EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 30 avril 2025 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission des finances a examiné le rapport de M. Hervé Maurey sur la proposition de loi n° 179 (2024-2025), adoptée avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, visant à réduire et à encadrer les frais bancaires sur succession.
M. Claude Raynal, président. - Nous examinons ce matin la proposition de loi, adoptée avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, visant à réduire et à encadrer les frais bancaires sur succession.
M. Hervé Maurey, rapporteur. - L'examen en deuxième lecture de cette proposition de loi par le Sénat intervient quasiment un an après son examen en première lecture par notre assemblée.
Ce texte s'inscrit dans la continuité de nombreuses initiatives parlementaires, au cours de la période récente, qui ont transcendé les clivages partisans et qui ont finalement triomphé d'une certaine inertie, voire d'une opposition certaine, des gouvernements successifs sur ce sujet.
Les frais bancaires appliqués dans le cadre des opérations de succession se distinguent par leur disparité et leur manque de transparence, ce qui suscite l'incompréhension de la plupart des personnes concernées.
Alors que ces frais représenteraient un montant annuel total estimé entre 125 millions et 200 millions d'euros, les sommes prélevées pour une succession donnée peuvent atteindre des montants significatifs, notamment pour les successions les plus modestes. Selon une étude de l'UFC-Que Choisir, ils s'établissent autour de 291 euros en moyenne pour une succession de 20 000 euros et seraient trois fois supérieurs à ceux qui sont pratiqués en Belgique et en Italie, et même quatre fois plus élevés qu'en Espagne. Ces frais présentent des disparités importantes entre banques, atteignant jusqu'à 527,50 euros dans certains établissements, contre seulement 80 euros dans d'autres.
Cette question a été très médiatisée en raison de l'émotion créée par le cas de parents qui se sont vu réclamer des frais de 138 euros pour clôturer le livret A de leur enfant de 8 ans décédé en mai 2021. Cela a alors suscité un certain nombre d'initiatives parlementaires.
Plusieurs questions écrites ont ainsi été adressées à l'exécutif. Dès novembre 2021, j'ai attiré l'attention du ministre Bruno Le Maire sur ce sujet. Dans sa réponse de janvier 2022, le ministre indiquait avoir demandé à ses services, en concertation avec les acteurs bancaires, d'examiner des pistes de réforme en la matière. Il précisait que le Gouvernement était déterminé à ce qu'« une solution soit rapidement dégagée dans le cadre des instances de concertation de Place ».
Face à l'absence de « solution rapidement dégagée », j'ai déposé en janvier 2022 une proposition de loi visant à encadrer les frais bancaires sur succession. En septembre 2022, Bruno Le Maire m'assurait à nouveau de sa volonté de faire évoluer les pratiques des banques « d'ici le début de l'automne » de la même année.
En l'absence de toute avancée, j'ai déposé, en janvier 2023, un amendement sur la proposition de loi tendant à renforcer la protection des épargnants, portée par nos collègues Jean-François Husson et Albéric de Montgolfier. Le dispositif proposé prévoyait la gratuité pour les comptes inférieurs à 5 000 euros bénéficiant de la procédure de clôture simplifiée et instituait, pour les autres cas, un plafonnement à 1 % du montant total des sommes détenues par l'établissement. Cet amendement, tout comme celui de notre collègue Vanina Paoli-Gagin, qui était identique, a été adopté par le Sénat, malgré l'avis défavorable émis par le Gouvernement, le ministre Jean-Noël Barrot annonçant pour se justifier la conclusion sous peu d'un accord de place.
Force est de constater que la perspective d'un tel accord s'est révélée illusoire. De fait, un éventuel accord de modération tarifaire aurait été illégal au regard du droit de la concurrence.
En février 2024, la position de l'exécutif a finalement connu un revirement, lorsque Bruno Le Maire a annoncé par un tweet son soutien à la présente proposition de loi portée par Christine Pirès Beaune et les députés socialistes, qualifiant de « révoltant » et d'« inacceptable » le niveau excessif des frais bancaires prélevés à l'occasion des opérations liées aux successions.
Aussi, je tiens à saluer la détermination de Mme Pirès Beaune et des députés socialistes, qui ont porté de nouveau cette question devant l'Assemblée nationale. Nos échanges tout au long de la navette parlementaire, qui ont été fructueux, ont permis, je le crois, d'aboutir à un compromis équilibré et sécurisé sur le plan juridique. Pour le dire autrement, nous avons en quelque sorte fait la commission mixte paritaire (CMP) avant la deuxième lecture !
Je défendrai donc une adoption conforme de la version issue de la deuxième lecture par l'Assemblée nationale, votée à l'unanimité - comme en première lecture devant les deux chambres du Parlement -, le 3 décembre dernier, à la veille de la motion de censure déposée contre le gouvernement Barnier. Les modifications apportées résultent en effet d'amendements déposés par la rapporteure, qui m'a étroitement associé à ses propositions et a veillé à s'assurer de mon accord préalable, en vue d'un vote conforme du Sénat. Comme nous le verrons, cette version conserve l'essentiel des apports du Sénat. J'émettrai donc un avis négatif sur les éventuels amendements qui seront déposés sur ce texte en vue de la séance publique.
Je concentrerai mon propos sur l'article 1er, qui porte le dispositif d'encadrement des frais prélevés par les établissements teneurs de comptes au titre des opérations liées aux successions, au travers de l'introduction d'un nouvel article L. 312-1-4-1 au sein du code monétaire et financier.
Lors de l'examen en première lecture par le Sénat, cet article a fait l'objet d'une réécriture complète par notre commission, afin d'améliorer l'intelligibilité et la sécurité juridique du dispositif proposé ainsi que de prévoir au niveau législatif un plafonnement fixé en pourcentage des soldes des comptes du défunt.
Afin d'instituer au niveau législatif un encadrement du barème des frais applicables aux cas non couverts par la gratuité, qui sera fixé par décret, notre commission a ainsi introduit un plafonnement à 1 % du montant total des soldes des comptes et de la valorisation des produits d'épargne du défunt.
De même, nous avons tenu à préciser dans la loi les critères relatifs au cas de gratuité correspondant aux successions les plus simples, avec l'énumération de quatre critères d'appréciation de la complexité des opérations de succession : l'absence d'héritiers mentionnés au 1° de l'article 734 du code civil, c'est-à-dire l'absence d'héritiers en ligne directe ; le nombre des comptes et produits d'épargne à clôturer ; la constitution de sûretés sur lesdits comptes et produits ; l'existence d'éléments d'extranéité.
Par ailleurs, concernant le cas de gratuité relatif aux successions les plus modestes, nous avons substitué au seuil en valeur absolue de 5 000 euros une référence directe au seuil fixé par l'arrêté mentionné au 2° de l'article L. 312-1-4 du code monétaire et financier relatif à la procédure de clôture des comptes simplifiée, afin d'assurer son adaptation automatique dans le temps. Ce montant, fixé à 5 000 euros par l'arrêté du 7 mai 2015, est en effet indexé annuellement sur l'inflation et s'élevait ainsi à 5 909,95 euros en avril 2024.
De surcroît, en vue d'assurer la mise en oeuvre effective du dispositif, les agents de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) et de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) ont été habilités à contrôler le respect des nouvelles règles.
Enfin, nous avons prévu un délai de trois mois à compter de la promulgation de la loi afin de sécuriser la date d'entrée en vigueur du dispositif.
Lors de la deuxième lecture du texte à l'Assemblée nationale, plusieurs précisions ont été introduites sur l'initiative de la rapporteure pour renforcer encore davantage la pertinence et la sécurité juridique du dispositif. Ces modifications ont donné lieu à des échanges approfondis entre la rapporteure et moi-même, ainsi qu'avec les services du ministère de l'économie.
D'une part, la liste des produits d'épargne réglementée exclus de l'application du dispositif d'encadrement a été précisée, avec l'ajout, en plus des plans d'épargne en actions (PEA), des PEA-PME, des comptes PME innovation et des plans d'épargne avenir climat. En effet, ces plans d'épargne et ces comptes se rapprochent des caractéristiques des PEA dans la mesure où la valorisation des avoirs peut fluctuer de manière importante en fonction des périodes.
D'autre part, les critères relatifs à l'appréciation de la complexité, permettant de délimiter le champ d'application du cas de gratuité correspondant aux successions les plus simples, ont été complétés par l'ajout de deux critères supplémentaires : la présence d'un contrat de crédit immobilier en cours à la date du décès et la nature professionnelle du compte à clôturer.
À l'inverse, le critère portant sur le nombre des comptes et produits d'épargne à clôturer, considéré comme moins pertinent pour constituer un élément de complexité, a été supprimé.
Enfin, outre quelques modifications rédactionnelles, le délai d'entrée en vigueur du dispositif a été porté de trois mois à six mois.
De fait, cette version maintient l'essentiel des apports du Sénat en première lecture.
En premier lieu, l'institution d'un plafonnement à 1 % du montant total des soldes des comptes et de la valorisation des produits d'épargne pour les cas non couverts par la gratuité a été préservée. C'était un point de divergence importante avec la rapporteure de l'Assemblée nationale, qui craignait une application systématique de ce pourcentage de 1 %, alors que le dispositif vise surtout le pouvoir réglementaire, lequel doit fixer le barème par décret. Nous avons réussi à la convaincre qu'il s'agissait bien évidemment d'un maximum, comme je l'avais souligné en première lecture. Il n'est nullement question de prévoir que ce pourcentage s'applique à l'ensemble ou même à la majorité des successions non couvertes par la gratuité.
En second lieu, l'énumération au niveau législatif des critères pris en considération pour l'appréciation de la complexité des opérations liées aux successions est maintenue, avec la conservation de trois critères sur quatre introduits par le Sénat - celui de l'existence d'un nombre élevé de comptes ou produits d'épargne a été supprimé -, et l'ajout de deux critères complémentaires.
Mes chers collègues, j'espère que vous soutiendrez l'adoption conforme de ce texte, afin qu'il puisse s'appliquer le plus rapidement possible.
Pour conclure, en application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, je vous rappelle que les amendements éventuels sur ce texte sont soumis à la règle de « l'entonnoir » et devront être en « relation directe » avec les dispositions encore en discussion.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je salue la bonne entente entre les deux chambres, puisque le texte a été adopté à l'unanimité à l'Assemblée nationale, ce qui est de bon augure. Je tiens également à souligner la justesse des combats que le rapporteur a menés. C'est une satisfaction de voir aboutir les revendications qu'il a portées.
M. Marc Laménie. - Le dispositif prévu dans ce texte garantit une plus grande équité. Pour les successions les plus modestes qui ne donnent lieu à aucun frais, quel est le seuil qui s'applique ?
De plus, quelle est la date prévue pour l'application concrète du texte ?
M. Pascal Savoldelli. - J'indique que le critère du contrat de crédit immobilier qui a été ajouté dans le texte concerne la moitié des ménages.
M. Hervé Maurey, rapporteur. - Monsieur Laménie, le seuil de gratuité pour les successions les plus modestes a été fixé, à l'initiative du Sénat en première lecture, par référence à un arrêté qui est réévalué chaque année en fonction de l'inflation. Dans le texte initial, il avait été fixé en valeur absolue à 5 000 euros. La réévaluation annuelle du seuil fixé par arrêté a porté ce montant à 5 909,95 euros en avril 2024.
La date prévue pour l'application concrète du dispositif dépend de la diligence du pouvoir réglementaire dans l'édiction du décret d'application. La présente proposition de loi prévoit un délai de six mois pour l'entrée en vigueur du dispositif, afin de donner à l'exécutif le temps suffisant pour la prise du décret d'application et de permettre aux établissements bancaires d'adapter leurs grilles tarifaires et leurs procédures.
Quant au nouveau critère de complexité relatif à l'existence d'un contrat de crédit immobilier en cours, monsieur Savoldelli, il a fait l'objet de discussions avec la rapporteure en amont de la seconde lecture. Les négociations ont été âpres et nous sommes parvenus à réduire les demandes de la rapporteure et des services du ministère de l'économie, qui souhaitaient que les prêts à la consommation soient également pris en compte dans les critères de complexité. Nous sommes donc parvenus à un compromis en n'incluant que les crédits immobiliers. J'ajoute que ce nouveau critère concerne environ 30 % des ménages et non pas la moitié.
EXAMEN DES ARTICLES
Article 1er
L'article 1er est adopté sans modification.
Article 2
L'article 2 est adopté sans modification.
La proposition de loi est adoptée sans modification.