EXAMEN DES ARTICLES
Article unique
Expérimentation de
« groupes de vacataires opérationnels
de
sécurité civile »
L'article unique de la proposition de loi vise à expérimenter, pour une période de deux ans et dans cinq départements « vulnérables » choisis par le ministère de l'intérieur, la création de « groupes de vacataires opérationnels de sécurité civile ». Ces groupes seraient composés de sapeurs-pompiers volontaires souhaitant s'investir davantage à travers la souscription d'un contrat d'engagement pour la réalisation de gardes plus nombreuses, sur une durée maximale de soixante jours par an. Comme l'illustre le terme de « vacataires » qui s'apparente davantage au monde professionnel qu'au volontariat, il s'agit ainsi de créer un statut hybride, à mi-chemin entre le statut de sapeur-pompier professionnel et celui de volontaire.
Estimant que cette expérimentation n'était ni utile en l'absence d'une réelle plus-value opérationnelle, ni opportune puisqu'elle créerait un troisième statut de sapeurs-pompiers semi-professionnels, la commission a adopté un amendement de rédaction globale présenté par son rapporteur avec l'accord de l'auteur. En lieu et place de cette expérimentation, cet amendement donne une base légale générale aux contrats saisonniers de sapeurs-pompiers volontaires et abroge des dispositions transitoires du code général des collectivités territoriales devenues caduques, le processus de départementalisation des services d'incendie et de secours étant achevé.
La commission a adopté cet article ainsi rédigé.
1. Malgré la hausse des effectifs des sapeurs-pompiers professionnels, le modèle français de sécurité civile repose majoritairement sur le volontariat et le bénévolat
a) Les sapeurs-pompiers volontaires, qui exercent les mêmes activités que les professionnels, sont un rouage indispensable du modèle français de sécurité civile, toutefois fragilisé par la jurisprudence européenne
i. Les sapeurs-pompiers volontaires apportent un concours essentiel à l'exercice des missions de la sécurité civile
Outre les cas spécifiques de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris (BSPP) et de la brigade des marins-pompiers de Marseille (BMPM), qui ont un statut militaire, le personnel opérationnel des services d'incendie et de secours s'appuie sur deux corps principaux :
- les sapeurs-pompiers professionnels, au nombre de 43 400 en 20238(*), soit 10 000 (+ 30 %) de plus qu'en 2002. Les sapeurs-pompiers professionnels sont, sauf pour le grade de sapeur et à condition d'être déjà engagés dans les corps de volontaires ou dans les corps de sapeurs-pompiers militaires, recrutés par concours, qu'ils soient officiers ou non. Conformément à l'article L. 723-2 du code de la sécurité intérieure, ils appartiennent à la fonction publique territoriale ;
- les sapeurs-pompiers volontaires, dont le nombre a franchi le seuil de 200 000 au cours de l'année 20239(*), soit 36 000 (+ 22 %) de plus qu'en 2002. Le franchissement de ce seuil, qui constituait un objectif fixé par le président de la République, alors François Hollande, lors du congrès annuel de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France (FNSPF) en 2013, démontre que le volontariat, malgré ses difficultés et notamment la disponibilité des volontaires lors de la semaine, ne souffre pas d'une crise de vocations. Cette hausse continue des effectifs au cours des dernières années valide, malgré les difficultés existantes, le choix fait par la France de favoriser l'engagement citoyen : la sécurité civile est, comme l'a rappelé « avec solennité » le Sénat dans sa résolution européenne n° 147 (2023 - 2024) du 26 juillet 2024, « l'affaire de tous »10(*). Sans nier les considérations financières qui peuvent inciter une part non négligeable des sapeurs-pompiers volontaires à s'engager, celles-ci ne peuvent résumer à elles seules le volontariat. Dans le rapport « Mission Volontariat : sapeurs-pompiers, tous volontaires » remis à Gérard Collomb, alors ministre de l'intérieur, en 2018, Catherine Troendlé, alors sénatrice, relevait ainsi « [qu'il] s'agit là avant tout d'un choix de valeurs, celui d'une citoyenneté engagée au service d'une société plus solidaire et mieux protégée, mais aussi d'un choix politique réaliste et résolu en faveur d'un service public de proximité à coût maîtrisé »11(*).
Les sapeurs-pompiers volontaires représentent donc près de 80 % des sapeurs-pompiers de France. Ils sont recrutés sur une base contractuelle, après souscription d'un « contrat d'engagement » d'une période de cinq ans, sous réserve de suivre une formation et de répondre à certaines conditions telles qu'un âge minimal de 16 ans, une résidence légale en France, la jouissance des droits civiques ou encore une aptitude médicale et physique suffisante.
L'exercice des missions des sapeurs-pompiers volontaires s'effectue selon des dispositions spécifiques, régies principalement par la loi n° 96-370 du 3 mai 1996 relative au développement du volontariat dans les corps de sapeurs-pompiers. En conséquence, comme l'expose l'article L. 723-8 du code de la sécurité intérieure, « ni le code du travail ni le statut de la fonction publique ne lui sont applicables ». C'est pourquoi le sapeur-pompier volontaire n'effectue pas des heures de travail mais des « astreintes » ou des « gardes », pour lesquelles il reçoit une « indemnité horaire » - et non un salaire - dont le montant est compris entre un montant minimal et un montant maximal déterminés par arrêté conjoint du ministre de l'intérieur et du ministre chargé du budget. Ces indemnités sont cumulables avec tout revenu ou prestation sociale. L'article L. 723-12 du code de la sécurité intérieure prévoit en outre un mécanisme d'autorisation d'absence pour les sapeurs-pompiers volontaires, notamment pour les « missions opérationnelles ».
En effet, conformément à l'article L. 723-6 du code de la sécurité intérieure, le sapeur-pompier volontaire « exerce les mêmes activités que les sapeurs-pompiers professionnels [...] en fonction de ses disponibilités », y compris les activités qui peuvent être considérées comme complexes, comme la lutte contre l'incendie ou le secours à la personne lors de catastrophes naturelles ou industrielles.
À ce titre, le concours des sapeurs-pompiers volontaires à l'exercice des missions de la sécurité civile, c'est-à-dire « la prévention des risques de toute nature, l'information et l'alerte des populations ainsi que la protection des personnes, des animaux, des biens et de l'environnement contre les accidents, les sinistres et les catastrophes »12(*), apparait indispensable au regard de la proportion des interventions qu'ils assurent : d'après les données transmises au rapporteur par la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC), les 200 000 sapeurs-pompiers volontaires assurent 67 % des interventions quotidiennes des forces de sécurité civile. Les sapeurs-pompiers volontaires ne constituent donc pas une force d'appoint ponctuelle qui serait mobilisable en cas de difficulté opérationnelle, mais une force complémentaire à celle des sapeurs-pompiers professionnels, qui assure même la majeure partie des interventions dans les territoires à dominante rurale ou périurbaine. Cette force complémentaire apparaît d'autant plus essentielle au modèle français de sécurité civile que la charge indemnitaire des sapeurs-pompiers volontaires ne représente que 20 % du budget des services départementaux d'incendie et de secours, d'après les données transmises au rapporteur par la FNSPF.
Cette force complémentaire aux sapeurs-pompiers professionnels demeure d'autant plus précieuse qu'elle offre une certaine souplesse d'organisation aux directeurs des services départementaux d'incendie et de secours (SDIS), lesquels agissent sous l'autorité du préfet et du président du conseil d'administration du SDIS, généralement le président ou un vice-président du conseil départemental.
En premier lieu, l'article L. 1424-10 du code général des collectivités territoriales dispose que « les sapeurs-pompiers volontaires [...] sont engagés et gérés par le service départemental ou territorial d'incendie et de secours ». Si la plupart des sapeurs-pompiers volontaires sont, de facto, affectés à un centre d'incendie et de secours, en général celui qui se trouve à proximité de leur domicile, l'engagement comme sapeur-pompier volontaire est formellement départemental. À ce titre, le régime des astreintes et des gardes est fixé par le directeur des services départementaux d'incendie et de secours, ou les officiers ayant reçu délégation, selon les disponibilités du sapeur-pompier volontaire et les besoins opérationnels. Un sapeur-pompier volontaire peut théoriquement monter des gardes ou intervenir sur tout le territoire du département dans lequel il s'est engagé.
En deuxième lieu, bien que, par défaut, l'engagement d'un sapeur-pompier volontaire soit souscrit pour une période reconductible de cinq ans13(*), l'article R. 723-91 du code de la sécurité intérieure ouvre la possibilité aux SDIS de recourir à des contrats saisonniers de sapeurs-pompiers volontaires, pour une durée comprise entre un et quatre mois, afin de faire face à « des périodes d'accroissement temporaire des risques ». En pratique, ces contrats saisonniers sont majoritairement conclus lors de la période estivale, notamment pour répondre à l'augmentation du risque d'incendie et à la fréquentation touristique. Il n'est par ailleurs pas nécessaire d'être domicilié dans le département pour souscrire un tel contrat.
Article R. 723-91 du code de la sécurité intérieure
« Lors des périodes d'accroissement temporaire des risques, un engagement saisonnier de sapeur-pompier volontaire d'une durée d'un mois au moins et de quatre mois au plus peut être souscrit, auprès de l'autorité de gestion, par toute personne satisfaisant aux conditions prévues aux articles R. 723-6 et R. 723-7. Pour les candidats ayant déjà la qualité de sapeur-pompier volontaire, l'engagement saisonnier est subordonné à l'autorisation de l'autorité dont ils relèvent.
« Les engagements saisonniers n'ouvrent pas droit à la participation aux élections des différentes instances dans lesquelles siègent des représentants des sapeurs-pompiers volontaires, ni à l'avancement de grade, ni aux prestations de fin de service.
« Les personnes souscrivant un engagement saisonnier de sapeur-pompier volontaire bénéficient du régime d'indemnisation des sapeurs-pompiers volontaires institué par la loi n° 91-1389 du 31 décembre 1991 relative à la protection sociale des sapeurs-pompiers volontaires en cas d'accident survenu ou de maladie contractée en service.
« Un arrêté du ministre chargé de la sécurité civile fixe, pour les différentes missions temporaires, les qualifications professionnelles nécessaires. »
En troisième lieu, de nombreux SDIS ont mis en place des « équipes volantes »14(*) ou « mobiles », chargées d'assurer des gardes et astreintes dans l'ensemble du département ou d'armer des ambulances pour effectuer des interventions par carence, permettant ainsi de remplir les effectifs manquants en cas de tension sur les effectifs.
Enfin, même lorsque le sapeur-pompier volontaire n'est formellement pas de garde ou d'astreinte, le préfet, qui est chargé de la direction des opérations de secours « en cas d'accident, sinistre ou catastrophe dont les conséquences peuvent dépasser les limites ou les capacités d'une commune », peut « mobiliser les moyens de secours relevant de l'État, des collectivités territoriales et des établissements publics » et « réquisitionner les moyens privés nécessaires aux secours »15(*). Dans ce cadre, il peut donc mobiliser les sapeurs-pompiers volontaires dans l'urgence. L'employeur ne peut alors refuser l'absence du sapeur-pompier volontaire « que lorsque les nécessités du fonctionnement de l'entreprise ou du service public s'y opposent »16(*).
ii. Le modèle du volontariat pourrait être remis en question par les évolutions de la jurisprudence européenne
Malgré la souplesse et la soutenabilité budgétaire qu'il apporte, ce modèle reposant sur deux corps distincts exerçant des missions identiques est toutefois remis en cause par plusieurs facteurs.
Comme l'écrit l'inspection générale de l'administration (IGA) dans un rapport au Parlement d'octobre 2022 consacré au financement des SDIS17(*), le volontariat est « menacé », d'une part par les évolutions sociétales et par la faible attractivité des missions de service à la personne, qui constituent 80 % de l'activité des SDIS, d'autre part par la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne de 2018 Ville de Nivelles c/ Rudy Matzak (dite jurisprudence « Matzak »).
Sur le premier point, les auditions menées par le rapporteur ont pu démontrer, comme évoqué supra, qu'aucune crise de vocation ne s'observe à l'échelle nationale, les effectifs des sapeurs-pompiers volontaires étant en hausse. La difficulté repose davantage sur la disponibilité des volontaires, en particulier en semaine, plutôt que sur leur volonté de s'engager. En effet, les lieux de travail, notamment dans les zones rurales où la proportion d'agriculteurs a diminué, seraient, d'après l'analyse concordante de la DGSCGC, de la FNSPF et de l'association nationale des directeurs des services d'incendie et de secours (ANDSIS), plus éloignés du domicile qu'au cours de la seconde moitié du siècle précédent. C'est pourquoi le législateur a adopté de nombreux dispositifs afin de sécuriser les autorisations d'absence du volontaire et soutenir financièrement les employeurs de sapeurs-pompiers volontaires. Peuvent notamment être citées les réductions de cotisations patronales adoptées à l'initiative du Sénat dans la loi n° 2023-580 du 10 juillet 2023 visant à renforcer la prévention et la lutte contre l'intensification et l'extension du risque incendie.
Sur le second point, la jurisprudence Matzak, qui assimile les missions de sapeur-pompier volontaire à du temps de travail salarié, « constituerait un choc pour l'organisation des secours »18(*) si elle était appliquée en France. L'IGA a ainsi calculé que, sans les gardes postées de sapeurs-pompiers volontaires, il faudrait recruter plus de 22 000 sapeurs-pompiers professionnels pour un coût annuel de plus de 1,1 milliard d'euros. Pour les sapeurs-pompiers professionnels, les gardes devraient être comptabilisées une heure pour une heure, mettant en cause les durées d'équivalence et la pertinence de la garde de vingt-quatre heures. Il faudrait alors recruter, toujours selon l'IGA, plus de 3 600 sapeurs-pompiers professionnels, pour un coût annuel de 200 millions d'euros. Le Sénat, qui s'est déjà exprimé sur le sujet via l'adoption de la résolution n° 147 (2023 - 2024) précitée, partage ces inquiétudes puisqu'il considère que l'application de la jurisprudence Matzak en France conduirait « à restreindre fortement la liberté d'exercice de l'engagement de sapeur-pompier volontaire, à remettre en cause la proximité des secours et à affecter gravement la capacité de résilience nationale face aux crises et par conséquent, la protection civile des populations et la sécurité nationale, sans alternative opérationnellement satisfaisante et financièrement soutenable »19(*).
Outre ces deux fragilités largement connues et documentées, le rapporteur a été alerté, lors de ses auditions, sur des abus opérés dans certains SDIS, qui recourraient exagérément au volontariat au lieu de recruter des sapeurs-pompiers professionnels. Certains volontaires effectueraient ainsi des gardes dans des proportions qui les assimilent à des professionnels. Ces situations, que le rapporteur n'a toutefois pas pu constater par lui-même et qui semblent, au vu des auditions qu'il a menées, heureusement limitées à un faible nombre de SDIS, sont bien évidemment à condamner puisqu'elles dévoient l'esprit du volontariat. Il convient cependant de souligner, d'une part que la réforme du financement des SDIS annoncée en septembre 2024 par Michel Barnier, alors Premier ministre, pourrait permettre de rendre inutile cette pratique, d'autre part que certains sapeurs-pompiers volontaires font le choix de s'engager fortement sans pour autant vouloir devenir professionnels, notamment lorsqu'ils ont un autre emploi en parallèle qu'ils ne souhaitent pas abandonner.
L'ensemble des éléments de fragilité susmentionnés ont été évoqués lors du « Beauvau de la sécurité civile », qui a rassemblé au cours de l'année 2024 les principales parties prenantes de la sécurité civile française. Sans préjudice du jugement que le Sénat pourra porter sur la pertinence et l'opportunité des solutions qui seront proposées par le ministère de l'intérieur à l'issue de ce Beauvau, attendues pour la mi-2025, des réformes pour répondre à ces fragilités devraient vraisemblablement, sous toutes les réserves d'usage, être soumises au Parlement d'ici peu.
b) Deux réserves de sécurité civile, reposant sur le bénévolat, ont été créées par le législateur afin d'épauler les sapeurs-pompiers professionnels et volontaires
Conformément au choix français de favoriser l'engagement citoyen pour fournir la majeure partie des forces de sécurité civile, deux réserves, inspirées sémantiquement des réserves militaires, ont été créées pour permettre aux bénévoles d'assister les sapeurs-pompiers, qu'ils soient professionnels ou volontaires. Leurs missions sont toutefois moins larges, ces réservistes ne pouvant pas effectuer des tâches opérationnelles d'ampleur telles que la lutte directe contre l'incendie ou le secours d'urgence à la personne. En effet, le rôle que peuvent exercer les réservistes de l'armée, de la gendarmerie ou de la police nationale s'assimile en réalité davantage, pour ce qui concerne la sécurité civile, aux fonctions des sapeurs-pompiers volontaires.
i. Seules 679 communes ont instauré des « réserves communales »
Le législateur a créé, par la loi n° 2004-811 du 13 août 2004 de modernisation de la sécurité civile, les réserves communales de sécurité civile, dont le régime juridique est aujourd'hui défini aux articles L. 724-1 à L. 724-13 du code de la sécurité intérieure. Ces réserves ont « pour objet d'appuyer les services concourant à la sécurité civile en cas d'événements excédant leurs moyens habituels ou dans des situations particulières. À cet effet, elles participent au soutien et à l'assistance des populations, à l'appui logistique et au rétablissement des activités »20(*).
Placée sous l'autorité du maire, la réserve communale est créée par délibération du conseil municipal, étant précisé que la création d'une telle réserve est facultative. Sa gestion peut être confiée au service départemental d'incendie et de secours ou à un établissement public de coopération intercommunale (EPCI).
La composition de cette réserve communale repose sur le bénévolat et le volontariat, la loi ne fixant comme condition que d'avoir « les capacités et compétences correspondant aux missions qui leur sont dévolues au sein de la réserve »21(*). L'engagement à servir dans la réserve est alors souscrit pour une durée de cinq ans renouvelables, sous la forme d'un contrat conclu entre l'autorité de gestion et le réserviste. La durée des activités à accomplir au titre de la réserve de sécurité civile ne peut excéder quinze jours ouvrables par année civile, ce qui constitue une différence majeure par rapport aux sapeurs-pompiers volontaires, dont la durée des missions n'est pas limitée. Les réservistes peuvent percevoir une indemnité compensatrice.
D'après les informations transmises au rapporteur par la DGSCGC, seules 679 communes ont mis en place une réserve communale de sécurité civile.
ii. « Les réserves citoyennes des services d'incendie et de secours » constituent un vivier d'approximativement 2 000 bénévoles
Créées par la loi n° 2021-1520 du 25 novembre 2021 visant à consolider notre modèle de sécurité civile et valoriser le volontariat des sapeurs-pompiers et les sapeurs-pompiers professionnels, dite « loi Matras », les réserves citoyennes des services d'incendie et de secours sont un outil à l'échelon départemental ayant « pour objet de développer et d'entretenir la culture de sécurité civile, de renforcer le lien entre la Nation et les services d'incendie et de secours ainsi que de promouvoir et de valoriser l'image des sapeurs-pompiers »22(*).
Elles sont créées sur délibération du conseil d'administration des SDIS et sont placées sous l'autorité du président dudit conseil d'administration. Les réservistes, qui souscrivent un engagement d'une durée renouvelable de cinq ans, doivent être âgés d'au moins seize ans et ne pas avoir fait l'objet d'une condamnation incompatible avec l'exercice des fonctions.
Les réservistes citoyens sont principalement chargés d'effectuer des actions de sensibilisation de la population aux risques, de support à la préparation et à la mise en oeuvre d'exercices de gestion de crise, de promotion de l'engagement de jeunes sapeurs-pompiers, de formation et d'accompagnement de ces derniers ou encore d'appui logistique et technique des sapeurs-pompiers en situation de crise ou lors d'un événement important. Ils ne participent donc pas directement aux opérations de secours à la personne ou de lutte contre l'incendie.
Les fonctions exercées dans ce cadre le sont à titre bénévole, sans indemnité compensatrice, mais le SDIS doit couvrir le réserviste contre les dommages subis par lui ou causés à des tiers dans l'accomplissement de sa mission.
Dans les faits, les profils ciblés pour participer à cette réserve sont les anciens sapeurs-pompiers, professionnels ou volontaires, ayant cessé leur activité ou les personnels administratifs et techniques spécialisés (PATS).
D'après les informations transmises au rapporteur par la DGSCGC, à la fin de l'année 2024, 36 des 97 SDIS du territoire ont instauré une réserve citoyenne, et 19 auraient l'intention d'en créer une « dans un avenir proche ». Au total, approximativement 2 000 personnes ont souscrit un engagement auprès de ces réserves, un chiffre plutôt satisfaisant sachant que ces réserves ont été introduites dans la législation il y a seulement trois ans.
2. La proposition de loi tend à expérimenter, pendant deux ans, des « groupes de vacataires opérationnels » ouverts aux sapeurs-pompiers volontaires souhaitant s'engager davantage
La proposition de loi est composée d'un article unique dont l'objectif est, selon les mots de l'auteur du texte, Grégory Blanc, de « donner à nos SDIS les moyens de lutter contre le dangereux défaut d'opérationnalité qui les guette [en instaurant] un rouage supplémentaire au dispositif existant »23(*).
Pour ce faire, le I de l'article unique crée une nouvelle section au sein du chapitre III du titre II du livre VII du code de la sécurité intérieure, qui régit les missions et le statut des sapeurs-pompiers, qu'ils soient professionnels ou volontaires. Cette nouvelle section serait intitulée « Groupes de vacataires opérationnels de sécurité civile » et comporterait deux articles, les articles L. 723-27 et L. 723-28.
Le nouvel article L. 723-27 constitue la mesure principale du texte. Il instituerait une expérimentation visant à créer un groupe de vacataires opérationnels au sein des services d'incendie et de secours de cinq départements « particulièrement vulnérables », sans que le critère de vulnérabilité soit défini. Ces cinq départements seraient choisis par le ministère de l'intérieur, la proposition de loi ne précisant pas si ce choix reposerait sur le volontariat des départements. Cette expérimentation durerait deux ans à compter de l'entrée en vigueur des mesures réglementaires d'application du texte.
L'objectif de ces groupes de vacataires de sécurité civile est précisé par l'exposé des motifs du texte et par les alinéas 4 à 7 et 9 de l'article unique. Il ressort toutefois de ces dispositions une certaine confusion quant à la raison d'être de ces groupes. En effet, le quatrième alinéa dispose que ces groupes auraient vocation à « répondre à des situations d'urgence opérationnelle au sein de nos territoires », ces territoires devenant par ailleurs au sixième alinéa « certaines parties du territoire ». Or, l'exposé des motifs du texte et le neuvième alinéa de l'article unique évoquent une mobilisation « de manière programmée » pour assurer « des gardes postées », ce qui ne correspond pas à la même temporalité que la « situation d'urgence » précitée.
Ces groupes auraient aussi vocation, selon les sixième et septième alinéas de l'article unique, à « doter les services départementaux d'incendie et de secours d'une faculté d'organisation supplémentaire » et à « contribuer au renforcement du volontariat et à l'engagement citoyen dans notre modèle de sécurité civile ».
Ils seraient placés sous l'autorité du préfet et du directeur départemental du service d'incendie et de secours, les « conditions matérielles » du fonctionnement de ces groupes étant en parallèle définis « avec » le président du conseil d'administration du service départemental d'incendie et de secours, c'est-à-dire, dans la majorité des cas, le président ou un vice-président du conseil départemental, ce dernier étant le principal financeur des services d'incendie et de secours.
Ces groupes auraient pour fonction d'effectuer des « gardes » - comme le font déjà les sapeurs-pompiers professionnels et les sapeurs-pompiers volontaires - dont le « champ de mission » serait « laissé à la libre appréciation du président du service d'incendie et de secours ». Cette fonction n'existant pas en l'état du droit, il pourrait s'agir dans les faits du président du conseil d'administration du service départemental d'incendie et de secours ou, plus vraisemblablement et plus opérationnellement, du directeur départemental du service d'incendie et de secours.
Les volontaires souhaitant s'engager dans ces groupes de vacataires devraient alors souscrire un contrat d'engagement, qui précise la durée maximale d'affectation, laquelle ne pourrait excéder soixante jours. Les conditions d'engagement seraient précisées par voie réglementaire.
Le nouvel article L. 723-28 dispose que seuls peuvent s'engager dans un groupe de vacataires opérationnels les sapeurs-pompiers volontaires étant déjà en exercice et qui répondent aux conditions d'expérience et de formation requises dans le domaine de la sécurité civile, sous réserve de précisions fixées par voie règlementaire. Les sapeurs-pompiers professionnels encore en activité seraient quant à eux explicitement exclus du dispositif. Il s'agit donc de créer un statut intermédiaire entre le sapeur-pompier professionnel et le sapeur-pompier volontaire, le dispositif prévu par le présent texte ne se substituant pas à ces deux statuts mais ayant théoriquement vocation à offrir une nouvelle « possibilité pour les volontaires déjà sous contrat d'intensifier leur engagement »24(*).
Il convient de noter que le texte ne précise pas quel serait le régime indemnitaire de ces « vacataires », le terme de vacataire s'apparentant d'ailleurs plutôt à un professionnel qu'à un volontaire, ce qui pourrait laisser entendre que l'indemnité horaire du vacataire devrait être plus élevée que celle d'un sapeur-pompier volontaire classique.
Pour apprécier le bien-fondé de cette expérimentation, notamment dans la perspective d'une éventuelle généralisation, le texte prévoit la réalisation de nombreux bilans. En premier lieu, les préfets et les directeurs départementaux des services d'incendie et de secours des cinq départements retenus pour mener cette expérimentation devraient effectuer un « bilan intermédiaire » après la première année de l'expérimentation, devant être remis au ministre de l'intérieur. En deuxième lieu, au plus tard trois mois avant le terme de l'expérimentation, un « bilan final » de celle-ci devrait être réalisé par un « comité » dont les membres seraient désignés par le ministre de l'intérieur. En troisième et dernier lieu, le ministre de l'intérieur devrait remettre au Parlement un rapport « précisant le bilan des expérimentations et proposant un référentiel fixant les modalités de fonctionnement des gardes ». Aucune condition de délai n'est fixée pour la remise de ce dernier rapport.
Enfin, les II et III de l'article unique constituent les « gages financiers » assurant la recevabilité du texte au regard de l'article 40 de la Constitution.
3. Une expérimentation dénuée de plus-value opérationnelle et dénaturant le volontariat
Sur proposition de son rapporteur, et avec l'assentiment de l'auteur du texte, la commission a supprimé l'expérimentation proposée.
En effet, la création, même expérimentale, de « groupes de vacataires opérationnels » n'est pas apparue utile à la commission, puisque, comme évoqué supra, les sapeurs-pompiers volontaires peuvent déjà effectuer des gardes postées, intervenir dans des centres d'incendie et de secours éloignés de leur domicile, être recrutés pour des pics temporaires d'activité par le biais des contrats saisonniers et être mobilisés par le préfet en cas de crise majeure. En définitive, ces groupes de vacataires opérationnels n'apporteraient aucune plus-value opérationnelle aux SDIS, ce qu'a confirmé au rapporteur l'ANDSIS.
La commission n'a pas, non plus, jugé la création de ces groupes opportune puisque le choix des termes « vacataires opérationnels » laisse entendre la création d'un statut hybride à mi-chemin de l'engagement professionnel et du volontariat. Cette semi-professionnalisation qui ne dit pas son nom va à l'encontre de la DETT sur laquelle repose la jurisprudence Matzak précitée. La précision selon laquelle ces vacataires seraient « opérationnels » est également problématique sur le principe, puisqu'elle pourrait laisser accroire que les sapeurs-pompiers volontaires ne seraient pas, quant à eux, opérationnels. Or, comme mentionné supra, les sapeurs-pompiers volontaires exercent les mêmes activités que les sapeurs-pompiers professionnels, y compris les activités opérationnelles.
Le rapporteur a en outre pu constater, au cours de ses auditions, l'opposition unanime des principales parties prenantes ainsi que les fortes réserves de la DGSCGC, qui a souligné le risque réel de dénaturation du volontariat et l'illisibilité générée par la cohabitation de trois statuts, d'une part, et le fait que ces nouveaux vacataires seraient considérés comme des travailleurs au sens de la directive européenne, d'autre part. En conséquence, le coût de ces vacataires, qui reposerait sur les SDIS et donc, par ricochet, principalement sur les départements, serait particulièrement élevé : l'ANDSIS l'a chiffré à « 10 000 à 20 000 euros par an et par vacataire ».
Par ailleurs, l'expérimentation proposée ne répond pas à la principale difficulté du volontariat, qui ne relève pas d'un déficit d'attractivité, mais d'un manque de disponibilité des volontaires en semaine. Les inciter à effectuer plus de gardes postées en devenant semi-professionnels ne résoudrait en rien ces difficultés de disponibilité, sauf à demander aux volontaires d'effectuer un temps partiel explicite, qui aurait pour corollaire de les empêcher d'exercer leur travail principal à temps plein.
Cette déstabilisation du volontariat paraît d'autant moins souhaitable que sont attendues, d'ici quelques semaines, les conclusions du Beauvau de la sécurité civile, qui a réuni en 2024 toutes les parties prenantes et devrait conduire à une réforme d'ampleur du modèle français de sécurité civile, en particulier du mode de financement des SDIS. La création d'un troisième statut de sapeurs-pompiers, à supposer qu'elle soit jugée pertinente, aurait davantage sa place dans le cadre de cette réflexion d'ensemble, plutôt que dans un cadre isolé et à l'encontre du souhait des sapeurs-pompiers eux-mêmes.
Enfin, la commission a souhaité demeurer cohérente avec la position du Sénat exprimée par la résolution européenne n° 147 (2023 - 2024) précitée, dans laquelle il a estimé « nécessaire d'assurer la pérennité du volontariat de sapeur-pompier ».
C'est pourquoi, par l'adoption de l'amendement COM-1 présenté par le rapporteur, la commission a supprimé l'expérimentation proposée initialement et lui a substitué un nouveau dispositif.
Afin de donner plus de visibilité et de sécuriser l'investissement des sapeurs-pompiers volontaires qui s'engagent sur de courtes périodes pour répondre à des besoins opérationnels ponctuels, le I du même amendement COM-1 confère une base légale générale aux contrats saisonniers, qui sont actuellement régis en détail par l'article R. 723-91 du code de la sécurité intérieure, de nature réglementaire.
Dans le même souci de lisibilité du droit applicable aux sapeurs-pompiers, le II dudit amendement COM-1 abroge ou actualise des dispositions transitoires du code général des collectivités territoriales devenues inutiles, près de trente ans après la départementalisation des services d'incendie et de secours effectuée par la loi n° 96-369 du 3 mai 1996 relative aux services d'incendie et de secours. Cette abrogation a déjà été adoptée par la commission des lois et le Sénat en janvier 2024, avec un avis favorable du Gouvernement, dans le cadre de la proposition de loi n° 57(2023 - 2024) tendant à améliorer la lisibilité du droit applicable aux collectivités locales, dite « Balai 3 », mais qui n'a pas été inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale.
La commission a adopté l'article unique ainsi modifié.
Intitulé
La commission a adopté un amendement de son rapporteur visant, par cohérence avec les évolutions apportées au dispositif de la proposition de loi, à adapter son intitulé.
En cohérence avec l'adoption de l'amendement COM-2 de rédaction globale sur l'article unique de la proposition de loi, qui supprime l'expérimentation d'un groupe de vacataires opérationnels, la commission a adopté un amendement COM-2, présenté par son rapporteur, raccourcissant l'intitulé du texte pour n'en conserver que les éléments relatifs à l'encouragement du volontariat pour faire face aux défis de sécurité civile.
La commission considère en effet que le développement des contrats saisonniers, qui bénéficieront d'une base légale plus visible, est de nature à soutenir le volontariat des sapeurs-pompiers en permettant de mieux déployer les ressources humaines sur l'ensemble du territoire en fonction des besoins temporaires, sans pour autant créer un statut hybride entre les volontaires et les professionnels.
La commission a adopté l'intitulé ainsi modifié.
* 8 Les statistiques des services d'incendie et de secours, édition 2024, ministère de l'intérieur.
* 9 Ibid.
* 10 Résolution européenne n° 147 (2023- 2024) du 26 juillet 2024 visant à reconnaître la spécificité de l'engagement des sapeurs-pompiers volontaires et à renforcer le dispositif européen de protection civile.
* 11 Rapport de la « Mission Volontariat : sapeurs-pompiers, tous volontaires » remis le 23 mai 2018 par Catherine Troendlé, vice-présidente du Sénat, Fabien Matras, député, Olivier Richefou, président du département de la Mayenne et de la Conférence nationale des services d'incendie et de secours, Éric Faure, président de la FNSPF, et Pierre Brajeux, vice-président du MEDEF, à Gérard Collomb, ministre d'État, ministre de l'intérieur.
* 12 Article L. 112-1 du code de la sécurité intérieure.
* 13 Conformément à l'article R. 723-9 du code de la sécurité intérieure.
* 14 Selon les termes employés par la FNSPF.
* 15 Article L. 742-2 du code de la sécurité intérieure.
* 16 Article L. 723-12 du code de la sécurité intérieure.
* 17 Rapport de l'inspection générale de l'administration intitulé « Le financement des services d'incendie et de secours : réalisations - défis - perspectives » publié en octobre 2022 en application de l'article 54 de la loi n° 2021-1520 du 25 novembre 2021 visant à consolider notre modèle de sécurité civile et valoriser le volontariat des sapeurs-pompiers et les sapeurs-pompiers professionnels.
* 18 Ibid.
* 19 Résolution européenne n° 147 (2023 - 2024) du 26 juillet 2024 visant à reconnaître la spécificité de l'engagement des sapeurs-pompiers volontaires et à renforcer le dispositif européen de protection civile.
* 20 Article L. 724-1 du code de la sécurité intérieure.
* 21 Article L. 724-3 du code de la sécurité intérieure.
* 22 Article L. 724-14 du code de la sécurité intérieure.
* 23 Exposé des motifs de la proposition de loi.
* 24 Exposé des motifs de la proposition de loi.