EXAMEN EN COMMISSION
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Réunie le mercredi 12 mars 2025, sous la présidence de M. Philippe Mouiller, président, la commission examine le rapport de Mme Florence Lassarade, rapporteure, sur la proposition de loi (n° 299, 2024-2025) créant une condition de durée de résidence pour le versement de certaines prestations sociales.
M. Philippe Mouiller, président. - Mes chers collègues, notre ordre du jour appelle l'examen du rapport de Florence Lassarade et du texte de la commission sur la proposition de loi de notre collègue Valérie Boyer créant une condition de durée de résidence pour le versement de certaines prestations sociales.
Ce texte est inscrit à l'ordre du jour du Sénat du mardi 18 mars, dans l'après-midi.
Mme Florence Lassarade, rapporteure. - Avant d'examiner la proposition de loi de notre collègue Valérie Boyer visant à établir une condition de durée de résidence pour le versement de prestations sociales - sujet de société qui ne manquera pas de faire débat -, je souhaite présenter la logique qui a été la mienne lors de l'instruction de ce texte.
Les mesures portées par cette proposition de loi relèvent du code de la sécurité sociale et du code de l'action sociale et des familles, non du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (Ceseda), pour lequel notre commission n'est au demeurant pas la plus naturellement compétente. J'ai donc considéré que la question qui se posait au législateur était avant tout celle de la définition de notre modèle de protection sociale, et c'est sur ce terrain uniquement que j'ai entendu mener mes travaux.
Pour autant, il faut préciser que la présente proposition de loi s'inscrit dans le prolongement d'une volonté de la majorité sénatoriale exprimée à plusieurs reprises.
D'abord, lors de l'examen au Sénat du projet de loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, deux amendements identiques de la commission des lois et de Mme Eustache-Brinio ont été adoptés durant la séance publique, visant à limiter le bénéfice de prestations sociales en nature - allocations familiales, prestation de compensation du handicap (PCH), aide personnalisée au logement (APL) et droit au logement opposable (Dalo) - aux seuls étrangers résidant depuis au moins cinq ans en France de façon régulière. Cependant, le Conseil constitutionnel a censuré cet article, estimant qu'il s'agissait d'un cavalier législatif, sans se prononcer sur le fond.
Par la suite, les parlementaires du groupe Les Républicains ont déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale une proposition de loi référendaire reprenant le dispositif en question, sur le fondement de l'article 11 alinéa 4 de la Constitution, c'est-à-dire dans le but de mettre en place un référendum d'initiative partagée (RIP) afin de recueillir l'expression directe de la souveraineté nationale sur ce sujet.
Le Conseil constitutionnel a également censuré cette proposition de loi. Tout en reconnaissant que des règles spécifiques aux étrangers pouvaient être prises en matière de droits sociaux, et que les exigences constitutionnelles ne s'opposent pas à ce que le bénéfice de certaines prestations sociales soit soumis à une condition de durée de résidence ou d'activité, il a estimé que la durée de cinq ans de résidence ou de trente mois d'activité pour les travailleurs n'était pas proportionnée. La présente proposition de loi vise à tirer les conséquences de ces décisions, point sur lequel nous reviendrons.
Au préalable, il me faut préciser l'état du droit en vigueur concernant le bénéfice des prestations sociales « de droit commun » pour les ressortissants étrangers.
Je rappelle, d'abord, que les étrangers en situation irrégulière, qui ne sont pas concernés par la présente proposition de loi, ne bénéficient d'aucune prestation sociale à l'exception de l'aide médicale d'État (AME) et de l'hébergement d'urgence. Concernant les ressortissants étrangers en situation régulière, la tendance générale est à l'accès de plein droit aux prestations sociales dès lors qu'une résidence stable, soit une présence de neuf mois consécutifs, est établie. Cette universalité de l'accès au droit est avant tout la conséquence de la déconnexion croissante entre le système de protection sociale et le travail.
Cependant, des exceptions existent déjà dans le droit en vigueur. Elles concernent notamment le revenu de solidarité active (RSA) et l'allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa). Pour ces deux prestations, la loi impose respectivement d'être titulaire d'un titre de séjour autorisant à travailler depuis cinq ans - voire quinze ans à Mayotte - pour le RSA et depuis dix ans pour l'Aspa. Cette condition de présence sur le sol national a en outre été validée par le Conseil constitutionnel en ce qui concerne le RSA, au motif que « la stabilité de la présence sur le territoire national était une des conditions essentielles à l'insertion professionnelle ».
Il faut enfin souligner la spécificité des ressortissants de pays membres de l'Union européenne qui, aux termes des traités européens, font l'objet d'une égalité de traitement avec les nationaux au regard de la protection sociale.
Dans ce contexte, la présente proposition de loi entend instaurer une durée minimale de résidence en situation régulière de deux années avant l'accès aux prestations familiales, à l'allocation personnalisée d'autonomie (APA), à l'aide personnalisée au logement et au droit au logement opposable. Il faut noter que ce périmètre exclut, par rapport au RIP dont j'ai déjà parlé, la PCH et l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé (AEEH), tant la vulnérabilité des publics concernés suppose une attention particulière. Selon les auteurs, il s'agit notamment de « préserver les conditions de bon fonctionnement des mécanismes des prestations sociales et de solidarité dans un contexte de densité particulière des flux migratoires ».
Au terme de mes travaux, j'estime que, sur le principe, la mise en place d'une durée de résidence préalable au bénéfice de prestations sociales est légitime, voire souhaitable. La protection sociale est l'expression de la solidarité nationale : conditionner son accès à une durée de présence en France, c'est au fond considérer que c'est l'appartenance au collectif et la participation à la vie de la Nation qui fondent la légitimité de cette solidarité. Sans plus m'avancer sur ce point, il me semble que cela correspond précisément à la logique d'intégration républicaine.
Au demeurant, de nombreux pays, dont les systèmes de protection sociale sont pourtant moins généreux que le nôtre, ont fait un choix analogue. Si l'exemple de l'Italie a suscité de nombreuses réactions du fait de la communication déployée par la Présidente du Conseil, il faut rappeler que c'est également le cas pour les prestations familiales à Chypre, en Irlande, au Danemark ou encore en Grèce, où les durées de résidence préalables vont d'un à cinq ans.
Avant d'en arriver aux évolutions que je vous propose, je souhaite souligner un point concernant les conséquences financières de cette proposition de loi. Il nous faut en la matière être lucides et raison garder. Nul ne pense sérieusement que ce texte aura un impact budgétaire important - ce n'est d'ailleurs pas son objectif premier. Malheureusement, les données communiquées par la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) ne permettent pas de chiffrer l'effet de la mesure, notamment parce que les systèmes d'information de la Cnaf ne renseignent pas la nationalité des allocataires.
Pour autant, environ 10 % des foyers auraient un allocataire principal possédant un titre de séjour, ce qui ne permet pas d'en déduire qu'il serait concerné par la présente proposition de loi puisqu'il est susceptible de travailler ou d'être présent depuis plus de deux ans en France.
En revanche, au cours de mes travaux, différentes problématiques me sont apparues et justifient, pour certaines d'entre elles, les propositions d'amendements que je vais vous présenter.
Un premier point concerne évidemment la constitutionnalité du dispositif. Les débats entre les universitaires sont complexes et la matière est incertaine, aussi je ne me permettrai pas d'affirmer des certitudes. Cependant, le Conseil constitutionnel se fondait sur le fait que « la condition de résidence en France d'une durée d'au moins cinq ans portait une atteinte disproportionnée aux exigences constitutionnelles ». La durée actuelle étant de neuf mois pour l'essentiel des prestations sociales, je constate que si la durée de deux ans se révélait inconstitutionnelle, alors le juge constitutionnel aurait tout aussi bien fait d'indiquer clairement qu'aucune modification de cette durée n'était possible.
Plus fondamentalement, il me semble que chacun est dans son rôle et qu'il n'appartient pas au législateur d'anticiper une interprétation, parfois créative, pour ne pas dire restrictive, du juge constitutionnel. Ma seule boussole a donc été celle du respect de la lettre de la Constitution, et c'est ce qui m'amène à vous proposer un premier amendement afin de soustraire le Dalo aux prestations concernées par la proposition de loi. Il semble que ce dernier fait l'objet d'une protection constitutionnelle plus claire et que l'accès à un logement décent constitue l'une des dimensions fondamentales du droit.
Un autre point concerne la conventionnalité de la proposition de loi, c'est-à-dire son respect des traités signés par la France - notamment dans l'ordre juridique européen -, traités qui sont supérieurs à la loi. En la matière, les services du ministère de l'intérieur ont souligné les enjeux relatifs à la directive du 13 décembre 2011 dite « permis unique ».
L'article 12 de cette directive impose aux États membres d'assurer une égalité de traitement entre les étrangers disposants d'un titre de séjour autorisant à travailler et leurs ressortissants nationaux ; il a déjà fait l'objet de sanctions de la part de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE). Pour se mettre en conformité avec cette directive, un amendement vise donc à substituer à la condition d'affiliation à la sécurité sociale au titre d'une activité professionnelle, celle d'un titre de séjour autorisant à travailler. La conséquence directe est de permettre aux étrangers disposant d'un tel titre de séjour, mais ne travaillant pas dans les faits, de bénéficier des prestations sociales concernées par la proposition de loi.
D'autres modifications d'ordre technique vous seront proposées, mais je tiens à en souligner deux qui me paraissent importantes.
Il s'agit d'abord de l'exclusion de l'allocation journalière de présence parentale (AJPP) des prestations concernées par la condition de résidence. Dans la mesure où elle bénéficie aux parents d'enfants gravement malades, accidentés ou handicapés, il m'est apparu nécessaire d'y veiller.
De même, la proposition de loi privait de base légale une exception maintenue par le législateur afin de permettre le bénéfice du RSA aux mères isolées étrangères avant la durée de cinq ans de résidence qui vaut dans le cas général. Il m'est apparu particulièrement nécessaire de maintenir cette exception.
Un dernier point doit être mentionné : il concerne l'application effective de la proposition de loi en cas d'adoption. Au cours de mes auditions, j'ai constaté que de nombreuses conventions internationales, ou accords bilatéraux, prévoyaient des clauses dites de « réciprocité ». Cela signifie concrètement que la France s'engage à traiter les ressortissants des pays partie aux traités de la même manière que ses ressortissants concernant l'accès à la sécurité sociale. Ces accords sont nombreux et difficiles à analyser, d'autant que l'Union européenne elle-même ratifie des accords d'association aux mêmes conséquences.
Il semble que de tels accords couvrent notamment les ressortissants de l'essentiel des pays du Maghreb, de la Turquie et de nombreux pays d'Afrique subsaharienne. Cela signifie concrètement que les étrangers en situation régulière de ces pays ne seraient pas concernés par le dispositif que nous examinons aujourd'hui.
Cette circonstance ne me semble pour autant pas appeler à des conclusions hâtives sur cette proposition de loi.
D'abord parce que les conventions en question peuvent être dénoncées ou amendées sur certains points, si une volonté politique suffisante existe. Je pense, notamment, aux récentes dissensions avec l'Algérie, qui posent la question d'une telle évolution.
Par ailleurs, le principe de justice qui semble à l'origine de la proposition de loi trouve, en partie, à être satisfait dans le cas d'une convention bilatérale. En effet, ces conventions assurent en retour qu'un ressortissant français habitant dans le pays partie au traité bénéficie d'un traitement non discriminatoire avec les ressortissants nationaux.
Pour toutes ces raisons, je vous invite à adopter ce texte, qui me semble traduire un objectif de justice et d'équité particulièrement attendu par nos concitoyens, avec le bénéfice des amendements que je vais vous présenter par la suite.
Pour finir, il m'appartient de vous proposer un périmètre pour l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution. Je considère que cette proposition de loi comprend des dispositions sur les conditions d'éligibilité aux prestations sociales des ressortissants étrangers.
En revanche, ne présenteraient pas de lien, même indirect, avec le texte déposé des amendements relatifs aux prestations et aides sociales spécifiques aux étrangers en situation irrégulière et aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers.
Mme Raymonde Poncet Monge. - Je passerai très vite sur la justification de cette proposition de loi, que je conteste. Il s'agit d'un « joujou idéologique », ne tenant pas compte du fait que le déterminant des personnes qui viennent en France n'est pas du tout les prestations sociales, y compris à Mayotte.
Contrairement à ce que vous avez affirmé, madame la rapporteure, le RSA à Mayotte n'est jamais passé sous les fourches caudines du Conseil constitutionnel puisqu'il s'agissait d'une ordonnance. A contrario, lorsqu'il a été proposé d'y toucher pour la Guyane, le Conseil constitutionnel ne l'a pas validé. Pourriez-vous me le confirmer ?
Vous estimez que la proportionnalité n'est qu'un problème de quantum. Nous en sommes d'ailleurs à la troisième tentative pour forcer les limites de la constitutionnalité. Or votre raisonnement tombe à l'eau : les prestations contributives visent à assurer des droits fondamentaux aux personnes qui résident en France de manière régulière. C'est à l'aune de ces droits fondamentaux - que nous connaissons tous - qu'il faut juger de la constitutionnalité de cette proposition. Vous proposez d'exclure du périmètre la PCH ou l'AEEH en raison de la vulnérabilité des publics concernés. Mais quid de l'allocation de rentrée scolaire ou du droit à un logement décent ? Les publics concernés ne sont-ils pas vulnérables ? En les privant de la solidarité nationale, ne risque-t-on pas de les précipiter dans la précarité financière ? Je préférerais plutôt une réponse prestation par prestation.
Certes, on a le droit de faire une différence entre étrangers et nationaux, mais on n'a pas le droit d'introduire une rupture d'égalité entre les étrangers. Cela nous oblige d'ailleurs à tordre les faits : l'APL, par exemple, est maintenue pour les étudiants alors que cette aide répond pour tous aux mêmes besoins fondamentaux. Tous ces points ne seront pas indifférents au Conseil constitutionnel.
Mme Élisabeth Doineau. - Je remercie Mme la rapporteure de son important travail, mais je ne la suivrai pas sur ce texte. On nous dit qu'il n'est pas question d'immigration, mais quand on relit le document, il en est question à chaque page ! Il y a une inégalité qui se crée. J'entends bien ce que l'on dit en matière d'articulation entre la proposition de loi et les conventions auxquelles la France est liée, mais au bout du compte qui le dispositif proposé concernera-t-il : les Japonais qui viennent en France ? Par ailleurs, on ignore tout des montants en jeu. Disposons-nous d'une étude sur les personnes concernées qui permette d'affirmer qu'il s'agit d'une mesure attendue par l'ensemble des Français ? Les bras m'en tombent ! Ne vaudrait-il mieux pas prendre de la hauteur pour maintenir l'égalité des chances et la liberté pour chacune et chacun d'entre nous ?
Mme Annie Le Houerou. - C'est la troisième tentative en deux ans pour restreindre les prestations sociales dont bénéficient les étrangers non ressortissants afin de lutter contre un appel d'air qui n'est pas du tout documenté. Les principaux déterminants de l'immigration ne sont pas du tout les politiques sociales du pays d'arrivée, mais son attractivité économique et la présence d'une diaspora.
Concernant la lutte contre les déficits publics, la contribution de l'immigration au budget de l'État est plutôt positive dans tous les pays, comme le rappelle l'OCDE.
Le Conseil constitutionnel, après la première tentative en 2023 lors de l'examen du projet de loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, avait estimé que la fixation d'une résidence d'au moins cinq ans était disproportionnée. Vous en tirez la conclusion aujourd'hui qu'il faut passer à deux ans. Comme justifie-t-on une telle obsession ?
Selon la commission des lois, cette proposition de loi aurait une incidence très faible puisque de nombreux accords et conventions internationales alignent les droits sociaux des étrangers extracommunautaires sur les régimes des nationaux. Avez-vous des éléments précis sur l'effet de cette loi sur nos dépenses, en particulier sociales ? Pour notre part, nous pensons que l'impact sera négatif. Le nombre d'enfants en situation de très grande pauvreté pourrait augmenter. Idem pour les personnes âgées en perte d'autonomie. Cela aura des conséquences en termes de santé, ce qui accroîtra nos dépenses.
Cette proposition de loi est un texte très populiste, qui n'apportera aucune réponse à nos difficultés et ne contribuera pas non plus à la recherche de la cohésion sociale à laquelle nous sommes attachés. Bien évidemment, nous ne le voterons pas.
M. Xavier Iacovelli. - Je remercie Mme la rapporteure de son travail. Je rejoins la position d'Élisabeth Doineau et je ne soutiendrai pas ce texte. Nous sommes tous d'accord pour lutter contre l'immigration irrégulière. Mais ici, il s'agit de personnes étrangères en situation régulière, qui travaillent pour la plupart. L'enjeu est d'opposer, non pas les étrangers aux Français, mais ceux qui travaillent à ceux qui ne travaillent pas. Pourquoi remettre en cause les aides auxquelles ont droit les personnes qui se lèvent à quatre heures du matin pour faire le ménage dans nos bureaux ? Il vaudrait mieux s'attaquer à d'autres sujets en matière de dépense publique, d'autant que, Mme la rapporteure le reconnaît elle-même, l'objectif n'est pas financier, la mesure n'affectant que très peu de personnes. Qui sera concerné, à part les Japonais, comme l'a souligné à juste titre Élisabeth Doineau, puisque le plus gros contingent - le Maghreb et l'immigration africaine subsaharienne - sera épargné en raison des conventions que nous avons signées ? Ce texte est donc un produit de communication, qui n'est pas à la hauteur du Parlement. Nous voterons donc contre.
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Nous voterons contre cette proposition de loi, qui ne m'étonne guère. Nous dirons d'ailleurs ce que nous avons à dire en séance... Permettez-moi juste de rappeler que les gens préfèrent souvent l'original à la copie ! Ce texte est contraire au principe d'égalité de traitement, exigé par nombre de traités internationaux signés par la France. Combien de personnes seront-elles concernées par la condition de deux années de résidence sur le territoire national ? Combien de bénéficiaires de l'allocation personnalisée d'autonomie seront concernés ? Au mieux, cette proposition de loi n'est que de l'affichage à l'intention d'un certain électorat. Comment allez-vous maintenir l'effectivité des prestations familiales avec des conditions aussi durcies ?
Mme Frédérique Puissat. - De nombreuses questions se posent. Je rappelle néanmoins qu'il s'agit d'une proposition de loi, non d'un projet de loi : si nous ne disposons pas toujours des éléments chiffrés, nous avons en revanche des convictions. Comme l'a souligné Mme la rapporteure, ce texte s'inscrit ni plus ni moins dans la continuité de ce que la majorité du Sénat a voté dans le cadre de l'article 19 du projet de loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration. Nous avons eu des divergences d'appréciation sur ce texte, mais je vous invite à faire preuve de davantage de respect. Valérie Boyer a eu pour seul objectif de faire preuve de cohérence politique en tenant compte de l'avis du Conseil constitutionnel. Nous nous inscrivons dans cette même logique.
M. Daniel Chasseing. - Il ne s'agit pas d'une proposition de loi extrêmement dure. J'avoue qu'il me paraît étrange de la caricaturer de la sorte. Aucun changement n'est prévu en matière de RSA, d'Aspa et d'APA. Ceux qui travaillent peuvent aussi bénéficier des prestations sociales. Il s'agit simplement d'instaurer une durée minimale de résidence en situation régulière de deux ans pour ceux qui ne travailleraient pas. Au Danemark, il faut cinq ans de résidence. Je voterai en commission en faveur de ce texte.
Mme Florence Lassarade, rapporteure. - À vrai dire, le Conseil constitutionnel a suggéré que l'on présente une durée raisonnable. Il a parlé de proportionner les choses, c'était donc un encouragement à revenir sur le sujet. En réponse à Raymonde Poncet Monge et à Annie Le Houerou, travailler ou habiter depuis deux ans sur le territoire français ne me paraît pas une condition disproportionnée pour avoir droit à ces aides contributives.
Je prends acte de la décision d'Élisabeth Doineau de ne pas soutenir cette proposition de loi. Comme je l'ai souligné dans le rapport, les chiffres font souvent défaut en France. Nous sommes ici un peu coincés, car la Cnaf ne peut pas nous communiquer de chiffres et la sécurité sociale ne connaît pas la nationalité des étrangers. C'est un problème que nous avons rencontré à l'occasion d'autres rapports, je pense notamment à celui qui portait sur la mortalité infantile dans les maternités. Nous manquons certainement de rigueur. Quand on veut mettre en place le prélèvement à la source, on a bien tous les chiffres. On devrait donc pouvoir y arriver pour le reste. MmeLe Houerou voulait également des éléments précis : je suis au regret de lui dire que nous sommes malheureusement ici dans l'imprécision.
Monsieur Iacovelli, on ne s'attaque pas aux étrangers qui travaillent puisqu'il s'agit justement d'une condition exonératoire. S'ils ne résident pas depuis au moins deux ans sur notre territoire, les étrangers doivent au moins travailler : c'est une proposition relativement raisonnable selon moi.
Cathy Apourceau-Poly m'a également demandé des chiffres, mais nous n'en avons pas. Quant aux encouragements de Mme Puissat, je rappelle que nous sommes un groupe politique qui se pose des questions sur l'établissement des étrangers en France, en essayant de dissuader ceux qui pensent que c'est open bar.
Enfin, je remercie M. Chasseing qui, avec sa sagesse habituelle, a rappelé la proportionnalité de cette proposition de loi.
Mme Brigitte Devésa. - Avons-nous une estimation chiffrée, même à la marge ?
Mme Florence Lassarade, rapporteure. - Nous n'avons pu obtenir aucun chiffre. C'est une vraie difficulté pour nous. Nous disposons d'une estimation de 10 % de bénéficiaires, mais ce taux est surestimé dans la mesure où nous savons que certains travaillent et sont parfois là depuis plus longtemps que deux ans.
Mme Brigitte Devésa. - Il aurait été intéressant de connaître l'impact de cette mesure sur les prestations sociales.
Mme Florence Lassarade, rapporteure. - S'il manque un paramètre, impossible d'effectuer le calcul.
EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE
Mme Florence Lassarade, rapporteure. - S'agissant de l'amendement de suppression COM-6, les travaux que j'ai menés me conduisent à une conclusion différente de celle de Mme Poncet Monge, son auteure principale. J'ai exposé durant la discussion générale les raisons pour lesquelles je soutiens le texte. Avis défavorable.
Mme Raymonde Poncet Monge. - Je souhaite revenir sur la notion de durée raisonnable. La proportionnalité ne se réduit pas au seul quantum. Elle dépend aussi de la réponse à deux questions. D'une part, la mesure est-elle adaptée au regard des droits fondamentaux ? D'où la nécessité d'analyser la situation prestation par prestation... D'autre part, à quelle nécessité la mesure répond-elle ? S'il s'agit d'une nécessité de cohérence politique un peu xénophobe - parce que, en définitive, ce texte revient à considérer de la même façon l'étranger en situation régulière et l'étranger en situation irrégulière -, il faut le dire !
M. Philippe Mouiller, président. - On peut ne pas être d'accord, madame Poncet Monge, mais vous allez trop loin en accusant un certain nombre de vos collègues de xénophobie. Je vous propose d'arrêter là et que nous avancions.
L'amendement COM-6 n'est pas adopté.
Mme Florence Lassarade, rapporteure. - Les amendements identiques COM-5 et COM-7 rectifié visent à supprimer le délai de résidence pour le bénéfice du droit au logement opposable.
Les amendements identiques COM-5 et COM-7 rectifié sont adoptés.
Mme Florence Lassarade, rapporteure. - Je vais présenter l'amendement COM-1 et le sous-amendement COM-8 rectifié de la commission des lois en même temps, puisque, sans plus de suspense, j'y serai favorable.
L'amendement COM-1 a pour objet de sécuriser juridiquement le dispositif relatif aux conditions d'éligibilité des allocations familiales pour les ressortissants étrangers extracommunautaires. Il remplace notamment la condition de deux ans de résidence stable en France par le fait d'être titulaire depuis deux ans d'un titre ou d'un document de séjour, afin de faciliter le contrôle effectué par les caisses de la branche famille lors de l'instruction des dossiers.
Afin de répondre aux exigences du droit européen, notamment de la directive « permis unique », il modifie la liste des exceptions rendant non-opposable la durée de résidence de deux années.
L'article L. 512-2-1 nouvellement créé substitue à la notion d'« affiliation à la sécurité sociale » celle de « titre de séjour autorisant à travailler », ce qui permet de respecter l'égalité de traitement avec les ressortissants de l'État membre de résidence en matière de protection sociale.
Le sous-amendement COM-8 de la commission des lois précise le cas des bénéficiaires de la protection temporaire, ce qui est utile.
L'amendement COM-9 reprend une partie de l'amendement que je vous propose. Je le considère donc comme satisfait.
Le sous-amendement COM-8 rectifié est adopté. L'amendement COM-1, ainsi sous-amendé, est adopté. En conséquence, l'amendement COM-9 devient sans objet.
Mme Florence Lassarade, rapporteure. - L'amendement de coordination juridique COM-2 tire la conséquence de l'amendement que nous venons d'adopter.
L'amendement COM-2 est adopté.
Mme Florence Lassarade, rapporteure. - Les amendements identiques COM-3 et COM-10 visent à repousser la date d'entrée en vigueur du présent article, afin de prendre en compte le délai d'adaptation des systèmes d'information nécessaire à la bonne mise en oeuvre du dispositif. Cette date, fixée par décret, ne peut cependant pas être postérieure au 1er juillet 2026.
Mme Raymonde Poncet Monge. - Outre le fait que nous ne connaissons pas l'impact de la mesure, sa mise en oeuvre sera très problématique. Actuellement, les étrangers en situation régulière connaissent, de fait, de nombreuses ruptures. Comment comptabiliser alors les deux ans, sauf à ouvrir des requêtes statistiques qui sont aujourd'hui interdites par la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) ?
Mme Florence Lassarade, rapporteure. - Nous avons supprimé cette difficulté sur la durée de séjour en prévoyant la présentation d'un titre de séjour.
Les amendements identiques COM-3 et COM-10 sont adoptés.
L'article unique est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Après l'article unique
L'amendement de coordination COM-4 est adopté et devient article additionnel.
La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.
TABLEAU DES SORTS
Auteur |
N° |
Objet |
Sort de l'amendement |
Article unique |
|||
Mme PONCET MONGE |
6 |
Amendement de suppression. |
Rejeté |
Mme LASSARADE, rapporteure |
5 |
Suppression du délai de résidence pour le bénéfice du droit au logement opposable. |
Adopté |
M. BITZ |
7 rect. |
Suppression du délai de résidence pour le bénéfice du droit au logement opposable. |
Adopté |
Mme LASSARADE, rapporteure |
1 |
Sécurisation juridique. |
Adopté |
M. BITZ |
8 rect. |
Précision du régime des bénéficiaires de la protection temporaire. |
Adopté |
M. BITZ |
9 |
Sécurisation juridique. |
Tombé |
Mme LASSARADE, rapporteure |
2 |
Coordination juridique. |
Adopté |
Mme LASSARADE, rapporteure |
3 |
Modification de l'entrée en vigueur. |
Adopté |
M. BITZ |
10 |
Modification de l'entrée en vigueur. |
Adopté |
Article(s) additionnel(s) après Article unique |
|||
Mme LASSARADE, rapporteure |
4 |
Amendement de coordination. |
Adopté |