N° 468

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025

Enregistré à la Présidence du Sénat le 19 mars 2025

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires économiques (1) sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée,
contre toutes les fraudes aux aides publiques,

Par M. Olivier RIETMANN,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente ; MM. Alain Chatillon,
Daniel Gremillet, Mme Viviane Artigalas, MM. Franck Montaugé, Franck Menonville, Bernard Buis, Fabien Gay,
Pierre Médevielle, Mme Antoinette Guhl, M. Philippe Grosvalet, vice-présidents ; MM. Laurent Duplomb, Daniel Laurent, Mme Sylviane Noël, M. Rémi Cardon, Mme Anne-Catherine Loisier, secrétaires ; Mme Martine Berthet, MM. Yves Bleunven, Michel Bonnus, Denis Bouad, Jean-Marc Boyer, Jean-Luc Brault, Frédéric Buval, Henri Cabanel, Alain Cadec, Guislain Cambier, Mme Anne Chain-Larché, MM. Patrick Chaize, Patrick Chauvet, Pierre Cuypers, Éric Dumoulin, Daniel Fargeot, Gilbert Favreau, Mmes Amel Gacquerre, Marie-Lise Housseau, Brigitte Hybert, Annick Jacquemet, Micheline Jacques, MM. Yannick Jadot,
Gérard Lahellec, Vincent Louault, Mme Marianne Margaté, MM. Serge Mérillou, Jean-Jacques Michau, Sebastien Pla,
Christian Redon-Sarrazy, Mme Évelyne Renaud-Garabedian, MM. Olivier Rietmann, Daniel Salmon, Lucien Stanzione,
Jean-Claude Tissot.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (17ème législ.) :

447, 633 et T.A. 32

Sénat :

274, 453 et 469 (2024-2025)

L'ESSENTIEL

Réunie le mercredi 19 mars 2025, la commission des affaires économiques a adopté la proposition de loi contre toutes les fraudes aux aides publiques, dans sa version enrichie de 16 amendements proposés par le rapporteur Olivier Rietmann. Elle a également adopté, dans leur version modifiée, les articles 2, 2 bis, 2 ter, 2 quater, 3 bis C, 3 ter et 3 quater délégués au fond à la commission des finances.

Adoptée par l'Assemblée nationale le 27 février dernier, cette proposition de loi vise à doter les administrations et les organismes publics de meilleurs outils pour lutter plus efficacement contre les fraudes aux aides publiques, plus spécifiquement dans les secteurs de la rénovation et de l'efficacité énergétiques, particulièrement sujets aux montages frauduleux.

La commission a eu à coeur de renforcer l'efficacité et le champ du dispositif de lutte anti-fraude proposé, en renforçant les pouvoirs de contrôle et de sanction ainsi que les échanges d'informations entre les acteurs.

I. UNE PROPOSITION DE LOI BIENVENUE, MAIS PERFECTIBLE, AFIN DE LUTTER CONTRE LA RECRUDESCENCE DES CAS DE FRAUDE

Composée de 15 articles dans sa rédaction issue des travaux de l'Assemblée nationale, la proposition de loi entend lutter contre la fraude aux aides publiques, notamment dans les domaines de la rénovation et de l'efficacité énergétiques.

 
 
 
 

d'anomalies dans les établissements contrôlés en 2023 dans le secteur de la rénovation énergétique

signalements sur SignalConso
dans le secteur
de la rénovation énergétique en 2023

de fraudes aux C2E estimés en 2023

dépôts de plaintes
ou signalements de l'Anah en 2024,
en hausse + 125
par rapport à 2022

A. DOTER LES ADMINISTRATIONS DE POUVOIRS DE SUSPENSION ET DE REJET DES DEMANDES EN CAS DE SUSPICION DE FRAUDE

L'article 1er de la proposition de loi introduit un pouvoir de suspension pendant trois mois de l'instruction d'une aide publique en cas de suspicion de fraude, complétée d'une possibilité de rejet de l'aide en raison d'un manquement délibéré ou d'une manoeuvre frauduleuse. Cette « mesure-balai », applicable aux administrations qui ne sont pour l'instant pas régies par des dispositions spécifiques, est saluée par ces dernières, car elle leur apporte de la sécurité juridique face aux éventuels recours contentieux contre leurs décisions. L'article 1er bis relève, quant à lui, les taux de pénalités applicables aux sommes à restituer par les fraudeurs.

B. PROTÉGER LE CONSOMMATEUR DES COMPORTEMENTS FRAUDULEUX D'ENTREPRISES EXERÇANT EN LIEN AVEC DES AIDES PUBLIQUES

Les articles 3, 3 bis A, 3 bis B et bis de la proposition de loi visent à :

 

introduire une sanction pour défaut d'enregistrement des artisans au registre national des entreprises

 

interdire le démarchage téléphonique sans consentement du consommateur

 

interdire le démarchage électronique (SMS, MMS, emails, messages sur les réseaux sociaux...) pour la rénovation énergétique et l'adaptation des logements

 

renforcer l'information contractuelle du consommateur concernant la sous-traitance et la détention de labels conditionnant l'accès à des aides publiques, comme le label RGE, indispensable pour bénéficier de Ma Prime Rénov'

 

donner à la DGCCRF le pouvoir de suspendre le signe de qualité ou le label lorsqu'elle constate une pratique commerciale trompeuse ou agressive

 

renforcer l'information de la DGCCRF et des organismes de certification concernant les interventions des diagnostiqueurs et consacrer l'annuaire des diagnostiqueurs certifiés

 

mieux encadrer l'activité des mandataires pour le compte des bénéficiaires des aides à la pierre de l'Anah et de Ma Prime Rénov'

C. RENFORCER LES CONTRÔLES ET LES SANCTIONS EN MATIÈRE D'EFFICACITÉ ÉNERGÉTIQUE

L'article 4 propose de renforcer les contrôles et les sanctions en matière de certificats d'économies d'énergie (C2E). Les C2E consistent en des dispositifs de soutien parapublics, par lesquels des personnes obligées (les fournisseurs d'énergie notamment) ou éligibles (les collectivités territoriales notamment) financent de manière directe ou indirecte (via un délégataire ou un mandataire) des opérations de rénovation ou d'efficacité énergétiques auprès des particuliers ou des entreprises.

Représentant un montant d'investissement annuel de 5 Mds€, ils ont fait l'objet, en 2023, de 100 000 contrôles en amont et de 10 000 contrôles en aval par le Pôle national des certificats d'économies d'énergie (PNCEE). La fraude aux C2E atteindrait 280 M€ cette même année : 100 M€ en amont et 80 M€ en aval, auxquels s'ajouteraient 100 M€ de cas non-détectés. Quant aux sanctions, 20 sont généralement publiées chaque année au Journal officiel ; elles ont conduit à des annulations, pour 20 M€, et à des amendes, pour 9 M€.

Dans ce contexte, l'article permet de moduler les C2E en fonction d'un reste à charge minimal, afin de revoir certains forfaits ou certaines primes, dans la mesure où les opérations pour lesquelles ce reste à charge est nul (comme les rénovations « à 1 euro ») ont donné lieu à de nombreux cas de fraudes.

S'agissant des contrôles, l'article institue de nouveaux dispositifs d'attestation, de vérification, d'autorisation et de suspension. L'enjeu est notamment de renforcer les contrôles en amont de la délivrance des C2E.

Concernant les sanctions, l'article relève les sanctions pécuniaires encourues à 10 % du chiffre d'affaires, voire 12 % en cas de récidive. L'objectif est notamment de renforcer les sanctions sur l'ensemble de la chaîne, de l'achat à la vente des C2E.

Quant à l'article 5, il prévoit d'autoriser les contrôles visuels à distance (CVAD) de ces C2E, en mêlant un dispositif pérenne et un dispositif expérimental.

II. LES APPORTS DE LA COMMISSION : UN RENFORCEMENT DE L'EFFICACITÉ DU DISPOSITIF ANTI-FRAUDE

Pour mener à bien ses travaux, le rapporteur a organisé 10 auditions1(*) et reçu 27 contributions, lui permettant ainsi de recueillir le point de vue de l'ensemble des parties prenantes. En définitive, il a présenté 16 amendements visant à conforter, dans son principe et ses modalités, la proposition de loi tout en renforçant son caractère opérationnel.

A. DES MESURES GÉNÉRALES RENFORÇANT L'EFFICACITÉ DU DISPOSITIF DE LUTTE ANTI-FRAUDE ET LA PROTECTION DU CONSOMMATEUR

La commission a souhaité conforter le pouvoir de suspension des administrations en cas de suspicion de fraudes : afin de leur donner un temps suffisant pour infirmer ou confirmer la manoeuvre frauduleuse, elle a rendu renouvelable le délai de suspension de trois mois.

La commission estime que le défaut d'immatriculation au RNE est fréquemment révélateur de comportements frauduleux, traduisant l'absence des qualifications nécessaires pour exercer l'activité choisie ou un contournement d'une interdiction de gérer. Elle a donc étendu au-delà des seuls artisans la sanction pour défaut d'immatriculation au RNE.

En matière de protection du consommateur, la commission a maintenu l'interdiction du démarchage par voie électronique pour la rénovation des logements et l'interdiction du démarchage téléphonique, dont elle souligne la paternité sénatoriale, le dispositif reprenant la proposition de loi du sénateur Pierre-Jean Verzelen adoptée à l'unanimité par le Sénat le 14 novembre 2024. Elle a également précisé qu'un contrat conclu sans information du consommateur sur la sous-traitance est nul. Afin de traiter les anomalies ne traduisant pas nécessairement une volonté de frauder, mais aussi une méconnaissance de la règlementation, la commission a introduit une possibilité pour la DGCCRF d'enjoindre les professionnels à suivre une formation relative au droit de la consommation.

La commission a adopté deux articles additionnels renforçant les pouvoirs d'enquête ainsi que les suites données aux contrôles de la DGCCRF, notamment en instaurant une anonymisation des agents pour les protéger des menaces, en élargissant leur droit d'utiliser une identité d'emprunt en ligne et de recourir à une personne qualifiée dans les enquêtes ainsi qu'en renforçant la publicité des sanctions, dans une logique de « name and shame ».

B. DES MESURES LIÉES À LA RÉNOVATION ÉNERGÉTIQUE

La commission a souhaité permettre à la DGCCRF de suspendre le label RGE non seulement en cas de pratiques commerciales trompeuses, agressives et d'abus de faiblesses, mais aussi de tromperie. De même, elle a souhaité lui donner la possibilité d'interdire à une entreprise, dont le label a été retiré par l'organisme de qualification, de candidater à tout label ou signe de qualité pour une durée jusqu'à cinq ans, conformément aux recommandations de la commission d'enquête sénatoriale de 2023 sur l'efficacité des politiques publiques en matière de rénovation énergétique.

Elle a également étendu les cas dans lesquels la DGCCRF peut retirer l'agrément « Mon Accompagnateur Rénov' ». Afin de mieux prévenir et lutter contre les usurpations des numéros de certifications des diagnostiqueurs, elle a renforcé l'articulation entre l'annuaire des diagnostiqueurs et l'observatoire DPE-Audits. Enfin, elle a renforcé les échanges d'informations entre la DGCCRF, l'Ademe, l'Anah et les organismes de qualification.

C. DES MESURES LIÉES À L'EFFICACITÉ ÉNERGÉTIQUE

À l'article 4, le rapporteur a présenté un amendement pour renforcer les contrôles et les sanctions en matière de C2E.

Tout d'abord, il prévoit que les C2E puissent être modulés en fonction, non seulement du reste à charge minimal, mais aussi du temps de retour sur investissement.

De plus, l'amendement renforce les sanctions prévues : d'une part, en faisant référence au volume de l'opération, plutôt qu'au volume du manquement, dans l'ensemble des sanctions recherchées et, d'autre part, en appliquant ces sanctions aux nouveaux dispositifs d'attestation et de vérification.

Autre point, il permet que les personnes éligibles puissent, comme les personnes obligées, continuer à accéder au registre national des C2E. Il propose également que la suspension des délais d'instruction, à l'occasion d'une demande de vérification, soit fixée au cas par cas par la mise en demeure, plutôt que de manière générale par la loi.

Enfin, il prévoit qu'un décret définisse la fonction de mandataire, aux côtés de celle de délégataire, et la notion d'incomplétude pouvant donner lieu à des sanctions.

À l'article 5, le rapporteur a présenté un amendement pour sécuriser les CVAD des C2E.

Sur la forme, il propose une rédaction simplifiée, en conservant le dispositif pérenne, mais non celui expérimental, et en renvoyant à un unique arrêté d'application.

Sur le fond, il offre une disposition consolidée, en appliquant un délai de six ans, plutôt que de cinq, pour la conservation des photos et des vidéos réalisées dans ce cadre.

Au-delà des articles initiaux, le rapporteur a proposé deux amendements créant :

· un article 6 facilitant l'échange d'informations entre la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGRRCF) et la Commission de régulation de l'énergie (CRE), à la demande de ces organismes ;

· un article 8 facilitant le contrôle à distance des fraudes aux compteurs communicants par Enedis et GrDF, cette disposition convenant à ces acteurs ainsi qu'à la CRE et au Médiateur national de l'énergie (MNE).


* 1 Agence nationale de l'habitat (Anah), Agence de l'environnement de la maîtrise de l'énergie (Ademe), Agence des services de paiements (ASP), Commission de régulation de l'énergie (CRE), Direction générale de l'énergie et du climat (DGEC), Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), professionnels de la rénovation ou de l'efficacité énergétiques.

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