N° 560

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025

Enregistré à la Présidence du Sénat le 30 avril 2025

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur la proposition de loi, adoptée avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, visant à réduire
et à
encadrer les frais bancaires sur succession,

Par M. Hervé MAUREY,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Bruno Belin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Michel Canévet, Emmanuel Capus, Thierry Cozic, Thomas Dossus, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Stéphane Sautarel, Pascal Savoldelli, vice-présidents ; Mmes Marie-Carole Ciuntu, Frédérique Espagnac, MM. Marc Laménie, Hervé Maurey, secrétaires ; MM. Pierre Barros, Arnaud Bazin, Grégory Blanc, Mmes Florence Blatrix Contat, Isabelle Briquet, M. Vincent Capo-Canellas, Mme Marie-Claire Carrère-Gée, MM. Raphaël Daubet, Vincent Delahaye, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Rémi Féraud, Stéphane Fouassin, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Raymond Hugonet, Éric Jeansannetas, Christian Klinger, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Victorin Lurel, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Olivier Paccaud, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Georges Patient, Jean-François Rapin, Mme Ghislaine Senée, MM. Laurent Somon, Christopher Szczurek, Mme Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel.

Voir les numéros :

Première lecture : 2056, 2204 et T.A. 246

Deuxième lecture : 158, 632 et T.A. 14

Première lecture : 374, 575, 576 et T.A. 125 (2023-2024)

Deuxième lecture : 179 et 561 (2024-2025)

L'ESSENTIEL

La commission des finances, réunie le 7 mai 2024, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, avait adopté avec modifications, sur le rapport de M. Hervé Maurey, en première lecture, la proposition de loi n° 374 (2023-2024) visant à réduire et à encadrer les frais bancaires sur succession, déposée à l'Assemblée nationale le 16 janvier 2024 par Mme Christine Pirès Beaune.

La commission avait ainsi adopté deux amendements du rapporteur :

· l'amendement COM-3, qui procédait à une réécriture globale de l'article 1er, afin notamment de clarifier la structuration du dispositif, de le préciser, de mieux encadrer le renvoi au décret d'application et de prévoir expressément le contrôle par les agents de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) et de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) ;

· l'amendement COM-4, qui adaptait la rédaction de l'article 2, relatif à une demande de rapport d'évaluation.

En séance publique, le Sénat a confirmé les propositions de la commission et adopté trois amendements supplémentaires, présentés par le rapporteur, visant à préciser certains éléments du dispositif d'encadrement des frais bancaires sur succession et plus particulièrement :

· les conditions d'application du cas de gratuité relatif aux successions les plus simples ;

· la date d'entrée en vigueur du dispositif.

En deuxième lecture, l'Assemblée nationale a introduit plusieurs précisions concernant notamment, d'une part, la liste des produits d'épargne réglementée exclus de l'application du dispositif d'encadrement et, d'autre part, les conditions d'application du cas de gratuité pour les successions les plus simples.

Au-delà de ces modifications, l'Assemblée nationale a conservé l'essentiel des apports du Sénat en première lecture, en particulier :

· l'introduction d'un plafonnement des frais à 1 % du montant total des soldes des comptes et de la valorisation des produits d'épargne du défunt pour les cas non couverts par la gratuité ;

· l'énumération au niveau législatif des critères d'appréciation de la complexité des opérations délimitant le champ d'application du cas de gratuité relatif aux successions les plus simples.

I. LES FRAIS APPLIQUÉS AU TITRE DES OPÉRATIONS DE SUCCESSION CONNAISSENT UNE FORTE HÉTÉROGÉNÉITÉ QUI N'A PU ÊTRE RÉSOLUE PAR LA CONCLUSION D'UN ACCORD ENTRE LES ACTEURS

A. EN L'ABSENCE DE CADRE LÉGAL SPÉCIFIQUE, LES FRAIS ACTUELLEMENT APPLIQUÉS AU TITRE DES OPÉRATIONS DE SUCCESSION SE DISTINGUENT PAR LEUR OPACITÉ, UN COÛT ÉLEVÉ ET UNE DISPARITÉ CERTAINE

Les frais appliqués par les établissements teneurs de comptes au titre des opérations liées aux successions sont évalués en France à un montant annuel total d'environ 125 millions d'euros, voire 200 millions d'euros selon une estimation haute (soit au plus 1 % du total des frais bancaires, compris entre 20 et 25 milliards d'euros par an).

Ces frais se caractérisent par leur opacité, un niveau élevé et une disparité marquée, liés à leur nature très spécifique. D'une part, en raison de leur caractère ponctuel, ceux-ci ne font pas l'objet d'une attention particulière de la part des consommateurs. D'autre part, et plus fondamentalement, les successibles, qui en assument la charge en pratique, sont dans l'impossibilité de mettre en concurrence les établissements pour les services associés. Dans ce contexte, les établissements peuvent pratiquer des tarifs très variables, y compris parfois relativement décorrélés de la réalité des coûts supportés.

Selon une étude de l'UFC Que Choisir de février 2024, les frais bancaires acquittés par les héritiers pour une succession de 20 000 euros s'échelonnent entre 80 euros et 527,50 euros. Toutes banques confondues, ces frais s'élevaient à 291 euros en moyenne en 2023, en hausse de 25 % par rapport à 2021 et de 50 % par rapport à 2012. Les frais facturés en France seraient ainsi près de trois fois supérieurs à ceux pratiqués en Belgique et en Italie et même près de quatre fois plus élevés qu'en Espagne.

Si la réalité des opérations effectuées par les établissements de crédit ne saurait être contestée, la justification exacte de ces opérations, tout comme l'importance des coûts associés, apparaissent peu évidentes.

D'après le Conseil supérieur du notariat (CSN), les opérations effectuées par les banques dans le cadre des successions, mises en avant pour justifier les frais appliqués, seraient même en partie redondantes avec les actions réalisées par les notaires.

B. ALORS QUE DE NOMBREUSES INITIATIVES PARLEMENTAIRES ONT APPELÉ À LA RÉGULATION DES FRAIS BANCAIRES SUR SUCCESSION, L'ACCORD DE PLACE PROMIS PAR LE GOUVERNEMENT N'A PAS ABOUTI

1. Plusieurs initiatives parlementaires ont défendu un encadrement des frais bancaires sur succession, sans recueillir le soutien du Gouvernement

La question des frais bancaires sur succession a fait l'objet d'une forte médiatisation à la suite de l'émotion créée par le cas de parents qui s'étaient vus réclamer des frais de 138 euros pour clôturer le livret A de leur enfant de 8 ans décédé en mai 2021. Elle a suscité un certain nombre de réactions parlementaires dans la période récente.

Plusieurs questions écrites ont ainsi interpellé l'exécutif. Dès novembre 2021, M. Hervé Maurey, rapporteur, a attiré l'attention du ministre Bruno Le Maire sur ce sujet, l'interrogeant sur les mesures qu'il comptait prendre pour remédier aux difficultés observées. Dans sa réponse de janvier 2022, le ministre indiquait avoir demandé à ses services, en consultation avec les acteurs bancaires, d'examiner des pistes de réforme en la matière. Celui-ci précisait que le Gouvernement était déterminé à ce que « une solution soit rapidement dégagée dans le cadre des instances de concertation de Place ».

Face à l'absence de « solution rapidement dégagée », M. Hervé Maurey a déposé en janvier 2022 la proposition de loi n° 309 (2021-2022) visant à encadrer les frais bancaires sur succession, qui prévoyait que ces frais devaient être « en rapport avec les coûts réellement supportés ». En septembre, le ministre de l'économie et des finances assurait dans un courrier vouloir faire évoluer les pratiques des banques « d'ici le début de l'automne ».

Dans ce contexte, et en l'absence de toute avancée, deux amendements identiques, respectivement déposés par M. Hervé Maurey et par Mme Vanina Paoli-Gagin, ont été adoptés par le Sénat en janvier 2023 sur la proposition de loi n° 46 (2022-2023) tendant à renforcer la protection des épargnants, et ce malgré l'avis défavorable donné par le Gouvernement. Ces amendements instituaient, d'une part, une gratuité pour les comptes inférieurs à 5 000 euros bénéficiant de la procédure de clôture simplifiée, et, d'autre part, dans les cas non couverts par cette gratuité, un plafonnement à 1 % du montant total des sommes détenues par l'établissement, dans la limite d'un plafond fixé par arrêté du ministre chargé de l'économie.

Lors de l'examen de ces amendements, le ministre délégué Jean-Noël Barrot annonçait la conclusion sous un mois d'un « accord de place engageant pleinement les banques au-delà des exigences légales ». Le ministre délégué déclarait alors espérer « parvenir à un accord de place prévoyant que le plafonnement des frais soit inférieur à 1 % des sommes du compte ». Il n'en a rien été.

2. Alors que des échanges avec les banques ont été initiés à plusieurs reprises par le Gouvernement, les conditions d'un accord de place entre les acteurs n'ont jamais été réunies

D'après la direction générale du Trésor, interrogée par le rapporteur, en 2021 comme en février 2023, les conditions n'ont jamais été réunies pour un accord de place permettant une modération tarifaire de la part des acteurs bancaires.

La piste d'un accord de place s'est avérée une solution illusoire

Au-delà des questions de fond posées par une modération des frais bancaires sur succession, la validité juridique d'un accord de place en matière tarifaire aurait été très incertaine au regard de la prohibition des ententes anticoncurrentielles.

De fait, la conclusion d'un tel accord sur les prix aurait exposé les banques impliquées à des sanctions pécuniaires pouvant atteindre un maximum de 10 % du montant du chiffre d'affaires annuel mondial hors taxes des activités en cause.

À cet égard, la position de l'exécutif a finalement connu un revirement en février 2024, lorsque M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, a annoncé son soutien à la présente proposition de loi initiée par Mme Christine Pirès Beaune, qualifiant de « révoltant » et d'« inacceptable » le niveau excessif des frais bancaires prélevés à l'occasion des opérations liées aux successions.

II. L'EXAMEN EN PREMIÈRE LECTURE : UN DISPOSITIF LÉGISLATIF ATTENDU DONT LES MODALITÉS ONT ÉTÉ CONSOLIDÉES PAR LE SÉNAT

A. UN ENCADREMENT DES FRAIS ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE GLOBALEMENT ÉQUILIBRÉ, AVEC DES CAS DE GRATUITÉ COUVRANT LES SITUATIONS LES PLUS PROBLÉMATIQUES

Dans sa version issue de son adoption en première lecture par l'Assemblée nationale, l'article 1er de la proposition de loi instituait trois cas de gratuité répondant aux situations les plus critiquées par les consommateurs et par leurs représentants :

lorsque l'héritier justifie de sa qualité d'héritier dans les conditions de la procédure de clôture des comptes simplifiée, prévues à l'article L. 312-1-4 du code monétaire et financier, autrement dit soit par la production d'un acte de notoriété, soit par la production d'une attestation signée de l'ensemble des héritiers (cas correspondant aux successions les plus simples) ;

- lorsque le montant total des soldes des comptes est inférieur à un seuil fixé à 5 000 euros (cas correspondant aux successions les plus modestes) ;

- lorsque le détenteur des comptes était mineur à la date du décès.

Ces cas de gratuité devraient ainsi bénéficier à une part importante des clients, qu'il s'agisse des successions les plus modestes (environ 30 % de la population) ou des successions les plus simples.

Dans les autres cas, les opérations liées à la succession pourraient donner lieu à un prélèvement de frais, dont un décret d'application définirait le barème.

Quant aux articles 1er bis et 2, ceux-ci prévoyaient respectivement l'application de l'encadrement des frais bancaires sur succession à la Nouvelle-Calédonie, à la Polynésie française et aux îles de Wallis et Futuna, et la remise d'un rapport d'évaluation un an après la publication du décret d'application.

B. DES PRÉCISIONS INTRODUITES PAR LE SÉNAT AFIN D'ASSURER L'INTELLIGIBILITÉ ET LA VALIDITÉ JURIDIQUE DU DISPOSITIF AINSI QUE SA MISE EN oeUVRE EFFECTIVE

Lors de l'examen en première lecture par le Sénat, la structuration de l'article 1er a été refondue afin de distinguer plus clairement les différents cas de gratuité, avec un alinéa dédié pour chacun des trois cas. S'agissant du champ d'application, la mention des comptes visés a été harmonisée.

De même, ont été inclus dans le dispositif les frais prélevés par les établissements de paiement, dont les offres attirent un nombre croissant de clients.

Par ailleurs, les conditions du cas de gratuité relatif aux successions les plus simples ont été complétées, avec une référence expresse à l'absence de « complexité manifeste » des opérations liées aux successions.

Conformément à la mesure votée par le Sénat en janvier 2023, le barème relatif au plafonnement des frais dans les cas non couverts par la gratuité, qui sera déterminé au niveau du décret d'application, a été précisé pour prévoir une limite de 1 % du montant total des soldes des comptes et de la valorisation des produits d'épargne.

En complément, les agents de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) et de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) ont été expressément habilités à contrôler le respect de ces nouvelles règles.

EN SÉANCE

Lors de l'examen en séance plénière, le 15 mai 2024, le Sénat a confirmé les propositions de la commission et adopté trois amendements, présentés par le rapporteur, visant à préciser certains éléments du dispositif d'encadrement et plus particulièrement :

- les conditions d'application du cas de gratuité relatif aux successions les plus simples (critères de complexité des opérations) ;

- l'entrée en vigueur du dispositif, différée de trois mois à compter de la promulgation de la loi.

Par ailleurs, le Sénat a adopté de manière conforme la disposition relative à l'application en Outre-mer des nouvelles règles, prévue à l'article 1er bis.

LA SUITE DE LA NAVETTE

EN DEUXIÈME LECTURE, L'ASSEMBLÉE NATIONALE A INTRODUIT DES PRÉCISIONS TOUT EN CONSERVANT L'ESSENTIEL DES MODIFICATIONS ADOPTÉES PAR LE SÉNAT

Lors de la deuxième lecture du texte à l'Assemblée nationale, plusieurs précisions ont été introduites à l'initiative de la rapporteure, en étroite collaboration avec les services du ministère de l'économie et le rapporteur de la commission des finances du Sénat.

D'une part, la liste des produits d'épargne réglementée exclus de l'application du dispositif d'encadrement a été précisée, avec l'ajout, en plus des plans d'épargne en actions (PEA), des PEA-PME, des comptes PME innovation et des plans d'épargne avenir climat.

D'autre part, les critères de complexité des opérations ont été complétés par l'ajout de deux critères supplémentaires : la présence d'un contrat de crédit immobilier en cours à la date du décès ; la nature professionnelle du compte à clôturer. À l'inverse, le critère portant sur le nombre des comptes et produits d'épargne à clôturer, considéré comme moins pertinent pour constituer un élément de complexité, a été supprimé.

Enfin, outre quelques modifications rédactionnelles, le délai d'entrée en vigueur du dispositif a été porté de trois mois à six mois afin de permettre aux établissements bancaires de disposer d'un intervalle de temps supplémentaire pour adapter leurs grilles tarifaires et leurs procédures.

LA POSITION DE LA COMMISSION DES FINANCES EN DEUXIÈME LECTURE : ADOPTER CONFORME UN DISPOSITIF ÉQUILIBRÉ ET PRECISÉ, MAINTENANT LES APPORTS DU SENAT

Le texte adopté en deuxième lecture par l'Assemblée nationale résulte en intégralité d'amendements déposés par la rapporteure. Ces amendements, objet d'échanges approfondis entre les rapporteurs des deux chambres, maintiennent l'essentiel des apports du Sénat en première lecture, et plus particulièrement :

- la présentation clarifiée du dispositif de l'article 1er, avec une structuration en alinéas distinguant explicitement les différents cas de gratuité ;

l'institution d'un plafonnement à 1 % du montant total des soldes des comptes et de la valorisation des produits d'épargne pour les cas non couverts par la gratuité ;

l'énumération au niveau législatif des critères pris en considération pour l'appréciation de la complexité des opérations liées aux successions, avec la conservation de trois critères sur quatre introduits par le Sénat, et l'ajout de deux critères complémentaires.

Ainsi, réunie le 30 avril 2025, la commission des finances a adopté ce texte sans modification.

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