EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 4 juin 2025 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission des finances a examiné le rapport de M. Emmanuel Capus, rapporteur, sur la proposition de loi n° 380 (2024-2025), adoptée par l'Assemblée nationale, instaurant un impôt plancher de 2 % sur le patrimoine des ultrariches.

M. Claude Raynal, président. - Mes chers collègues, nous commençons notre réunion de ce matin par l'examen du rapport et du texte de la commission sur la proposition de loi instaurant un impôt plancher de 2 % sur le patrimoine des ultrariches.

M. Emmanuel Capus, rapporteur. - Mes chers collègues, il me revient ce matin de vous présenter mon rapport sur la proposition de loi de Mmes Eva Sas et Clémentine Autain instaurant un impôt plancher de 2 % sur le patrimoine des « ultrariches ». Sans plus de suspense, je vous en proposerai le rejet, pour des raisons que je vais vous exposer.

L'histoire de ce texte est assez récente.

Dans une note parue en juin 2023, l'Institut des politiques publiques (IPP) a constaté l'existence d'une forme de régressivité de l'imposition sur les revenus au sommet de la distribution. En effet, en retenant comme définition du revenu non pas le revenu fiscal, mais le revenu dit « économique », entendu comme l'ensemble des revenus réalisés et contrôlés effectivement par le foyer fiscal, les auteurs de cette étude estiment que le taux effectif d'imposition, tous impôts directs compris, deviendrait régressif pour les 0,1 % de foyers fiscaux les plus aisés : ce taux passerait de 46 % à 26 % pour les 0,0002 % les plus aisés.

Ce constat n'est pas propre à la France, puisque, comme le signale l'économiste Gabriel Zucman dans le rapport qu'il a publié en juin 2024 à la demande de la présidence brésilienne du G20, ce phénomène a également été documenté dans plusieurs pays développés.

L'explication principale de ce phénomène réside dans les caractéristiques du revenu de cette catégorie de population, lequel est majoritairement composé de revenus du patrimoine, et dans la possibilité de structurer ce patrimoine de façon que ces revenus soient moins imposables. Ainsi, lorsqu'ils contrôlent les choix d'une entreprise, les plus aisés peuvent choisir de ne pas verser de dividendes de façon à ne pas subir l'imposition afférente. De même, pour gérer leur patrimoine, ils recourent fréquemment à des holdings ou à des structures similaires, dont le régime fiscal est plus avantageux que celui de l'imposition sur les revenus des personnes physiques.

En contrepoint de ce constat, plusieurs points méritent d'être soulignés.

Tout d'abord, le choix de ne pas verser de dividendes peut ne pas procéder d'une volonté d'évitement de l'impôt, mais, au contraire, d'un choix de long terme axé sur le développement de l'entreprise, lequel repose sur l'investissement. Une entreprise qui souhaiterait revaloriser les salaires de ses employés pourrait également freiner le versement de dividendes.

Ensuite, le constat d'une régressivité de l'impôt au sommet de la distribution repose sur un choix méthodologique inédit qui n'a rien d'évident : l'assimilation d'une personne physique avec la société qu'il contrôle, pour déterminer la notion de « revenu économique » - les actions détenues par les sociétés dont les contribuables ont le contrôle majoritaire sont alors considérées comme génératrices de revenus pour ces derniers, contrairement au principe de personnalité de l'impôt qui sous-tend la fiscalité française.

Enfin, la notion même de régressivité recouverte par l'étude et par le rapport de Gabriel Zucman peut être considérée comme contestable. En effet, si les personnes les plus aisées veulent dépenser ces revenus, ils doivent les sortir de leurs holdings - si c'est le choix de gestion qu'ils ont fait - sous forme de dividendes ou de plus-values, auquel cas ils sont assujettis au prélèvement forfaitaire unique (PFU). Il est donc problématique d'évaluer la progressivité de l'imposition des revenus du capital à partir d'une approche statique, c'est-à-dire en omettant l'imposition impliquée par la consommation future.

Malgré ces limites réelles, Gabriel Zucman, que j'ai auditionné, a proposé, dans son rapport, la mise en place d'une taxe différentielle de 2 % sur le patrimoine des milliardaires, voire des centimillionnaires, au niveau mondial. Ce taux s'appuie sur le constat d'une forte progression du patrimoine des plus aisés sur les quarante dernières années - de l'ordre de 7,5 % par an en moyenne selon lui. Toutefois, ce constat est documenté au niveau mondial dans le rapport de M. Zucman, et non au niveau français. Surtout, la fiabilité des données sur lesquelles il s'appuie peut être remise en question, puisqu'elles proviennent du classement du magazine Forbes, qui ne renseigne pas ses sources.

Le taux envisagé pour la taxe ne tient pas compte non plus du fait que le rendement du patrimoine, s'il est positif sur le long terme, peut être négatif à court terme : la détention d'un patrimoine ne reflète donc pas systématiquement l'obtention d'un revenu associé.

J'en viens à la présentation du dispositif lui-même.

La présente proposition de loi crée un impôt plancher sur la fortune (IPF) prenant la forme d'une contribution différentielle sur le patrimoine, entendu au sens large, des plus grandes fortunes.

Elle fixe un seuil d'entrée à 100 millions d'euros de patrimoine - ce n'est pas nécessairement le seuil proposé par Gabriel Zucman -, sans prévoir aucun mécanisme de décote permettant d'atténuer l'imposition des contribuables proches du seuil d'assujettissement. Sont concernées les personnes fiscalement domiciliées en France, pour leurs biens situés en France et à l'étranger, et les personnes domiciliées à l'étranger, pour leurs biens situés en France.

L'assiette de la nouvelle contribution vise à capter la notion de « revenu économique ». Elle correspond, de fait, à une vision élargie du patrimoine, incluant notamment les biens professionnels.

Un calcul différentiel permet de déterminer le montant de la nouvelle contribution. La somme due est égale à la différence, à condition qu'elle soit positive, entre : d'une part, le montant résultant de l'application d'un taux de 2 % à la valeur nette taxable du patrimoine du redevable ; d'autre part, la somme des montants effectivement acquittés par le contribuable sur ses revenus - impôt sur le revenu, impôt sur la fortune immobilière et une partie des prélèvements sociaux.

Les autrices de la proposition de loi ont prévu un dispositif d'échelonnement du paiement de l'impôt, en cas d'impossibilité pour le contribuable de s'acquitter du montant dû, en raison d'une situation de gêne, comme le fait de devoir aliéner une partie de leur patrimoine.

Selon Gabriel Zucman, le rendement de l'impôt pourrait représenter environ 20 milliards d'euros, avec une marge d'erreur, selon lui, de 5 milliards d'euros.

Cet impôt présente, selon moi, trop de faiblesses - d'ordres constitutionnel, opérationnel et économique - pour être adopté, raison pour laquelle je vous propose le rejet de la proposition de loi. Je vais les développer.

Les autrices du texte ont bien repéré les faiblesses constitutionnelles - elles proposent de prendre le risque malgré tout, voire de modifier la Constitution en cas de censure du Conseil constitutionnel.

Dans son contrôle de la loi fiscale, le Conseil constitutionnel s'assure que l'imposition prend en compte la faculté contributive des contribuables, de sorte qu'elle n'ait pas un caractère confiscatoire. Pour ce faire, le juge constitutionnel identifie un taux marginal maximal d'imposition. S'agissant de l'imposition de la fortune, il exige d'assortir l'imposition du patrimoine d'un mécanisme de plafonnement, sauf à fixer un taux suffisamment bas. Si le Conseil constitutionnel a admis, dans une décision de 2011, un taux de 0,5 % sans plafonnement, un taux de 1,8 % n'a été validé, dans sa décision de 2012, que sous la condition d'être assorti d'un tel dispositif.

Le Conseil constitutionnel serait donc amené à censurer un taux marginal d'imposition sur le patrimoine situé entre 0,5 % et 1,8 % s'il n'était pas assorti d'un dispositif de plafonnement sur les revenus. En ne prévoyant aucun plafonnement et en fixant un taux d'imposition à 2 %, l'impôt plancher sur la fortune s'expose à la censure du juge de la rue Montpensier.

Le taux proposé pour l'IPF ne paraît pas suffisamment protecteur du principe d'égalité devant les charges publiques, dès lors qu'il n'écarte pas et implique même un risque d'aliénation, par le contribuable, d'une partie de son patrimoine pour s'acquitter de la nouvelle taxe. L'impôt plancher sur la fortune s'expose dès lors au risque d'inconstitutionnalité.

En outre, le dispositif proposé pose un certain nombre de questions d'ordre opérationnel, qui ne sont pas sans rejoindre les interrogations liées à sa constitutionnalité, et qui auraient des conséquences économiques néfastes.

Tout d'abord, la valorisation, année par année, de l'ensemble du patrimoine détenu par les contribuables, constitue une gageure, que l'entreprise à laquelle sont adossées les actions détenues soit cotée ou non.

Plus problématique encore, en l'absence d'un mécanisme de plafonnement en fonction des revenus, il est impossible de garantir la liquidité des personnes imposées. Les autrices ont d'ores et déjà prévu qu'elles pourraient étaler leur paiement sur cinq ans. Gabriel Zucman va plus loin, puisqu'il propose que l'État devienne actionnaire des sociétés détenues par ces milliardaires.

La situation est particulièrement problématique s'agissant des entreprises qui viennent d'être lancées, à savoir les start-up : les propriétaires d'actions qui, certes, peuvent être valorisées à hauteur de plusieurs milliards d'euros, ne perçoivent pas nécessairement un revenu aujourd'hui, puisque la valeur de ces actions est fondée sur les recettes futures estimées par les investisseurs en prévision des bénéfices à venir.

Le dispositif pourrait obliger certaines personnes à revendre leurs actions pour s'acquitter de l'impôt pour un montant supérieur à celui de l'impôt dû, puisque les plus-values sont par ailleurs taxées au titre du PFU.

Si le présent texte prévoit un lissage du paiement de l'IPF en cas d'impossibilité pour le contribuable de s'acquitter du montant dû, l'échelonnement ne peut dépasser cinq ans, ce qui n'est pas nécessairement suffisant lors du lancement d'une entreprise.

D'autres faiblesses importantes sont à déplorer.

Pour le calcul du montant de l'impôt plancher, le dispositif proposé ne prend pas en compte l'impôt sur les sociétés, pourtant acquitté par ceux qui contrôlent les entreprises visées. Ce choix des autrices - conforme à la proposition de Gabriel Zucman - paraît pour le moins surprenant.

Autre difficulté, l'impôt pourrait entraîner un exil fiscal dont il est impossible d'anticiper l'ampleur. En effet, à la différence des impositions sur la fortune, qui, d'après les études, ont donné lieu à un exil fiscal négligeable - de l'ordre de plusieurs centaines de contribuables -, l'IPF inclut dans son assiette les biens professionnels. Dans la mesure où les fortunes visées par l'IPF sont extrêmement concentrées - les autrices ignorent le nombre de personnes qui seraient concernées, mais les économistes que nous avons auditionnées considèrent qu'il y en aurait quelques centaines au maximum -, l'exil d'un seul des contribuables parmi les plus riches de France entraînerait une baisse potentiellement très importante du rendement de l'impôt. Ainsi, si les trois personnes les plus riches de France quittaient le territoire, le rendement de l'impôt baisserait de moitié, soit de 10 milliards d'euros. Si le risque d'exil fiscal est limité - le texte prévoyant des mécanismes pour continuer à imposer les exilés fiscaux pendant cinq ans après leur départ -, il n'est pas totalement négligeable.

Pour en terminer, l'adoption de ce texte entraînerait des conséquences économiques néfastes non négligeables.

En poussant leurs propriétaires à céder leurs actions pour acquitter l'impôt, il aurait pour effet de dissuader la création de nouvelles entreprises, notamment de start-up.

Au reste, il déstabiliserait l'actionnariat, puisque, par définition, il faudra vendre ses actions pour payer l'impôt - il faudra en vendre à une hauteur supérieure au montant de l'impôt exigé, du fait du PFU. Il en résulterait une inégalité entre les Français assujettis à cet impôt et les autres actionnaires.

Par ailleurs, ce sont les personnes ciblées par le dispositif qui sont les plus à même d'effectuer des investissements risqués au bénéfice des entreprises en croissance. Cette nouvelle imposition nuirait donc nécessairement au financement du capital-risque. Or nous avons besoin d'entrepreneurs qui prennent des risques et investissent dans les secteurs de l'innovation, extrêmement porteurs pour l'avenir.

Enfin, comme précisé antérieurement, il n'apparaît pas nécessairement justifié de « sanctionner » par l'impôt des entrepreneurs qui, en empêchant la distribution de dividendes, ont fait le choix du développement de leur entreprise, contribuant par là même à celui de l'économie française.

Au total, si des mécanismes minorant, peut-être artificiellement, l'imposition qui pourrait être due par certains contribuables peuvent exister en France, comme dans le reste du monde, l'impôt proposé par ce texte ne me paraît pas constituer une solution adéquate pour lutter contre ces phénomènes. À cet égard, d'autres pistes existent, comme la contribution différentielle sur laquelle travaille actuellement le Gouvernement - son taux serait plus bas et elle ne viserait pas les biens professionnels -, ou encore la taxation des holdings ou des dividendes non distribués, comme elle est pratiquée en Irlande ou aux États-Unis.

En conclusion, je vous propose de rejeter le présent texte, qui est composé d'un article unique.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je remercie le rapporteur pour la qualité de sa présentation, qui va dans le détail.

Je souscris en totalité à la fois à l'analyse, aux points d'attention, aux alertes et à certaines objections, mais aussi aux propos conclusifs, qui laissent la porte entrouverte à une réflexion sur une imposition pour les plus grandes fortunes - la question est assez complexe.

La question du revenu économique est un sujet important. Il faut aussi faire attention, comme l'a dit Emmanuel Capus, au signal que nous envoyons en ces temps difficiles. Le débat n'est pas nouveau. Pour ma part, je continue de penser que la meilleure façon d'obtenir des recettes nouvelles serait d'avoir une économie en meilleure santé, c'est-à-dire produisant plus de croissance et de richesses et permettant d'augmenter les rémunérations, mais également les profits, ce qui créerait des recettes fiscales nouvelles.

Je sens revenir une fixation sur les plus riches - elle est assez habituelle dans notre pays - pour capter indûment une part de la richesse qui leur revient, sur laquelle certains considèrent que l'imposition est notoirement trop faible.

Je souscris évidemment aux conclusions du rapporteur. Nous verrons ce que donnera le débat en séance publique.

M. Thomas Dossus. - Comme l'a dit M. le rapporteur général, ce texte rouvre le débat, classique en France et typique de l'opposition entre droite et gauche, sur l'égalité devant l'impôt et sur ce que cette égalité implique.

Cette égalité existe-t-elle ? La grande richesse des travaux de Gabriel Zucman est de montrer qu'il y a, dans la plupart des grandes démocraties libérales occidentales, un évitement fiscal des plus grands patrimoines - en tout état de cause, un affaissement du taux d'impôt qu'ils paient.

Tocqueville, décrivant l'Ancien Régime, disait que l'impôt cible ceux qui sont capables de le payer et incapables de s'y soustraire. C'est exactement ce qui se passe aujourd'hui : certains arrivent à s'y soustraire par des montages financiers ou économiques.

Je pense que le constat est posé, mais je n'ai pas entendu, dans les propos qui ont été tenus, de solution pour corriger la situation, si ce n'est à la marge.

L'argumentaire avancé est exactement celui que l'on nous a tenu à Bercy - une forme de protection des personnes qui détiennent de très hauts revenus. Sauf que le chiffon rouge de l'effondrement de l'économie qu'engendrerait cette taxe vient d'être agité très fort ! Il faut raison garder.

Il y a un vrai problème d'égalité devant l'impôt. Tout le monde constate que ce problème n'est pas résolu. Mais, quand il s'agit de mettre les mains dans la mécanique, il n'y a plus grand monde.

Nous reviendrons en séance sur les argumentaires techniques. Je vous mets en garde : alors que les économies vont être cherchées partout, alors que l'heure sera à l'austérité, si nos concitoyens comprennent que certains échappent à l'impôt et peuvent accumuler de la richesse et que l'économie n'est pas en mauvaise santé pour tout le monde, nous risquons de faire monter encore plus les tensions.

Ce texte permet de trouver une solution à l'évitement de l'impôt. Je ne préjuge pas de son destin, mais, au moins, le débat aura lieu. Le débat sur l'égalité devant l'impôt sera important dans les prochains mois, vu l'état de nos finances publiques.

M. Thierry Cozic. - Je salue le talent oratoire du rapporteur pour justifier, par des arguments quelque peu caricaturaux, le rejet de cette proposition de loi.

La majorité sénatoriale fait régulièrement des procès en déconnexion à la partie gauche de l'hémicycle, mais, aujourd'hui, c'est vous qui faites abstraction de la réalité économique dans laquelle s'insère cette proposition de loi ! Les patrimoines des 500 plus grandes fortunes de France sont passés de 124 milliards d'euros en 2003 à 1 228 milliards, soit une augmentation de 890 % en vingt ans, et ces foyers à très haut patrimoine paient considérablement moins d'impôts que la moyenne des Français...

Vous avez cité l'étude de l'Institut des politiques publiques. Je rappelle que, selon ce dernier, pour 75 ménages de milliardaires, 97 % de leur revenu économique, soit l'ensemble des revenus réalisés et contrôlés effectivement par le foyer fiscal, échappe aujourd'hui au revenu fiscal.

La proposition de loi ne touche que les 0,01 % des foyers les plus riches - selon la direction générale des finances publiques (DGFiP), le patrimoine des 0,1 % s'élève, en moyenne, à 10 millions d'euros.

Pour Zucman, le nombre de foyers qui pourraient être touchés par la mesure est de 1 800.

Je suis très surpris que vous ne votiez pas cette proposition de loi, car le gouvernement français - que vous soutenez, si j'ai bien compris - a publiquement défendu la proposition contenue dans le rapport commandé par la présidence brésilienne du G20 à l'économiste Gabriel Zucman.

Il est temps, aujourd'hui, d'envisager concrètement la mise en oeuvre de cette proposition sur le territoire national. La réalité économique le justifie, et cela permettrait que la France joue un rôle précurseur en matière de taxation minimale des plus riches, comme elle a su le faire précédemment, notamment avec la taxe Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft).

Mme Ghislaine Senée. - Nous ne sommes pas tout à fait étonnés de l'avis défavorable du rapporteur.

Les constats sont partagés - du moins je l'espère ! Même si vous utilisez le conditionnel, la rupture d'égalité devant l'impôt est réelle. Elle est factuelle. Elle ne concerne pas que la France - elle a été discutée au G20. Tout le monde en convient aujourd'hui. Il n'est absolument pas normal qu'au-delà d'un seuil de patrimoine, qui est de 100 millions d'euros, l'impôt soit régressif. C'est un vrai sujet. Mon collègue Thomas Dossus l'a rappelé : l'inégalité face à l'impôt pose un vrai problème pour notre pays.

Le système fiscal n'est aujourd'hui absolument plus adapté à l'explosion des richesses. Je vais vous en donner un exemple très concret : la richesse de Bernard Arnault est passée de 33 milliards d'euros en 2016 à 192 milliards d'euros en janvier 2025 - elle a été multipliée par cinq en neuf ans ! Nous savons que cette richesse, ce sont des actifs financiers, un patrimoine illiquide, dont le taux de rendement se situe entre 7 et 10 % - il est aujourd'hui plus près de 7 que de 10. Autrement dit, même si Bernard Arnault ne se lève pas le matin pour aller travailler, ses actifs financiers lui garantissent un taux de rendement de 7 %...

Le dispositif qui est proposé est un système anti-abus. Ce n'est pas une sanction par l'impôt, monsieur le rapporteur : il s'agit de s'assurer que le taux d'imposition des 350 plus grandes richesses soit d'au moins 2 %. Cela ne concerne que 0,01 % des ménages. On nous rétorquera que cela les mettra en difficulté, qu'il faudra qu'ils vendent leur entreprise... Mais, quand on voit qu'ils ne paient aucun impôt sur le revenu et qu'ils vivent dans des conditions qui sont tout sauf minimalistes, on peut penser qu'ils auront d'autres possibilités avant d'avoir à céder leurs actifs. Puisqu'ils placent tous leurs revenus dans des holdings, ils pourraient très bien, s'ils sont dans l'incapacité de payer leurs impôts, solliciter des prêts bancaires au travers de ces holdings.

Pour la majorité des Français, c'est 50 % du salaire qui passe dans les impôts - tous impôts confondus : revenus et consommation. Au travers de la présente proposition de loi, nous demandons simplement une imposition minimale de 2 %, ce qui est négligeable.

Il s'agit vraiment, à nos yeux, d'une question d'égalité devant l'impôt. Surtout, il s'agit de mettre fin aux stratégies de suroptimisation fiscale qui existent aujourd'hui. Je pense que, là aussi, nous pouvons tomber d'accord sur le fait qu'il n'est pas normal que des stratégies de suroptimisation permettent à des personnes qui ont autant de moyens - il y a tout de même, en France, une personne dont la richesse équivaut au PIB du Maroc, à savoir 191 milliards d'euros - d'échapper à l'impôt.

Nous devons en débattre, à l'heure où la situation financière est très compliquée.

Si l'on ne peut pas viser l'égalité devant l'impôt, j'aimerais vraiment que l'on m'explique pourquoi !

M. Marc Laménie. - Je remercie notre collègue de son travail, excellent comme d'habitude.

Quel est le nombre de sociétés ou de grandes fortunes concernées par cette proposition de loi ? Notre collègue Ghislaine Senée a cité le chiffre de 350.

On peut souscrire à certains des arguments qu'elle avance. Cependant, la proposition de loi m'inspire des réserves, en ce que les grandes fortunes sont souvent de grands employeurs qui contribuent à l'activité économique sur l'ensemble des territoires.

Avons-nous une idée de la manière dont le patrimoine serait quantifié pour le calcul de l'impôt plancher de 2 % ? Il n'est pas facile de savoir ce qui doit être pris en compte.

Comment parvenir à quantifier l'exil fiscal ?

Mme Nathalie Goulet. - Oui, il faut faire attention au signal que l'on envoie. Les personnes dont on parle sont aussi les mieux armées pour faire de l'évasion fiscale. Je voterai ce texte.

M. Grégory Blanc. - Nous débattrons en séance de nos conceptions respectives du monde.

Faisons attention aux arguments que nous employons et soyons le plus précis possible. Il me paraît imprudent de dire que taxer à 2 % les personnes dont le patrimoine dépasse 100 millions d'euros dissuaderait la création d'entreprises. Pour avoir créé une entreprise par le passé, je pense que la perspective de ne payer que 2 % d'impôts pour un patrimoine de 100 millions d'euros est de nature à réjouir n'importe quel entrepreneur ou porteur de projets.

De même, n'utilisons pas, pour les patrimoines de milliardaires, des arguments qui ne valent que pour les PME. L'argument sur le versement de dividendes n'est pas pertinent pour les entreprises cotées au CAC40 ! Pour celles-ci, ne pas verser de dividendes, c'est sous-valoriser la société. Il en va de même pour le capital-risque, qui est avantageux fiscalement. Pour une société, l'investissement dans le capital-risque a aussi un effet levier.

Prenons garde aux arguments techniques que nous avançons pour masquer des désaccords politiques sur ce que doit être la fiscalité dans le pays. Si les désaccords sont politiques, portons le débat à ce niveau, mais, de grâce, ne nous replions pas derrière des arguments qui sont plus que critiquables dans la façon dont ils sont posés.

M. Pascal Savoldelli. - Je suis sans doute utopiste, car je pensais que le rapporteur allait nous proposer un avis de sagesse. Je l'ai pensé pour deux raisons : d'abord parce que la proposition de loi a été adoptée par l'Assemblée nationale, ce qui n'est pas sans valeur ; ensuite, compte tenu de l'important engagement de la majorité sénatoriale, sous l'impulsion de son président, pour trouver 40 milliards d'économies. Mais je vois que ce n'est pas le choix qui a été fait.

Nous n'allons pas faire ici le débat que nous aurons en séance.

Toutefois, je veux rappeler que les risques d'inconstitutionnalité invoquée par le rapporteur étaient déjà ceux avancés en 2010 au sujet de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF). Or l'ISF a été constitutionnalisé, monsieur le rapporteur.

Par ailleurs, je vous invite à nous donner, en séance, les conséquences, non seulement quantitatives, mais aussi qualitatives, de l'exil lié à l'ISF - je pense que nous avons les mêmes sources. Nous verrons ce qu'il adviendra de ce second argument...

Je suis d'accord à 100 % avec la nécessité de protéger le principe d'égalité devant les charges publiques. Pensons au pacte Dutreil, à la suppression de l'ISF... Voulez-vous que je vous dise, avec un peu d'avance, ce que dira mon rapport sur la mission « Remboursements et dégrèvements » pour le patrimoine des plus riches ? Il y a un problème d'égalité devant les charges publiques pour nos concitoyens qui travaillent.

Le débat est politique, dont acte ! À l'heure où l'on convoque notre esprit de responsabilité, où l'on nous enjoint à trouver des compromis, reprenons des amendements qui ont été déposés, y compris par des groupes qui ne sont pas de gauche, pour leur redonner une actualité dans ce débat sur la taxe Zucman.

M. Christian Bilhac. - Je vous remercie, monsieur le président, de ne m'avoir pas donné la parole juste après le rapporteur : je pense que, submergé par l'émotion, la voix nouée par la compassion à l'égard des contribuables visés par ce texte, j'aurais été incapable de m'exprimer.

Nous n'allons pas revenir sur la situation financière du pays ni sur le niveau du déficit. Nous sommes tous d'accord pour dire qu'un redressement s'impose et que des économies doivent être réalisées. Dans cet effort, il faut que chaque euro versé par les contribuables soit utilisé de la manière la plus juste possible, que pas un euro ne soit dépensé inutilement. Cependant, ne nous leurrons pas : les économies ne seront pas suffisantes pour redresser les finances publiques. Dois-je rappeler les moyens que nous devons mettre sur les missions régaliennes de l'État, sur les forces armées, la police, la justice, sur l'éducation, sur les hôpitaux... ? On ne pourra pas faire des économies partout, sauf à sacrifier tous les secteurs régaliens de l'État, ce qui est impossible.

Ce redressement doit se faire dans la justice. Sinon, il sera rejeté par les Français, et cela risque de donner encore plus de voix à des partis politiques que nous combattons très largement. La présente proposition de loi procède de cet esprit de justice fiscale.

Vous avez, monsieur le rapporteur, souligné deux écueils. Le premier est l'exil. Oui, l'exil existe, mais personne ne s'exile par bonheur, ni les pauvres ni les riches ! Quand on s'exile, c'est que l'on ne peut vraiment pas faire autrement. À cet égard, je ne pense pas que la taxation proposée entraîne un grand exil de la part des contribuables concernés. Ce n'est tout de même pas un matraquage fiscal !

Ensuite, vous avez mis en avant les risques d'inconstitutionnalité de ce texte, vous appuyant sur différents rapports. Pour ma part, je me référerai simplement à l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qui, je le rappelle, fait partie du bloc de constitutionnalité. Cet article dispose que la contribution commune « doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés » : nous n'y sommes pas ! Et je ne vois pas comment l'on pourrait accepter que des personnes qui gagnent cent, voire mille fois plus que d'autres paient moins d'impôts. Il y a une injustice fiscale.

Écoutons les Français. Ils comprennent aujourd'hui qu'il faut redresser les comptes publics. Mais on ne saurait faire participer à l'effort des personnes qui gagnent 1 500 euros par mois et exonérer des personnes qui ont 500 millions d'euros de patrimoine. C'est une question de morale ! Comme le disait André Malraux, « on ne fait pas de politique avec de la morale, mais on n'en fait pas davantage sans. »

M. Bernard Delcros. - Je veux appuyer les propos de notre collègue. Nous avons voulu que les Français prennent conscience de la situation des finances publiques, du dérapage des déficits et de l'endettement, qui galope et devient insupportable, et je pense que nous y sommes parvenus, comme en témoignent les discussions que nous avons sur le terrain, dans nos départements. Cependant, nous ne parviendrons pas à faire adhérer les Français à la nécessité de faire un effort si des mesures claires ne sont pas prises en matière de justice fiscale.

J'ai entendu les arguments du rapporteur, notamment sur le risque constitutionnel, mais, de façon générale, n'oublions jamais que la justice fiscale est la condition de l'adhésion des Français à la nécessité de redresser les comptes publics.

M. Claude Raynal, président. - Je souhaite, à titre un peu exceptionnel, m'exprimer sur le fond.

C'est le rôle de la commission des finances que d'avoir une analyse technique des textes de loi. Cependant, le présent débat est beaucoup plus politique que purement technique.

Si certains arguments peuvent effectivement être invoqués, ils ne doivent pas servir systématiquement de repoussoirs, comme par exemple le risque d'inconstitutionnalité. Nous verrons bien ce que dira le Conseil constitutionnel, sans nous y substituer ! Il n'est pas du tout certain qu'il déclare le texte anticonstitutionnel.

Arguer de la possibilité d'un exil fiscal me pose aussi problème. D'une certaine façon, c'est admettre que l'on ne fait plus Nation ! D'ailleurs, les chefs d'entreprise à qui il arrive de s'exprimer maladroitement dans la presse à ce sujet se font très vite rattraper par la patrouille... Quand on a vécu dans un pays et qu'on a utilisé ses talents pour bâtir sa fortune, il est délicat de parler d'exil. Au reste, cette préoccupation n'est pas encore justifiée techniquement. Comme vous l'avez indiqué, l'imposition des grandes fortunes n'a pas provoqué d'exil...

Il faut donc être prudent sur ces questions d'inconstitutionnalité et d'exil fiscal.

Le rapporteur a dit qu'il croyait davantage à la richesse par la croissance. C'est aussi mon cas ! Tout le monde y croit. Sauf que cela fait trente ans que l'on fait des politiques pour augmenter la croissance et que ces politiques ne marchent pas - ou marchent peu... Il n'y a pas de croissance, si ce n'est très limitée - elle est à 1 % en moyenne.

Dans la période que nous connaissons, il faut faire attention aux signaux que l'on envoie. Ni le rapporteur ni le rapporteur général ne contestent qu'il y a une difficulté fiscale. Le constat est là. Mais que l'on n'essaie pas de corriger les choses me semble un vrai problème.

Je crois que nous sommes nombreux à penser que, si l'on veut résoudre notre problème de finances publiques, il faut une acceptation. Il faut que chacun ait l'impression que tout le monde fait des efforts « en fonction de ses capacités contributives », selon la formule consacrée.

L'argument du risque d'exil ne me paraît pas recevable. Il faut faire attention à ne pas trop mettre en avant l'idée que des élites risqueraient de quitter le pays, et, surtout, à ne pas l'encourager.

Enfin, moi qui ai été patron d'entreprise dans ma jeunesse, je n'aime pas beaucoup la fiscalisation sur l'entreprise. Pour moi, l'entreprise crée la richesse ! La participation des entreprises aux charges du pays est naturelle. Les routes, la formation, etc., de nombreuses choses justifient que l'entreprise doive contribuer, normalement, sans excès. C'est plutôt sur les dividendes, sur les revenus qu'il faut taxer.

Si on ne le fait pas, alors il faut le faire sur l'héritage. Mais il faut choisir ! On ne saurait le faire ni sur l'un ni sur l'autre.

Pour ma part, je ne suis pas hostile à ce que la taxation porte sur l'héritage. C'est la vision américaine : aux États-Unis, des fondations sont créées pour guider les héritages : les milliardaires américains leur laissent 99 % de leur fortune, à charge pour elles de la renvoyer dans les services publics. Ce n'est pas notre formule, mais on peut en discuter : cela a du sens.

Nous devons avoir cette réflexion aujourd'hui. À tenir des positions trop raides sur ces sujets, nous risquons de nous heurter à une incompréhension du pays. Or, s'il n'y a pas d'acceptation par la population, nous allons au-devant de très grandes difficultés.

M. Emmanuel Capus, rapporteur. - Mes chers collègues, loin d'être seulement technique, je constate que le débat passionne politiquement.

Je remercie le rapporteur général de ses remerciements et de son soutien. Je partage son analyse : je crois beaucoup plus à la richesse par la croissance qu'à la richesse par le prélèvement, notamment sur les plus riches.

Plus globalement, je crois que nous partageons l'analyse qu'il ne faut pas envoyer de signal négatif aux investisseurs étrangers : dans le choix d'acheter ou non une entreprise qui vaut plusieurs centaines de millions d'euros, la façon dont ce patrimoine est taxé en France joue incontestablement.

Thomas Dossus a cité Tocqueville ; je l'en remercie.

J'espère que personne n'a cru que je cherchais à défendre les milliardaires ! Je veux dire très sincèrement que je ne connais pas de milliardaires. Je n'en vois que dans les magazines... Nous parlons là de gens qui sont très éloignés du monde dans lequel nous, parlementaires, vivons sur nos territoires.

Mon but n'est pas de protéger une partie de la population, minime d'ailleurs - celle qui dispose des plus hauts revenus. Il est d'éviter que nous ne votions un texte qui risquerait d'être censuré par le Conseil constitutionnel ou qui nuirait à l'activité. Risque-t-il d'être contre-productif et de présenter des difficultés en termes d'efficacité ? C'est la seule question qu'il me paraît intéressant de se poser, en dehors de celle de l'égalité devant l'impôt.

Mon objectif principal est de m'attacher aux répercussions du dispositif sur l'économie, en termes de retombées et de stabilité de l'actionnariat, étant précisé que, selon l'un des enseignants de l'École polytechnique que j'ai auditionnés, son vote aurait un rendement fiscal négatif : on y perdrait plus que ce que l'on prélèverait. C'est ma principale préoccupation.

Je veux préciser à Thierry Cozic que c'est Bruno Le Maire, s'exprimant au nom du précédent gouvernement, qui s'était déclaré favorable à une taxe de ce type. Cet engagement ne lie pas le gouvernement actuel.

Thomas Dossus a évoqué le caractère mondial de la taxe. De fait, Gabriel Zucman lui-même, quand il a inventé la taxe, est parti du postulat qu'elle devait, idéalement, être mondiale.

Je pense qu'Amélie de Montchalin, défendra, elle aussi, au nom du Gouvernement, une taxe du même ordre - même si son mécanisme ne sera pas forcément le même -, mais touchant toutes les personnes dans le monde. Cela évitera les effets négatifs liés à l'évitement de l'impôt que j'ai évoqués : des personnes qui quittent la France ou qui ne s'y installent pas.

J'ai interrogé Gabriel Zucman ici même sur ce point : il considère qu'il ne serait pas grave que la taxe ne soit pas mondiale, que nous allons donner l'exemple. Je ne partage pas cette analyse : cela me paraît risqué. Si l'on crée cette taxe, il faut la créer au niveau mondial. En ce cas, il n'y aurait pas de risque d'évitement, pas de risque de concurrence. La France a déjà, sur à peu près tout, une fiscalité lourde, plus lourde que tous les autres pays du monde ; il ne faut pas en rajouter.

Madame Senée, je partage le constat, mais je n'ai pas non plus de certitudes : la mesure proposée est fondée sur une analyse de l'IPP de 2023 et sur des chiffres de 2016 basés sur les déclarations d'impôt de solidarité sur la fortune. Ces chiffres sont étayés, mais il n'y a pas non plus foison de documentation. J'ai auditionné Laurent Bach, de l'IPP, ainsi que les coauteurs, mais nous ne disposons pas de beaucoup d'éléments.

Le taux de rendement du patrimoine est de 6 % à 7 % ; c'est un taux moyen, qui connaît des fluctuations. Si nous connaissions, dans notre vie quotidienne, des taux de rendement de ce niveau, nous serions ravis !

La proposition vise-t-elle à instaurer un dispositif anti-abus ? Non ! Elle crée un dispositif de rendement qui entend prélever 20 milliards d'euros et qui touche de manière identique tous les contribuables disposant de plus de 100 millions d'euros, quels que soient leurs comportements - qu'ils fassent de l'optimisation ou pas.

D'ailleurs, je ne suis absolument pas certain qu'elle permettrait de rétablir une forme d'égalité ! Il faudrait un miracle pour que son rendement équivaille au taux marginal qui frappe ceux qui ne sont que très riches...

Enfin, je répète que d'autres dispositifs anti-optimisation sont possibles, notamment sur les holdings.

En réponse à Marc Laménie, les autrices estiment approximativement le nombre à 1 800 personnes concernées, sans pouvoir expliquer comment elles arrivent à ce chiffre - l'une d'entre elles m'a dit espérer que nous les aidions à établir ce chiffrage. La direction de la législation fiscale ne le connaît pas non plus.

Le seul chiffre dont nous disposons réellement aujourd'hui est celui de l'étude de l'IPP : Laurent Bach, lorsque je l'ai auditionné, estimait que 350 contribuables disposaient d'un patrimoine de plus de 100 millions d'euros en 2016. Par extrapolation, Gabriel Zucman arrive à peu près à 1 600 ou 1 800 aujourd'hui.

Ce constat rend extrêmement humble sur la façon dont on légifère dans ce pays. On ne sait pas clairement de combien de personnes on parle, en réalité. Quoi qu'il en soit, c'est sur très peu de personnes que l'on prélèverait ces 20 milliards d'euros. Et, parmi celles-ci, une dizaine de personnes dispose d'une très grande part de ces ressources - l'une d'elles a été citée tout à l'heure.

Nathalie Goulet, oui, les personnes les mieux armées pour faire de l'évasion fiscale sont les personnes qui seraient assujetties à cette contrainte supplémentaire, mais c'est justement parce que ces personnes sont les mieux armées que je crains leur exil fiscal ! Je pense comme vous qu'elles ont les moyens de trouver des biais qui leur permettront d'échapper à cette fiscalité nouvelle en France.

Cher Grégory Blanc, je l'ai dit, on ne parle pas ici d'entreprises comme celles que nous avons pu créer. On ne parle pas de TPE, de PME. J'ai échangé avec les autrices, avec Gabriel Zucman : ils nous disent qu'il n'y a pas tant de sociétés qui seraient concernées. Les cas sont très précis et connus.

Parmi ceux-ci, il y a notamment la société Mistral AI, qui, aujourd'hui, est valorisée à des centaines de millions, voire à des milliards d'euros. Or, en réalité, Mistral ne vaut rien pour le moment ! Je parle des licornes, qui ne sont pas très nombreuses : il y en a moins de 10 par an. Si l'on créait cet impôt, il n'y aurait aucun intérêt à créer de telles sociétés en France, puisque la taxation serait plus forte qu'ailleurs. Je ne dis pas que c'est massif, mais c'est une réalité.

Un autre exemple nous a été cité, celui de la société Seb. Ce fleuron français a su traverser les crises grâce à un capital extrêmement solide. La famille détentrice des actions ne s'est pas versé de dividendes pendant des années, ce qui lui a permis de continuer à investir. Aujourd'hui, on fabrique encore des robots Seb ou Moulinex en France du fait du modèle capitalistique de ces sociétés. Ce modèle, on risque de le déstabiliser si l'on force la famille à vendre une partie de ses actions pour payer cet impôt.

Cher Pascal Savoldelli, le vote de l'Assemblée nationale joue-t-il favorablement ? Cette question m'a été posée par l'une des autrices du texte. Le Sénat étant souverain, je ne suis pas sûr que cela influence sa décision. Je note que le RN s'est abstenu, ce qui ne me pousse pas forcément à soutenir le texte...

L'impôt n'a rien à voir avec les 40 milliards d'euros d'économies du Gouvernement ! Il vise à engranger 20 milliards d'euros de recettes supplémentaires.

Monsieur Bilhac, vous avez raison d'être ému ! Je répète que le but n'est pas de défendre les milliardaires - le rapporteur général l'a très bien dit. Mais je ne voudrais pas non plus que l'on soit tenté de trouver des boucs émissaires et que l'on pense que c'est en prélevant sur les milliardaires que l'on résoudra les problèmes de notre pays. Je ne crois pas que ce soit une solution.

Contrairement à ce que vous avez dit, les milliardaires ne s'exonèrent pas de l'imposition. Ils paient déjà beaucoup d'impôts. L'imposition du milliardaire le plus riche de France atteint 26 %. Autant dire que ce dernier paie beaucoup plus que nombre de nos concitoyens ! Il paie effectivement moins, en pourcentage, que les millionnaires, qui, pour la plupart, sont au taux marginal de 46 %. Mais on ne peut pas dire qu'il ne paie pas d'impôts.

Je souscris au message de justice fiscale de Bernard Delcros, mais, comme je l'ai indiqué, d'autres dispositifs anti-optimisation sont en train d'être examinés en vue du prochain projet de loi de finances, et d'autres dispositifs pourront être proposés par le Gouvernement. Bien évidemment, il faut de la justice fiscale, mais, en réalité, le problème n'est pas du tout un problème d'égalité devant l'impôt - le Conseil constitutionnel s'exprimera sur le risque que l'impôt soit confiscatoire. C'est un problème de régressivité de l'impôt pour une part minime des contribuables, ce qui n'est pas la même chose.

Enfin, vous avez raison, monsieur le président, le débat que nous aurons en séance publique sera extrêmement politique.

Bien évidemment, nous ne nous substituons pas au Conseil constitutionnel. Je note cependant qu'au titre de l'article 40 de la Constitution, vous contrôlez régulièrement la constitutionnalité, ou en tous les cas la recevabilité d'un certain nombre d'amendements...

Au reste, je dirais que le principal risque soulevé par ce texte, c'est le caractère confiscatoire de cet impôt nouveau, dès lors que, pour pouvoir le payer, il faudra, par définition, aliéner une partie de son patrimoine. Si les personnes concernées paient un taux d'impôt moins élevé en théorie, c'est parce qu'elles ne consomment pas les dividendes, qui restent dans la société mère. Pour payer leur impôt, il faudra qu'elles les vendent... Par construction, l'impôt sera confiscatoire.

M. Claude Raynal, président. - En application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, je vous propose de considérer que le périmètre de la proposition de loi comprend les dispositions relatives à la détermination du taux, de l'assiette et des modalités de recouvrement des impositions visant le patrimoine.

Il en est ainsi décidé.

EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE

Article unique

L'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi n'est pas adopté.

Conformément au premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion en séance portera en conséquence sur le texte de la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale en première lecture.

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