des RUP...
M. Jean-François Rapin, président et rapporteur. - Nous passons donc au vote. Il n'y a pas d'abstention. Même vote pour l'avis politique ? Très bien. Je vous remercie beaucoup pour cette unanimité, qui fera plaisir à Micheline Jacques.
La commission autorise la publication du rapport et adopte, à l'unanimité, la proposition de résolution européenne modifiée ainsi que l'avis politique qui en reprend les termes et qui sera adressé à la Commission européenne.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE
Le Sénat,
Vu l'article 88-4 de la Constitution,
Vu l'article 73 quinquies du règlement du Sénat,
Vu les articles 8, 12 et le chapitre V du Traité sur l'Union européenne (TUE),
Vu les articles 206, 207, 216 à 219, 349 et 355 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE),
Vu la Convention de Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontières de déchets dangereux et de leur élimination, entrée en vigueur le 5 mai 1992,
Vu la loi n° 2016-1657 du 5 décembre 2016 relative à l'action extérieure des collectivités territoriales et à la coopération des outre-mer dans leur environnement régional, dite « loi Letchimy »,
Vu le règlement (UE, Euratom) 2020/2093 du Conseil du 17 décembre 2020 fixant le cadre financier pluriannuel pour les années 2021 à 2027,
Vu le règlement (UE) 2021/947 du Parlement européen et du Conseil du 9 juin 2021 établissant l'instrument de voisinage, de coopération au développement et de coopération internationale - Europe dans le monde, modifiant et abrogeant la décision n° 466/2014/UE du Parlement européen et du Conseil et abrogeant le règlement (UE) 2017/1601 du Parlement européen et du Conseil et le règlement (CE, Euratom) n° 480/2009 du Conseil,
Vu le règlement (UE) 2021/1059 du Parlement européen et du Conseil du 24 juin 2021 portant dispositions particulières relatives à l'objectif « Coopération territoriale européenne » (Interreg) soutenu par le Fonds européen de développement régional et les instruments de financement extérieur,
Vu le règlement (UE) 2024/3110 du Parlement européen et du Conseil du 27 novembre 2024 établissant des conditions harmonisées de commercialisation pour les produits de construction et abrogeant le règlement (UE) 305/2011,
Vu le règlement (UE) 2024/3236 du Parlement européen et du Conseil du 19 décembre 2024 modifiant les règlements (UE) 2021/1057 et (UE) 2021/1058 en ce qui concerne le soutien régional d'urgence à la reconstruction (RESTORE),
Vu la communication conjointe au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions du 18 novembre 2015, sur le réexamen de la politique européenne de voisinage - JOIN/2015/50final,
Vu la communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, du 19 octobre 2021, sur le programme de travail de la Commission pour 2022, « Ensemble pour une Europe plus forte », COM(2021) 645 final,
Vu la communication conjointe au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen, au Comité des régions et à la Banque européenne d'investissement du 1er décembre 2021, La stratégie "Global Gateway", JOIN/2021/30 final,
Vu la communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions du 3 mai 2022 « Donner la priorité aux citoyens, assurer une croissance durable et inclusive, libérer le potentiel des régions ultrapériphériques de l'Union », COM(2022) 198 final,
Vu la communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, du 11 février 2025, sur le programme de travail de la Commission pour 2025, « Une Union plus audacieuse, plus simple, plus rapide », COM(2025) 45 final,
Vu la résolution du Parlement européen du 14 septembre 2021 vers un renforcement du partenariat avec les régions ultrapériphériques (RUP) de l'Union (2020/2120(INI)),
Vu les conclusions du Comité interministériel des outre-mer du 18 juillet 2023,
Vu la résolution européenne du Sénat (n° 67, 2022-2023) sur la gestion des déchets dans les outre-mer, du 25 juillet 2023,
Vu le rapport d'information n° 763 (2023-2024) du 17 septembre 2024 de MM. Christian Cambon, Stéphane Demilly et Georges Patient, fait au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer, relatif à la coopération et l'intégration régionales des outre-mer (volet 1 : bassin Indien),
Considérant l'extrême faiblesse des relations économiques et commerciales entre les territoires ultramarins français et leurs bassins régionaux, ainsi que les connexions maritimes et aériennes régionales limitées ;
Considérant la prédominance des liens historiques et économiques des outre-mer avec la France métropolitaine et l'Union européenne ;
Considérant qu'une meilleure intégration régionale offrirait pourtant des solutions aux défis actuels des RUP :
- la lutte contre la vie chère, grâce à un approvisionnement régional ;
- le développement économique endogène, en ouvrant de nouveaux marchés ;
- la mobilité, en facilitant les déplacements et la connectivité des hubs régionaux ;
- la lutte contre les trafics et les menaces exogènes ;
Considérant que l'Union européenne est devenue le principal financeur de la coopération régionale au travers des programmes Interreg et des crédits de l'instrument de voisinage, de coopération au développement et de coopération internationale (NDICI) qui financent les projets portés par des organisations régionales comme la Commission de l'océan Indien (COI), à hauteur de 87 millions d'euros pour la période 2018-2022 ;
Considérant que malgré les financements importants des actions de coopération régionale par l'Union européenne, celles-ci peinent à enclencher des dynamiques propres et à se transformer en catalyseurs de l'intégration régionale ;
Considérant que les RUP forment des îlots de droit européen et continental dans un environnement régional composé d'États à l'indice de développement humain (IDH) très faible, régis par des traditions juridiques différentes et bénéficiant du statut d'États ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique) ;
Considérant la prise en compte insuffisante des intérêts des RUP par l'Union européenne lors de la négociation des Accords de partenariat économique (APE) avec les pays dits « ACP », et plus généralement l'absence d'un « réflexe outre-mer » transversal dans le processus décisionnel européen, illustrée notamment par le faible nombre d'études d'impact concernant les RUP ;
Considérant l'insuffisante prise en considération des RUP, qui sont pourtant des points d'appui uniques pour l'Union européenne, dans le cadre de la stratégie « Global Gateway » lancée par l'Union européenne en 2021 ;
Considérant la volonté affichée par le Gouvernement français de développer la coopération économique régionale dans le bassin Indien et le bassin de la Caraïbe par la définition de stratégies commerciales régionales, notamment par la mesure n° 9 du Comité interministériel des outre-mer du 18 juillet 2023 ;
Considérant que les normes européennes font trop peu usage des facultés d'adaptation permises par l'article 349 du TFUE et entravent souvent la régionalisation des échanges économiques ;
Considérant le développement de la politique européenne de voisinage (PEV) pour encadrer les relations entre l'Union européenne et les pays limitrophes du flanc est de l'Europe et du pourtour méditerranéen ;
Considérant les vingt recommandations contenues dans le rapport d'information n° 763 (2023-2024) du 17 septembre 2024 précité, dont six pour réorienter la politique de l'Union européenne en faveur de l'intégration régionale des outre-mer français de l'océan Indien et pour concevoir une Politique européenne de voisinage ultrapériphérique (PEVu) ;
Propose la création d'une politique européenne de voisinage ultrapériphérique (PEVu), à destination des États voisins des RUP, inspirée de la politique européenne de voisinage (PEV) de l'Union européenne, tout en l'adaptant ;
Souhaite à cette fin que la Haute Représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité et le Service européen d'action extérieure (SEAE) soient incités à travailler conjointement avec les commissaires et les services de la Commission européenne concernés, afin de valoriser l'atout géopolitique et stratégique que représentent les RUP et les pays et territoires d'outre-mer (PTOM) pour l'Union européenne dans son ensemble ;
Demande la programmation p ar la Commission européenne d'un « paquet RUP » législatif pour lever les obstacles normatifs à leur insertion régionale, notamment dans les secteurs de l'agroalimentaire, du traitement des déchets et de l'énergie ;
Souhaite que les cofinancements au titre du NDICI et du FEDER soient encore facilités dans l'objectif de mieux orienter les crédits européens vers les projets de coopération régionale ;
Appelle instamment à ne pas réduire les moyens qui seront alloués à la coopération régionale des RUP dans le prochain cadre financier pluriannuel 2028-2034 ;
Propose de rendre obligatoires les études d'impact de chaque projet d'accord commercial de l'Union européenne sur les économies ultramarines et d'associer les RUP dès l'ouverture des négociations ;
Souhaite qu'il soit fait pleinement usage, dans les quatre mois, des dispositions du règlement RESTORE du 19 décembre 2024 permettant de mobiliser les préfinancements et d'anticiper les financements du FEDER et du FSE+, afin de venir en aide à la population de Mayotte, durement éprouvée par le cyclone Chido, de pourvoir rapidement aux reconstructions d'urgence, et de réinsérer le département de Mayotte dans son environnement économique régional ;
Invite le Gouvernement à faire valoir cette position dans les négociations au Conseil.
LA RÉSOLUTION EN CONSTRUCTION
Pour naviguer dans les rédactions successives du texte, le tableau synoptique de la résolution en construction est disponible sur le site du Sénat à l'adresse suivante :
https://www.senat.fr/tableau-historique/ppr24-248.html
LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
Commission européenne
Direction générale des partenariats internationaux (DG INTPA)
- M. Hugo van Tilborg, Chef de Secteur - Direction B - Unité A5
Direction générale de la politique régionale et urbaine (DG REGIO)
- Mme Monika Hencsey, Directrice - Direction A - Budget, Communication et Affaires générales
- Mme Paula Duarte Gaspar, Adjointe à la Directrice, Chef d'Unité A1, Régions ultrapériphériques
- M. German Esteban, Chef d'Unité adjoint
- Mme Katherine Fournier-Leroux, Responsable de politique
- M. Pierre Emmanuel Leclerc - Chef d'équipe, Unité D1, Interreg
Secrétariat général des Affaires européennes (SGAE)
- M. Ludovic Butel, Secrétaire général adjoint
- Mme Constance Deler, Cheffe du bureau des Parlements
Représentation Permanente de la France auprès de l'Union européenne
- M. Étienne Le Marchand, Conseiller en charge des Outre-Mer
- Mme Julie Garrec, Conseillère en charge des politiques régionales
Eurodom
- M. Benoît Lombrière, Délégué général adjoint
- Mme Sonia-Sarah Bakrim, chargée des relations avec les Parlements
* 1 Rapport d'information du Sénat n° 763 (2023-2024) sur la coopération et l'intégration régionales des outre-mer (volet 1 : bassin océan Indien) par MM. Christian Cambon, Stéphane Demilly et Georges Patient, fait au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer.
* 2 Communauté autonome espagnole.
* 3 Régions autonomes portugaises.
* 4 Le Groënland.
* 5 Aruba et les Antilles néerlandaises.
* 6 Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social, au Comité des régions et à la Banque européenne d'investissement du 17 octobre 2017, intitulée « Un partenariat stratégique renouvelé et renforcé avec les régions ultrapériphériques de l'Union européenne » - COM (2017) 613 final.
* 7 Rapport de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social, au Comité des régions et à la Banque européenne d'investissement du 23 mars 2020 relatif à la mise en oeuvre de la communication de la Commission intitulée « Un partenariat stratégique renouvelé et renforcé avec les régions ultrapériphériques de l'Union européenne » - COM(2020) 0104.
* 8 Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions du 3 mai 2022 « Donner la priorité aux citoyens, assurer une croissance durable et inclusive, libérer le potentiel des régions ultrapériphériques de l'Union », - COM(2022) 198 final.
* 9 Communication de la Commission intitulée « Donner la priorité aux citoyens, assurer une croissance durable et inclusive, libérer le potentiel des régions ultrapériphériques de l'Union » : Conclusions du Conseil de l'Union européenne du 30 mai 2022 - 8781/22 (COM (2022) 198 final).
* 10 Rapport de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions sur la mise en oeuvre de la communication « Donner la priorité aux citoyens, assurer une croissance durable et inclusive, libérer le potentiel des régions ultrapériphériques de l'Union », le 3 octobre 2024 - COM(2024) 435 final.
* 11 Neuvième rapport sur la cohésion économique, sociale et territoriale au sein de l'UE, 27 mars 2024, COM(2024) 149 final.
* 12 Les zones régionales fléchées du canal du Mozambique, des Caraïbes, de l'océan Indien et de l'Amazonie concernent au premier chef les RUP françaises ; la Macaronésie intéresse les Canaries et Madère.
* 13 La plateforme d'intervention régionale dans l'océan Indien (PIROI), support d'intervention à vocation régionale de préparation et de réponse aux catastrophes, a pour objectif principal de réduire la vulnérabilité des populations faces aux risques et aux conséquences des catastrophes naturelles dans la zone sud-ouest de l'océan Indien.
* 14 Résolution du Parlement européen du 14 septembre 2021 « Vers un renforcement du partenariat avec les régions ultrapériphériques de l'Union » - 2020/2120(INI).
* 15 Cf. la résolution européenne du Sénat (n°67, 2022-2023) sur la gestion des déchets dans les outre-mer, du 25 juillet 2023, adoptée sur le rapport de Mmes Marta de Cidrac et Gisèle Jourda.