N° 482

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025

Enregistré à la Présidence du Sénat le 26 mars 2025

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à renforcer la lutte contre les violences sexuelles et sexistes,

Par Mmes Elsa SCHALCK et Dominique VÉRIEN,

Sénatrices

(1) Cette commission est composée de : Mme Muriel Jourda, présidente ; M. Christophe-André Frassa, Mme Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Marc-Philippe Daubresse, Jérôme Durain, Mmes Isabelle Florennes, Patricia Schillinger, Cécile Cukierman, MM. Dany Wattebled, Guy Benarroche, Michel Masset, vice-présidents ; M. André Reichardt, Mmes Marie Mercier, Jacqueline Eustache-Brinio, M. Olivier Bitz, secrétaires ; M. Jean-Michel Arnaud, Mme Nadine Bellurot, MM. François Bonhomme, Hussein Bourgi, Mme Sophie Briante Guillemont, M. Ian Brossat, Mme Agnès Canayer, MM. Christophe Chaillou, Mathieu Darnaud, Mmes Catherine Di Folco, Françoise Dumont, Laurence Harribey, Lauriane Josende, MM. Éric Kerrouche, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Audrey Linkenheld, MM. Alain Marc, David Margueritte, Hervé Marseille, Mme Corinne Narassiguin, M. Paul Toussaint Parigi, Mmes Anne-Sophie Patru, Salama Ramia, M. Hervé Reynaud, Mme Olivia Richard, MM. Teva Rohfritsch, Pierre-Alain Roiron, Mme Elsa Schalck, M. Francis Szpiner, Mmes Lana Tetuanui, Dominique Vérien, M. Louis Vogel, Mme Mélanie Vogel.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (17ème législ.) :

669, 845 et T.A. 34

Sénat :

279 et 483 (2024-2025)

L'ESSENTIEL

Déposée en décembre 2024, la proposition de loi d'Aurore Bergé et plusieurs de ses collègues visant à renforcer la lutte contre les violences faites aux femmes et aux enfants, devenue proposition de loi visant à renforcer la lutte contre les violences sexuelles et sexistes a été adoptée par l'Assemblée nationale le 28 janvier 2025.

Ce texte ambitieux, initialement consacré exclusivement à une réforme de la prescription des infractions sexuelles (imprescriptibilité civile pour les mineurs et application d'une prescription « glissante » pour les majeurs) et à une intégration aux violences psychologiques de précisions inspirées du concept sociologique de contrôle coercitif, traite désormais également des circonstances aggravantes encourues en cas de viol et des modalités de la garde à vue en cas de commission de certains crimes.

À l'initiative des rapporteures, Elsa Schalck et Dominique Vérien, la commission des lois a adopté ce texte en y apportant de nombreuses modifications destinées à en renforcer la sécurité juridique et à en garantir la pleine effectivité.

I. L'AUGMENTATION TENDANCIELLE DE LA RÉPONSE PÉNALE EN MATIÈRE DE VIOLENCES SEXUELLES

La spécificité des violences sexuelles et des violences commises au sein des couples conduit régulièrement le législateur à intervenir pour faciliter la poursuite et la répression des infractions pénales associées et, plus largement, la protection des victimes. Aux yeux de nombreux observateurs, les évolutions sociétales survenues depuis 20101(*), et plus encore depuis le mouvement #MeToo, ont conduit à l'avènement d'un « droit pénal de la conjugalité »2(*) qui contribue, en matière civile comme en matière pénale, à faire progresser la lutte contre les violences sexistes.

C'est dans ce contexte d'amélioration générale de la prise en compte judiciaire des infractions de nature sexuelle et des violences commises au sein des couples, et parfois sous l'effet de faits d'actualité dramatiques, qu'ont émergé des débats de société sur deux enjeux majeurs :

- la notion sociologique de « contrôle coercitif », qui connaît une popularisation et une prise en compte judiciaire croissantes ;

- les circonstances aggravantes du viol, dont l'affaire dite des « viols de Mazan » a montré qu'elles ne suffisaient pas toujours, dans leur forme actuelle, à rendre compte de la gravité sociale des faits commis.

A. UNE MEILLEURE RÉPRESSION DES INFRACTIONS SEXUELLES, PORTÉE PAR LA LIBÉRATION DE LA PAROLE DES VICTIMES

Malgré des progrès incontestables pour mieux les prévenir et les punir, ceux-ci ne doivent pas masquer un constat préoccupant : les violences sexuelles et les violences commises au sein des couples demeurent un phénomène massif et sous-déclaré. La direction nationale de la police judiciaire indiquait à ce titre, au cours de son audition devant les rapporteures, que seuls 6 % des faits de violence sexuelle physique donnaient lieu à un dépôt de plainte.

Sans négliger ces difficultés, que les enquêteurs tentent de combler au moyen de formations spécifiques pour le recueil des plaintes et le développement - encore trop embryonnaire - de dispositifs d'« aller-vers » les victimes, les statistiques transmises aux rapporteures témoignent de l'efficacité grandissante de la répression en matière de violences intrafamiliales. Le nombre des condamnations prononcées en matière de violences conjugales a ainsi augmenté de 136 % entre 2017 et 2023 (250 % pour les condamnations survenues à la suite de défèrements), et le poids de ces violences dans l'activité des juridictions correctionnelles a plus que doublé, passant de 4,1 % à 9,1 %3(*).

De même, entre 2020 et 2023, les poursuites pour viol aggravé ont connu une augmentation (certes moins marquée, mais nette) de 31 %, avec une croissance préoccupante du nombre d'affaires considérées comme « non poursuivables » (2 948 en 2020 contre 5 012 en 2023) : ces chiffres semblent refléter non seulement une libération de la parole des victimes mais aussi, peut-être, le fait que cette libération a pu concerner des faits anciens, par nature exposés à davantage de difficultés probatoires.

Cette amélioration de la répression ne doit pas masquer le nombre toujours élevé des faits de violence conjugale et/ou sexuelle. Comme le rappelle la députée Maud Bregeon dans son rapport sur la présente proposition de loi4(*), les forces de sécurité intérieure ont recensé 114 135 victimes de violences sexuelles en 2023, celles-ci étant principalement des femmes (85 %), dont la majorité sont des mineures (57 %), et les mis en cause étant à 96 % des hommes. Un diagnostic analogue peut être fait s'agissant des violences commises par un partenaire ou ex-partenaire : les services de police et de gendarmerie dénombrent 271 263 faits en 2023, avec là encore une majorité de femmes victimes (85 %) et d'hommes mis en cause (86 %).


* 1 Et notamment depuis la loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants.

* 2 Pour reprendre l'expression employée par Ariane Amado, docteure en droit privé et en sciences criminelles, au cours de son audition par les rapporteures.

* 3 Source : direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la justice.

* 4 Rapport n° 845, XVIIe législature.

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