B. LE CODE DE LA JUSTICE PÉNALE DES MINEURS : UN BILAN CONTRASTÉ EN DÉPIT D'INDÉNIABLES AVANCÉES

Plus de trois ans après son entrée en vigueur, le 30 septembre 2021, le code de la justice pénale des mineurs a indéniablement été l'origine de progrès. Soulignant un raccourcissement de 40 % des délais de jugement depuis 2019, une meilleure prise en considération des victimes et l'apport du nouveau dispositif de prise en charge éducative des mineurs condamnés, le rapport d'évaluation du code de la justice pénale des mineurs transmis par le Gouvernement en 2023 dresse un bilan globalement positif. De la même manière, un rapport d'information de 2023 des députés Jean Terlier et Cécile Untermaier a présenté des conclusions plutôt encourageantes, en particulier vis-à-vis de la nouvelle architecture du procès pénal des mineurs, qui « a bien permis de concilier l'objectif de célérité de la justice, d'indemnisation rapide des victimes et de bonne prise en charge des mineurs délinquants »3(*). Il a précisé que « celle-ci implique toutefois un bouleversement des pratiques des professionnels et de nouvelles exigences, pour lesquelles les moyens mis à disposition sont insuffisants ».

Si les auditions du rapporteur ont pour l'essentiel confirmé cette appréciation positive, la vigilance reste de mise, ne serait-ce qu'en raison des difficultés matérielles éprouvées par les juridictions pour respecter les délais fixés par le code, du nombre limité de places disponibles en milieu ouvert et du manque de moyens récurrent de la protection judiciaire de la jeunesse pour mettre effectivement en oeuvre les mesures éducatives prescrites.

C. UNE ÉVALUATION MISE À MAL PAR UN MANQUE CRIANT DE STATISTIQUES

Outre ces éléments généraux, l'évaluation de l'efficacité du code de la justice pénale des mineurs se heurte à l'absence - difficilement compréhensible - de statistiques permettant de connaître avec précision le taux de recours à certains des outils et procédures qu'il prévoit.

Le rapporteur a ainsi pu constater, au cours de ses travaux, que le ministère de la justice ne disposait pas des chiffres requis pour apprécier l'impact des dispositifs juridiques actuels, ni a fortiori pour estimer les conséquences des évolutions prévues par la présente proposition de loi. Ce constat n'a rien d'étonnant, ni de nouveau : il converge en effet avec les conclusions des rapports pour avis de la commission des lois, dans le cadre de l'examen des lois de finances, sur les crédits de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). À cette occasion, Laurence Harribey a notamment mis en lumière les difficultés de déploiement (et même le « naufrage ») du logiciel Parcours, qui a vocation à doter à terme la PJJ des moyens d'un suivi statistique qu'elle n'a pas aujourd'hui la capacité d'assurer.

Le déploiement du logiciel Parcours

Extraits du rapport pour avis de Laurence Harribey4(*)

Depuis plusieurs années déjà, la commission des lois profite de son avis budgétaire sur les crédits de la PJJ pour établir un point d'étape sur l'avancée du déploiement de l'applicatif PARCOURS.

Celui-ci doit permettre, à terme, d'atteindre un objectif dont on pourrait s'étonner qu'il ne soit pas acquis en l'état : assurer le suivi de tous les mineurs confiés à la PJJ, en recensant tous les actes pris à leur égard par l'ensemble des acteurs compétents (magistrats, associations du SAH, éducateurs et personnels administratifs), y compris en ce qui concerne leur suivi en réinsertion à la sortie des services et établissements de la PJJ.

Initié en 2019, le projet reste à ce jour inabouti et insatisfaisant ; il s'avère par ailleurs extraordinairement coûteux, au point que l'on peut s'interroger sur le degré de lucidité du ministère de la justice quant à la déroute dans laquelle il semble engagé.

En effet, alors que la première version de PARCOURS a été mise en service en mai 2021, il semble que, depuis cette date, le projet ne parvienne pas à progresser.

PARCOURS reste, en premier lieu, incomplet à deux égards :

il n'est accessible qu'aux personnels du secteur public - ce qui exclut les personnels du SAH. Or, en l'absence d'une couverture complète des établissements et structures de la PJJ, les données relatives aux jeunes suivis par le secteur associatif habilité doivent être « re-saisies » par des agents du secteur public, ce qui constitue une lacune importante sur le plan quantitatif, impose aux équipes une tâche chronophage et peu gratifiante et crée mécaniquement le risque d'erreurs dans la retranscription des informations transmises. Pour combler cet angle mort, l'ouverture de PARCOURS aux personnels du SAH - initialement prévue pour la fin du premier semestre 2022 et sans cesse reportée depuis lors - avait été annoncée pour 2024. Le ministère ayant préféré garder le silence sur ce sujet dans le cadre ses réponses au questionnaire budgétaire, la rapporteure a interrogé les représentants du SAH au cours de leur audition. Ceux-ci ont non seulement confirmé qu'ils n'avaient toujours pas accès à PARCOURS, mais surtout indiqué que malgré leurs sollicitations, ils restaient en attente de réponses de la DPJJ quant à la nécessité d'acquérir, ou non, le matériel requis pour garantir l'interconnexion entre le logiciel et leurs systèmes d'information. La situation semble donc au point mort, ce qui est particulièrement préoccupant ;

- ensuite, la centralisation et l'analyse des données renseignées dans PARCOURS supposent la mise en place d'un nouvel infocentre « InfoDPJJ » qui ne sera opérationnel qu'à l'aboutissement du travail, toujours en cours, de reprise des bases de données depuis 2004. Plusieurs fois présenté comme imminent, l'achèvement de ce travail est désormais prévu pour la fin 2024. En 2025, le contenu de l'infocentre devra être complété des données relatives aux parcours scolaires et d'insertion, ainsi qu'au partenariat Justice / Armée, ce qui doit permettre le calcul des « indicateurs politiques prioritaires du gouvernement ».

La phase suivante du projet a été mise en développement en 2023. Néanmoins, il n'est pas possible, au vu des éléments transmis par le gouvernement, de comprendre ou d'analyser les étapes à venir [...] - ce qui semble confirmer les conclusions de la Cour des comptes : celle-ci avait estimé que, toutes choses égales par ailleurs, PARCOURS ne serait pas déployé avant 20325(*).

PARCOURS présente, en deuxième lieu, un fonctionnement peu satisfaisant pour ses utilisateurs. Les organisations syndicales ont unanimement décrit un outil informatique peu intuitif, inutilement lourd (il impose par exemple de renseigner les arrivées et les départs, aucune interconnexion avec les bases RH du ministère n'étant opérationnelle ; à défaut, les statistiques se trouvent intégralement faussées) et davantage pensé pour dimensionner les plafonds d'emplois dans les structures et établissements de la PJJ que pour contribuer au bon suivi des mineurs et de leurs particularités. De son côté, le ministère concède pudiquement que « [le] déploiement [de PARCOURS] nécessite un accompagnement soutenu des professionnels et des mises à jour permanentes » et que « sa fiabilisation sera indispensable pour rendre compte de la réalité des parcours des mineurs et de l'efficacité de la mission, mais également pour allouer des moyens humains et budgétaires adaptés ».

La mention de « mises à jour permanentes » et d'une nécessaire « fiabilisation » n'est pas de nature à rassurer sur la solidité de l'outil.

PARCOURS est, enfin, un projet particulièrement onéreux, et qui menace désormais de se transformer en gouffre financier. Estimé à 10 millions l'année passée par la rapporteure, le coût du chantier s'élève en réalité, à ce jour, à près du double.

Au-delà même de l'absence d'un outil statistique spécifique à la protection judiciaire de la jeunesse, le rapporteur relève qu'il ne lui a pas été possible d'obtenir des chiffres sur des éléments pourtant essentiels pour apprécier la pertinence d'une éventuelle réforme du code de la justice pénale des mineurs, à l'instar du nombre de cas où les juridictions ont écarté l'atténuation de la responsabilité pénale d'un mineur (c'est-à-dire le recours à l'« excuse de minorité »), du nombre de placements de mineurs en détention provisoire ou encore du nombre de mineurs éligibles à des dispositifs spécifiques (dérogation à la « césure », par exemple) car déjà connus de la justice et ayant fait l'objet d'un rapport éducatif datant de moins d'un an.


* 3 Assemblée nationale, Rapport d'information n° 1000 (2023-2024) de Jean Terlier et Cécile Untermaier sur l'évaluation de la mise en oeuvre du code de la justice pénale des mineurs, 22 mars 2023.

* 4 Rapport n° 150 (2024-2025) sur les crédits de la PJJ pour 2025.

* 5  Observations définitives de la Cour des comptes sur les centres éducatifs fermés et les établissements pénitentiaires pour mineurs, rendues publiques en juillet 2023. Lors de son audition, le ministre de la justice a indiqué souhaiter que le projet aboutisse en 2025, ce qui apparaît parfaitement irréaliste et constitue une source de préoccupation supplémentaire quant au pilotage du projet.

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